de la revue ‘Je Sais Tout
'les Rats Plaie des Tranchées'

Les Rongeurs aux Tranchées

a voir aussi : Memoires of a British Rat Officer

 

Ce n'est pas assez que nos soldats soient en butte à toutes les intempéries, au froid et à la boue; un véritable fléau, une nouvelle plaie d'Egypte s'ajoute à leurs souffrances; une invasion de rats rend certaines de nos tranchées inhabitables et risque d'y apporte' les germes de toute sorte de maladies. Le lecteur verra facilement l'étendue du danger et la nécessité impérieuse de le combattre par tous les moyens.

 

MINUIT, dans la tranchée.... Le duel des canons s'apaise. L'ennemi est calme et semble ne projeter contre nous aucune attaque nocturne. Nos poilus essaient de s'endormir, confiants dans leurs « veilleurs » qui, l'oreille aux aguets et le regard scrutant l'ombre de la plaine, sont à leur poste.

Soudain, parmi les dormeurs, un cri — cri de colère et de dégoût à la fois: «Oh! la sale bête! Je l'avais sur le cou.... » Les camarades, en leur demi-sommeil, ont f compris tout de suite: encore un de ces rats!

Oui, des rats. Car nos braves des tranchées n'ont pas seulement à y redouter les balles allemandes et les obus, à y mener leur dure vie sous la pluie, dans le froid et dans la boue. Un autre ennemi, inattendu, les y assaille, tenace, répugnant et dangereux: c'est l'horrible gent ratière.

L'invasion est formidable. Elle atteint aussi bien les tranchées ennemies que les nôtres: et nous savons que les Allemands s'efforcent, tout comme nous, de s'en protéger. N'a-t- on pas vu, en certains endroits de la ligne de combat — en, particulier dans les carrières du Soissonnais — la pullulation des rats devenir telle que l'ardeur des opérations parfois s'en ressentait et que Français et Allemands interrompaient littéralement la lutte pour se débarrasser d'abord, les uns et les autres, de l'autre danger qui leur est commun. Pourtant, bombardements et fumées asphyxiantes font, si l'on peut dire, la vie dure aux rats dans les tranchées de première ligne. L'explosion des grenades chasse les rongeurs de leurs trous, et, après chaque Vague de gaz asphyxiants, il n'est pas rare de trouver au fond des boyaux plusieurs centaines de cadavres de rats.

Mais dans les tranchées de seconde ligne, dans les abris souterrains où se tiennent,, où se reposent les hommes qui ont la charge de défendre un secteur, et surtout dans les cantonnements où sont accumulées les provisions de toute sorte, c'est bien autre chose. Là les rats sont rois. Là, l'existence nocturne de nos soldats, et parfois même leur vie diurne, est rendue insupportable par le pullulement prodigieux des rongeurs. Chacun s'ingénie à se défendre contre leur audace et leur voracité, mais chacun, tôt ou tard, en est victime.

 

Ni Trêve Ni Repos

Voici dans un vaste abri, creusé en plein roc cependant, et assez semblable à un large caveau, les lits où dorment les hommes de la section. Ces lits, on en connaît la construction rudimentaire: quatre pieux en forment les pieds et les montants; deux planches en constituent les flancs; des branches flexibles croisées d'un bord à l'autre font un sommier passable; une bonne litière de paille sert de matelas. Il y en a deux en bas et deux en haut, comme dans les wagons-couchettes, et l'on y dort, assurent les poilus, fort bien. Du moins, on y dormirait parfaitement si les rats ne venaient en dévorer la paille et trotter sans arrêt sur les couvertures et jusque sur les visages des occupants. Nécessité rend ingénieux: certains ont inventé une moustiquaire métallique, faite avec du treillis de fil de fer semblable à celui dont se servent les paysans pour garnir les ouvertures des poulaillers. Ces moustiquaires à rats recouvrent le lit et l'homme à la manière d'un couvercle et les rats peuvent courir dessus tout à leur aise; mais du moins le dormeur ne subit pas leur immonde contact et peut profiter en paix des quelques heures de sommeil qui lui sont accordées.

