de la revue 'Les Annales' No. 1755, 11 février 1917
'Les Peintres de la Guerre'
par Lucien Jonas

Les Artistes Français

à gauche : Francois Flameng

 

Dans quelle mesure et dans quel sens la peinture sera-t-elle influencée par ces longues années de guerre? La question commence à se poser. Et, dans l'ensemble des réponses, plusieurs pensées très opposées se font jour. L'une est que les artistes rapporteront du champ de bataille une telle horreur de ses misères qu'ils voudront en abolir tout souvenir, et laisseront dans la musette ou sur le chantier études et croquis. Personne ne doute, en effet, que quantité de peintres reviendront sans plus à leur rêve de beauté. Ceux qui rêvent des lauriers de Corot et de Rousseau chercheront des paysages moins cahotés, moins lunaires que ceux des Eparges ou de Vauquois, des sous-bois où le canon n'ait pas fait le bûcheron. Mais combien d'autres aussi garderont la hantise de ce qu'ils ont vu ou enduré. S'ils laissent dormir leurs souvenirs, ce ne sera que pour un temps. Ils voudront être les peintres de la grande bataille, Ils raconteront la vie des tranchées, ses longues attentes sous les rafales d'acier, ses héroïsmes quotidiens; ils aimeront surtout être les portraitistes du soldat à jamais fameux, tel qu'il est sorti du creuset des batailles, plus beau sous la bourguignotte et la capote bleue que la garde impériale dans les fournaises de Wagram, d'Eylau, de la Moskowa et de Waterloo, plus beaux que les soldats de l'An II eux-mêmes, les soldats en sabots de Jemmapes et de Valmy.

Chaque grande épopée militaire eut ses peintres. Gros, Charlet, Géricault, Raffet racontèrent les batailles du premier Empire, comme Détaille et Alphonse de Neuville celles de l'Année terrible. Ce dernier y dépensa toute l'énergie, tout l'enthousiasme d'une vie trop courte. Pas une de ses toiles qui ne fût inspirée par le désir patnotique de faire « revivre la défaite, pour mieux armer l'avenir entre nos mains ».

Les peintres de demain n'auront pas la même tâche, puisque la victoire nous aura souri. Mais elle n'en sera que plus haute. Et déjà se dessme-t-elle dans les œuvres qui, depuis deux ans, se font jour. Cette tâche, c'est de stigmatiser la guerre elle-même, de ia faire détester, non seulement des mères, bella matribus detestata, mais du monde entier. Et pour cela, les peintres n'auront qu'à rappeler celle qu'un odieux ennemi n'eut pas honte de faire. Ils diront les horribles procédés: du « boucher », les blessés systématiquement assassinés, les tortures infligées aux prisonniers, etc. Et cette peinture, non plus des « misères de la guerre », comme au temps de Jacques Callot, mais de ses horreurs, elle ne sera pas seulement nécessaire, mais s'imposera comme un devoir.

Et déjà, en juge-t-il ainsi, l'artiste d'une sensibilité frémissante qu'est Jonas. Chacune de ses pages est une protestation, un appel à la conscience universelle.

Je ne rappellerai pas toutes les pages où il mène la charge contre l'ennemi. De son Debout les Morts à La Délivrance, œuvres émouvantes popularisées par les Annales, que de beaux cris, que de rappels à l'héroïsme français, que d'hommages à ceux qui se dévouent et meurent, que d'espoirs donnés à tous. Comme le crayon de Raemaekers, son pinceau vaut une épée. Toute l'ignominie n'éclate-t-elle pas dans le Choix des Victimes et vingt compositions d'une même éloquence vengeresse. Et que d'autres mènent la charge avec lui.

C'est Mathurin Meheut, surpris par la guerre en pleine Asie, où il bénéficiait d'une bourse de voyage, et qui eut le mot superbe de Regnault à Tanger en 1870: « On bat maman, j'accours! », et qui, depuis deux ans, la défend de son fusil et de son pinceau. C'est Lemordant; c'est Touchet, si émouvant dans l’Anglais au Poteau, page vengeresse elle aussi, où il crucifie lui-même le bourreau. C'est Louis Dauphin, dont la Martyre de Reims ne saurait être oubliée.

