de la Revue 'L'Illustration' no. 3760 de 27 mars 1916
'Les Numéros de Guerre
des Journaux Illustrés Allemands'

les Revues Allemandes

 

« Dans la plus profonde paix, nous avons été assaillis... Nous montrerons à l'adversaire ce qu'il en coûte de provoquer l'Allemagne si lâchement... Et maintenant je vous recommande à Dieu. »

C'est par ces paroles que Guillaume II répondit, du haut de son balcon, aux hourras de la foule, le soir du 31 juillet 1914. Tombant des lèvres impériales, elles ont convaincu le peuple que la guerre actuelle est un acte de défense contre des ennemis envieux de la puissance et de la prospérité de l'empire.

Dès le début de la guerre, la presse germanique s'est efforcée d'entretenir cette conviction dans le public, comme de stimuler son enthousiasme guerrier et d'affermir sa foi dans la victoire. Les journaux illustrés contribuent à cette œuvre, par l'image, dans les « numéros de guerre » (Kriegsnummern) qu'ils font paraître depuis les premiers jours du mois d'août 1914.

Les feuilles satiriques, le Simplicissimus, Voelker, les Fliegende Blaetter, dont la verve s'est souvent exercée contre l'autorité, parfois même contre l'empereur, semblent avoir voulu se faire pardonner ces écrits en remplissant leurs colonnes d'injures et de basses diffamations à l'adresse des alliés. Ils ridiculisent l'armée française, qu'ils se plaisent à représenter comme mal vêtue, mal chaussée, mal armée, raillent la « misérable petite armée anglaise », insultent l'armée belge.

Les journaux plus importants, documentaires et artistiques, tels que l’Illustrirte Zeitung (Gazette illustrée) de Leipzig — la seule publication hebdomadaire allemande qui ressemble à L'Illustration par son format, ses gravures, son papier, l'importance et par conséquent le prix de ses numéros, qui est de 1 mark — la Woche (la Semaine), le Daheim (Chez nous), ont conservé, à part quelques défaillances, une meilleure tenue. C'est de ceux-là que nous nous occuperons principalement.

Lorsqu'on a feuilleté la collection de ces périodiques, depuis le commencement d'août 1914, l'impression générale qui s'en dégage est l'imprécis, le vague, le flou de la série d'illustrations qu'elle contient.

Les Allemands s'enorgueillissent volontiers de leur goût de l'exactitude, du soin qu'ils apportent à traiter toutes les questions scrupuleusement et à fond; ils se plaisent à opposer au Français superficiel « le Germain consciencieux et renseigné ». On aurait pu croire que les « numéros de guerre » seraient imprégnés de ces vertus traditionnelles, et fertiles en documents donnant une idée juste du développement de la campagne, permettant de reconstituer, dans une certaine mesure, les événements qui se sont déroulés sur les champs de bataille. C'est le contraire que nous constatons.

La presse des pays alliés et des neutres a publié en abondance des cartes et des plans topographiques pour mettre ses lecteurs à même de suivre le cours des événements; la plupart de nos journaux ont fait paraître périodiquement ces cartes en y indiquant, par des signes conventionnels, la situation des armées en présence; il y en a même qui fournissent dans chacun de leurs numéros deux schémas de ce genre, l'un pour le théâtre occidental, l'autre pour le théâtre oriental de la guerre.

Les illustrés allemands se sont bornés, en six mois, à insérer de rares cartes générales. Sauf dans le Daheim du 23 janvier, qui donne un croquis, de dimensions réduites, sur lequel est portée la ligne de démarcation des tranchées adverses en France et en Belgique, jamais jusqu'à ce jour l'abonné aux illustrés allemands n'a pu voir le moindre bout de carte lui montrant la position des deux partis dans les premières batailles; jamais il n'a eu connaissance de la longue suite de mouvements exécutés par les forces en présence sur le front polonais.

Passons des cartes aux illustrations proprement dites se rapportant à la guerre.

En mettant son peuple sous la protection de Dieu, au moment d'entrer en campagne, l'empereur avait fait le geste le plus propre à déchaîner l'enthousiasme guerrier de l'Allemagne mystique et religieuse. C'est ainsi que le « service divin de guerre » qui eut lieu le 2 août, à Berlin, au pied de la statue de Bismarck, réunit des milliers de personnes qui assistèrent, tête nue sous le soleil, à l'invocation du secours de Dieu pour la victoire et les triomphes. Le 5 août, l'empereur et l'impératrice se rendirent solennellement au Dôme pour assister à un grand « service de prière ».

