le livre
''La Jeunesse Héroique - Histoires Vraies'
texte et dessins de G. F. Fraipont

Les Enfants se Battent pour la France

 

La Jeunesse Héroïque

Préface

Enfants, jeunes garçons, vous qui vivrez, vous qui verrez, je vous envie. Votre existence sera belle et pleine; elle aura des devoirs émouvants que vous remplirez avec enthousiasme, car vous jerez mieux que les comprendre, vous les sentirez. De grandes tâches vous incombent, mais vous serez mieux que d'autres en état de les accomplir, parce que vous en trouverez en vous la notion impérieuse, toute chaude et toute frémissante; les destins du pays pourront se confier à votre génération, et se reposer sur elle, plus tranquillement que sur aucune autre, parce que vous serez la génération d'élite, éclose, pour son bonheur et son honneur, dans une atmosphère où toutes les forces de la race ont vibré magnifiquement. Vous en serez le total. Le superbe réveil de ces forces latentes a émerveillé le monde et il embellira l’histoire: vous savez cela, enfants, puisque vous l'avez vu; mais ce que vous ne savez pas encore, c'est qu'il a fait bien plus: il vous a façonnés. En arrêtant l'invasion des barbares qui rêvaient d'anéantir la France, il n'a pas sauvé que le présent; il a, du même coup, assuré l'avenir, l'avenir que vous êtes; son œuvre se prolongera en vous, logiquement, automatiquement, par le seul fait d'avoir électrisé votre aurore. Votre âme bénéficiera de la sienne, que vous perpétuerez en continuant son ouvrage, et la besogne, qui est auguste, vous sera légère et joyeuse, car vous aurez la foi.

En quoi donc cette foi? En vous-mêmes, en votre mission d'hommes, en votre volonté de la parfaire! C'est le culte que vos frères aînés confessaient à la manière des martyrs, en tombant par milliers sur les champs de bataille. Pour la cause commune, ils ont donné leur sang, leur chair, ils ont donné leurs membres et leurs yeux, l'espoir de leur jeunesse, et leurs amours, leurs ambitions, tout ce qu'ils allaient être. L'exemple de leur abnégation et de leur héroïsme vous lègue cette foi ensanglantée. Elle sera la base de votre religion; et vous ne la perdrez jamais, vous ne pourrez pas la perdre, parce que vous en portez le dogme au tréfonds de vous, et cette devise sous vos crânes, écrite en rouge, gravée avec le fer, marquée avec le feu: « Tous pour la cause de tous! »

Enfants de bourgeois, d'ouvriers ou de nobles, enfants de pauvres, enfants de riches, nos morts chéris vous ont liés les uns aux autres, comme ils se sont liés dans la tranchée; leur âme commune vous a fait une âme en commun, et vous vivrez comme ils sont morts, ensemble! Leur façon de savoir-mourir vous enseigne le savoir-vivre: ensemble, ensemble, et d'un cœur unanime avec un but commun, le salut de la grande famille que nous sommes!

 

Chers enfants, espoirs de la race, comprenez-moi bien. Le pays ne vous demandera que votre labeur, la persévérance, l'amour du travail à parfaire et du but à atteindre. Votre effort sera libre, car c'est notre loi essentielle, en France, aussi bien qu'en Angleterre, que chaque citoyen garde la pleine initiative de son activité; notre conscience est trop haute et notre fierté trop indépendante pour se soumettre aux règles d'une organisation qui enrégimenterait militairement les capacités, comme en Allemagne; nous ne voulons pas du caporalisme que les Teutons rêvaient d'imposer à l'Europe; c'est pour vous en délivrer que les meilleurs d'entre nous sont allés mourir sur la Marne, et ont noyé dans la rivière de France les chaînes qu'on vous apportait. Vous serez libres, mes enfants, de par la volonté des Morts. Par votre volonté propre, vous connaîtrez et vous appliquerez les devoirs que cette liberté comporte.

Une discipline volontaire! Toute la noblesse de l'homme est là-dedans. L'homme se distingue des animaux, non pas seulement par la conscience de sa dignité et de ses droits, mais aussi et surtout par la conscience qu'il a su prendre du droit de ses semblables et de leur dignité. Si tu ne prends souci que de tes besoins, mon petit, tu rétréciras ta conscience; mais tu l'élargiras si tu acquiers la notion des besoins similaires qui s'agitent autour de toi et des droits légitimes que ces besoins confèrent à autrui.

Est-ce à dire que l’ambition vous serait interdite? Non certes, et bien au contraire, puisque l'énergie que chacun déploiera pour arriver à mieux augmentera d'autant la vigueur du faisceau. Travaillez parallèlement, avec une visée commune, le bien de tous. Portez vos regards autour de vous, non pour y voir des rivaux ou des adversaires, mais pour y reconnaître des compagnons d'armes, dont le succès profite à la collectivité. Et oust! En avant, côte à côte, comme vos aînés couraient à l'assaut, officiers ou soldats, frères du même sang qui n'avaient qu'un seul cœur! Au-dessus de la cause individuelle, il y a le salut commun: Sachez-le comme ils le savaient, soldats et chefs, et pratiquez ensemble, dans la paix, cette discipline volontaire qu'ils célébraient si fièrement, face à l'ennemi. Même dans la paix, vous serez toujours en face de l'ennemi, qui ne désarmera jamais. Pour vous défendre contre lui, gardez cette arme précieuse qui nous a sauvés tout à l'heure: une volonté solidaire!

 

J'ai l'air de vous sermonner, mes jeunes amis? N'en croyez rien, malgré les apparences: on ne prêche pas les convertis, et vous en êtes. Ce que j'expose ici, c'est ce qui germe en vous, sans que vous le sachiez vous-mêmes, n'ayant pas encore eu l'occasion de l'y découvrir; tout uniment je vous aide à pénétrer en vos jeunes âmes, pour y éclairer les réserves de vos forces ethniques, et vous en révéler la richesse. Un trésor! Je n'en veux pour preuve que les histoires authentiques groupées par l'initiative de l'éditeur et rapportées dans ce livre. L'excellent artiste qui vous les raconte, G. Fraipont, n'a prétendu à rien de plus qu'à les illustrer de son dessin; il n'invente pas, il présente; tous les héros de ces aventures ont vécu, et plusieurs vivent encore; c'étaient des enfants de votre âge: ils ont montré ce que vous valez et de quoi vous serez capables.

Au surplus, à quel titre oserais-je me permettre de donner un conseil? Je ne me suis pas battu, donc je n'ai rien à dire; ceux qui n'ont point agi n'auront point à parler. Durant la formidable lutte, nous étions spectateurs, nous, les vieux, assistants lointains, et spectateurs nous saurons demeurer quand les beaux fils couverts de boue et de lauriers rentreront dans la ville qu'ils ont sauvée. A l'heure tragique où ils semaient leur sang dans les sillons de France, nous restions au logis et nous aurons la pudeur d'y rester à nouveau, quand sonnera l'heure bénie d'engranger la moisson. Elle est vôtre! Soyez tranquilles, nous ne vous en disputerons ni la gloire ni le profit. Ce qui est votre œuvre demeurera votre bien. Ceux qui ont fonde' l'avenir le façonneront à leur guise.

Restez vos maîtres, mes gars! Vous l'avez bien gagné. Ne songez à nous, ni pour nous plaire, ni pour nous contredire. Ne vous rappelez que nos fautes, pour qu'elles vous servent de leçon, et ne les commettez plus. Nous avons travaillé beaucoup: par notre labeur et par le vôtre, un siècle gigantesque est inscrit dans l'histoire; par la science et par l'épopée, nul autre ne s'est donné plus intensément à l'incubation de l'avenir: il est fulgurant et fécond, il est genèse, il crée, il est humainement divin. Soyons-en fiers ensemble, car un sacre est sur lui, une religion autour de lui.

Par elle et par le sang, nous demeurerons avec vous. Mais notre temps est fini, quand le vôtre commence: Nous sommes la garde descendante. Gardez-vous mieux que nous, et allez-y gaiement! Durant toute la guerre, j'ai contemplé avec amour la génération qui montait: je ne demande qu'à vivre encore un peu, pour voir comment elle saura parachever son œuvre.

Je vous salue, et bonne chance!

Edmond Haraucourt

 

 

Un Courageux Boy-Scout

Le jeune héros dont, brièvement, nous voulons dire l'histoire, a nom „ Leysen, il a 16 ans.

Né à Liège, - la vaillante cité belge qui porte maintenant, accrochée à son blason, la croix de la Légion d'honneur en souvenir de son héroïque défense, - Leysen sentit son cœur battre de rage lorsque, l'un des premiers, il vit poindre les casques pointus des avant-gardes teutonnes s'avançant vers son pays natal dont elles voulaient violer le territoire après avoir violé celui du Grand Duché de Luxembourg.

Trois divisions allemandes (125.000 hommes): Prussiens, Hanovriens et Mecklembourgeois se dirigeaient vers Visé pour essayer de forcer le passage de la Meuse. Vingt-cinq mille Belges seulement étaient là pour leur barrer le chemin. A défaut du nombre, ils avaient la bravoure; ils exterminèrent à peu près l'effectif d'un corps d'armée...

La Kolossale Allemagne dut s'humilier devant la noble petite Belgique et lui demander un armistice que fièrement elle refusa.

La glorieuse défense de la jme division belge, commandée par un admirable soldat, le général Léman, qui se fit sauter plutôt que de se rendre, fit avorter le monstrueux projet de raid des troupes du Kaiser sur la frontière française et assura ainsi la formation complète d'une centaine de mille hommes, Wallons et Flamands, qui purent occuper de bonnes positions et faire leur jonction avec les troupes françaises.