En dehors même des artistes qui s'attachent à stigmatiser les nouveaux barbares et leur manque absolu de chevalerie, combien de peintres dont l'oeuvre va déjà loin. L'une des plus belles ne pouvait pas ne pas être celle de Francois Flameng, qui accumule les documents, relève tous les champs ds bataille et montre dans ses tableaux de la Soupe et de Kamarades toute la vilenie de l'adversaire.

Félix Bouchor suit le conseil de Jean Richepin et raconte la guerre au jour le jour sans « la magnifier d'un héroïsme dont elle n'a pas besoin ». Georges Scott songe plutôt à Neuville et à Détaille. Comme eux, son talent a grandi sur le champ de bataille. La liste des peintres de la guerre s'allonge encore et superbement avec Thiriat, Devambez. Mahut, Berne-Bellecour, Geo Conrad, Allard-l'Olivier, Leven et Lemonnier, Huygens, G. Leroux, Naudin Simont, de la Nézière, Boutigny, Busson, Léon Couturier, Fouqueray, Jubier, Jacquier, avec Jean Lefort, dont les deux cents dessins étaient dernièrement admirés du public.

Tout, en un mot, annonce, présage une belle histoire picturale de la lutte, la peinture militaire ne s'arrêtera pas avec elle, bien au contraire!

L. P.

Nous avons demandé à quelques peintres de guerre, nos collaborateurs, de commenter eux-mêmes, les tableaux et les dessins qui illustrent cet article.

 

à gauche : Jean Brulat et A. Ravenal
à droit : dessin de Jean Brulat
 

Les Ruines

Envoyé en mission dans la zone anglaise, comme peintre du musée de l'Armée, j'ai pu recueillir dans les secteurs du Nord, des souvenirs variés en travaillant dans ces villes qui avaient déjà perdu leur grandeur d'autrefois.

L'impression la plus saisissante, je l'ai tout d'abord rapportée d'Arras. Il est impossible de retrouver dans ces ruines l'ancien caractère de la vieille ville. Les Anglais l'occupent et ont évacué presque complètement la population; quelques vieillards, ravitaillés par les troupes, habitent sous terre et créent, pour vivre, des petits commerces de cartes postales, de souvenirs, ou bien s'improvisent coiffeurs. Quelques enfants, parlant maintenant l'anglais comme le français, séparés de leur famille par le désordre de la fuite, errent dans les rues et, tout comme en temps de paix, s'installent derrière le peintre sans se préoccuper du bombardement; dès qu'un obus a éclaté, ils courent en ramasser les morceaux. Un de ces gosses, blessé déjà quatre fois, reçut des mains de M. Poincaré lui-même une superbe montre en or.

La ville d'Arras attire beaucoup les peintres; l'un d'eux, attaché à cette ville, le célèbre prix de Rome Sabatté, a traduit toutes les phases du bombardement et sauvé dans les ruines des merveilles dont M. Paul Ginisty vous parlait récemment. Certains jours le travail y est très, difficile, une véritable pluie d'obus tombe sous l'œil impassible des « policemen » qui règlent la circulation, sifflent lors-qu’un aéroplane survole la ville ou que des gaz asphyxiants sont émis. Les bords de l'Yser sont encore plus sinistres, les moulins à vent de Belgique gisent brisés au bord des routes; au milieu de toute cette campagne ruinée émerge une autre ruine, Nieuport. Quelques fûts de colonnes très blanches de ce qui représentait l'église, des murs en briques rosés presque informes, sont les débris des anciennes Halles.

A l'abri de ces ruines, des centaines de croix se dressent, marquant la place où reposent les héros morts sur l'Yser. Cimetière invraisemblable et merveilleux qui jette, au milieu de cette tristesse, une note presque gaie par sa décoration et ses fleurs. L'entourage des tombes est fait de châssis en cuivre, en fer et même en bois. L'intérieur est un véritable jardin entretenu par les poilus. Sur toutes ces tombes, des grandes croix ont été combinées en carreaux de Delft de toutes les couleurs qui resplendissent au soleil, puis dans toutes les allées, des enchevêtrements de crucifix de bronze et de statues anciennes peinturlurées, provenant des couvents et des églises de la région.

