de la revue ‘Lecture Pour Tous’, 15 mars 1917
'les Bons Chiens de Nos Poilus'

Les Animaux en Guerre

 

Combien de services rend à nos combattants ce traditionnel ami de l'homme qu'est le chien! Qu'il s'agisse de donner l'alerte à un poste menacé ou d'aller rechercher les blessés sur le champ de bataille, on peut compter sur son intelligence et sur son dévouement. C'est justice de donner quelques détails sur cette curieuse organisation des « chiens aux armées », et de citer quelques « poilus à quatre pattes » à l'ordre de l'opinion!

 

Un après-midi de septembre dernier, la porte du bureau de l'Association pour le dressage des chiens de guerre s'ouvrait brusquement, et une petite vieille tout en désordre l'air effaré, brandissant un journal déplié, demandait, dès le seuil, sans autre préambule:

« Est-il, Dieu! possible que Médor ait sauvé «son» bataillon?»

La brave femme, introduite auprès du directeur, s'expliqua. Elle venait de lire dans un quotidien, les lignes suivantes: « Le chien Médor, barbet croisé d'épagneul, affecté au … d'infanterie, s'est signalé d'une façon particulière. Par une nuit très noire, accompagnant deux hommes envoyés en éclaireurs, il leur signala la présence d'une forte patrouille allemande, et réussit ensuite â porter à nos troupes un pli les informant des mouvements de l'ennemi. On peut dire que, sans Médor, un bataillon entier aurait été pris sous le feu des Allemands.... »Et elle était venue tout d'une traite pour avoir confirmation de la nouvelle!

Les secrétaires s'empressèrent. Ils vérifièrent le signalement, la date de l'entrée au chenil, le matricule indiqués par la visiteuse.... Or il s'agissait bien du Médor qu'elle avait amené dix mois plus tôt!

A mesure que la certitude se faisait dans son esprit, la petite veille changeait de visage. Son exaltation dudébut était remplacée par une émotion que rendaient légèrement comique ses efforts pour la cacher.

« Allons, la mère, dit un vieux territorial, vous n'allez pas pleurer tout de même? Qu'est- ce que vous feriez si le journal parlait de votre fils et non de votre toutou?

— Je n'ai jamais eu de fils, répondit-elle. Je vis seule. Médor me tenait lieu de famille; mais quand j'ai su que l'armée avait besoin de chiens intelligents, je n'ai pas hésité! »

Et, dans ses yeux, on lisait la fierté d'avoir pu, grâce au compagnon de sa vieillesse et de sa pauvreté, participer, elle si chétive. à la défense ,de son pays...

De La Niche de L'arrière

Dès octobre 1914, de nombreux dons de chiens furent faits à l'armée; ce n'est toutefois qu'en novembre 1915, qu'une instruction ministérielle organisa définitivement ce service. Paris et ses environs ont fourni plusieurs milliers de chiens; d'autre part, des personnes dévouées ont constitué, en province, des centres de recrutement dont les principaux sont ceux de Marseille, Avignon, Montpellier, etc..

Tous les sujets ne sont pas acceptés. Il faut que le futur soldat ait plus d'un an et moins de huit ans. Il doit mesurer de o m. 45 à o m. 60 aux épaules. Les robes claires sont peu recherchées, car elles nécessitent des opérations de teinture. Les races préférées sont celles des chiens de berger.

Les sujets recrutés sont amenés par des convoyeurs militaires dans les chenils de l'arrière, où ils sont soumis à un dressage rapide. On les y assouplit; on leur apprend à s'asseoir, à se coucher au commandement, à attendre patiemment leur maître dans un lieu désert; on les habitue peu à peu aux détonations; on developpe leur vigilance et on les entraîne au pistage, afin qu'ils puissent reconnaître, plus tard, au flair, la tface de leurs conducteurs; on les habitue enfin à faire la navette entre deux petits fanions séparés par une distance d'un ou de plusieurs kilomètres, — ceci en vue du service de liaison.

Cette première éducation dure environ un mois.

Ensuite, muni d'un petit livret portant son numéro matricule et indiquant ses aptitudes, l'élève part pour un des chenils de la zone des armées, où des dresseurs mobilisés continuent à l'entraîner. C'est là que les chefs de corps le demanderont s'ils le jugent à propos, car le haut commandement n'impose pas l'emploi des chiens militaires: en prend qui veut, parmi les officiers; mais le nombre des abstentionnistes devient de jour en jour plus restreint.

