de la revue ‘Lecture Pour Tous’, 15 avril, 1917
'Nos Diables Bleu en Alsace'

La Prise du Sudelkopf

 

Dans cette guerre gigantesque combien d'actions d'éclat, combien d'épisodes magnifiques! Voici, à l'honneur de nos diables bleus et de nos fantassins, un héroïque fait d'armes, dont le récit emprunte tout son relief à la précision des détails, d'une scrupuleuse authenticité.

 

Lorsque le front se fut stabilisé vers la fin de 1914, certaines de nos positions se trouvèrent presque subitement fixées de façon périlleuse ou simplement gênante pour notre surveillance. Souvent nos lignes touchaient, pour ainsi dire, les lignes ennemies, et parfois même, elles s'y enchevêtraient. La chose n'allait pas, on le comprendra aisément, sans de gros inconvénients, plus particulièrement en montagne. Tel sommet que nous tenions était âprement disputé par les Allemands qui occupaient, dans les environs immédiats, des points rendant notre position précaire et parfois intenable. Le Sudelkopf, qui devait devenir fameux au cours de cette guerre, se trouvait dans ce cas.

Le Sudelkopf a la forme d'un château fort orienté du sud-ouest vers le nord-est. Construit par la nature en quadrilatère, juché comme un nid d'aigle, émergeant des bois épais de sapins qui l'entourent presque entièrement, il se compose de deux parties: une croupe formant terrasse d'environ 150 mètres, située au sud-ouest de la plate-forme constituant le véritable sommet de la montagne, reliée par une bande de terre étroite et inclinée à une autre terrasse ovale regardant vers le nord-est, et qui remonte presque à la hauteur du vrai sommet. Autour de ce double belvédère, qui mesure environ 600 mètres de longueur dans l'ensemble, et 250 mètres dans sa plus grande largeur, court une sorte de ravin, formant fossé de défense, et se redressant aux quatre angles en tours de flanquement qui surveillent les pentes abruptes et boisées delà montagne.

 

Importance de la Position

Vers le milieu de janvier 1915, nous possédions les deux sommets du Sudel et un seul bastion, celui qui est tourné vers Goldbach, par où nous avions pris pied sur la croupe. L'ennemi occupait les trois autres angles du quadrilatère, connus sous les noms suivants: Bois de Furstacker (nord-ouest); cote 937 (nord-est); le Piton Boisé (sud-est).

Des patrouilles ennemies rôdaient la nuit autour du Sudelkopf et sur les pentes que nous tenions au sud-ouest et au sud. L'Allemand nous tâtait. Le 17 janvier, une vingtaine de uhlans avaient été bousculés par un de nos petits postes. Les tentatives se multipliaient. Le 23, de nouvelles patrouilles étaient venues au contact, et des coups de ftisil avaient été échangés, toujours dans la même région. Le 24, l'ennemi s'enhardissant, avait attaqué dès l'aube avec une vingtaine d'hommes. Rejeté, il était revenu à la charge, aussi vainement, d'ailleurs, dans l'après-midi, avec l'effectif d'une compagnie. De ses fortins, l'ennemi, sans avoir grand chemin à faire, ni grand risque à courir, pouvait lancer. continuellement de petits groupes qui inquiétaient nos lignes, harcelaient nos troupes, et pouvaient peut-être, à la faveur d'une brume ou d'une tourmente de neige, monter une attaque plus importante et nous déloger par surprise de nos positions exposées du Sudelkopf.

Or, s'il arrivait à ce but, l'Allemand aurait, non seulement des vues sur la vallée de la Thur, que nous tenions, mais encore, un simple coup d'œil sur la carte permet de su rendre compte que ce sommet, nœud orographique important, en tombant dans ses mains, deviendrait un centre de cheminements merveilleusement défilés. La position était plus exposée que toute autre, du fait que, dans la chaîne des Vosges, elle formait charnière, et qu'elle était en cet endroit l'unique barrière montagneuse — une barrière fort mince — au delà de quoi l'ennemi ayant « crevé » se répandrait dans la vallée. Il fallait donc en finir, nettoyer la position et se donner de l'air.

 

 

Première Journée d'Attaque

Le 24 janvier 1915, en dépit de l'épaisse couche de neige qui couvrait les pentes du Sudelkopf, le commandement français décida une attaque pour le lendemain. Un bataillon composé de trois compagnies du 334e d'infanterie et d'une compagnie du 62e bataillon de chasseurs alpins, fut amené à pied d'œuvre. Il reçut mission de refouler les fractions ennemies en contact avec nos postes avancés, au sud de la ferme Sudel, et de gagner le front Holzwasen, au sud de Diefferbach.