A Leipzig, la « guerre sainte allemande » provoqua de grandes manifestations devant le monument de la Bataille des Nations, où l'on célébra des « services de prières de guerre » qui furent suivis par une foule immense.

De grandes pages, des pages doubles furent consacrées par l’lllustrirte Zeitung à ces cérémonies.

En même temps paraissaient, encadrant de farouches poèmes, des compositions d'un mysticisme barbare, comme celles dont nous donnons ci-dessus trois échantillons.

Voici un guerrier germain, coiffé du casque ailé, recouvert d'un lourd bouclier, armé de sa large épée, qui monte la garde devant Héligoland: c'est le Veilleur de la mer du Nord, dont le bras vigilant ne laissera passer aucun ennemi.

Dans le même style, voici le grand symbole allemand, le Glaive, protecteur de l'empire:

Il était un glaive forgé, vraiment trop lourd pour un seul
Un bras aurait été bientôt fatigué; il faut les bras de plusieurs.
Deux bras forts ont saisi la poignée du glaive.
Il était bien aiguisé et étincelait en tournoyant.
Il s'abaisse avec un sifflement et personne ne peut résister
Au glaive, le protecteur des frères du Rhin et des rives du Danube!

Et voici la Résurrection de Bismarck. C'est le sujet d'une planche qui représente le chancelier de fer vêtu d'une cuirasse de reître, tenant d'une main une épée flamboyante et tendant un poing menaçant vers l'ennemi. Le but de ce dessin et des vers qui l'encadrent est d'exalter la Force:

Lève-toi de ta tombe, vieux Hun! —
Vois-tu les sommets fée.iques des Ardennes. —
Et les forêts de Walter Wasgen rougeoyer en brûlant? —
Entends-tu le tonnerre sur les dunes d'Ostende?
Ce sont les tiens, Bismarck!
Les fils audacieux, pleins de colère, de l'Allemagne et qui sont tiens. —
Qui pourrait te séparer du drame héroïque sur cette scène de géants?
Il s'agit de l'ennemi héréditaire, comme dans les temps —
Où tu étais à la tête, couvert de fer. —
Depuis longtemps, les r.ues s'amassent et grondent.
Les Walkyries de Wotan chevauchent autour de toi —
Donc, tends ton poing, commande aux éclairs!
Bismarck se lève: tous les cicux s'embrasent!

 

 

Cependant, les opérations militaires ont commencé et le public en demande la représentation par l'image documentaire.

Or, il est frappant de voir la place importante qu'occupent, sinon dans les suppléments des quotidiens, du moins dans les hebdomadaires illustrés, les dessins, les compositions d'artistes militaires, au détriment des vues photographiques. Chaque livraison compte plusieurs planches représentant des troupes allemandes ou autrichiennes mettant en fuite leurs ennemis. On est surpris de l'étonnante naïveté qui préside à la confection de ces tableaux, du dédain de la réalité, du mépris de la vraisemblance que révèle chaque détail. Les dessinateurs n'essaient même pas de marquer d'une apparence de vérité leurs sujets, de disposer les soldats dans des formations se rapprochant de celles qu'on emploie dans le combat moderne, de reproduire les tenues et l'équipement actuellement en usage. Dans leurs charges de cavalerie échevelées, dans leurs ruées de fantassins, baïonnette au canon, on retrouve les groupements et les attitudes des gravures d'autrefois. En changeant l'aspect de la coiffure, en rectifiant la coupe du vêtement, on pourrait transformer le sujet de ces images en un épisode de Gravelotte, de Waterloo, voire de Rosbach. Presque à chaque page nous retrouvons le même type de bataille, anonyme, indéterminé, ne se fixant à rien ni dans le temps, ni dans l'espace. Un exemple suffira à en donner une idée.