Les principaux chenils du front se trouvent dans les Vosges, dans les environs de Toul, dans l'Oise et sur l'Yser. Ils sont installés de façon à assurer à leurs hôtes un abri sain, aéré, facile à nettoyer. Les niches sont démontables, pour qu'il soit toujours possible de les transporter sur un autre point du front. Les pensionnaires qui y séjournent n'ont certes pas à se plaindre de l'ordinaire. Ils «touchent », chaque jour, 650 grammes de viande, 350 grammes de pain, 100 grammes de riz ou de pâtes, 300 grammes de légumes frais et 15 grammes de sel.

Les principales catégories de chiens de guerre sont celles des sentinelles, des estafettes (ou chiens de liaison) et des chiens de trait. Les « sanitaires », c'est-à-dire les chiens employés à la recherche des blessés, constituent une classe absolument indépendante, iattachée au service des ambulances.

Un Drame au Chenil

C'est à l'armée des Vosges que furent employés les premiers chiens sentinelles. Dans cette région, le service des patrouilles a toujours été très restreint, à cause des réseaux de fil de fer, plus nombreux peut-être que partout ailleurs et auxquels les arbres de la forêt prêtent des appuis naturels. La surveillance y est très difficile et la question se complique de la présence d'une nuée d'espions.

On décida donc d'organiser un service de chiens sentinelles. L'établissement fut aménagé dans une vieille ferme abandonnée. Plusieurs spécialistes mobilisés y furent envoyés, dresseurs, marchands de chiens, qui rivalisèrent de zèle. La nuit, les chiens étaient conduits en forêt; une équipe composée de quelques chasseurs, figurant l'ennemi, arrivait en rampant, et les chiens devaient signaler sa présence, à cinquante, cent, même deux cents mètres, et cela par des grognements sourds, sans aboyer.

Les résultats obtenus étaient excellents, et le chenil commençait à rendre des services appréciés, quand un véritable drame vint y jeter le désarroi et prouver, en même temps, combien étaient nécessaires les chiens-sentinelles.

L'un des dresseurs, un ingénieur, fervent du chien et engagé volontaire, avait pris à son service un civil, homme d'une quarantaine d'années, d'origine suisse, mais naturalisé français, qui, ayant suivi des cirques forains, connaissait bien le pansage des bêtes. On était fort content de lui; cependant ses allures semblaient parfois singulières, et d'étranges coïncidences frappèrent bientôt ses chefs. Il disparaissait, certaines nuits, sans que l'on pût savoir où il allait; et, plusieurs fois, on l'avait vu, l'après-midi, étaler un manteau dans une clairière, tantôt à droite, tantôt à gauche de la ferme-chenil. Or le tir de l'artillerie ennemie semblait se régler sur ces indications!

L'homme fut épié soigneusement, et la police prévenue. Des inspecteurs déguisés en soldats arrivèrent à ... et quelques jours après, leur conviction étant établie, le garçon de chenil fut arrêté.

Pendant plusieurs jours, il nia. Les agents de la polipe secrète le pressaient de questions. Alors, on assista à un spectacle inattendu. Des chiens militaires qui se trouvaient là semblèrent tout à coup « prendre parti » contre le bandit! Ils rompirent leurs chaînes, lui sautèrent à la gorge, et lui déchirèrent le ventre. On eut toutes les peines du monde à l'arracher de leurs crocs.

Il fut condamné à mort, le lendemain, et il avoua son crime au prêtre qui l'assista. Il avait trahi pour quelques louis. Il avoua aussi que, dans la région, des hommes aux gages de l'Allemagne avaient pour mission de s'approcher, la riuit, de nos troupes et d'observer leurs mouvements, dissimulés dans les arbres.

C'est alors que l'on décida de préparer de nombreux chiens éclaireurs et sentinelles, pour dépister ces espions.

Poilus à Quatre Pattes

Depuis cette époque, l'emploi des chiens sentinelle s’est généralisé. Plusieurs milliers d'entre eux sont maintenant sur le front. Et quelques-uns ont eu l'honneur d'être cités à l'ordre de leur régiment.

On a pu lire dans le communiqué officiel du 19 juillet 1916 (3 heures), les lignes suivantes: « Un coup de main dirigé par l'ennemi sur nos petits postes dans la région de Pas-chendâel (Belgique) a échoué sous nos feux.» Or ce coup de main a échoué grâce à un chien.