Les volontaires s'engageaient en foule; des jeunes gens, presque des enfants entre 16 et 18 ans, briguaient le dangereux honneur de conduire les automobiles à projecteurs.

Le jeune Leysen voulait partir lui aussi, non comme soldat ni automobiliste, mais, enrôlé avant la guerre dans le corps des Boy-Scouts, c'est comme tel qu'il entendait servir.

Lorsqu'il vit sa chère Belgique odieusement dévastée et perfidement envahie par les hordes allemandes, lorsqu'il vit ses villages flamber, ses monuments s'effondrer, lorsqu'il vit, surtout, les routes sillonnées de longues et mornes files de vieillards, de femmes et d'enfants fuyant les infâmes barbares en emportant leurs pauvres hardes, il jura de les venger de son mieux. Il tint son serment.

De nature énergique et tout à la fois audacieux et prudent, il était d'une adresse et d'une agilité prodigieuses.

Habile à s'orienter, servi par une vue remarquable et une ouïe d'une finesse extrême, le plus petit indice attirait son attention, le bruit le plus léger le mettait en éveil.

Ces aptitudes, il allait les employer au service de sa patrie. Bien que tout jeune il sentait où était le bon droit, aussi voulait-il combattre, mais combattre à sa façon, en allant seul, risquant sa vie pour guetter le Prussien et contrarier ses plans. Dès que sa décision fut prise, il se mit en campagne; bravant tous les obstacles, il furetait partout, profitait des moindres vestiges, relevait les moindres traces.

Que de fois il resta en plein bois pendant de longues heures à l'affût derrière un arbre ou juché dans ses branches; abrité derrière un pan de roche ou couché contre un remblai; sautant d'une éminence dans un creux, rampant dans les taillis, franchissant les cours d'eau ou se glissant sous les buissons.

Puis il s'enfonce en forêt, se cache dans les décombres, grimpe aux murs démolis, s'abrite dans les ruines des vieux temples détruits ou se niche dans les moulins désemparés.

Songez à ce qu'il faut d'énergie et de ténacité, de ruse et de ^ ^ patience pour être ainsi constamment l'œil et l'oreille au guet, non seulement pour surprendre l'ennemi, mais pour n'être point surpris par lui.

Le brave petit Liégeois découvrit ainsi onze espions qu'il arrêta et qui furent passés par les armes.

Il reconnut d'importants mouvements de troupes ennemies, combinant un coup de force, et déjoua leurs tentatives en prévenant les troupes alliées.

Mais là ne se bornent pas les exploits de notre précoce héros: Lorsque l'armée belge rentra dans le camp retranché d'Anvers, il la suivit et s'offrit délibérément pour remplir des missions encore plus redoutables. Il s'agissait de porter. à Bruxelles des dépêches officielles et remettre des missives informant la capitale de ce qui se passait en France et en Russie et lui apprendre de la guerre autre chose que ce que, dans leur . fourberie, il plaisait aux Allemands de lui dire.

Il fallait déjouer la surveillance. N'importe, il voulut partir.

- « D'abord, avait-il dit en s'éloignant, ils ne me prendront pas et en tous cas, s'ils me prennent, je jure bien qu'ils n'auront pas mes dépêches! »...

Et sans hésiter, crânement, il s'était mis en route. Qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige, que la bourrasque éclate ou que s'élève le brouillard, qu'il fasse jour ou qu'il fasse nuit, notre vaillant boy-scout va toujours.

terrible et hypocrite des soldats boches déguisés en paisibles bourgeois, pour réfuter les fausses nouvelles en apportant des nouvelles vraies. C'était là un rôle terriblement difficile et dangereux à remplir.

Avant de le lui confier on l'avait averti des risques qu'il courait, prévenu que s'il était pris c'était pour lui la prison en Allemagne et sans doute la fusillade.

Souple et rusé comme un Indien, il sait profiter de tout pour atteindre son but.

Il zigzague en tous sens, fait des détours sans nombre, courant vite ou marchant doucement. Suivant les circonstances, il s'engage à travers les sentiers déchiquetés par les obus, va par les routes défoncées par les marmites; il traverse les villages en ruines, les hameaux dévastés, les pays inondés.

Tout lui est bon pour se dissimuler, il brave tout pour atteindre son but et arriver jusqu'aux destinataires des précieux plis qu'on a mis sous sa sauvegarde.

Dix fois il a franchi les lignes ennemies à l'aller, dix fois il les a franchies au retour et toujours il est prêt à se dévouer encore pour servir son pays.

Sur la jeune poitrine du Boy-Scout brille à présent la croix d'honneur, elle y fut attachée par le roi des Belges lui-même, cet admirable souverain qui s'y connaît en fait d'honneur et de dévouement, aussi a-t-il su mettre cette croix en bonne place; elle fut bien et noblement gagnée!

 

La Fille de l'Aubergiste

Héroïsme! Que de fois et à juste titre, pendant cette atroce guerre, ce mot fut prononcé!

L'héroïsme!! cela court les champs de bataille, il y en a tout plein les tranchées, cela déborde.

Risquer sa peau sans relâche pour avoir celle de l'ennemi, braver l'éclatement des obus, le sifflement des balles, l'explosion des marmites, les puanteurs des gaz asphyxiants et au milieu de tout cela vivre en souriant - (car les poilus ont le sourire) - dans une atmosphère infernale, certes tout cela est admirable, mais il est des actions héroïques qui pour être moins bruyantes n'en sont ni moins belles ni moins dangereuses.

Elle fut héroïque, d'un héroïsme calme et qui s'ignore, la délicieuse fillette qui sauva le fort de Troyon.

Troyon fait partie du canton de Saint-Mihiel, au Sud de Verdun; son fort joua un rôle très important dans la défense de la Meuse.

A quelque distance des ouvrages avancés, une auberge attirait volontiers les soldats qui n'étaient pas de service; dédaignant le «jus » de l'escouade, ils venaient en bandes, dès le matin, y déguster gaiement un « fin moka ». L'aubergiste était aimable et avenante, son café délicieux et réputé à deux lieues à la ronde.

Cette renommée était-elle parvenue jusqu'aux lignes allemandes?... Peut-être, car un matin à peine l'auberge ouverte, on y vit apparaître, au lieu des joyeux soldats français, d'odieux uhlans venus en éclaireurs.

Ayant mis pied à terre et ordonné, sous menace, à un petit villageois de garder leurs chevaux:

« Caffé et gognac! » dit un de ces soudards en frappant du poing sur la table...

Tandis que l'aubergiste effarée essayait d'éluder l'ordre si brutalement donné, la fillette, une enfant, pensant à ses bons amis français qui allaient, comme toujours, arriver gaiement sans armes et les mains dans les poches, s'esquiva rapidement. Elle voulait à tout prix les prévenir.

Sans penser au péril qu'elle courait, sans s'arrêter un instant à l'idée que si elle était prise c'était sûrement la mort pour elle - car elle n'ignorait pas que l'Allemand se soucie peu de l'âge de ses victimes - elle grimpa les raidillons qui, derrière l'auberge, sinuent vers le fort.

Aux deux tiers du chemin, elle rencontra les soldats en route vers leur petit déjeûner, les mit vivement au courant, puis, tranquille, retourna à l'auberge où les uhlans étaient attablés. Pendant qu'ils se gobergeaient, nos soldats étaient remontés au fort.

Prévenu par eux, le commandant jugea que la venue des uhlans indiquait sans doute une approche de l'ennemi. Il usa d'un subterfuge, s'arrangeant de façon à faire paraître abandonnés tous les ouvrages de défense. Les Allemands - (si ces gens sont très forts, ils ne sont point malins) - s'avancèrent bonassement croyant à une victoire certaine lorsqu'ils reçurent une décoction de mitraille à laquelle ils ne s'attendaient guère mais dont - (ceux qui restent) - doivent sûrement se souvenir.

Les canons et les fusils français couchèrent ce jour-là sept mille Boches sur les glacis du fort.

C'est le sang-froid et le courage d'une enfant qui amena cette hécatombe.

 

Les Deux Drapeaux

Si nos petits compatriotes comme les enfants de nos chers voisins belges ont horreur des Boches, s'ils veulent, quoique bien jeunes, collaborer au plaisir de les battre, les fils de nos alliés éprouvent à leur égard des sentiments tout pareils.

L'exécration du Germain est devenue universelle, il a du reste fait tout ce qu'il faut pour cela.

Laissez-moi vous dire l'histoire de l'un de ces jeunes alliés, un petit Russe, jeune moujik qui s'est distingué comme beaucoup de vos compagnons.

Né à Tachkent, ville du Turkestan, pays où s'élèvent de hautes montagnes, où s'étendent des déserts immenses et des steppes sans fin, Alexandre Cherviatkin, âgé de 16 ans, s'est engagé comme tambour dans un des régiments de son pays; de ses deux baguettes, il bat la diane, le rassemblement, la charge comme un vétéran.

Mais on ne bat pas du tambour du matin au soir et, lorsque sa caisse est au repos, Alexandre ne se soucie pas d'en faire autant: il suit les patrouilles, accompagne les reconnaissances, fait volontiers le coup de feu quand l'occasion s'en présente et qu'un fusil se trouve à sa portée.