L'attaque, déclenchée le 25, à 6 heures du matin, se heurta à des forces ennemies trop importantes pour pouvoir progresser, et même, au cours de l'affaire, une de nos tranchées avancées fut perdue. Il faisait un brouillard intense. La neige tombait en flocons épais dont le tourbillon aveuglait. Les hommes s'embarrassaient dans les branches au long des pentes boisées qu'il leur fallait gravir pour atteindre l'objectif du haut duquel l'ennemi tirait tranquillement sur l'assaillant essoufflé.

Cependant, dans la soirée du même jour, l'affaire était reprise avec six compagnies du 334e et une compagnie de 213e. Les troupes étaient placées sous le commandement du lieutenant-colonel Ayné, qui, quelques jours plus tard, devait être tué à Sudel même, d'un éclat d'obus au front. Le 6e bataillon du 334e (2 compagnies), qui avait donné le matin, passait en seconde ligne, renforcé de la compagnie du 213e. Le 5e bataillon, conduit par le commandant Belhumeur, se formait vers 20 heures au nord-est des tranchées du Sudelkopf, dans une clairière allant de ces tranchées à la tranchée conquise le matin par l'ennemi, sur le second piton.

 

Une Trahison de la Nature

Le commandant Belhumeur avait formé son bataillon en ligne de demi-section par quatre, en colonne de bataillon. La lune était voilée, suffisamment pour que l'Allemand ne pût pas surprendre les préparatifs de l'attaque, assez peu pour que nos hommes pussent avancer sans confusion'. L'épaisse couche de neige, encore épaissie par celle qui était tombée dans la journée, étouffait les bruits de la troupe en mouvement. Celle- ci, malgré une éxtrêm; fatigue, montrait un merveilleux entrain. L'ordre d'attaque fut donné à 21 heures, et la compagnie de tête, précédée par le colonel Ayné et le commandant Belhumeur, franchit à une très vive allure, dans une lumière diffuse, une centaine de mètres sur les pentes du ravin.

A ce moment précis, la lune bondit brusquement hors de la mer de nuages qui l'en- tourait, et surgit en plein ciel, inondant le paysage d'une clarté éblouissante. D'un seul coup, les Allemands aperçurent sur la grande plaine blanche une longue tache noire et mouvante qui serpentait vers leurs tranchées comme un buisson en marche, et qui, sous brusque lumière, oscillait, surprise. Les mitrailleuses allemandes ouvrirent aussitôt le tir sur cet objectif compact, désarmé par cette trahison des choses.

Malgré les pertes sévères que subit la compagnie de tête du bataillon, fondant sous ce feu d'enfer, celle-ci continua son mouvement, emportée par son élan, et fit encore 200 mètres environ. Les débris accrochés aux pentes ne s'arrêtèrent qu'au pied même de la position ennemie, et se collèrent au sol, couchés sous une voûte de feu, attendant le retour de l'obscurité pour donner l'assaut suprême. Cependant, derrière cette compagnie, les sections désorientées, ayant à lutter contre l'ouragan de balles, contre la neige et les broussailles, entraînées par la pente du ravin, avaient glissé à droite, dans le bois dévalant dans le Breitthal, et se trouvaient, là encore, fusillées par des éléments ennemis, barrant la pente. Une contre-attaque allemande partie de Holzwasen acheva de rendre impossible, pour l'instant, l'avance prévue. Vers 1 heure du matin, l'ordre arriva au commandant Belhumeur, qui. malgré le feu, était demeuré à proximité de la ligne allemande, couché dans la neige, avec quelques officiers et une poignée d'hommes, de rallier les six compagnies du 331e et de les ramener au Sudelkopf. Cette première journée d'attaque avait échoué, en dépit de l'héroïsme des chefs et de l'ardeur de la troupe. Le résultat de cette tentative avait été la perte du deuxième piton où nous avions établi une tranchée et où les Allemands allaient, en quinze jours, construire un fortin redoutable. Malgré tout, l'essai n'avaitpas étéinutile, car il avait familiarisé le 334e avec un secteur qu'il allait si vaillamment contribuer à enlever deux semaines plus tard. Entre temps, il l'aménageait, en dépit des plus âpres conditions matérielles, envoyant de nombreuses et pénibles reconnaissances dans les ravins, en avant, couchant pendant plusieurs jours en plein vent, sur la dure, dans la neige, jusqu'à ce qu'il ait vu, ma 1ère les obus, établir ses « cagnas ». C'est pendant cette période de travail fiévreux et sans cesse inquiété — le 29 — que le lieutenant-coionel Ayné, qui avait montré tant de sang- froid et d'ardeur dans la journée du 25, fut tué en surveillant, en première ligne un mouvement de l'ennemi.