Il s'appelle Fox et avait été remis par Mlle Jacquelin, de la Varenne-Saint-Hilaire, au chenil de Joinville-le-Pont. Ce chien a été cité à l'ordre de son régiment de la façon suivante: «Fox, série F 4, matricule 221, du chenil A, a empêché un coup de main que tentaient les Allemands contre notre tranchée de première ligne. Profitant d'une nuit noire, pendant laquelle le vent soufflait en tempête, l'ennemi avait réussi à s'approcher de nos réseaux de fils de fer, sans être vu, ni entendu par les guetteurs. Le chien Fox, de la 19e compagnie du ne régiment d'infanterie, en sentinelle à l'extrémité de la tranchée, a alerté le poste à deux reprises et a permis de recevoir l'ennemi à coups de grenades. La surprise était manquée. »

Pans cette même région de l'Yser, Diane, matricule 234, a aussi été citée à l'ordre de son régiment: « Pendant la nuit du 5 au 6 juillet, elle a signalé une patrouille ennemie qui s'avançait pour surprendre un de nos petits postes à .... Diane appartient à la 23e compagnie du ne régiment d'infanterie. »

Nestor, matricule 125, qui fut l'un des premiers chiens que l'on dut teindre à cause des taches trop voyantes de sa robe, a rendu maints services dans les Vosges. On le considère comme un éclaireur hors ligne. Il s'est signalé d'une façon toute particulière au Bandkopf, en devançant les patrouilles et en se repliant vers elles, en rampant, dès que des ennemis étaient en vue.

«Tout récemment, écrivait le capitaine T..., le principal organisateur du service des « sanitaires » avant la guerre, le chten Lion, matricule 147, appartenant au ne régiment d'infanterie coloniale, a signalé une forte patrouille allemande, dont la mission était d'enlever un poste d'écoute situé à 200 mètres en avant des lignes, et permis d'ouvrir un feu d'infanterie et d'artillerie sur cette patrouille, dont un sergent-major et deux hommes ont été pris et ont déclaré que, sans le chien, le poste était enlevé. »

Ainsi, le brave Lion ne s'est pas ontenté de sauvegarder la vie de nos soldats; en déclanchant le tir de l'artillerie, il nous a valu un avantage militaire et nous a permis de faire des prisonniers!

Si l'on songe que la plupart de nos régiments ont, maintenant, des chiens sentinelles, on comprendra quel rôle nos bons toutous sont capables de jouer sur la ligne de feu.

Comment On Dresse un Chien de Liason

C'était en Champagne. Le capitaine de la 2e compagnie du no régiment avait installé son poste de commandement dans un entonnoir son poste de commandement dans un entonnoir de 5 mètres diamètre environ, creusé par un obus de 210 allemand. Le bombardement faisait rage, cet après midi-là.

L'ordre était de « tenir » sans chercher à progresser; mais, depuis de longues heures, les fils téléphoniques étaient coupés, et le capitaine ne savait quel parti prendre. Fallait- il se porter à droite ou à gauche? Rester sur place et se faire tuer? On était prêt à s'y résoudre; mais serait-ce là un sacrifice utile? Seul le haut commandement pouvait le savoir. L'officier était dans la plus grande anxiété, quand tout à coup un chien lui arriva dans les jambes et se blottit contre lui. L'ordre qu'il apportait permit au capitaine de faire exécuter à ses hommes un mouvement grâce auquel non seulement ils furent sauvés, mais encore ils purent prendre avantage sur l'ennemi!

Le héros de la journée était un tout petit épagneul, répondant au nom de Clown; un vrai chien de dame, caressant et joli, qui, au chenil de Joinville, était le préféré des dresseurs militaires, bien qu'on le trouvât vraiment trop petit pour faire un bon chien de guerre.

Nombreux sont les chiens de liaison qui ont accompli des actions d'éclat.

A l'une des récentes visites de M. Poincaré en Alsace, lors de la revue qu'il passa d'un bataillon de chasseurs alpins, a cote du commandant,se trouvait présenté au Président: « Pyrame, dit la citation à l'ordre du bataillon, a sauvé son unité, en signalant la présence d'une forte colonne allemande insoupçonnée. Par ses aboiements, il a éveillé l'attention de son conducteur, qui, s'étant porté en avant, reconnut la présence de l'ennemi, attacha un billet au collier du chien. Celui-ci revint dans les lignes françaises, et l'alerte fut donnée; » Le Président de la République a fait remettre à Pyrame une étoile, insigne des éclaireurs. On a pu dire que c'est là la croix de guerre de nos poilus à quatre pattes! Quel est le procédé employé pour le dressage des chiens de liaison?

Ce n'est malheureusement pas un secret: il s'agit du système du fanion, créé en France vers 1895, que les Allemands connaissaient bien avant la guerre, et qu'ils emploient sur une grande échelle. Chez nous, presque tous les chiens de liaison qui se sont signalés avaient été préparés d'après cette méthode.