Une nuit, aux environs de Varsovie, après une reconnaissance qui avait dégénéré en véritable bataille, Alexandre avait aperçu, à la lisière d'un bois, un porte-étendard russe tombé en serrant le drapeau de ses deux mains crispées. Il ne voulut pas laisser ainsi abandonnée la précieuse relique et prudemment, car l'ennemi était proche, il se glissa jusqu'au soldat tué.

A l'aide de son couteau, il put arracher les clous qui fixaient le drapeau à sa hampe, le détacha et se l'enroula autour du corps.

Il se disposait à rejoindre ses compagnons lorsqu'il fut tout à coup aveuglé par un intense jet de lumière, le rayon d'un projecteur ennemi... Il était découvert et fait prisonnier quelques instants après.

Alexandre sembla résigné; placé sous la garde de deux sentinelles, il ne bougea pas et fit mine de dormir... mais il ne dormait que d'un œil, tandis que les sentinelles éreintées - du combat qu'elles venaient de subir, dormaient fort bien des deux.

Alexandre guettait ce moment... Doucement, il se souleva, le corps ployé en deux il cherchait à regagner les lignes russes lorsqu'il faillit se buter contre les jambes d'un soldat endormi. C'était un porte-drapeau, lui aussi, ronflant à côté de l'étendard dont il avait la garde. Redoublant de prudence, sans bruit et retenant son souffle, le petit tambour rampa jusqu'à lui et, tirant de nouveau son couteau, d'un trait coupa la soie au ras de la hampe. L'Allemand ne s'était aperçu de rien; l'enfant s'esquiva. A quelques pas il s'arrêta pour rouler son trophée autour du drapeau russe, puis, vivement reprenait son chemin, lorsque hélas! un nouveau jet lumineux le démasqua, bientôt suivi d'une grêle de balles. Blessé gravement, le courageux enfant surmonta la douleur et eut l'énergie de se traîner, perdant son sang par plusieurs blessures, jusqu'à la tranchée russe. Là, il remit à l'officier les deux drapeaux qu'il venait de conquérir bravement. Tous deux étaient percés. A leurs couleurs nationales s'ajoutaient, en larges plaques, celle du sang de notre petit moujik.

A l'hôpital de Taganrog, où il fut , transporté, on lui attacha sur la poitrine la croix de Saint-Georges. Notre petit allié est en bonne voie de guérison.

Tout le monde va le voir, car chacun connaît son histoire. Il est populaire dans toute l'armée russe où on l'appelle: « le Héros des deux drapeaux ».

 

Deux Petits Prisonniers

Aune dizaine de kilomètres de Péronne est un gentil village, Feuillères. Il comporte à peine trois cents habitants. Feuillères, hélas, comme bien d'autres contrées du département de la Somme dont il fait partie, fut foulé par les bottes allemandes.

Quand le soldat teuton se présente dans une localité, son premier soin, nous ne le savons que trop, est de piller ce qu'il peut et d'arrêter qui il trouve. Pourquoi ceux qui pénétrèrent à Feuillères firent-ils prisonnier un ménage inofïensif d'honnêtes ouvriers? Sans raison ils se dispensent, du reste, de jamais en donner.

Les Ringeval (c'est le nom de ces braves gens) furent emmenés comme otages, laissant seul leur jeune fils Georges et un de ses camarades Robert Vasseur.

Peu après leur sortie du village, des soldats français blessés y arrivaient à leur tour; on entoura les braves garçons et ce fut à qui leur offrirait leurs soins.

Georges et son ami allèrent à un cuirassier qui semblait harassé, et gentiment lui offrirent l'hospitalité, le réconfortèrent de leur mieux.

Au milieu de la nuit, tandis que le village était silencieux et que tout reposait, des aboiements furieux réveillèrent brusquement les dormeurs; les chiens donnaient de la voix, se répondant d'un bout à l'autre du pays.

Bientôt un bruit cadencé de bottes martelant le pavé, apprit aux villageois qu'ils recevaient la visite d'une autre bande prussienne...

Le petit Georges ne perdit pas la tête, il réveilla le cuirassier qui dormait à poings fermés, puis, aidé de son camarade, il lui passa tarît mal que bien son uniforme, tout en le conduisant dans le jardinet qui était à l'arrière de la maison et communiquait aux champs, il ouvrit la barrière qui le fermait et lui montra le chemin à suivre pour s'échapper sans être vu.

Le soldat, dont la présence avait été signalée ainsi que l'endroit où il était hébergé était sauvé, mais Georges et son ami devaient payer de leur liberté leur généreuse intervention.

Lorsque les Prussiens pénétrèrent dans la maison:

« Où est le soltat? » demandèrent-ils brutalement aux enfants.

« Quel soldat? »

« Le soltat plessé, le gavalier? »

« Il n'y a pas de soldat ni de cavalier ici. »

« C'est pien, on fa foir »...

Et les Boches fouillèrent la maison de fond en comble, sans rien trouver, naturellement.

« Buisque le soltat est bardi, c'est doi qui fa fenir afec don kamarate »...

Les deux enfants durent en pleine nuit faire les neuf kilomètres qui séparent Feuillères de Péronne, là on les enferma dans des wagons à bestiaux complètement calfeutrés, sans air ni lumière, on ne les nourrit que de popinette (seigle délayé dans l'eau) et on les dirigea ainsi sur Saint-Quentin d'abord, sur le Quesnoy ensuite.

Pendant quinze jours on les garda au Quesnoy puis on les ramena à Péronne. Parqués au collège de la ville ils furent laissés sous la garde de chiens policiers, bêtes féroces par l'une desquelles Georges Ringeval fut grièvement mordu. Lorsque l'Allemand n'a pas le loisir de martyriser lui-même ses victimes, il trouve d'autres moyens de les faire souffrir.

Peu après, le collège devenant utile à la horde allemande, les barbares jetèrent tout simplement les enfants à la porte, sans pain et à peine vêtus, et ne s'occupèrent plus d'eux bien que les considérant toujours comme prisonniers.

Les pauvres petits gars, mourant de faim et transis de froid errèrent par la ville jusqu'au jour où une charitable femme, Mme Dequiez, en prit soin.

Un ancien professeur de Paris, prisonnier lui aussi, et détenu à Péronne, s'intéressa à son tour aux enfants. L'excellent homme voulait les sauver et si possible se sauver avec eux et les rapatrier...

Après maintes tentatives infructueuses, il réussit enfin!

Nous n'aurons garde de dévoiler les moyens qu'il employa; qu'il nous suffise de dire que, pour arriver à ses fins, il lui fallut une énergie sans bornes et un dévouement de tous les instants.

 

Soldat de Première Classe

A quinze ans, être soldat de première classe, être porté à l'ordre du jour de l'armée sont choses peu banales et bien rares!...

C'est pourtant le cas d'un enfant nommé Chotin.

Un jour qu'un bataillon du 92e d'infanterie arrivait en renfort sur un point menacé, quel ne fut pas l'étonnement des soldats en voyant tout à coup surgir au milieu d'eux un jeune moutard que nul n'avait vu jusqu'alors.

D'où venait-il?... Que venait-il faire ici?...

- « Me battre, pardi! » répondit-il seulement.

Comment s'y était-il pris pour arriver ainsi jusqu'au front?...

Il s'était adroitement dissimulé, puis, le moment venu, avait fait son apparition.

Que faire?... Où et comment le renvoyer?...

Malgré son jeune âge, on dut l'incorporer au régiment.

Comment se conduisit l'enfant soldat?...

Cet extrait de la citation à l'ordre du jour de l'armée publiée tout au long au « Journal Officiel », va nous l'apprendre:

« A été blessé il y a un mois d'une balle à l'épaule et vient de faire prisonniers deux Allemands aux combats des 14 et 15 novembre (1914) n'a cessé de faire preuve de la plus grande énergie et du plus grand courage. »

Fichtre! à quinze ans... voilà un petit gaillard qui promet.

 

Le Bucheron-Hussard

Nous sommes en pays Franc-Comtois, dans la superbe forêt de Rougemont dont les épaisses frondaisons s'encadrent d'un côté par Montbéliard qui dresse au loin les deux donjons de son antique château, - jadis résidence seigneuriale, aujourd'hui simple caserne, - de l'autre (dans le département voisin, la Haute-Saône), par Vesoul. La ville est blottie au pied du Mont de la Motte qui la garantit des vents du Nord et d'où l'on découvre l'immense territoire terminé par la chaîne du Jura et l'extrémité méridionale des Vosges.

Près d'un feu de bois qui achève de se consumer, assis sur le tronc d'un arbre récemment abattu, un bûcheron et sa femme prennent un moment de repos.

- «Vois-tu bien, mon garçon, dit le bûcheron à son fils, jeune gaillard âgé de 14 ans, l'aîné d'une famille de huit enfants, le métier de bûcheron est bien dur et j'aimerais mieux pour toi celui de tisserand.

- «Pourquoi dis, père?

- « Parce qu'on gagne plus et qu'on peine moins et puis, m'est avis qu'il est plus agréable d'être bien à l'abri à faire courir la navette, que circuler à travers bois, par tous les temps en maniant la cognée et la hache! »

Le jeune montagnard (il se nomme Albert Schuffrenkes), un nom dont il faudra se souvenir) avait vu maintes fois chez eux tisserands et tisserandes, installés du matin au soir à leur métier... Faire comme eux ne le tentait guère!

- « Non, père, je t'assure que je préfère être dans les bois, au grand air à abattre des arbres que me sentir prisonnier entre quatre murailles où l'on étouffe... J'aime mieux être bûcheron que tisserand!...