 

Une Brillante Affaire

Les Allemands se rendaient bien compte que ce premier avantage était négatif tant qu'ils n'élargiraient pas leur succès. Par ailleurs, ce léger échec que nous avions subi n'avait fait que nous fortifier dans notre volonté de nettoyer cette position du Sudel. Après l'affaire du 25, les patrouilles se multiplièrent de part et d'autre, avec une activité de plus en plus fiévreuse. Des skieurs ennemis étaient tués chaque jour. Aux avant- postes, de vives fusillades éclataient jour et nuit.

Dès le 26 janvier, nous avions fait monter à Altenbach le 24e bataillon de chasseurs alpins, qui devait attaquer en liaison avec le 334e. Il fallait récupérer la seconde moitié du sommet, que nous avions perdue, et conquérir les positions d'angle. Des batteries d'artillerie de campagne et de montagne avaient été disposées sur leurs emplacements d'action. Pour la première fois au cours de cette guerre, on allait faire intervenir le 220 court dans une action de cette nature, malgré les difficultés que présentait l'adduction des pièces dans une région aussi accidentée.

Le 4 février, la préparation d'artillerie commençait, cherchant beaucoup plus à neutraliser et à détruire l'artillerie adverse qu'à écraser les premières lignes. Mais le mauvais temps, la neige, une brume persistante, gênaient les réglages. Il fallait remettre l'attaque. L'atmosphère s'étant éclaircie le 11 au matin, l'ordre d'attaque fut fixé pour ce jour à 14 heures.

A 13 heures, le bataillon était rassemblé par son chef, le commandant Nicolas, sur les pentes sud-ouest du Sudel. Le 334e, dont le lieutenant-colonel Hennequin venait de prendre le commandement, en remplacement du lieutenant-colonel Ayné, continuait à occuper le sommet et avait mission de soutenir l'attaque des chasseurs. Le mortier de 220 commença à écraser de ses projectiles le second piton, où avait été notre tranchée, et que les Allemands avaient transformé en un redoutable fortin. Les batteries de montagne et le 75 arrosaient à profusion les pentes de la montagne.

A 14 heures, trois compagnies du 24e bataillon, la 2e, la 4e et la 5e, s'élançaient à l'attaque du blockhaus, traversaient la clairière au pas de course, et bondissaient sur les réseaux de fils de fer ennemis avec un élan merveilleux. Sous la conduite du capitaine Ni-colle, la 4e compagnie nettoyait le fortin, où les Allemands essayaient vainement de résister. La 3e compagnie, entraînée par le capitaine Mansuy, débordait la position à l'ouest. Dans le bois, sur la pente, où, quinze jours auparavant, les mitrailleuses ennemies avaient arrêté notre mouvement, elle déblayait le terrain de tout ce qui s'opposait à sa progression, et cisaillait un réseau de fil de fer qui avait plus de 20 mètres d'épaisseur. Elle le franchit.

La deuxième compagnie, pendant ce temps (capitaine d'Omezon), fouillait le bois de Furstacker, et tuait ou mettait en fuite tous les ennemis qui se trouvaient dans l'ouvrage. La besogne, rythmée par les accents entraînants de la Sidi-Brahim, accomplie dans une fièvre joyeuse, accrue par l'âpre bise de la montagne — « ça fait du bien une petite sortie comme celle-là, ça réchauffe », disait un chasseur à son lieutenant en arrivant sur le fortin, — était achevée à 14 h. 45. Tout le sommet du Sudel nous appartenait à nouveau, ainsi qu'un des angles de la position, le Bois de Furstacker.

Mieux, encore, les troupes, entraînées par leur propre succès, dépassaient la croupe et se ruaient' sur l'ancienne ferme du Sudel, située en contre-bas, entre la cote 937 et le Piton Boisé. Cette ferme, qui n'avait jamais été occupée, mais où les patrouilles adverses se rencontraient presque chaque nuit, tombait aussi entre les mains de la 4e compagnie, qui se retranchait, ec était remplacée au fortin par une compagnie de réserve, qui le retournait contre l'ennemi, l'organisait, aidé dans cette tâche par des sections du 334e.