Malheureusement il n'est pas facile de se procurer du treillis de fil de fer, et ceux qui ont la chance de pouvoir s'en procurer ou d'en recevoir de leur famille, font de nombreux envieux. Les soldats qui n'ont point de moustiquaire se bornent la plupart du temps à se couvrir le visage avec un morceau d'étoffe que d'ailleurs les rats viennent grignoter quand même. D'autres, exploitant la crainte que les détestables rongeurs ont de toute lumière, dorment avec une petite lampe allumée à côté de leur lit. A ce prix, ils peuvent jouir d'un repos relatif.

Mais si le rat est insupportable la nuit, il ne l'est guère moins le jour. Il oblige le soldat à une vigilance constante. Malheur au distrait qui laisse un instant un morceau de saucisson sur la banquette de sa tranchée pour aller jeter un coup d'œil au créneau où guette le camarade: quand il revient, le saucisson a disparu. Le négligent qui laisse un chandail ou un caleçon dans son abri, sans avoir pris le soin de l'enfermer dans son sac ou son paquetage, n'en retrouve que des morceaux. Car il n'est point d'objet auquel le rat ne s'attaque et il s'en prend tout aussi bien au ceinturon de cuir, ou à la paire de chaussures de rechange, qu'à la « boule de son ».

Il y a mieux encore. Assis dans le coin de gon abri, un soldat profite de quelques minutes de tranquillité pour écrire aux siens. Soudain le guetteur signale un mouvement dans les lignes ennemies. Il faut courir à la tranchée, prendre sa place de combat. Dans sa hâte, le troupier a laissé sur le sol lettre et crayon. Il reste dans la tranchée une demi- heure, puis revient, car l'attaque pressentie ne s'est pas produite.

Mais où est sa lettre? Où est son crayon? Il les retrouve bientôt: la lettre est a demi dévorée; le crayon brisé porte la marque des petites dents bien connues.

 

Multiplication à l'Infini

Ce ne sont là que des exemples suffisant à prouver qu'à toutes les minutes de sa vie quotidienne le soldat est obsédé par la présence du rongeur et qu'il est contraint d'appliquer son attention à se défendre contre un ennemi rusé, audacieux et insaisissable. Les rats, suivant sa propre expression, « empoisonnent son existence », tant ils pullulent.

Cette pullulation est d'une rapidité extraordinaire: la race des fauves rongeurs est si prolifique que, en cinq semaines, un seul couple de rats peut donner naissance à six, huit et même dix rats! Calculez alors ce que cela représente au bout d'un an: une opération mathématique bien connue, la « progression », va nous le dire. Si nous admettons qu'un couple de rats donne en cinq semaines six autres rats, c'est-à-dire trois nouveaux couples, lesquels en cinq semaines donneront à leur tour dix-huit rats ou neuf couples, et ainsi de suite, il est facile de se rendre compte que, au bout d'une année (exactement en cinquante-cinq semaines), les rats issus du couple initial seront au nombre de 521 838....

Si ce premier couple avait produit dix rats au lieu de six et que la même « progression » se poursuivît dans ses descendants durant le même laps de temps, nous arriverions alors au chiffre fantastique — et pourtant « mathématiquement » exact — de 122 170 310 rats, issus d'un seul couple en un peu plus de douze mois!

On conçoit qu'une pareille plaie irrite nos soldats, non seulement par suite de cette répulsion instinctive qu'ont toujours inspirée à l'homme les abominables rongeurs, mais parce que ceux-ci constituent pour notre armée un véritable péril.

 

 

Des Millions Dévorés

Ce ne serait presque rien, en effet, que le rat entrât dans les tranchées pour y grignoter mille restes et sautiller sur les hommes endormis. Mais sa présence est l'origine de maux bien plus graves. D'abord il « dévore » tout et cause ainsi des pertes énormes et, d'autre part, c'est l'un des plus dangereux propagateurs de maladies.

« Ne m'envoyez plus de colis! écrivait un officier du front à sa famille.... A peine en ai-je entamé un que, dans l'espace d'une nuit, les rats de mon gourbi ont volé tout le reste. Pour conserver quelque chose, il me faudrait ici un coffre-fort. »

Après les vivres, les vêtements, le linge, les papiers, les musettes, les cuirs, les cigares même ont leur tour. Et le mal n'est pas limité aux tranchées: batteries, campements, ambulances, hôpitaux, docks de ravitaillement, dépôts, magasins, manutentions, tout est envahi et pillé par les rats. Bien mieux: dans plusieurs hangars d'aérostation, il est arrivé que des avions et des ballons captifs furent rongés par eux et rendus inutilisables.