- « Enfin, on réfléchira, conclut la maman, conciliante comme la plupart des mamans.

Mais toutes réflexions furent brutalement interrompues.

Avant qu'une décision fut prise la guerre éclata, bouleversant les choses et les gens, contrecarrant tous les projets.

Les uns après les autres, Albert Schuffrenkes vit partir tous les gars du pays.

Dans ses pérégrinations à travers bois, par les sentiers et par les routes, il les rencontrait par groupes, baluchon au dos et musette au côté, pleins d'entrain, filant gaîment rejoindre leur régiment... Que de fois il éprouva la tentation de les suivre!

Dans les villages environnants, Albert n'entendait parler que de batailles; l'odieux nom de « Boches » résonnait à tout instant. Les journaux, que dévorait notre jeune forestier, racontaient les horreurs par eux commises: assassinats, vols, incendies, pillages!... Son jeune cerveau s'exaltait, il voulait aller combattre, lui aussi.

Entourés par ses frères, ses parents pouvaient se passer de lui, rien ne l'empêchait donc de partir pour défendre son pays.

Comment?... il n'en savait rien encore et attendait une occasion propice.

Elle se présenta inopinément: Un jour, en se rendant par la forêt au hameau voisin, il rencontra un détachement d'infanterie qui hésitait sur le chemin à prendre.

Un officier le héla: « Dis-moi, mon petit homme, peux-tu nous indiquer vT" un raccourci pour atteindre Clerval?

- « Mais oui, m'sieur, et si vous voulez,je vais même vous y conduire.

- « Volontiers! mais es-tu bien sûr de ne pas nous égarer?

- « Pas de danger, je connais notre forêt comme ma poche!

Le fait est que nul sentier, nulle tor-tillière, ne lui étaient inconnus, aussi fût-il, pour les soldats, un guide parfait. Comme, arrivé à destination, on voulait le dédommager de sa peine: « - Merci bien, répondit-il nettement, tout ce que je demande, c'est de rester avec vous. »

Il resta.

Ce fut le « petit pioupiou » du régiment jusqu'au jour où, pour sa belle conduite, il fut baptisé « troupier»; c'était à Atkirch où, crânement, il vit le feu pour la première fois. Ensuite il monta à Mulhouse, mais bientôt prétendit « qu'on ne voyait pas assez de Prussiens et qu'il s'était fait soldat pour en voir beaucoup. »

« - Ceux-là sûrement doivent en voir plus que nous, s'écria-t-il en montrant du doigt des batteries d'artillerie défilant sur la route, je vais demander à partir avec eux. »

Son allure franche, son air décidé, presque martial déjà, le firent accueillir, par les artilleurs comme il l'avait été par les fantassins.

- « Seulement, mon vieux, faut monter à cheval, si tu veux venir avec nous, lui dit un brigadier en riant, sauras-tu rester d'aplomb sur ta bête?

- « Ne craignez rien, ça ira tout seul et d'abord, « il faut » que ça aille. « - Bravo, petiot! »

... Et cela alla tout seul en effet; notre gaillard se tint en selle comme un vrai cavalier et s'y trouva même tout à fait à l'aise.

Mais au bout de quelques jours, le nouvel artilleur fut de nouveau déçu; il ne vit des Prussiens que leurs avions: aviatiks et albatros auxquels on faisait la chasse à coups de canon.

Vite, il se lassa d'une occupation qui consistait à avoir sans cesse le nez en l'air pour ne pas voir grand' chose, en somme; cela devenait monotone!

Le rôle de spectateur ne lui convenait guère, il voulait du mouvement, de l'action; aussi, lorsqu'un beau matin, il rencontra un escadron du 3me hussards se rendant au front, il n'hésita pas et pour la troisième fois, changea de corps, troquant la veste noire de l'artilleur contre le dolman bleu du hussard.

Il fit fort bonne figure dans son nouveau régiment. Suivant son désir non seulement il vit beaucoup d'Allemands, mais il en tua pas mal et à lui seul s'empara de plusieurs de leurs chevaux:

« Que voulez-vous, dit-il en les ramenant, maintenant que je suis dans la cavalerie faut bien que j'en aie de rechange, pour le cas où ces sales Boches me démoliraient le mien! »

Notre petit soldat est non seulement l'enfant chéri du peloton, mais son peloton est fier de lui; on l'appelle affectueusement « le poilu », lui qui n'a pas encore le moindre poil au menton.

... Et voilà comment Albert Schruffrenkes n'est ni bûcheron, ni tisserand; il est hussard et veut rester hussard.

 

Yves, le Breton

Les habitants de Morlaix (Finistère), la cité bretonne aux venelles pittores-j ques, ont assisté au mois d'août à une cérémonie touchante: la remise de la médaille militaire à un jeune Breton: Yves Mevel.

Au début des hostilités, il avait seize ans, il s'était attaché en qualité de boy-scout à un bataillon du 72e d'infanterie avec lequel il était parti au front.

Brave à l'excès et têtu comme un vrai Breton, on le voyait aux endroits les plus périlleux, se moquant de l'indigeste îerraille qui cinglait en pluie tout autour de lui, voulant quand même aller de l'avant... il y allait hardiment, lorsqu'il fut dangereusement touché.

Six balles l'atteignirent dont l'une lui creva l'œil droit.

Cela ne suffit point à l'abattre et malgré d'atroces douleurs, voulant soutenir l'entrain de ses camarades, il eut le courage d'entonner la Marseillaise.

Yves fut soigné dans un hôpital de Paris.

Je vous donne à penser par quels applaudissements, avec quel enthousiasme, notre héros fut accueilli par une foule compacte lorsqu'il apparut sur le front des troupes de la garnison, massées sur la place de Morlaix, et quels hourras furent poussés lorsque le commandant d'armes, chef de bataillon Lague, accrocha, ému, la médaille au ruban jaune, sur la poitrine du vaillant petit Breton.

 

« Chocolat »

Encore un petit villageois qui a voulu quitter le champ campagnard pour le champ de bataille.

Garçon de ferme dans l'Est, Charles Bascle, presque un moutard, trop jeune pour être appelé, restait seul au village avec les trop vieux.

Pourquoi ne partirait-il pas, - lui aussi? Il n'avait pas l'âge révolu, c'est vrai, mais il se sentait robuste, plus robuste que bien d'autres plus âgés et qui étaient au feu....

Allons! c'est décidé.

Un régiment de chasseurs à pied, des «vitriers » passe sur la route... Charles Bascle emploie le moyen dont tant d'autres ont usé avant lui: Une, deux, il leur emboîte le pas.

Tout d'abord, on ne le remarqua pas, mais bientôt la présence obstinée de ce petit bonhomme attira l'attention.

Les soldats français en cours de route sont de grands enfants qui rient de tout et s'amusent d'un rien. Ce petit paysan finit par les intéresser. Un loustic l'avait baptisé « Chocolat. »

Pourquoi Chocolat? Je n'en sais rien ni lui non plus, sans doute, mais le sobriquet fut adopté en attendant qu'on adoptât l'enfant. Cela ne tarda pas.

Charles Bascle suivit ses nouveaux amis en Champagne, puis en Belgique.

Il avait un tel entrain, une telle endurance et une volonté si tenace, qu'il obtint enfin d'être incorporé.

Partout, ce « benjamin des vitriers » se conduisit en brave et bien des fois, il entendit autour de lui cette exclamation qui le rendait tout joyeux et tout fier: « Bravo, Chocolat! »

 

 

Le «Petit Poseur»

Chacun apprécie les choses suivant sa mentalité. Le Germain ne pense pas comme le Gaulois et celui-ci s'en flatte.

Ce que le Français appelle courage, héroïsme est, par l'Allemand, qualifié lâcheté, trahison.

Vous jugerez par la suite s'il fut traître ou héros, ce jeune Alsacien, Théophile Jagout, au sujet duquel un odieux sous-officier boche écrivit à sa famille une lettre infâme, qui fut trouvée sur lui, et dont voici des extraits:

« Un traître vient d'être fusillé, un jeune « Français appartenant à l'une de ces « sociétés de gymnastique, d'éclaireurs ou « boy-scouts qui arborent des rubans tricote lores, un pauvre gamin qui s'était mis en « tête d'être un héros... »

Comme ce pauvre gamin avait refusé de donner aucune information, il fut pris et passé par les armes.

« Il se dirigea d'un pas ferme vers un poteau du télégraphe, continue le sous-off, il s'y adossa, la verdure d'une vigne derrière lui, et il reçut la volée du peloton d'exécution avec un fier sourire sur le visage... Le misérable petit poseur!!! »

L'histoire de ce « petit poseur » fut consignée dans un procès-verbal ramassé en Alsace, et rédigé par un général bavarois.

Théophile Jagout était des environs de la Burgonde, près Sainte-Marie-aux-Mines, ce pays qui, avec d'autres localités et les vallées environnantes: Pontroye, le Bonhomme, la vallée de la Bruche, etc., forment un îlot de population gallo-romaine bien défini et qui a toujours résisté à la germanisation. On a voulu y imposer l'étude de l'allemand, mais c'est le français que l'on parle entre soi, tout au moins un patois dont le français, mélangé de vocables latins et celtiques forme la base.

On a eu beau « allemaniser » les noms des localités, appeler Sainte-Marie-a'ux- Mines, Markirch et le Bonhomme, Diedolshansen, les habitants sont immuablement restés Français; toutes ces vallées qui ramifient au Nord de la Schlucht sont habitées par des groupes importants de populations « waelsch » comme disent avec mépris les Allemands; populations « welches » comme nous disons fièrement nous autres.