L’Illustrirte Zeitung du 27 août a voulu nous apprendre comment l'infanterie allemande aurait capturé un drapeau français à Lagarde, en Lorraine annexée (1). Ce drapeau ne porte bien entendu aucun numéro de régiment; mais on y a tracé les initiales R. F. entourées d'une guirlande de feuillage, au lieu de l'inscription réglementaire: Honneur et Patrie. Cette erreur est excusable à la rigueur, car on n'a pas souvent l'occasion de voir de près un drapeau déployé. Ce qui ne l'est pas, c'est d'habiller les officiers français dans des uniformes du second empire, avec ceinturon de cuir sur la tunique, pantalon long et jugulaire au menton. Quant à nos fantassins, dont on n'aperçoit que les pieds, ils portent la guêtre blanche comme au temps du maréchal Le Bœuf.

Il faut être doué d'une imagination élastique pour admettre" que de pareils dessins puissent rappeler, même de loin, les faits qu'ils prétendent traduire. Ainsi le plus rapide examen prouve que la presse illustrée allemande ne vise nullement à renseigner le public; sa seule préoccupation est de l'encourager, de le rassurer, de le persuader du bien fondé de la cause allemande.

Malheureusement les efforts entrepris par le gouvernement et la presse germaniques pour justifier leur agression ont manqué d'ensemble. Ils se contrecarrent souvent. Lorsque, le 3 août 1914, le baron von Schœn vint déclarer à M. Viviani que l'état de guerre existait entre l'Allemagne et la France, il donna pour raison de cette décision des vols d'aviateurs qui auraient jeté des bombes près de Wesel, de Carlsruhe et de Nuremberg. L'Illustrirte Zeitung renchérit sur l'ambassadeur et reproduit, le 13 août, une vue photographique d'un paysage vosgien avec la légende: « La Vallée de Munster, en Alsace, que les troupes françaises ont occupée en pleine paix. » On sait que, du jour où les difficultés diplomatiques assumèrent un caractère grave, tous nos corps de couverture reçurent l'ordre de ne pas s'avancer au delà d'une ligne parallèle à la frontière allemande et située à 10 kilomètres en deçà de celle-ci. En revanche, notre territoire était violé, dès le 2 août, sur plusieurs points; des douaniers étaient tués et blessés. Il n'est j pas très adroit, lorsqu'on se met à plusieurs pour fabriquer des calomnies, de ne pas s'entendre préalablement afin de produire les mêmes. Qui croira que, si nous avions envahi l'Alsace avant le 3 août, le baron von Schœn eût ignoré ce fait important ou eût négligé d'en tenir compte dans la note qu'il remit au quai d'Orsay?

Les Allemands ont d'ailleurs un système de défense fort simple et qui n'est pas nouveau. Chaque fois qu'on leur reproche une infraction au droit international, ils ripostent en adressant à leurs adversaires la même imputation. Ainsi le Livre bleu anglais et notre Livre jaune nous ont appris les vexations dont furent victimes sir E. Goschen et M. Jules Cambon après la déclaration de guerre. La populace berlinoise brisa à coups de pierres les vitres de l'ambassade britannique, dont le personnel dut quitter hâtivement les appartements donnant sur la rue. Quant à notre représentant, son voyage jusqu'à la frontière danoise ne fut qu'une suite de tribulations; des hommes de troupes, revolver au poing, se portèrent devant son compartiment au passage du canal de Kiel; puis on exigea le règlement en or de son billet de chemin de fer et de ceux des personnes qui l'accompagnaient. Après de pareils exploits, les Allemands eussent sagement agi, ce semble, en observant un silence discret sur le sort des agents diplomatiques au moment de la rupture des négociations. h'Illustrirte Zeitung n'en a pas jugé ainsi et nous gratifie de la reproduction d'une pesante façade de palais, « à propos des excès commis par la foule contre l'ambassade allemande à Saint-Pétersbourg ».

Mais ce ne sont là que peccadilles auprès du traitement que l'empereur Guillaume réservait à la Belgique. Il a violé le traité de neutralité au bas duquel son aïeul avait apposé sa signature, il a submergé de troupes le petit royaume, il l'a ravagé systématiquement, il a tenté d'obtenir sa soumission par la terreur en faisant brûler les villages et fusiller une partie de la population. Ces actes ont soulevé la réprobation universelle; il a fallu leur chercher une explication, une excuse, les travestir. Ici encore dans leur ardeur à se disculper, nos ennemis n'ont guère eu le temps de se concerter; ils font preuve d'un manque d'habileté constant.