Ce que coûtent de tels ravages on le devine sans peine, quand on pense aux quantités énormes de produits de toute nature qu'il a fallu accumuler sur certains points de la zone des armées. En se basant sur les estimations faites il y a quelques années, en Danemark et en Angleterre, et qui fixent la valeur du « vol » à un centime et demi « par rat et par jour », il est facile de calculer qu'un million de rats, par exemple, mangent journellement pour 15 000 francs de produits,soit 450 000 francs par mois et 5 400 000 francs par an.

C'est donc bien à des millions de francs qu'il faut évaluer le préjudice causé à notre budget militaire par le vol incessant des affreux animaux.

 

Commis Voyageur en Maladies

Mais il y a pire encore. Les pertes matérielles ne sont rien à côté de cet autre crime imputable aux rats: la transmission des maladies et en particulier de la peste.

La peste! terme d'allure moyenâgeuse, que nous croyions bien périmé et qui soudain, voilà "quelques années à peine, reprit toute sa terrifiante valeur. Qui ne se souvient de la Mandchourie décimée, de Kharbine et Moukden dévastées, de ces monceaux de cadavres restés sans sépulture, de ces villes et villages livrés aux flammes ?

Or, aujourd'hui encore, il subsiste de par le monde bien des « foyers de peste », bien des contrées où l'affreuse maladie sévit à l'état endémique. Dès lors, dans cette guerre qui remue tant d'hommes, et venus de tous les points du globe, qui nous dit que l'un d'eux n'apportera pas sur le front le bacille de la peste? Qui nous garantit surtout que ce terrible germe d'une épidémie n'y arrivera point — soit dans la soute d'un navire, soit dans les colis de quelque wagon, soit de toute autre façon — véhiculé par son hôte le plus habituel: le rat? Le rat, en effet — tous les hygiénistes s'accordent sur ce point — est le véritable commis voyageur du bacille de la peste. Très sensible à l'action de ce microbe, il est vite pestiféré, et avec lui tous ses congénères; et comme la maladie est mortelle, ce serait en somme pour nous un « bon débarras », si les choses en restaient là. Mais il n'en est rien, malheureusement. Car le rat, comme l'homme, a ses parasites; et ce sont précisément les mêmes: la mouche et la puce, lesquels vont du rat à l'homme, piquant celui-ci après avoir piqué celui-là, introduisant dans notre sang le fatal germe qu'ils ont épuisé dans le sang du rat pesteux; ainsi se propage l'horrible contagion.

Et ce n'est pas tout, hélas! car chaque jour les savants tendent à charger le rat d'autres responsabilités: érysipèle, charbon, tétanos, favus, morve, et peut-être pneumonie, fièvre typhoïde, rage et cancer, telles sont les affections iont il faudrait, à leur avis, lui imputer :rop souvent la transmission. Comprend-on le danger que courraient nos soldats, si l'on l'intervenait pas énergiquement?

 

Des Battues d'Un Nouveau Genre

Aussi, dans les tranchées, dans les boyaux, lans les caves, nos poilus poursuivent, sans relâche, la chasse au rat. Ils assomment les horribles bêtes à coup de bâton, ils les noient, ils les enfument, ils les tuent même à coups de fusil! De véritables « battues » s'organisent; récemment, près de Roye, une compagnie d'infanterie, s'étant ainsi mise à la besogne, détruisit dans sa journée 470 rats. En maint endroit même, les chefs ont' décidé d'affecter spécialement à ce travail de défense un ou plusieurs de leurs hommes; et c'est l'un des « spécialistes » ainsi désignés que l'objectif a surpris, au moment où il inscrit à son « tableau » le soixante-cinquième rat de sa matinée!