Le chien est habitué à faire la navette entre deux fanions, à des distances variant entre un et cinq kilomètres. Aussitôt qu'on lui a présenté le fanion n 1, il se dispose à partir pour retrouver le fanion n 2, qui est, en tous points, semblable au premier.

Ce petit appareil a les dimensions d'un mouchoir. C'est un carré formé par l'union de deux triangles d'étoffe, l'un bleu-horizon, l'autre vert. Ces couleurs ont été choisies pour que, même à une distance de 50 mètres, le fanion soit' invisible. On le pose à terre, à plat; et le chien n'y fait attention que quand il est ainsi placé.

Voici comment on opère pour le dressage. Au début on donne à manger au chien en passant la main dans une fente de l'un des fanions. Et, dès qu'il a mangé un peu, on le chasse vers l'autre fanion, placé, à vue, à une quinzaine de mètres, et auprès duquel se trouve un aide, qui donne également à manger au chien à travers la fente de son appareil; et ainsi de suite. Après quelques leçons, les instructeurs ne se placent plus de façon à se voir; l'un d'eux se met derrière un mur, un bouquet d'arbres, ou tout autre obstacle à la vue, mais sans aller bien loin. Le chien le trouve tout de suite. Les instructeurs peuvent être changés d'une heure à l'autre; car ce que le chien cherche, c'est le fanion et non l'homme.

Ce procédé est de beaucoup le plus rapide pour obtenir le va-et-vient. En quelques jours, la distance à franchir, augmentée peu à peu, atteindra plus d'un kilomètre.

Quand la bête est remise aux unités combattantes, elle est déjà parfaitement habituée à ces marches çt contre-marches, et «fonctionne» comme une machine, sans qu'il soit besoin désormais de la nourrir à travers les fanions. Pour établir la liaison entre deux points dans une zone, qui à certaines heures est dangereuse, deux hommes sont désignés; on leur remet à chacun un fanion, et l'un d'eux prend le chien à la laisse. Au moment d'une accalmie, et, de préférence, la nuit, on «amorcera» la liaison de la façon suivante. Au point A, l'homme qui a pris le chien en main le fait coucher; il étale son fanion devant lui, puis il remet l'animal à l'autre conducteur, qui part en le tenant en laisse et se rend au point B (où se trouve, par exemple, le commandement supérieur, l'artillerie ou bien une compagnie de mitrailleuses). Dès lors, l'homme, sans revenir lui- même au point A, pourra, à toute heure, y faire porter des dépêches par son chien. )

Pour cela, après avoir inséré dans un petit portefeuille attache au collier la lettre à expédier, il fait coucher l'animal à côé du fanion posé à terre puis, quelques instants après, il le fait lever, en disant: « Viens! » Quand le chien est debout, l'homme prononce le mot « Attention! », détache la laisse, et donne l'ordre: «Va porter! »Le chien, «travaillant » alors par le nez et par la vue retrouve sa route, file comme une flèche et revient au point A, où il retrouve un fanion.

L'avantage principal de ce procédé est que la bête peut être conduite par n'importe qui. Il en présente un autre; c'est que, quand, pendant un voyage du chien vers A ou vers B. l'agent qui doit le recevoir a été obligé de quitter le voisinage du fanion, l'animal l'attend à côté de l'appareil ce qui l'empêche de s'égarer.

Certains chiens sont dressés à la liaison à vue. Ils répondent à des besoins spéciaux.. On les envoie, sans avoir « amorcé » la liaison par un premier voyage en laisse, d'un point A à un point B, où ils n'ont jamais été conduits mais où se trouve un fanion accroché à un arbre ou à un piquet, très visible celui-là (cercle blanc sur fond rouge). L'animal cherche,, guette, comme un « sanitaire » à la recherche d'un blessé, et va se coucher auprès du fanion.

Pour Ravitailler les Tranchees

Ceci nous conduit aux ravitailleurs de tranchées.

Un grand quotidien a publié, en avril. 1915, une impressionnante photographie représentant un soldat courbé sous le poids d'une quinzaine de pains et porteur de gamelles. Il se dispose à « ravitailler » une tranchée avancée. Sous la gravure, on lisait cette légende: « C'est l'homme chargé de porter le pain aux soldats de la tranchée de première ligne, et qui attend, pour s'élancer au pas de course, une accalmie dans la rafale des projectiles ennemis. Il a, d'ailleurs, derrière lui, des camarades tout prêts à le remplacer s'il tombe en route. » C'est pour épargner la vie de braves aussi bien trempés que l'on s'est attaché à dresser des chiens ravitailleurs. Munis de bâts spéciaux ou attelés à de petites voitures, ils peuvent porter, chaque jour, des munitions et des vivres en abondance à travers les zones les plus dangereuses. Le dressage au fanion permet de les envoyer seuls, sans guide, vers une tranchée où ils ne connaissent personne; il suffit que les hommes qui se sont jetés dans cette tranchée placent, du côté des troupes amies, un fanion pour que les chiens viennent vers lui de deux ou trois cents mètres. Le voyage est périlleux, sans doute; mais un chien se dissimule plus facilement qu'un homme!

