- de la revue 'Les Annales' No. 1798, 9 decembre 1917
- '« La Guerre » de Georges Scott'
A Travers les Expositions
S'il ne fut pas donné à Edouard Détaille d'être le peintre de cette grande guerre des peuples contre les nouveaux Barbares, comme Alphonse de Neuville l'avait été du duel de 1870, - et l'on sait avec quelle âme il eût saisi le crayon et le pinceau, lui, qui ne voulait pas que la France oubliât, lui qui demandait à son patriotisme de rendre le passé toujours vivant, c'est du moins son meilleur élève qui le remplace dans cette tâche émouvante.
Georges Scott, on l'a déjà nommé, n'était avant Charleroi et la victoire de la Marne que le plus entraîné, le plus brillant, le plus fécond de nos illustrateurs militaires. Il avait hérité de la sûreté de métier de son maître, il en possédait l'analyse amusante quoiqu'un peu sèche; mais la guerre, la guerre vécue jour par jour depuis trois ans, le spectacle quotidien de l'héroïsme français allaient l'arracher à ce que sa manière gardait d'un peu conventionnel et l'élever à la plus large synthèse, en faire, en un mot un historien. Et il est le narrateur superbe de Verdun, de l'Yser, de la Champagne, de la Somme, de l'Alsace, le portraitiste aussi ému qu'émouvant du « poilu ». Car cette longue lutte de positions, cette interminable bataille de tranchées a modifié toutes les données de la peinture militaire. C'est aujourd'hui le soldat qui en est surtout le héros, le héros magnifique. Et mieux que personne Georges Scott en a fixé pour jamais la physionomie épique et si belle qu'elle fait par le souvenir même des soldats de l'An II. Il ne raconte pas des batailles, mais la grande bataille elle-même, au jour le jour, dans ce qu'elle a de plus glorieux, de plus émouvant, comme de plus poignant, dans ses moindres incidents comme dans ses plus grandes heures.
Et, après le spectacle quotidien de la Relève, des soldats émergeant tout boueux de la tranchée, après l'encombrement tragique du Poste de secours, après les marches dans la nuit après les convois et les interrogatoires de prisonniers, prisonniers hautains ou vilainement flapis, après les revues, - clairons sonnant et drapeaux claquant éperdument au vent, voici les combats mêmes, voici les attaques de Loémont et de Vermelles; voici la route de Souain à Suippes, pendant l'affaire du 25 septembre 1915, voici la grande hécatombe allemande de l'Yser et la prise d'une barricade, voici les Gaz asphyxiants et la traîtrise des fils de fer barbelés, voici les Patrouilleurs, voici les Blessés, groupe aussi émouvant en sa simplicité que celui d'Alphonse de Neuville dans son célèbre Cimetière de Saint-Privat, voilà enfin le drame suprêmement dramatique de l'Heure H. Dans quelques minutes, dans quelques secondes, l'instant viendra de mettre le pied à l'échelle, de se lancer en avant sous les rafales de mitraille; et si courageux que l'on soit, le cur grelotte, la pensée va d'un bond chercher au loin l'image chère d'une femme, d'une mère ou d'un enfant.
Et dans cette page Georges Scott atteint l'émotion la plus intense. Il n'y a pas dans la peinture militaire, sauf les Dernières Cartouches, de figure plus poignante que celle du soldat qui attend, songeur, le moment critique. Il est bien loin, là-bas, au cher foyer pour lequel il va peut-être mourir. Aucune des formes de l'attente en ces secondes tragiques n'a échappé à l'observation de Georges Scott, depuis la résolution la plus mâle jusqu'à la plus douloureuse anxiété. C'est un chef-d'uvre, un chef-d'uvre comme les Poilus, comme l'Yser, comme le Bleuet, comme le Bagpiper écossais, comme chacun des clairons du 49e chasseurs, comme cette manière d'dipe qui revient de la bataille trébuchant et levant vers le ciel les deux fontaines sanglantes de ses yeux crevés. ïl y a dans ces images de soldats, dans ces ensembles, quelque chose de plus qu'un magnifique métier, il y a un peu de la grandeur de I'heure. Ces visages intrépides, ces casques, ces capotes bleues pleurent la victoire, et c'est par là que Georges Scott atteint au beau rôle d'historien.
Cette uvre superbe et qui ne fait que traverser la galerie Georges Petit vaudrait de plus longues lignes, mais ce serait manquer à tout devoir de ne pas, dès, aujourd'hui, saluer à ce même Salon l'exposition des Amis des Artistes.