Lorsque, quelque temps après le début de la guerre, des Bavarois pénétrèrent à la Burgonde, ils y furent reçus à coups de fusil partant de différents points. Ils ne savaient où riposter lorsque d'une maison du village sortit en courant un jeune garçon, c'était Théophile Jagout.

« Halte! » lui cria un officier. Puis il lui demanda, en allemand, si la demeure était occupée... L'enfant fit mine de ne pas comprendre.

« Est-ce qu'il y a « du monde » dans cette maison », lui dit-il ensuite, répétant sa question en un français agrémenté d'un fort accent.

« Personne »! répondit Théophile.

« C'est bien, mais prends garde si tu as menti ».

L'enfant se contenta de hausser dédaigneusement les épaules; devant son air calme les Bavarois n'hésitèrent plus et continuèrent leur marche.

Mais, arrivés au devant de la maison, ils furent reçus par une fusillade nourrie tandis que de l'épaisseur du bois voisin d'autres coups de fusil les accueillirent et en couchèrent bon nombre sur le terrain.

D'habiles tireurs, embusqués des deux côtés, avaient visé juste et la plupart des balles avaient porté.

Ordre fut immédiatement donné de mettre le feu à la maison et de s'élancer en nombre vers le bois, puis Théophile Jagout fut arrêté et conduit devant le général.

« Savais-tu que tu nous trompais quand tu as répondu,que cette maison était vide? »

« Oui », répondit crânement le brave petit bonhomme.

« Alors! toi, Alsacien, tu trahissais tes compatriotes, tu n'es qu'un petit lâche. »

« Je suis Alsacien et les Alsaciens sont Français, c'est en les dénonçant que j'aurais commis une lâcheté et une trahison. »

« C'est bien, tu seras fusillé. »

L'enfant reçut la sentence sans broncher et lorsque vint le soir, à l'heure indiquée pour l'exécution, le pauvre petit alla « d'un pas ferme », comme le disait lui-même l'officier, se placer devant ses bourreaux qui eurent l'épouvantable lâcheté de cribler de balles un pauvre enfant en présence d'un régiment de bandits casqués qui assistèrent en souriant à la mort du « Misérable Petit Poseur. »

 

« Un Diable Bleu »

Dès le début de la guerre, le jeune François Ratto (il n'avait que seize ans) coiffa allègrement le pittoresque béret cocarde d'un cor de chasse, insigne des chasseurs alpins, dans un régiment desquels il s'était enrôlé.

Chasseurs alpins, « diables bleus », disent les boches qui les craignent comme la peste, non sans raisons, car ces diables-là s'entendent à merveille à les « descendre » et chacun d'eux, Ratto en particulier, en a quelques-uns sur la conscience... ça ne leur pèse guère, du reste.

Parti de Menton avec le 2ime régiment, Ratto a marché constamment dans ses rangs, bravant avec ses compagnons tous les dangers, supportant toutes les intempéries; pataugeant dans la boue, enfonçant dans la neige; courant, grimpant, allant partout où l'on avait quelque chance de débusquer la bête ennemie.

Partout, notre alpin se distingua.

Inscrit au tableau pour la médaille militaire, le motif indiqué dit, entr'autres: « Payant d'exemple, montra toujours la plus héroïque bravoure; a été grièvement blessé le 23 novembre 1914 par un éclat d'obus qui lui a sectionné presque complètement le pied; au milieu des plus cruelles souffrances, il a conservé sa gaieté. »

Ce brave petit alpin a grandement justifié son surnom: Diable bleu!

 

Courageux Mensonge

Le mensonge par lui-même, mensonge intéressé, mensonge fait pour cacher < une mauvaise action est méprisable.

Mais il est des cas où il faut mentir, des situations où la vérité serait crime ou trahison.

Quand, il s'agit de sauver ou de sauvegarder les siens contre les attaques de l'ennemi, le mensonge s'impose; dire la vérité deviendrait l'équivalent d'une dénonciation.

Le mensonge est parfois héroïque.

Il le fut pour Théophile Jagout, le pauvre petit héros dont nous ,'avons conté l'histoire; il le fut pour la courageuse fillette d'Avrechy, Clotilde Boucry!

Avrechy est un petit village de quatre cents habitants de la commune de Clermont dans l'Oise, dominant la vallée délicieuse appelée « Vallée Dorée » à cause de sa fraîcheur, de sa fécondité, de sa superbe végétation et de ses sites heureux. Beau pays que foula comme tant d'autres l'ignoble pied allemand.

Un matin, alors que les villageois paisibles causaient sur le pas de leur porte ou vaquaient à leurs occupations habituelles, une douzaine de uhlans apparurent tout à coup à l'entrée du village.

D'où venaient-ils, qu'y venaient-ils faire? Rien de bon évidemment. Dès qu'on les avait vu poindre, toutes les fenêtres, toutes les portes s'étaient fermées instantanément et, dans la rue déserte, seuls résonnaient les pas des douze chevaux.

Tout à coup, le détachement tomba en arrêt; une jeune fille, un panier au bras, venait de sortir d'une maison voisine; apercevant les Allemands, elle se rangea tranquillement comme pour leur faire place...

Mais l'un d'eux s'était avancé et croisant la lance, la pointe

dirigée vers la poitrine de la jeune fille, il lui dit brusquement, dans un jargon que nous ne chercherons pas à rendre: « N'ayez pas peur, on ne vous fera pas de mal si vous dites la vérité... Direz-vous la vérité? »

« Oui, monsieur. »

« Est-ce qu'il y a des soldats français ici ou dans les environs? ».

« Il n'y a aucun soldat français par ici », dit-elle en regardant bien en face son inquisiteur.

« Vous nous l'assurez? »

« Je vous l'assure. »

« C'est bien!... »

Et sans se hâter, la troupe continua son chemin.

Ces soudards, orgueilleux de leur force, ne crurent pas un seul instant qu'une fillette put avoir l'audace de se jouer d'eux.

Il en fut ainsi pourtant.

Le chef du détachement qui, avec ses hommes, avait fourni déjà une longue traite, ne résista pas à l'aspect engageant d'une ferme dont la porte grande ouverte laissait voir une vaste cour où seules picoraient quelques poules et barbottaient deux ou trois canards, à côté d'une vaste grange encore garnie de foin.

« Entrons nous reposer là! », leur ordonna-t-il.

Mais, comme ils s'apprêtaient à mettre pied à terre une pétarade intense souhaits de bienvenue d'une compagnie d'infanterie, en désarçonna une demi-douzaine autrement vite qu'ils ne s'y attendaient, tandis que les autres, affolés, levant les bras en l'air, lançaient à leurs assaillants qui accouraient vers eux leur classique « Kamarade!... »

Ils se rendaient à quelques pioupious français cantonnés depuis deux jours dans la ferme où ils se reposaient d'un récent assaut, au vu et au su de tous les habitants du village et particulièrement de Clotilde Boucry qui leur apportait matin et soir, fruits, œufs et légumes frais récoltés pour eux.

Avais-je raison de dire qu'il est des mensonges héroïques: la jeune fille en mentant pour sauver quelques soldats, avait, sans hésiter, bravé la mort.

 

Dans l'Artillerie Lourde

Presque tous les « petits » dont nous narrons brièvement l'histoire, s'y prennent de même façon pour « aller faire la guerre ».

Trop jeunes (ils le savent) pour être incorporés, ils filent un beau jour sans prévenir, trottent à la suite des soldats, se mêlent à eux, font en sorte de rester avec eux.

C'est blâmable au point de vue familial, mais le but est si noble qu'en vérité on n'ose les blâmer.

Charles Trottemant fit comme tant d'autres; un beau jour, il quitta Nancy où il habitait avec ses parents et ses huit frères et se mêla à des bleus qu'il suivit jusqu'en Lorraine.

Rencontrant là un détachement d'artillerie lourde, il offrit ses services au cuisinier d'abord: Il allumait le feu, épluchait les patates,

« Prodiguant au frichti (i) ses soins intelligents. »

Puis il devint pourvoyeur de gargousses, ne s'inquiétant nullement des obus boches qui tombaient autour de lui. - « Ça fait du bruit », dit-il... C'est là toute l'impression que cela lui causa.

Partout le jeune Trottemant se conduisit en brave. Dans la Somme, il se battit crânement... On dut enfin le renvoyer aux siens.

Cette lettre de son capitaine en indique les raisons tout en étant pour lui un précieux témoignage:

Chère Madame,

« Je certifie que votre fils Charles a fait avec ma batterie la campagne et qu'il a participé à nos combats. Il s'est toujours conduit comme un courageux petit soldat, rendant service à tout le monde, et faisant œuvre utile. Les fatigues de l'hiver, les marches de nuit ne permettent plus d'assurer sa sécurité comme j'ai pu le faire jusqu'ici. Je profite d'une occasion pour vous le rendre en bonne santé et plein de courage.

Nul doute qu'il soit un bon fils comme il est un bon Français. »

Capitaine Henri MICHELAND.

 

l'Epopée de Jacques Goujon

Car c'est une véritable épopée que l'histoire de Jacques Goujon, un jeune Lyonnais de 17 ans qui reçut au printemps, la médaille militaire.

Il peut la porter fièrement cette médaille, il l'a hautement gagnée. Écoutez plutôt:

N'ayant pas l'âge révolu pour s'engager dans sa ville natale, il vint à Paris. De robuste constitution et possesseur de son certificat d'aptitudes militaires, il fut agréé et enrôlé dans un détachement désigné pour aller dans le Pas-de-Calais.