Un poilu du ne régiment d'infanterie, éleveur de chiens avant la guerre, écrivait à un ami la lettre suivante que l'on ne peut lire sans émotion: « Je vous ai dit que mon vieux Tom faisait le service de ravitaillement... Quand nous le lancions, tout seul, vers les tranchées de l'avant, pour qu'il y porte des vivres, nos cœurs battaient très fort. Il partait, de son petit trot que vous connaissez, un peu ralenti par la charge du bât, et aussi un peu « décousu » à cause de l'oreille qu'il tenait plus basse que l'autre par suite d'un ancien catarrhe. Et puis il s'engouffrait dans la tranchée. Alors on respirait plus à l'aise. Souvent les Boches tiraient sur lui; mais ils le manquaient toujours. Malheureusement, il a eu un accident stupide: en sautant au-dessus d'un petit fossé, il a dû retomber sur des morceaux de verre; nous le suivions à la lorgnette; il ne pouvait plus que se traîner sur ses pattes saignantes. Et les Boches l'ont visé tranquillement, comme une cible.... Tout le monde l'a pleuré dans notre section. J'écris à ma femme de m'envoyer immédiatement Black et Stop. »

N'abandonnez Pas les Chiens Blessés!

Les chiens ont payé déjà un large tribut à la mort sur les champs de bataille. Mais ils savent se garer des « marmites » quand la chose est possible. Un lieutenant écrivait naguère: « Nous sommes actuellement en Alsace, devant les Boches. Dick va toujours bien. Il y a quelques jours, il a failli être tué par un obus. Mais son instinct l'a sauvé.

En entendant le sifflement du projectile, il a fait un saut extraordinaire, brisant sa laisse, et a eu tout le temps de se cacher dans une sape. Heureusement! Car l'obus est tombé à, 3 mètres de sa niche, qui a été complètement criblée.»

On a- constaté à maintes reprises que les chiens distinguent le bruit de nos canons de celui de l'artillerie ennemie et que, quand ce sont les Allemands qui tirent, ils s'écrasent sur le sol, comme ferait un homme qui veut échapper aux éclats d'obus.

Le petit livret qui accompagne partout les chiens soldats porte des recommandations intéressantes et qui appellent l'attention du conducteur sur la résistance vitale considérable de son compagnon: « N'abandonnez pas, lui est-il recommandé, le chien blessé! Des blessures paraissant graves ne sont pas toujours mortelles. Des chiens dont le ventre est ouvert peuvent être sauvés.»

Il est prescrit de ne pas chercher à extraire tout de suite les projectiles, d'arrêter immédiatement toute hémorragie au moyen de ligatures et de consulter au besoin un brancardier. Les plaies doivent être badigeonnées avec de la teinture d'iode ou lavées avec de l'eau de Javel. Enfin, il est de règle de transporter à l'arrière le chien blessé et de le remettre au service vétérinaire. L'animal blessé à un membre, à la tête ou au dos, sera placé sur les épaules du maître,«en tour de cou ». Blessé au ventre, il sera porté dans une écharpe, le ventre en Pair.

Des cures merveilleuses ont été obtenues grâce au dévouement de nos poilus. Le chien Fidèle, du chenil de Joinville-le-Pont grand mâtin jaunâtre, à la bonne tête intelligente, « servait » sur l'Yser. Il prenait la garde aux créneaux... une balle lui a traversé la tête. Son conducteur, M. Lefebvre, qui adore les chiens, l'a rapporté à l'arrière sur un brancard et il porte maintenant en breloque la balle qui, heureusement, a pu être extraite. Fidèle s'est parfaitement rétabli et a repris son service.

Il arrive qu'après quelques mois de présence sur le front, certains sujets présentent des signes évidents de fatigue. D'autres deviennent sourds par déchirement du tympan provoqué par le tonnerre de l'artillerie lourde. Ces invalides sont alors réformés. On les marque au fer chaud, sur le flanc, d'un grand R, comme les chevaux de troupe.

Braves toutous! Ils se seront acquis pendant cette guerre un titre de plus à notre affection. Nulle part mieux que dans la tranchée française, le chien n'aura resserré les liens de tendresse qui, depuis les temps les plus anciens, l'unissent à l'humanité.

 

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