Cette brillante affaire, rapidement menée, aérait, singulièrement la position, si elle ne la dégageait pas encore absolument. Le 24e bataillon de chasseurs avait capturé des mitrailleuses, des minenwerfer, un grand nombre d'armes, des caisses nombreuses de munitions, du matériel de tranchées. Il avait en outre fait une trentaine de prisonniers et donné à une centaine de soldats du 123e régiment de landwehr la sépulture sur ce sommet d'Alsace reconquis par nos troupes. Malheureusement, nous avions à déplorer la mort du capitaine Nicolle, tué d'une balle en plein front au moment même où il s'emparait du fortin.

Deux contre-attaques très violentes, lancées par l'ennemi, de Rimbach et de la cote 937, échouèrent piteusement sous les rafales de 75.

 

Dans la Tempête de Neige

L'élan était donné. Dans la nuit du 11 au 12, en dépit d'un temps épouvantable, le commandant du 24e bataillon prenait, en liaison avec le lieutenant-colonel Hennequin, ses dispositions pour pousser son avantage. Une compagnie du 334e avait été déployée dans le prolongement de la compagnie de droite du 24e pour tenir notre ligne jusqu'au Breitthal et assurer l'inviolabilité de notre front.

L'ennemi, étourdi par le choc de la journée précédente, ne réagissait plus. Son artillerie se taisait. Nous renforcions nos défenses accessoires, et approfondissions nos réseaux (Je fils de fer. Toute la matinée et une partie de l'après-midi, le 220 recommença à labourer les tranchées ennemies de la cote 937, que le commandement avait fixées Comme nouvel objectif.

Vers quinze heures, le 75 déclenchait son tir d'efficacité.

A 16 heures, la 1re compagnie du 24e bataillon se lançait, le sous-lieutenant Findori à sa tête, à l'assaut de la position ennemie, qu'elle emportait sans coup férir. L'attaque, une fois encore, s'était déroulée en pleine tempête de neige, rendue plus âpre encore par les tourbillons venant frapper au visage les chasseurs, les aveuglant,parla mobilité du terrain fuyant sous les pas.

Malgré tout, l’« allant » de cette troupe d'élite avait fait son œuvre. Et, comme la veille, après la victoire, elle se mit joyeusement à l'ouvrage, aussitôt sa conquête achevée, pour réorganiser ce bastion avancé, qui nous donnait un avantage marqué sur l'adversaire.

Pour libérer complètement le Sudel, il ne nous restait plus qu'à enlever le Piton Boisé, au sud-est, celui que l'on appelle souvent aussi le Sudel 3.

 

Un Morceau d'Alsace Liberé

Pendant ces deux journées qui sont inscrites en lettres d’or dans l’histoire du 24e bataillon de chasseurs alpins, nous avions eu de faibles pertes. 130 à 140 hommes seulement se trouvaient hors de combat. Mais la rigueur de la saison avait plus encore que la lutte, fatigué nos « diables bleus ». En dépit d'un violent bombardement, en dépit d'une température qui descendit à 15 au-dessous de zéro, en dépit des rafales de givre qui balayaient les pentes, le bataillon demeura, cependant, sur le terrain, repris à l'ennemi, jusqu'au 15 février au matin, creusant boyaux et tranchées dans la terre gelée, où chaque coup de pioche attirait l'attention de l'adversaire et réveillait les mitrailleuses. Le 334e, associé à la conquête, participait activement à l'organisation de notre nouvelle ligne, amenant, au milieu des pires difficultés, les matériaux à pied d'ceuvre.

Le 15 au matin, le 6e bataillon d'alpins releva son camarade et reprit la besogne avec le 334e, qui demeurait gardien fidèle du Sudelkopf, bon ouvrier de la victoire. Le commandant Lançon, chef du nouveau bataillon en ligne, fit faire, dès son arrivée, de nombreuses reconnaissances vers le fameux «Piton Boisé», vers cette seconde position de l'ennemi qu'il allait falloir enlever quelques jours plus tard, et qui était, on devait s'en rendre compte à l'ouvrage, le véritable réduit de la défense allemande sur le Sudel.

L'esprit de corps faisait sa tâche. Le 6e enviait les lauriers cueillis par le 24e. A n'écouter que les hommes, on eût couru tout de suite sur l'ouvrage. Pour les patrouilles, le chef de corps trouvait plus de volontaires qu'il n'était besoin.