Quelque temps après l'arrivée au poste désigné, le détachement éprouva durement le feu de mitrailleuses allemandes si adroitement dissimulées qu'il était impossible d'en deviner l'emplacement.

Voyant là un danger constant pour ses soldats, dont beaucoup avaient été durement touchés déjà, le lieutenant demanda des hommes de bonne volonté pour aller repérer les engins , ennemis.

Tous voulaient partir, mais Jacques , Goujon, suivi de deux . camarades, sortit des rangs avant tout autre. « Je réclame l'honneur d'y aller, mon lieutenant, et comme je me suis présenté le premier, je demande à partir le premier avec mes deux amis. »

« Bien, mes enfants, allez », dit le lieutenant ému, « soyez prudents et adroits, je vous souhaite bonne chance. »

Puis, il leur donna l'accolade et nos trois braves partirent.

Se dissimulant de leur mieux, profitant des moindres abris, mottes de terre, replis de terrain, bosses et trous, ils réussirent à découvrir l'emplacement cherché après avoir surpris et tué deux sentinelles ennemies.

Ils furent malheureusement découverts et aussitôt terriblement mitraillés. Les deux compagnons de Jacques tombèrent l'un après l'autre, lui resta indemne et réussit à gagner un trou d'obus où il se |dissimula de son mieux gardant pendant de longues heures une immobilité absolue.

Tout étant redevenu calme, notre jeune soldat risqua prudemment un œil, puis l'autre et, tout en restant enfoui dans son trou, inspecta les alentours.

Il jugea le moment favorable pour continuer sa dangereuse mission, car, savoir où étaient les mitrailleuses ne lui suffisait pas, il entendait les mettre hors d'état de servir...

Le voilà qui sort de son trou en rampant, se glisse comme une couleuvre, gagne du terrain, s'approche peu à peu et, lorsqu'il se juge à proximité, lance sur les engins les bombes dont il s'est muni. Les bombes touchent leur but, deux mitrailleuses ont sauté; mais Jacques est brusquement surpris, il n'a pap le temps de se défendre; on l'empoigne, on le désarme, on le fait prisonnier. Amené au coin d'une tranchée, il y est laissé sous la garde d'une sentinelle; mais le Boche bien armé, sûr de lui, n'ayant rien à redouter d'un moutard sans moyen de défense, ne surveille son captif que d'un œil distrait redoutant davantage ce qu'il ne voit pas que ce qu'il a sous les yeux.

Jacques est agile et rusé, il réussit à brûler la politesse à son gardien - (c'est lui qui paiera, mais tant pis, ou plutôt tant mieux) - et s'échappe, trouvant encore moyen dans sa fuite de s'emparer d'une mitrailleuse qu'il rapporte dans les lignes françaises.

Si c'est avec une forte émotion que le lieutenant embrassa notre petit brave au départ, c'est avec une joie intense et les larmes aux yeux qu'il lui donna l'accolade au retour.

Cité le lendemain à l'ordre du jour et nommé caporal, il est, en outre, porté pour la médaille militaire.

Mais cette médaille ne fut pas de suite accrochée à sa tunique.

Au cours d'une contre-attaque ennemie, l'héroïque enfant qui se battait comme un vieux poilu, eut le bras droit haché par un éclat d'obus. Transporté d'abord dans une ambulance où on dut procéder à l'amputation, il fut dirigé ensuite sur Châteaudun; c'est là que, le printemps dernier, il reçut enfin la médaille si noblement gagnée.

Conduit au Mans, attendant plein de bonne humeur sa mise à la réforme et... « un bras articulé »... C'est ça qui presse le plus, disait-il gaiement, quand je l'aurai, il n'y paraîtra plus et quant à la mise à la réforme, on a le temps »...

 

Officier à Treize Ans

C'est un spectacle assez inattendu que de voir ces grands diables de cosaques barbus, d'aspect rébarbatif, armés jusqu'aux dents d'armes àfeuetd'armes blanches, obéissant sans hésiter à ce petit moutard imberbe, haut, tout au plus, comme une de leurs bottes et qui les fait manœuvrer tel un vieux colonel. Ce moutard n'est ni plus ni moins, qu'un de leurs officiers, un lieutenant ayant, s'il vous plaît, gagné SUr le champ de bataille les galons qui barrent sa manche et la croix de St-Georges qui s'accroche à sa poitrine. Us obéissent, ces cosaques, non seulement parce que c'est la consigne - et que le petit lieutenant ne plaisante pas avec la consigne - mais parce qu'ils l'adorent et reconnaissent en lui un jeune héros.

Son nom? Misha Tumkhanis.

Son âge? Treize ans, bien qu'il n'en paraisse que dix.

Sa nationalité? Russe, sa qualité d'officier de cosaques l'indique suffisamment.

Engagé dans une sotnia, on avait craint, un jour que celle-ci opéraitjen région boisée, qu'elle fût cernée par des troupes allemandes.

Quelques hommes furent envoyés en reconnaissance, Misha demanda à partir avec eux.

S'étant séparé de ses compagnons pour reconnaître des traces suspectes imprimées dans la neige, il aperçut, à une centaine de mètres un cavalier ennemi qui s'avançait vers lui.

Voulant surprendre, et non être surpris, il s'était laissé glisser à bas de son cheval, forçant celui-ci à se coucher, manœuvre à laquelle les chevaux russes sont habitués. Dissimulé derrière la brave bête, Misha guettait l'endroit où l'Allemand lui était apparu... Celui-ci s'était éclipsé.

Il était, lui aussi, descendu de son cheval qu'il avait attaché à un arbre, puis faisant maints détours, était arrivé à contourner le jeune Russe qu'il put appréhender et faire prisonnier.

Cinq uhlans avaient aussitôt surgi pour prêter main-forte, mais, à l'aspect de l'enfant, ils jugèrent leur intervention inutile et se retirèrent après avoir tué son cheval et s'être emparé - tout est bon à prendre pour ces bandits - de sa lance et de son fusil.

L'Allemand poussait devant lui son redoutable prisonnier en le tenant par la nuque, mais bientôt, se ravisant, il l'attacha avec une corde nouée à la ceinture, et dont il gardait les bouts à la main, et se dirigea vers son cheval entravé à quelque distance dans la direction des lignes russes.

A mi-chemin, Misha, simulant une douleur à la jambe, se baissa, en apparence pour se frictionner, en réalité pour saisir son revolver enfoui dans une poche ingénieusement dissimulée au-dessus du genou dans les plis de la culotte.

Ainsi armé, l'enfant fit brusquement un bond, sauta au cou de son gardien, s'y accrocha de la main gauche, tandis que de l'autre il dirigeait le revolver vers sa poitrine, pressait la détente et tuait net l'Allemand qui poussa un cri terrible et tomba, entraînant son jeune adversaire dans sa chute. Misha se dégagea vivement, fouilla les poches de l'homme qu'il venait d'abattre et y découvrit d'importantes dépêches dont il s'empara, puis, vivement, courut vers le cheval allemand, l'enfourcha et partit au galop.

Mais le coup de feu avait redonné l'éveil aux uhlans qui entreprirent une poursuite acharnée. Misha, heureusement, avait de l'avance sur eux; éperon-nant sa monture, lui lâchant la bride, il la fit partir à un train désordonné et put rejoindre son régiment après avoir contraint les uhlans à renoncer à leur inutile poursuite.

Et voilà comment Misha Tumkhanis conquit ses galons et sa croix qui ne lui suffisaient point sans doute, car, se livrant à de nouveaux exploits, une seconde médaille lui fut décernée en échange de deux blessures reçues dans l'attaque d'une redoute où il se distingua de remarquable façon.

 

Un Jeune Messager

Du sang-froid, l'ignorance de la peur, l'oubli de soi-même pour sauver autrui, sont des qualités bien rares chez un jeune enfant.

Pourtant il les possédait, ce brave petit bonhomme de neuf ans, Jules-Meurice Chovis.

Aussi intelligemment que courageusement il sut, au nez et à la barbe des Allemands, faire évader un soldat français auquel ses parents avaient donné asile.

Ils habitaient la Ferme-Rouge, située à Curlu, petit village du canton de Combles, dans le département de la Somme.

Le soldat, un dragon, était venu chez eux pour se ravitailler.

Tout à coup, se serrant la tête entre ses deux poings: « Tonnerre d'imbécile, idiot que je suis!... », s'écria-t-il furieux et désolé tout à la fois, «j'ai oublié ma carabine! »

« Où ça? » s'informa le fermier.

« A Le Forest, d'où je viens. »

Terrible, en temps de guerre surtout, peut être la punition pour un soldat qui a perdu son arme.

Le père MeuriceChovis, ancien volontaire de 70, consola de son mieux le pauvre diable: « Et puis, dit-il, ne vous désolez point, le domestique va atteler le cheval à la carriole et le moutard ira la chercher et vous la rapportera vot' carabine. »

« Bien merci! car vrai je n' me voyais pas blanc. »

- « Avant tout faut vous cacher crainte des boches, reprit le fermier, ces sales bêtes-là peuvent arriver sans qu'on s'y attende... Venez!... »

Et il conduisit le soldat dans une vieille cahute hors de service, masquée sous les arbres et enfouie dans les broussailles. C'était une retraite à peu près sûre.

Quelques instants après, par une pluie battante, l'enfant partait remplir sa mission.

