de la revue 'Les Annales' No 1831, 28 julliet 1918
'La Fin d'un Traitre'
par X...
dessins de Geo Conrad

Notes d'un Témoin

dessin de Geo Conrad

 

L'arrêt du Conseil de guerre qui condamnait Duval à la peine de mort a été exécuté il y a quelques jours. Le récit que nous plaçons sous les yeux de nos lecteurs émane d'une personne qui, de par ses fonctions, est tenue d'assister à ces funèbres cérémonies.

Il ne s'agit pas ici de Duval, mais d'un traître condamné antérieurement. Le tableau n'en reste pas moins exact. L'ordre et la marche des exécutions capitales sont immuablement réglés.

 

 

II est nuit noire, les voitures commandées pour l'exécution se hâtent vers la prison de la Santé.

Quand elles y arivent, déjà quelques officiers du G. M. P. (Gouvernemenf Militaire de Paris) sont là, et attendent pour y pénétrer que tous les « officiels » soient arrivés. Un instant après la porte est franchie, la première cour est traversée...

Le décor?... Une cour intérieure de vieux manoir, beaucoup de grilles, beaucoup de portes, et à chacune un gardien, l'air rébarbatif. Comme le lieu n'est pas accessible aux prisonniers, son aspect triste, noir, est corrigé par la verdure ondoyante d'une vigne vierge montant à l'escalade de ses murs; nous passons sous un porche, et nous voici dans le préau précédent le greffe...

Tous les officiels se dirigent vers le bureau du directeur où l'ordre de départ sera donné. En l'attendant, on fait le tour de la salle. Encore des grilles, les cellules dans lesquelles les prisonniers du commun sont enfermés à leur arrivée, puis le greffe à gauche, l'entrée des sous-sols... Des grilles encore sous nos pieds. Un gardien nous fait remarquer, plantés dans le plancher, des clous de chaussures, juste à l'emplacement où l'on procède ordinairement à la toilette des condamnés qui sont venus à s'asseoir pour la dernière fois... Autant de clous, autant de guillotinés. C'est une coutume de la maison. Et ces clous évoquent des matins, semblables à celui-ci...

Voici l'heure...

Le directeur de la prison en tête, de noir habillé, et coiffé d'un képi de préfet, galons et broderies d'argent, suivi de tous les personages conviés à la lugubre cérémonie. On va communiquer la nouvelle au condamné. Le réveil, pareil à tous les réveils de ce genre et mille fois décrit. Lecture du rejet de recours en grâce, toilette et départ.

Le voici: grand, jeune, figure osseuse, les cheveux blonds, l'air d'un étudiant russe ou d'un nihiliste. Il est soutenu (quoiqu'il se soit promis de marcher crânement) par deux gendarmes. On le conduit au greffe. Une plume grince, il écrit ses dernières voiontés, assis à une table; sur un banc de bois. Deux minutes se sont déjà écoulées. En route!. Le jour s'est levé: malgré cela l'auto est éclairée intérieurement et les stores sont baissés. Le règlement l'exige ainsi.

Le condamné monte avec l'aumônier et les deux gendarmes: ce sont les compagnons de la dernière promenade en automobile...

L'escorte, commissaire du gouvernement, officiers de la place, secrétaires du Conseil de guerre, s'engouffre dans les trois autres voitures qui démarrent devant les factionnaires au « Garde à vous ».

 

 

Boulevard Diderot, les voitures courent à grande allure.... Les agents regardent curieusement passer le cortège. Les piétons, matineux, cherchent à voir, ils se montrent dit doigt la voiture mystérieuse... Ici phares rouge et bleu qui couronnent les voitures, tout le monde a compris.

Comme le temps doit paraître long dans la limousine close! Les deux gendarmes, assis sur les strapontins, face au condamné et à l'aumonier, restent silencieux sous la clarté de l'ampoule électrique...

Dans la cour intérieure du Fort de Vincennes, au pied du donjon, on nous attendait. Dragons à cheval, sabre à la main....

Des commandements. Les hommes de garda portent les armes... Les cavaliers caracolent... Ils se rangent autour des voitures... Un officier vient ouvrir la portière de l'auto du condamné. La remise à l'autorité militaire s'effectue.

Les voitures repartent. Nous passons par la porte donnant accès sur le champ de manœuvre. En franchissant cette porte, presque sous le pont, à gauche, je ne puis m'empêcher de jeter un regard sur la petite pyramide dans le fossé, qui marque la place où le duc d'Enghien s'est écroulé sous les balles.

Maintenant, le cortège est plus impressionnant, plus militaire. Les dragons galoppent avant, sur les côtés derrière... Hennissements... Bruits, de sabres... Les abords de la Maison Blanche sont vides. Cinq ou six minutes de canots à travers le champ de manœuvré. Puis, tout à coup, face à nous, dans la brume, une masse régulière, hérissée de baionnettes: le bataillon de parada pour l'exécution. A quatre pas d'un des coins du carré les voitures s'arrêtent; les trompettes de cavalerie sonnent. Déjà, le condamné est descendu et marche vite, vite, poussé par ses deux gendarmes, les jambes raides, la tête haute, les yeux qui ne voient plus... Il arrive face au poteau devant la butte. Un officier lui lit la sentence à haute voix, mais très, très vite, pendant qu'on le retourne en le liant au poteau... Il est à cet instant un peu rudoyé. On lui présente un mouchoir pour lui bander les yeux. D'un geste, il refuse, tout en regardant, maintenant hagard, les douze canons de fusils qui sont en joue, face à lui, à dix pas...

Un sabre se lève... un crépitement violent.

Le corps est secoué par le choc des balles comme si on lui jetait des pavés... puis il s'incline, et croule, à moitié soutenu encore par,la corde.

Un sous-officier, alors que la buée bleue des coups de feu n'est pas encore dissipée, fait cinq ou six pas hâtivement et lui tire à bout portant un coup de revolver dans l'oreille.

La tête est penchée, inclinée comme si elle offrait à cette dernière balle...

Alors éclatent les fanfares. Le piquet défile devant le corps allongé, la tête exsangue, pendant que le médecin légiste, les constatations de décès terminées, se lave les mains avec l'eau qu'un infirmier verse de son bidon.

 

 

Un fourgon militaire arrive; quatre hommes mettent dans la bière, le cadavre tel qu'il est vêtu, vissent immédiatement le couvercle, tandis que le bataillon de service achève de défiler au son des trompettes.

Le fourgon disparaît lentement dans la brume qui achève de se lever « Percatum est... » Justice est faite! Le traître n'est plus.

X...

Dessins de Geo Conrad

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