Le prétexte qu'invoqua le gouvernement de Berlin pour faire entrer ses troupes en Belgique devait apparaître comme extrêmement fragile, même à ceux qui l'employaient. Il était ainsi conçu: « Le gouvernement allemand a reçu des nouvelles sûres d'après lesquelles des forces françaises auraient l'intention de marcher sur la Meuse par Givet et Dinant. Ces nouvelles ne laissent aucun doute sur l'intention de la France de marcher sur l'Allemagne par le territoire belge. Le gouvernement impérial allemand ne peut s'empêcher de craindre que la Belgique, malgré sa meilleure volonté, ne sera pas en mesure de repousser sans secours une marche française d'un si grand développement. Dans ce fait, on trouve une certitude suffisante d'une menace dirigée contre l'Allemagne. » Malgré le peu de solidité de cet argument, il eût été prudent de s'y tenir.

Le chancelier lui-môme avait fait son mea culpa et avoué que l'offensive en Belgique s'imposait à l'armée du kaiser en raison de nécessités stratégiques. « C'était, a-t-il dit, une question de vie ou de mort. » La presse a cru bon de prendre une attitude opposée et de faire porter à la Belgique la responsabilité de l'invasion prussienne. Un article de l’Ilustrirte Zeitung (26 novembre), intitulé « La complicité de la Belgique dans la guerre générale », révèle, d'après des papiers que le ministre de la Guerre du roi Albert aurait oubliés à Bruxelles, l'existence d'un complot anglo-belge destiné à envahir l'Allemagne en violant la neutralité hollandaise; il décrit l'enthousiasme des populations flamandes lorsque des aviateurs militaires français atterrissaient sur leur territoire avant l'ouverture des hostilités; il nous apprend que les forteresses belges recelaient à la même époque plusieurs de nos officiers. Aucun fac-similé des prétendus documents, aucune photographie ne confirment ces informations sensationnelles, mais un peu tardives.

 

 

Ainsi convaincue de la bonne foi de ses dirigeants. la presse allemande donne ensuite un certificat de bonne vie et mœurs à ses soldats. Les atrocités qu'on leur attribue pendant les opérations du mois d'août ne sont que fables méchamment imaginées par des ennemis prévenus. Sans doute on s'est vu obligé de châtier quelques francs-tireurs et l’lllustrirte Zeitung du 17 septembre nous apprend, en se servant d'ailleurs d'un dessin de notre grand confrère anglais The Illustrated London News, dont la légende est simplement modifiée, comment on procède à cette amusante opération. On groupe les femmes, les enfants et les vieillards dans un coin sous la garde de soldats, puis on met le feu aux maisons, et à mesure que les villageois en sortent on les tire à trois pas comme des lapins. Mais on ne nous explique pas comment a pu s'opérer au préalable le triage des hommes faits et du reste de la population; cela reste pour le lecteur un insoluble problème.

Dans le même numéro une double page est consacrée à l'Hôtel de Ville de Louvain. La légende est longue, mais instructive: « Vérité et mensonge: l'Hôtel de Ville, absolument intact, de la cité belge de Louvain, qui, d'après des informations de la presse anglaise et française, systématiquement et monstrueusement calomnieuses, aurait été complètement détruit par les « Vandales », mais qui en réalité a été sauvé de l'incendie par l'esprit de sacrifice de nos troupes. » Cette interminable phrase n'en disant pas assez, une note explicative raconte comment, au cours du combat contre les « francs-tireurs », le feu prit à quelques maisons et comment les soldats prussiens jetèrent leurs armes pour manœuvrer les pompes malgré les balles qui continuaient de pleuvoir sur eux.

Un témoin oculaire ajoute: « Un grand entrepôt d'eau-de-vie et de liqueurs occupait un bâtiment contigu à l'Hôtel de Ville; il était nécessaire d'en sortir immédiatement les masses d'alcool dont l'explosion eût mis en danger l'Hôtel de Ville. Les soldats transportèrent au moins mille bouteilles des plus fines liqueurs, retirèrent des caves environ vingt gros tonneaux pleins d'eau-de-vie, de genièvre, de kirsch et les roulèrent jusqu'au portail de la cathédrale. Des bouchons sautèrent, le liquide se répandit sur la chaussée. Mais aucun homme ne déroba une bouteille, ne but une gorgée. Le tout fut délivré d'après les ordres reçus. » Voilà qui est édifiant. Seulement, par une déplorable coïncidence, d'autres comptes rendus allemands déclarent que Louvain a été « exécuté » par décision du commandement. I! est plaisant d'essayer de faire croire qu'une moitié des soldats allemands se dévoua pour éteindre l'incendie allumé par l'autre moitié.