Tandis qu'il s'éloignait, une patrouille de uhlans arrivait en sens inverse. Etait-ce par ordre ou parce que la ferme leur semblait bonne à piller?... Toujours est-il que c'est droit vers elle qu'ils se dirigeaient. Ils y pénétrèrent.

Après avoir tout saccagé et pris ce qu'ils jugeaient à leur convenance, ils s'emparèrent du père Chovis qu 'ils emmenèrent comme otage.

Le soir-même, sans aucun motif, « pour le plaisir », le malheureux fermier était fusillé sans autre forme de procès.

 

Lorsque Jules-Meurice fut de retour, qu'il vit la ferme bouleversée et apprit le sort de son père, il pâlit, de grosses larmes lui tombèrent des yeux mais il ne perdit pas son sang-froid. Serrant les poings: « C'est des grands lâches, lâches, lâches! » cria-t-il, puis il courut à la cabane, remit au dragon la carabine qu'il rapportait: « Faut vous sauver au galop, à présent, lui dit-il... s'ils allaient revenir?... »

Ils revinrent, la nuit même... Meurice avait pu faire évader le dragon, non sans peine, car celui-ci voulait à toute force rester et se défendre. Mais qu'eût-il pu faire seul contre tous? Il eut volontiers risqué sa vie, mais ne se reconnut pas le droit d'exposer celle de l'enfant et des autres villageois sur lesquels on se serait certainement vengé... Il partit donc à regret.

La venue des boches parmi des gens paisibles et sans défense est toujours redoutable. La grande *joie de ces bandits est de faire le mal... lorsqu'ils n'y voient aucun danger pour eux. Ils sont lâches, lâches, lâches, ainsi que l'avait crié Meurice.

Toute victime est bonne à prendre pour eux, qu'elle soit civile ou militaire, aussi n'hésitèrent-ils pas un instant à arrêter notre héros, ainsi que sa mère et son jeune frère et à les emmener triomphalement comme prisonniers de guerre.

Quelle belle prise ils firent là, quelle victoire pour eux!... Songez donc: avoir réussi à s'emparer d'une femme et de deux mioches, est-il rien de plus glorieux?...

Pendant cinq mois les prisonniers furent internés en Allemagne, d'où on les renvoya enfin comme bouches inutiles...

Il est bien étonnant que d'aussi dangereux personnages n'aient pas, comme tant d'autres, été passés par les armes.

 

« Mon Sergent »

Oui, « mon sergent! » Ces mots semblent bizarres quand on regarde et celui qui les prononce et celui auquel ils s'adressent.

Le premier est un grand fort gaillard, un poilu à tous crins.

L'autre est un jeune adolescent, imberbe, au visage frais et rose.

Il porte sur la manche le galon de sergent. Il joue au soldat peut-être? Non pas! il est bel et bien soldat pour tout de bon et sergent pour « de vrai. » C'est le sergent Maurice Delrein.

Enfant de troupe au 125ieme de ligne, il est âgé de quatorze ans et sut bientôt [conquérir le grade de caporal. C'est comme tel qu'en Alsace, il conduisit « ses hommes » devant les tranchées allemandes et alla lui-même, au mépris du danger, couper les fils de fer barbelés qui leur barraient le chemin.

A Charleroi, il voit tomber son capitaine; sous le terrible feu ennemi, il court le ramasser, l'installe dans une brouette et le ramène à l'arrière.

Le lendemain, il est porté pour la médaille militaire et le galon de laine du caporal est remplacé par le galon doré du sergent.

A la Marne, à l'Yser, il se bat comme un lion... mais un éclat d'obus le met hors de combat.

Il est soigné dans une ambulance parisienne dont il est devenu l'enfant gâté.

Sa blessure? il ne s'en préoccupe guère. « Ça passera », dit-il. Sa gaieté est inaltérable.

« Mon sergent » passe le plus clair de son temps à croquer des bonbons et suce^ des oranges, car on le gâte, en attendant qu'il aille, derechef, conduire « ses hommes » au feu!

 

Le Galibot

Dans ce petit bonhomme à la figure et aux mains noires, cotte et bourgeron maculés de poussière de charbon, nul n'aurait soupçonné un petit brave dont le nom restera célèbre.

Son histoire, vous la connaissez peut-être, laissez-moi néanmoins vous la raconter à mon tour; on ne la racontera jamais assez pour l'honorer lui, en flétrissant l'Allemand.

Il n'a pas tout à fait quatorze ans, il s'appelle Emile Després. C'est un jeune « galibot », c'est-à-dire un manœuvre aidant au service des voies dans les galeries des houillères; il travaille dans les mines -de Lourches, à cinq ou six kilomètres de Valenciennes dans le département du Nord.

Fils de mineur, mineur lui-même, il se montrait satisfait de son sort, n'en connaissant point d'autre et puis, quelque dur que soit le métier de potion, la mine a pour le mineur une sorte d'attrait comparable à celui qu'éprouve le marin pour la mer.

Hélas! toutes ces régions du Nord devaient être affreusement bouleversées.

Dès le début de la guerre, les maudits casques à pointes y firent leur apparition et ce fut alors, à côté des déprédations et des horreurs commises, le spectacle des orgies de soldats teutons buvant et chantant à la lueur des incendies qu'ils avaient allumés; gris pour la plupart, ils titubaient à travers les ruines qu'ils avaient amoncelées.

Un jour que notre mineur rentrait au «coron », - on sait que ce mot désigne les cités bâties par les patrons mineurs pour leurs ouvriers, - il vit, gisant dans l'encoignure d'une pauvre maison, un sergent français grièvement blessé que malmenaient des soldats ivres, tandis qu'un lieutenant insultait grossièrement la maîtresse du logis compatissante, qui voulait soigner le blessé.

Malgré ses souffrances et malgré sa faiblesse celui-ci, exaspéré, put atteindre son revolver, puis se soulevant péniblement, il fit feu sur le lieutenant et le tua.

Ce fût alors une terrible ruée des soldats allemands sur le malheureux blessé qu'on traîna sur la petite place du pays où une quinzaine de mineurs étaient parqués attendant le moment de leur exécution... car ces malheureux allaient être fusillés.

Pourquoi?

Sans raison autre que le bon plaisir des barbares dont la joie est surtout excitée par la douleur des autres.

Deux par deux, les mineurs sont amenés devant le1 peloton d'exécution que commande gaiement un capitaine.

Les victimes tombent les unes après les autres; leurs pauvres corps déchiquetés, troués, forment maintenant sur la place une masse informe rouge et noire.

Par raffinement de barbarie et en attendant que vienne son tour, on a jeté le sergent blessé « en bonne place », de façon à ce qu'il ne perde rien des détails de l'exécution.

Le malheureux souffre horriblement, une fièvre intense l'altère affreusement: « A boire! », supplie-t-il, « à boire, je vous en prie »!...

Les bourreaux jubilent, lorsqu'un jeune garçon s'élance, un verre d'eau à la main.

Mais le capitaine l'a vu; d'une iourde calotte il repousse l'enfant et lui fait lâcher le verre; d'un coup de poing il le renverse et tandis que meurtri, il se relève: « Aussi fusillié », clame-t-il.

L'enfant est placé devant le peloton et là, les bras croisés, regardant bien en face ses ignobles bourreaux: « Allez! » dit-il...

Mais le capitaine n'ordonne pas le feu... Hésite-t-il devant l'ignominie qu'il va commettre?... Non! il veut l'augmenter encore et souriant il s'avance vers sa victime:

« Tiens! prends ce fusil, tues le sergent et je te fais grâce ».

« Donnez », répond le petit galibot.

Sans trembler, il s'empare de l'arme, épaule, vise bien le sergent... mais brusquement, il se retourne, face au capitaine, tire et le tue net...

Quelques secondes après, l'admirable petit mineur tombait à son tour criblé de balles.

 

Fritz, Le Petit Lorrain

IL s'appelle Fritz, il a onze ans. C'est un petit Lorrain espiègle resté sous la garde d'un de ses oncles, car son père est parti dès le premier jour de la mobilisation.

Ses jeux, jusqu'ici, avaient été ceux de tous les enfants "de son âge, les billes, la toupie, la marelle, que sais-je?

Depuis la guerre ces amusements-là ne sont plus à la mode; on joue maintenant au soldat, à la bataille; on s'escrime avec des sabres de bois, on tire avec des fusils en fer blanc; mais ce jeu-là amène de perpétuelles discussions: dans une bataille, même une bataille de gosses, il faut au moins deux camps, or, nul ne veut, même en jouant, être dans le camp boche, Fritz moins que tout autre, alors?..-. Alors, il avait été tout d'abord décidé qu'on tirerait à la courte-paille, mais voilà! Ceux qui avaient la malchance de tomber dans le camp allemand ne « voulaient plus rien savoir », boudaient ou lâchaient la partie.

Bref, c'était un dilemme dont on ne sortait pas.

Fritz eut alors une idée de génie:

« Voilà comme on va faire, dit-il, on va se mettre en deux camps et pour commencer on sera rien du tout, pas de Français et pas de Boches; on fera la bataille et ceux qui recevront la roulée ça sera les Prussiens!... »

La motion fut acceptée d'emblée, mais de ce jour la lutte devint terrible et, la bataille terminée, pas mal de combattants en sortaient les yeux pochés et des bosses au front, mais bast! Ça n'avait pas d'importance puisqu'on luttait pour rester Français!...

Pendant ce temps on se battait là-bas « pour de bon » et pour la même raison!