Enfin,le 17, l'attaque était décidée. Le 220 recommençait son œuvre sur le nouvel objectif. La terre glacée se craquelait sous les obus, et sautait dans l'air en masses énormes, qui retombaient, comme des blocs de granit, sur l'ouvrage. Le 75 fouillait impitoyablement le terrain, coupant le Piton Boisé de ses communications. A 13 h. 30, l'ordre d'assaut était donné. Les chasseurs, brusquement lâchés, partaient derrière leurs ;chefs de section, bondissant à travers les sapins, fauchés par notre artiller,e, et formant abatis, enjambant les fils de fer, grimpant, la pente très raide qui menait à la position.

La 3e compagnie, sous les ordres du sous-Heutenant de Bauzet, s'avançait à l'est, bousculait l'ennemi, le poursuivait, puis revenait s'établir solidement au changement de pente, se trouvant en avant, et légèrement à droite de la ferme du Sudel. Le sous- lieutenant de Bauzet, qui venait d'être reçu à Saint-Cyr au moment de la déclaration de guerre, voyait le feu pour la première fois. Très bon officier, sa modestie juvénile était troublée à l'idée d'avoir l'honneur de conduire une compagnie au feu. Pour être bien sûr de la « mener » vraiment, le sous-lieutenant de Bauzet partait à trente pas en avant de sa troupe.

La 4e compagnie, elle arrivait au piton, faisant un « à droite » complet, mettait en désordrel'ennemi,qui s'agrippait auterrain,et se portait face au sud, à une distance d'environ 600 mètres,pour venir s'établir et se fortifier à 300 mètres au sud du piton, face au sud-est, en liaison, à droite, avec la 18e compagnie du 334e. La 1re compagnie de chasseurs s'était portée en avant pour combler l'intervalle qui se produisait par suite du mouvement en avant entre la 3e et la 4e. A 14 h. 30, le Piton Boisé était complètement nettoyé.

Le bataillon s'était montré digne de ses fanions. Officiers et chasseurs, fondus en une troupe à l'élan irrésistible, avaient, dans une neige qui leur montait jusqu'au ventre, tout renversé sur leur passage. « C'est un des plus belles attaques auxquelles j'aie assisté», disait récemment un des anciens commandants de compagnie du bataillon, qui, depuis, a fait Verdun et la Somme. On a vu la juvénile ardeur du sous-lieutenant de Bauzet. Le lieutenant Macaire, qui commandait la 4e compagnie, méritait pour la journée la citation suivante: « Commandant une des compagnies d'attaque au combat du 17 février, a fait preuve d'un sang-froid remarquable pendant l'assaut et dans l'organisation de la position conquise. » Le chasseur de 1re classe J. Souzarat était cité à l'ordre de l'armée dans ces termes, qui peignent en quelques mots une âme héroïque de soldat: « Le 17 février, à l'attaque d'une position fortement organisée, étant le plus ancien chasseur de sa compagnie, est resté debout sous un feu violent, pour donner confiance aux jeunes soldats récemment incorporés de son escouade.» Le sous-lieutenant Moynier Louis « ayant récemment rejoint, à peine guéri d'une blessure reçue au mois d'octobre, avait entraîné sa section avec beaucoup de vigueur et d'entrain au combat du 17 février ». L'adjudant Grisot, les sergents Ramel, Sabatier, Pîagnol, les caporaux Paturet, Courbet, les chasseurs Destrée, Larre, Coiran, Cartier avaient contribué de façon éclatante à l'honneur de cette journée où chacun fit tout son devoir.

Une troupe d'élite est pleinement symbolisée par son chef, qui forge l'instrument admirable qu'elle représente. Pour peindre en quelques mots l'œuvre accomplie par le 6e bataillon au cours de cette action, on ne saurait mieux faire que de reproduire l'éloge officiel que décernait le général commandant l'armée au commandant Lançon, au lendemain de l'achèvement de la conquête du Sudel: « A dirigé avec méthode et énergie l'attaque, par son bataillon, d'une position très fortement organisée, a pris aussitôt, après un brillant assaut, de très judicieuses dispositions pour l'occupation et l'organisation de cette position conquise, repoussant les retours offensifs de l'ennemi. »

Ainsi, avec des pertes minimes, en six jours d'opérations se résumant eux-mêmes en trois heures de lutte, malgré l'âpreté du terrain et des intempéries inaccoutumées, deux bataillons de chasseurs alpins et un régiment d'infanterie étaient arrivés à dégager complètement une position de premier ordre, exposée entre toutes, à établir en avant de nos terres alsaciennes libérées un barrage infranchissable, qui n'a jamais, depuis lors, pu être entamé par l'ennemi, en dépit de tous ses efforts.

Ce sont là des actions héroïques, qui, dans la longue suite des grands faits de cette guerre, ne doivent pas être oubliées.

 

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