J'ai assisté dans ce cimetière à un des drames les plus poignants de la guerre. On enterrait un brave poilu, le colonel et ses officiers étaient présents, un prêtre militaire, ayant revêtu le surplis, lisait la prière des morts. C'était le matin sous la pluie, le « drachen » allemand repéra un attroupement; instantanément une avalanche d'obus de 77 s'abattit sur le cimetière. Comme mus sous un même commandement, nous nous couchâmes tous à plat ventre dans la boue, et le prêtre acheva ses prières. Partout où j'ai passé, j'ai trouvé une hospitalité charmante que tous les peintres ont pu apprécier comme moi — hospitalité au gré de la fortune. C’est un lit au fond d'une cave humide peuplée de rats, c est toujours un bon repas (pourtant si difficile à composer), ou un bridge durant les nuits de veille au poste de commandement, pendant que les obus tombent sans arrêt. Mais qu'importe, la bonne humeur règne partout ainsi qu'une merveilleuse cordialité!

Louis Dauphin

 

 

Déjeuner aux Avant-Postes

A l’époque où le village de Linons se trouvait être dans un secteur calme (avant l'offensive de la Somme), on pouvait, sans trop d'émotion, y circuler et travailler. Aucune maison n'était restée debout. L’une d'elles, pourtant avait été à peu près épargnée par les obus. Le colonel Couteau commandant de ... d'infanterie y avait établi son poste de commandement. C'est la qu'il nous fit l’honneur à Jonas et moi de nous accueillir et de nous inviter à déjeuner au mess des officiers. Avant de nous mettre à table, le brave et sympathique colonel s’adressant à ses convives nous dit: « Messieurs, voici notre dernier déjeuner dans cette maison; jusqu'ici les Boches l'avaient à peu près épargnée, mais, depuis quelques jours, elle est repérée et les obus deviennent indiscrets, surtout aux heures des repas. A partir de ce soir nous serions ailleurs en lieu plus tranquil. Que ce dernier repas soit pour nous l’occasion de lever nos verres …

Le colonel faisait un salut. Je n’écoutais plus très nettement à ses paroles car je pensais qu’on quittait le village de Lihons le lendemain! Le déjeuner fut très gai, très cordial, plein de cette bonne humeur qui règne sur tout le front. De temps en temps quelques coups sourds interrompaient les conversations. Les obus semblaient se rapprocher.

« Ce n'est pas pour nous », disait alors tranquillement le colonel, et nous atteignîmes— sans encombie — le café. J'ai su que deux jours plus tard, un obus avait mis notre salle à manger au niveau de la cave.

J'eus un peu honte, après, d'avoir eu quelque émotion, et pourtant, je n'oublierai jamais ce déjeuner. Ce colonel tout jeune était un homme superbe d'énergie, de bravoure tranquille et d'exquise distinction. Comme je m'étonnais qu'il portât avec une vareuse noire de chasseur alpin, un pantalon d'un rouge violent, il me fit cette mâle réponse:

« Quand je vais voir mes hommes aux tranchées, je sens que je suis pour eux un peu comme un drapeau. Le jour où on mettra du kaki à notre drapeau, alors moi-même je changerai mon pantalon. »

J. Berne-Bellecour

 

 

Sous les Obus

Les sentiments qu'éprouvent les artistes lorsqu'ils se trouvent au front sont complexes et suivent fatalement l'ascendant de leur tempérament respectif. Un penseur reviendra l'âme imprégnée d'une infinie tristesse. L'œuvre qui se dégagera de son séjour aux armées sera plutôt symbolique. Une profonde mélancolie sera sa directive.

Par contre, si la vision reste superficielle, terre à terre, toute aux charmes des yeux, ses compositions ne nous montreront que des choses vécues, c'est-à-dire une succession kaléidoscopique de types et de scènes familiales militaires Son œuvre restera documentaire et fragmentaire.

Lorsque l'artiste ne conçoit que le mouvement, son voyage ne lui servira qu'à exécuter des études personnelles, en vue de reconstitutions futures. Tout, pour lui, ne sera que prétexte à compositions mouvementées. De ces trois principales conceptions, quelle est la bonne? Nul ne peut trancher une si grave et si délicate question, sans risquer d'entrer dans le domaine de l'erreur.

Par conséquent, je laisse à d'autres l'intransigeance de la réponse. Mais je tiens à dire que je rentre dans la troisième catégorie, c'est-à-dire dans la conception du mouvement. Partout où j'ai pu me rendre, toutes mes études n'ont été exécutées que dans un seul but, l'action, A l'appui de ce qui précède, je ne veux opposer qu'un fait: ma première vision du front, en octobre 1914.