Et que dites-vous de cet autre cliché? D'ingénieux poilus ont créé, sur le front même, une nouvelle industrie. Après avoir vidé soigneusement les rats- capturés par eux, ils en étalent les peaux, en les clouant sur une planche, afin de les faire sécher. Et leur intention est de vendre ces «peaux de rats », tout comme cela se faisait depuis quelques années sur certains marchés — à Calcutta notamment — où la Mode, étonnante et capricieuse, allait chercher ces peaux, pour en faire des gants, des fourrures, des porte-monnaie, des reliures de livres, etc.

Ils les vendent même déjà, assure-t-on, et l'on prétend qu'il ne faudrait pas chercher ailleurs la raison du développement actuel du commerce des petites fourrures à très bon marché. Seulement, de la tranchée au magasin de vente, la peau de rat change de nom...

Mais, est-il besoin de le dire? le fléau qui sévit sur nos tranchées demande, pour être maîtrisé, des mesures plus efficaces. Contre une espèce animale qui se multiplie si rapidement et dans des proportions si formidables, il est nécessaire d'employer d'autres armes que le bâton, voire que le fusil. Il faut recourir à tous les procédés de « dératisation » connus, les anciens comme les récents, les empiriques et les « routiniers » comme les plus scientifiques.

 

 

l'Organisation de la Défense

Ainsi la vieille «mort aux rats » de nos . épiciers est souvent inefficace, sa graisse trop rance, son phosphore trop dilué; néanmoins, chaque fois que les soldats peuvent s'en procurer, ils ne manquent pas d'y avoir recours, et ils font bien. De même pour les pâtes chimiques à base d'acide arsénieux, de carbonate de baryte ou de tout autre toxique. Notons pourtant une formule plus récente, due à l'un de nos « biffins » et qui obtient, paraît-il, un gros succès dans les tranchées. La voici: « Mélangez une partie de sulfate de cuivre avec deux parties de farine. Placez un peu d'eau à côté de l'appât. Dès que le rat aura touché à ce dernier, il sera altéré, ira boire et succombera en très peu de temps. »

Les « pièges » de diverses formes font également fureur; et l'on devine que nos poilus y ont trouvé matière à déployer leur ingéniosité de constructeurs. Mais comme la plupart de ces appareils sont vite éventés par les astucieux rongeurs, voici la méthode que préconise le « cuistot » d'une batterie, dans l'un de ces curieux « journaux » qu'éditent eux-mêmes nos amis du front: « C'est une erreur de croire que la nasse (piège en fil de fer) soit sans effet durable. Lorsque vous y trouvez le matin deux ou trois rats faits prisonniers, gardez-vous bien de les tuer tous. Mais laissez toujours dans la cage de fer l'un des rongeurs, que vous aurez même soin de continuer à nourrir jusqu'au soir. Puis, la nuit venue, remettez votre piège en place, garni de son captif: et soyez sûrs que, le lendemain matin, vous apercevrez deux ou trois nouveaux hôtes, qui auront rejoint dans la nasse votre premier prisonnier. Seulement, retenez bien ceci: ce prisonnier « amorceur » doit être changé chaque jour. »

Précieux pour la chasse au rat, les chats peuvent être, dans nos docks et magasins, préposés à la garde des vivres et des vêtements militaires. Mais leur emploi, sur les lignes de combat, ne peut-être — on le conçoit — que restreint et exceptionnel.

Au contraire, celui des chiens semble devoir y être de plus en plus répandus et avec raison. A condition toutefois qu'on ait recours, non pas à n'importe quels chiens, mais aux deux ou trois races de « bulls » et de « fox-terriers », qui fournissent spécialement les vrais ratiers. C'est ce que l'autorité militaire a compris: après quelques essais concluants, elle a décidé de poursuivre énergiquement les efforts dans ce sens; et tout prochainement 1 200 chiens, dûment « mobilisés », entraînés et sachant « se taire », vont être conduits sur le front, pour y travailler à la destruction de l'ignoble et envahissante espèce.

Qui Veut Gagner un Sou?

La dératisation a déjà utilisé et consacré un tout autre procédé de lutte, qui, malgré son apparente difficulté d'application sur un front de combat, ne pouvait manquer d'y être tout au moins essayé: c'est le système des « primes >.

En évaluant, ainsi que nous l'avons dit plus haut, le larcin journalier d'un rat à « un centime et demi », on avait calculé en ces dernières années que le montant annuel et approximatif des dégâts causés par les rongeurs atteignait 220 millions de francs pour la France, 260 millions pour l'Allemagne, 325 millions pour l'Angleterre, etc.