Il est plus plaisant encore de constater que cette double page de l’lllustrirte Zeitung est, elle aussi, empruntée à l’lllustrated London News, mais que, cette fois, le dessin a été cyniquement maquillé. La page du journal anglais montrait bien, d'après les documents rapportés par un témoin oculaire, M. A.-J. Dawe, d'Oxford, un « entr'acte dans l'œuvre de vandalisme de l'armée allemande en Belgique: le fameux Hôtel de Ville de Louvain sauvé ». Mais la légende ajoutait: « L'Hôtel de Ville épargné, entouré de voitures militaires allemandes, comme! pour le protéger; dans Louvain saccagé, des officiers en automobiles se régalent du vin et des cigares pillés pendant que la ville est en feu. » Le dessin anglais, exécuté sur des croquis d'après nature, montrait officiers et soldats chargés de boîtes de cigares et de bouteilles que l’lllustrirte Zeitung eut bien soin d'effacer, avec la signature de l'artiste, — double incorrection extraordinaire dans une publication de cette importance.

« Qui aime bien, châtie bien. » Telle est la cause des petits ennuis dont a pâti la population belge. Chacun sait en effet que les Allemands adorent les Belges. Leurs illustrés sont bourrés de scènes touchantes, où fraternisent la troupe et les habitants. Il y a les distributions de vivres, de charbon aux indigents; un galant matelot aidant deux blanchis-cheuses d'Anvers à porter leurs paniers. Puis, c'est un fantassin assis sur le même banc que deux vieillards, causant familièrement avec eux; cela s'appelle « Bons Amis en pays annexé ». Tel autre militaire berce amoureusement un bébé flamand ou partage sa gamelle avec des mioches belges.

Photographies « truquées », dira-t-on. Non, mais clichés qu'il est bien facile d'obtenir avec la complaisance de quelques malheureux, et qu'on répandra à foison dans les pays neutres, — sans y tromper personne.

Ce qui est plus grave — aussi grave que le faux de l’lllustrirte Zeitung de Leipzig signalé ci-dessus — c'est de prendre des photographies sincères, mais obtenues dans de tout autres circonstances et de les appliquer, par des légendes mensongères, aux événements actuels. Il y a notamment un petit journal illustré de circonstance, le Kriegs Kurier — dont les légendes sont imprimées en français, en italien et en anglais, à l'usage de la Suisse romande, de l'Italie et des Etats-Unis — qui s'est rendu coupable de plusieurs menues infamies de ce genre.

Voici de ses supercheries les plus caractéristiques.

On y vit un jour une photographie très vivante paraître avec sa légende en quatre langues ainsi conçue (en français): « Infanterie de marine anglaise pendant les combats au canal de l'Ysère (sic). Des Anglais tâchant de se sauver sur un bateau. » Or, cette image donna à quelques personnes une impression de déjà vu. Elles la retrouvèrent en effet dans des publications anglaises et -— ce qui est mieux — dans la Woche elle-même, qui s'en était servie en 1907 pour illustrer un article du capitaine von Pnstau sur les Manœuvres de la marine anglaise. Dans la Woche, ce cliché, œuvre du photographe anglais Stephen Cribb, spécialiste des vues de marine, était bien légende: « Retraite des embarcations après une attaque. » Mais il s'agissait des manœuvres navales de 1907...

Dans ce domaine, le Kriegs-Kurier a peut-être été dépassé encore en cynisme par la Gartenlaube (la Tonnelle du Jardin) qui passait jusqu'ici pour un des plus sérieux des périodiques familiaux de la vertueuse Allemagne. Dans son numéro 52, nous avons eu la surprise de trouver la reproduction d'un fort beau dessin de Georges Scott, paru dans L'Illustration du 31 octobre et qui représentait une « Héroïque galopade: mitrailleuse de dragons allant prendre position sous les éclatements de shrapnels ». Mais la Gartenlaube avait supprimé la signature de l'auteur et modifié ainsi la légende: « Cavalerie française avec mitrailleuse en fuite »...

 

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