A cette époque, il était relativement aisé de se mouvoir à travers les armées en campagne. Avec un peu de flair... et beaucoup de culot, on pouvait voir bien des choses intéressantes et instructives pour un artiste épris de mouvement. Rien d'officiel. Tout laissé à l'initiative vagabonde du « moi ». Pendant vingt-quatre heures, j'ai pu rester sous le plein fouet des petits, moyens et gros canons de l’ennemi, et là, j'ai vu, de mes yeux vu, de quoi exécuter plusieurs tableaux d'action, ayant touché le drame de près.

Abrité dans l'anfractuosité d'une vieille bâtisse qui se trouvait au fond d'un cul-de-sac dont l'ensemble formait une ruelle obscure, je me figurais être à l'abri de tout danger. Par contre, mes sensations intérieures étaient bizarres. J'avais l'impression d'être seul au monde, désespérément seul, malgré les ombres armées qui passaient sans relâche au bout de ma ruelle, malgré le vacarme incessant produit par les éclatements et les passages rauques des gros obus. Ma pensée allait à ma famille, qui ne connaissait rien de ma téméraire et folle équipée. Puis, peu à peu, insensiblement, j'éprouvais le sentiment de la stupidité grotesque du civil se trouvant jeté subitement hors de sa sphère, dans un inonde ne lui appartenant plus. Alors il se produisit une étrange réaction: le but qui avait dirigé mes pas s'évapora progressivement. Je ne cherchais plus à regarder. Je fus pris d'un besoin fou de combattre, de tirer des coups de fusil, de taper dans le tas. J'éprouvais le désir insensé de sortir de ma cachette et de crier aux ombres entrevues: « Je suis Français, donnez-moi un fusil, des cartouches, conduisez- moi où l'on se bat. »

Un fracas épouvantable, à cinquante mètres de moi, produisit la réaction et refréna ma folie belliqueuse. Je me tirai facilement de l'aventure, mais j'ai compris l'épisode de la Débâcle, lorsque, dans Bazeilles, Weil, ce civil débonnaire, devint un combattant furieux, puis se fit fusilier en héros.

Voici le récit très sommaire de mon baptême au front. J'ai constaté seulement qu'il serait utile que tous les peintres envoyés en mission aux armées pussent revêtir l’uniforme militaire.

Paul Thiriat

 

dessin et portrait de Lucien Jonas

 

Compagnons d'Armes et de Pinceau

J’avais quatre bons petits camarades qui se trouvaient chez moi comme chez eux; j'étais leur grand aîné et, le dimanche matin, ils m'apportaient leurs études et leurs esquisses d'école dont nous faisions la critique ensemble pour notre mutuel profit.

Deux d'entre eux sont morts: Ravenel et Brulat; les deux autres furent grièvement blessés: Sauvage et Juppet.

Chaque fois que je dessine dans la Somme, je pense à Ravenel, ce grand pierrot bon enfant qui tut déchiqueté près de Biaches et, quand je fais des croquis devant Verdun, je revois dans les Bois-Bourrus la silhouette de page florentin de Jean Brulat, qui fut écrasé sur son rimailho démoli. Pauvre Ravenel qui, formé par Cormon, eût été le digne continuateur de Willette, pauvre géant puissant, mais pâle, dont le cœur trop sensible n’avait pu s'habituer aux atrocités de la guerre... Je l’ai vu, après sa première charge à la baïonnette, en Champagne: il était anéanti et livide..., il parlait fébrilement:

« J'ai suivi..., j'ai couru..., je suis tombé dans une tranchée devant un grand Allemand barbu qui tira sur moi..., me manqua... Ma baïonnette est entrée dans son ventre... Il m'a regardé avec un oeil effrayant..., il a balbutié, je n'ai pas compris; il a crié, je n'ai pas compris... Son oeil me fixait toujours. J'ai eu peur. Je n'ai pas osé retirer mon fusil de son ventre. Je suis resté à pleurer dans la tranchée près de lui... »

Huit mois plus tard, Ravenel était cité à l'ordre du jour de sa division. Puis, dans une mission dangereuse, il avait le thorax défoncé par un obus. Sous ses côtes brisées, sur son cœur, où sa main instinctivement s'était portée, on retrouva, maculés de sang, ses croquis alertes, gais et pleins de vie...