C'est surtout pour atténuer ces pertes que certains pays n'hésitèrent pas à recourir au système des primes. Ainsi, en Danemark, une loi, votée en 1907, assura une prime de 8 ore (un peu plus de 13 centimes) à tout citoyen qui apporterait à l'autorité la tête d'un rat. Très vite, cette mesure apparut comme l'un des remedes les plus efficaces: en deux ans, furent tués 2 469 712 rats et si ce chiffre des primes versées à 343 043 francs, par contre il évitait au pays un dégât total (à 1 centime et demi par jour et par rat) de plus de vingt-sept millions de francs!

II n'est donc pas étonnant que, voyant dans l'institution d'une prime un excellent moyen de stimuler le zèle de ses hommes, d'enrayer les pertes résultant du pillage continuel de ces animaux et de prévenir en même temps les dangers de contagion, l'un de nos généraux ait rédigé l'ordre suivant, aujourd'hui affiché dans tous les cantonnements des secteurs placés sous ses ordres:

DÉRATISATION.

« Dans le but d'intéresser les hommes à la destruction des rongeurs, le général commandant la ...e armée a décidé, sur la proposition du général commandant la ...e C. C, qu'une prime de 0 fr. 05 serait allouée pour chaque rat détruit. Les primes seront payées tous les. dix jours sur états émargés. Le droit à la prime sera constaté par la présentation de la queue du rat détruit.

Les commandants d'unités désigneront un gradé qui, après s'être fait présenter les queues des rats détruits, établira au nom de l'intéressé un certificat constatant ses droits à une ou plusieurs primes. Le gradé désigné fera incinérer devant lui les queues ayant servi à la constatation. Les rats étant porteurs de puces susceptibles de transmettre des maladies contagieuses, on doit éviter de les toucher. Les rats détruits seront enterrés aussitôt et les queues recueillies seront enveloppées dans un chiffon ou dans un papier imprégné soit de goudron, soit de pétrole. »

II n'est pas encore possible de connaître le montant des primes ainsi versées à nos poilus, ni par conséquent le nombre de rats tués par eux et les économies réalisées; mais ce qui semble acquis dès maintenant, de l'aveu des officiers des secteurs intéressés, c'est que l'invasion ratière y est, sinon vaincue, du moins déjà nettement enrayée. Pièges, pâtes empoisonnées, bâtons et fusils, eau et feu, chats et chiens, nos soldats utilisent tous les moyens pour combattre les rats et, bien entendu... toucher leur prime.

A leurs efforts, fatalement restreints et insuffisants, il était nécessaire que l’autorité elle- même ajoutât des moyens de lutte plus savants et plus méthodiques encore.

 

Ceux Qu'il Faudrait Asphyxier

« Quand, ayant repris l'attaque, écrivait cet été un officier d'une division de l'Artois, nous arrivâmes à nos as anciennes tranchées que la projection d'obus asphyxiants nous avait d'abord contraints d'évacuer, ce ne fut pas sans surprise que nous y découvrîmes, par centaines, des cadavres de rats: eux aussi avaient été surpris par les gaz délétères rôdant sur le sol; et la triste invention des Boches aura eu du moins cette utilité d'enrayer une invasion chaque jour plus hardie, et aussi de nous donner l'idée d'un nouveau procédé de dératisation.... »

A dire vrai, le procédé n'est pas nouveau; et il y a déjà plusieurs années que, dans nos ports de mer notamment, on peut voir, accolée au flanc de tel ou tel navire, une barque sur laquelle fume et ronfle un appareil à vapeur: un tube parti de l'appareil pénètre dans le bâtiment par un hublot; et ainsi il envoie, dans les cales et les soutes, des jets de gaz asphyxiants: anhydride sulfureux, formol, oxyde ou sulfure de carbone, etc. Pendant quelques heures, le hublot reste fermé; puis bientôt l'on voit, par son ouverture, un matelot qui jette les rats ainsi détruits en les ramassant à la pelle. L'emploi de ces mêmes gaz contre les rats qui infestent la zone des armées pourrait être utilement étendu. Sans doute, il demande certaines précautions, le sulfure de carbone, par exemple, étant très inflammable. Mais c'est affaire d'organisation. Et le fait que voici prouve tout le parti que l'on peut tirer, dans la lutte entreprise, de l'utilisation de certains gaz dont plusieurs, comme le formol, sont d'ailleurs fort maniables. A Suippes, une ambulance s'était établie dans une maison inhabitée: un matin, en inspectant ses paniers à pansements, le médecin-chef s'aperçoit qu'ils sont envahis par une troupe de rats. Vite, il referme les paniers, en y emprisonnant les rongeurs.... Le médecin a son idée: il se fait apporter deux ou trois de ces blocs de pâte au formol, que l'armée et la marine emploient couramment, sous le nom de « fumigators Gonin », pour la désinfection;: et il en allume la mèche; puis il quitte la pièce, après en avoir fait clore soigneusement toutes les ouvertures. Pendant plusieurs heures, les blocs s'y consument lentement, en iégageant leurs vapeurs. Après quoi, le nédecin pénètre à nouveau dans le local et mvre ses paniers: tous les rats sont morts, isphyxiés par les vapeurs de formol.

Il n'est donc pas douteux que la dératisation peut, dans cette voie encore, trouver des instruments précieux.

 

Tous Empoisonnés

Mais, si utile que puisse être l'emploi des gâz asphyxiants, de même que celui des divers autres procédés, il faut compter avec l'extraordinaire « finesse » des rats, qui ont vite fait de tourner l'obstacle qu'on leur oppose et continuent de pulluler.

Il est donc heureux qu'on se soit enfin résolu à faire aux malfaisants rongeurs une guerre offensive vigoureuse. Dans une réunion récemment organisée à l'Institut Pasteur, à laquelle assistaient soixante-quinze médecins délégués par les corps d'armée, le docteur Danysz indiqua la méthode à suivre: d'abord continuer de combattre le rat par tous les moyens déjà connus; mais surtout, utiliser d'une façon générale et intensive les deux procédés suivants.

En premier lieu, employer le « virus Danysz » qui, depuis une trentaine d'années, a largement fait ses preuves. Ce virus a le pouvoir d'inoculer aux rats une sorte de « typhoïde » qu'ils se communiquent les uns aux autres et qui est rapidement mortelle II suffit donc d'injecter le virus à quelques rats et de les lâcher ensuite parmi leurs congénères: en peu de temps, la contagion s'étendra parmi eux. En prenant soin que les rats ainsi inoculés ne touchent pas aux vivres destinés aux soldats, on peut attendre de cette méthode les meilleurs résultats.

Et voici mieux encore: l'Institut Pasteur a réalisé un produit qui semble bien être véritablement efficace. C'est « extrait de scille », tiré des .bulbes de la scille ou oignon marin. Il constitue un toxique des plus actifs en même temps des plus pratiques; car, tandis qu'il est sans aucun danger pour l'homme et le chien, par contre, il en suffit d'un dixième de milligramme pour tuer un rat. Or cet animal en est, paraît-il, des plus friands.... «Avec un litre d'extrait, écrit un médecin-major, j'ai pu détruire en une seule nuit 420 rats dans la même tranchée! » Et la photographie de ce curieux « tableau de chasse » accompagnait la lettre du major.

En présence de pareils résultats, l'Institut Pasteur a décidé de fabriquer le toxique en grande quantité; et chaque jour, 1 200 litres de l'extrait de scille sont envoyés au front. Désormais donc, la lutte contre les rats est devenue sérieuse. Virus et extrait toxique, maniés par des gens spécialement instruits pour ce travail, commencent à faire leur œuvre. En vingt jours, une équipe de quatre hommes peut traiter ainsi 50 kilomètres de tranchées et une cinquantaine de formations diverses (campements, magasins, ambulances, etc.). Nous avons donc le droit d'espérer que, cette fois, l'affreux peuple ratier va cesser d'envahir nos lignes. En attendant, redoublons de vigilance. N'oublions pas non plus de faire enlever et brûler tous les déchets qui s'amassent dans les tranchées et y attirent les rats. Par tous les moyens débarrassons nos tranchées de cette plaie. Nous avons le devoir strict d'épargner à nos braves ce surcroît de souffrance.

 

 

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