Les croquis de Jean Brulat, ce Méridional calme et réfléchi, sont, au contraire, graves et tristes. Depuis le début de la guerre, je n'avais pas revu mon jeune ami, dont les lettres semblaient écrites sur des feuilles d'automne tombées d'un arbre plein de sève: sans soleil, sans illusions.

Et cependant, pour ses hommes, — car il était maréchal des logis,— pour donner l'exemple de la confiance, il était le boute-en-train facétieux, il avait fondé un journal dont il était le rédacteur en chef et le spirituel illustrateur, journal qu'il polygraphiait et répandait dans le secteur, y dépensant sans compter un esprit charmant et une débordante joie de vivre.

Il n'a pas vécu longtemps: il est mort en pointant sa pièce au-dessus du Mort-Homme. II repose dans un cimetière de Verdun, cette ville inviolée dont il a défendu l'accès en page élégant devenu écuyer farouche; le destin n'avait pas voulu qu'il passât capitaine...

J'ai vu Sauvage, qui fut blessé à la Marne et qui, nature ardente et belliqueuse, très exubérant, bien que né à Valenciennes. tua du Boche avec frénésie:

« Près de Reims, s'écriait-il, ils étaient ivres et féroces, mais je leur fis rendre en sang le vin qu'ils nous ont bu. »

II dessine comme il parle: à l'emporte-pièce. Il fut blessé en sauvant un camarade tombé devant la tranchée ennemie. Il est retourné au front où il n'a guère le temps de dessiner, et c’est grand dommage, car les quelques croquis que j'ai reçus de lui sont d'un réalisme définitif.

Mon quatrième ami, Paul Juppet, est un Lyonnais d'une nature délicate; il est distingué de manières, crâne d'allure, loyal et sensible de cœur.

Versé dans l'infanterie coloniale avec le grade de sergent, il fut blessé dès le début de la campagne. Il a vu la guerre dans toute l'angoisse et le mouvement du recul, puis dans l'allégresse de l'avance victorieuse, enfin, dans la déprimante stagnation... Dès qu'il fut convalescent, — et bien que fiancé, — il demanda à repartir; on l'envoya à Dakar, puis à Boutilimit, où il recrute les noirs, ces noirs valeureux dont le général Mangin voudrait avoir une armée pour hâter la victoire.

Ah! le brave général! Combien je fus fier de le peindre sous les murs de Verdun, dans la grande pièce claire où il travaillait. Pendant que je scrutais son regard d'aigle, un obus tomba au fond de son jardin: li ne broncha pas, tandis que mon pinceau surpris balafrait sa bouche en coup de sabre et son menton volontaire. Si Brulat et Ravenel avaient été à ma place, devant mon chevalet, ils n'eussent pas bronché plus que le général.

Lucien Jonas

 

 

Peinture et Photographie

Il y a les sections photographiques et cinématographiques de l'Armée, qui fonctionnent très bien — il y a aussi des peintres militaires, mais... ils ne sont que tolérés.

Si la conversation venait sur ce sujet dans un milieu moyen, vous diriez, — toute idée de situation militaire à part: Je suis photographe. je suis opérateur, on trouvera cela tout naturel, surtout si c'est votre métier en temps de paix; mais si vous dites: Je suis peintre militaire, on sourira. Qu'est-ce que c'est que ça, un peintre militaire?

Dans toutes les guerres il y a eu des peintres accompagnant les armées et qui en couraient les risques; on sait que le grand peintre militaire russe Verestchaguine, qui suivait en 1904 les opérations de la guerre russo-japonaise sur un cuirassé, périt dans l'explosion de ce navire.

Il faut croire qu'avec la guerre moderne les peintres militaires ne sont guère utiles et que la photographie et le cinématographe suffisent pour documenter l'histoire. Eh bien! que quelqu'un de bonne foi — sans se préoccuper du talent et restant sur le terrain de documentation militaire — regarde toutes les photographies faites depuis le début de la guerre et vienne voir au Musée de l'Armée l'ensemble des œuvres de M. Flameng, — que je ne connais pas. Qu'il compare. II est impossible de ne pas constater que l'impression de la guerre est donnée beaucoup mieux par ces œuvres que par toutes les photographies, même par celles en couleurs, qui sont cependant très belles. La peinture de guerre complète la cinématographie et la photographie.

M. Mahut

 

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