L'oncle de Fritz dut partir à son tour, mais Fritz ne veut pas rester seul au pays, il meurt d'envie de partir aussi.

Il n'en dit rien et ne souffla mot lorsqu'il entendit son oncle le recommander à un de ses voisins... il avait son idée.

Fritz, dès lors, guette le départ des soldats et, lorsque ceux-ci se mettent en route, il trouve le moyen de les suivre sans attirer l'attention puis, à la sortie du village, il se glisse adroitement dans leurs rangs.

On n'y prit garde tout d'abord, mais on finit par s'étonner de la présence de ce moutard en culotte courte, aux mollets nus; on l'interroge, il s'explique...

On est loin déjà, la nuit approche, on ne peut à présent le renvoyer.

L'enfant est gentil, intelligent et s'y prend si adroitement, qu'on finit par le garder «jusqu'à nouvel ordre », lui dit-on.

Mais Fritz ne l'entend pas ainsi; il saura bien s'arranger pour rester, aussi s'emploie- t-il à toutes les besognes, s'offre à toutes les corvées et bientôt devient l'enfant chéri du bataillon.

Maintenant, son grand désir est d'avoir l'air d'un soldat, il voudrait un sac, un « vrai ».

« Mais, petit crapaud, tu sais pas c'que ça pèse, un sac, lui dit un poilu, tu s'rais pas capable de le porter tant seulement cinq minutes! « Ah! eh bien donnez-m'en un, pour voir! »

Et on lui en donne un avec tout son chargement. On l'aide à passer les bretelles et crânement, le voilà parti.

C'est lourd, mais il ne cède pas; on veut l'aider, il se fâche. Et c'est le sac au dos, comme un vrai troupier, que ce gamin de onze ans est parti au combat et qu'il a assisté à toutes .les batailles de Lorraine, menant l'existence des tranchées, vivant de la vie du soldat.

Il voulait faire le coup de feu, il le fit.

La première fois, la secousse de l'arme faillit le jeter à la renverse, mais il ne s'émeut pas et bientôt s'habitue au maniement de l'arme.

Il tire, tire, tire tant qu'il peut.

Sans broncher, il voit les obus éclater autour de lui; beaucoup de ses grands camarades tombent, atteints par les éclats; il aide à se relever ceux qui ne sont pas trop grièvement touchés.

Fritz, en un mot, est devenu un vrai guerrier. Au cours d'une patrouille (il les suivait à peu près toutes), il avait remarqué, au bord d'une tranchée allemande, une série de fusils bien alignés, prêts à être épaulés.

Dès lors, il est hanté par l'idée de s'emparer de l'un d'eux et un matin, au petit jour, sans rien dire à personne, il quitte son abri. Grâce au brouillard il peut avancer sans être vu, gagne un buisson puis un autre, se dissimule derrière un tronçon d'arbre ébranché, déchiqueté par la mitraille et arrive enfin en rampant près de la taupinière où ronflent encore les soldats allemands... il se recroqueville, se fait le plus petit possible, se traîne sans bruit, tend le bras et atteint enfin par le canon une des armes convoitées qu'il attire à lui...

Par le même chemin, usant des mêmes précautions, il regagne, sa tranchée à lui, fier de montrer sa prise. On lui fait fête, on l'entoure, on l'embrasse.

« Ben! mon gosse, t'en as du culot pour ton âge, fait un soldat en le regardant ébahi.

Le succès rend audacieux, Fritz ne veut pas s'en tenir à ce premier succès...

Le lendemain matin, plus ébahis que jamais, ses « copains » de tranchée le virent réapparaître avec cinq mausers et leurs chargeurs.

« Quel culot, quel culot! »... recommence le yoldat dont cette exclamation exprime pour lui le superlatif de l'admiration.

« Et maintenant, dit Fritz joyeux, on va s'amuser, on va canarder les boches avec leurs flingots... et on les « canarda. »

Le soldat reconnaît le bruit de ses armes et le sifflement de ses projectiles; en recevant de leur propre mitraille, les Allemands ne pouvaient la supposer venir du camp ennemi, aussi, croyant à une méprise des leurs, ils levèrent les bras en l'air pour arrêter le feu qui, à leur grand émoi, continua de plus belle... Ces imbéciles n'y ont rien compris.

Mais Fritz n'était pas au bout de ses exploits.

Avoir pris des fusils, c'était bien; prendre leurs propriétaires, ce fut mieux!

Parti en patrouille avec un caporal (son protecteur qui fut blessé depuis et raconta l'histoire de son protégé), Fritz aperçoit auprès d'un talus une ombre qui se meut, il fait à peu près nuit, il faut savoir ce qu'est cette ombre. Notre petit gars grimpe silencieusement le long du talus... l'ombre se dessine, s'accentue, prend forme... c'est une sentinelle allemande, elle a entendu du bruit...

« Wer da? » crie-t-elle.

La réponse est un vigoureux coup de crosse que Fritz , s'élançant brusquement, lui a asséné sur le crâne... l'Allemand assommé tombe d'une pièce sans dire « ouf! »!

L'instant est pathétique...

L'éveil a-t-il été donné?...

De longues minutes s'écoulent... Rien ne bouge...

Les Allemands n'ont pas entendu et dorment dans leurs tanières.

Fritz court avertir sa section qui arrive en silence et surprend les « Kamarades » encore tout ensommeillés, les cueillent délicatement et les emmènent prisonniers.

On se figure aisément le succès qu'eût, au retour, notre petit héros.

Devant toute la compagnie, le capitaine lui donna l'affectueuse accolade... elle sera certainement suivie bientôt d'une autre récompense.

En attendant, maître Fritz continue tranquillement son rôle de « poilu ».

Quel culot! comme dit l'autre.

 

Le Volontaire de Neuilly-en-Thelle

C'était peu après la retraite de Charleroi alors que le généralissime combinait une éclatante revanche, celle que nous devions prendre bientôt par la glorieuse victoire de la Marne où l'Allemand fut, grâce à l'admirable conduite de nos troupes et à la brillante initiative de nos chefs, bousculé et mis en déroute.

Dans le courant des opérations préparatoires et tandis que les différents corps d'armée étaient dirigés vers des points désignés, un régiment d'infanterie passa à Neuilly-en-Thelle, village du département de l'Oise, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Senlis.

L'évacuation de Neuilly-en-Thelle avait été ordonnée et les habitants rassemblaient en hâte leurs ustensiles et les hardes qu'ils voulaient emporter.

Parmi eux, la mère Guédé et son fils André faisaient leurs préparatifs de départ.

Lorsqu'apparurent nos soldats, se disposant à faire halte au village, tous interrompirent leurs occupations our les fêter, les choyer de leur mieux.

Le jeune André, très enthousiaste malgré son jeune âge (il n'avait que 12 ans) allait, venait, courait de l'un à l'autre. La vue des uniformes le grisait, il tâtait les sacs, restait en extase devant les fusils.

Comme il s'était arrêté auprès d'un groupe de troupiers qu'il dévorait des yeux, tandis qu'eux dévoraient la croûte à pleines dents:

« Vous avez de la chance, vous autres d'être soldats, dit-il timidement.

« Tu crois ça, petit? »

« Sûr!... je^voudrais bien partir avec vous! »

« Eh bien! c'est dit.

Viens! on t'emmène, mon petit gars. »

« Vrai? »

« Vrai de vrai! »

Ce « vrai de vrai » avait été lancé en plaisantant, mais notre petit villageois l'avait pris tout-à-fait au sérieux.

Sans riposter il tourna les talons et courut à toutes jambes rejoindre sa mère.

« Mère, je veux partir avec les soldats. »

« Mais, tu es fou! »

« Non, maman, je t'en prie, laisse-moi les suivre. »

La brave femme crut-elle que son fils se contenterait de donner aux soldats quelques pas de conduite?... Je l'ignore, mais toujours est-il que le moutard leur emboîta le pas et disparut avec eux au tournant du chemin...

Il ne les quitta plus et, à la prochaine étape, écrivit à sa mère pour la tranquilliser.

André était un gentil petit bonhomme gai, plein d'entrain, à la figure franche et sympathique; il se fit aimer de tous.

Le lieutenant de la 10e compagnie (le lieutenant Grivelet) s'y intéressa, se l'attacha et trouva bientôt dans ce petit compagnon une affection et un dévouement sans bornes, qui eût bientôt l'occasion de se manifester.

Des actions d'éclat, André n'en fit point; il jugea que son devoir était avant tout de veiller sur son cher officier.

Avec lui, sans le quitter d'une semelle, il assista aux trois jours de combat de Bouillancy où simplement, tranquillement, il se conduisit en brave.

Sans broncher, en plein feu, il resta auprès du lieutenant sans se préoccuper des obus et des shrapnels qui éclataient autour de lui. La première fois qu'il entendit siffler les balles:

« On dirait des abeilles », dit-il simplement.

Aucune de ces abeilles ne le piqua, mais le troisième jour, le lieutenant Grivelet fut grièvement blessé.

Au travers de la mitraille qui tombait en ouragan, André se précipita vers lui, le débarrassa de son ceinturon, de son sabre et de son revolver, mit ses papiers en sûreté dans sa poche et sa sacoche en bandouillère, puis, le soutenant de son mieux, l'aida à gagner l'arrière.

Pour arriver à la gare d'évacuation, il fallut aller d'ambulance en ambulance... pendant trois heures l'enfant courut derrière la voiture qui transportait le blessé.

Arrivé à la gare, il réussit à 'se glisser dans le train sanitaire et arriva enfin (c'était le 10 septembre 1914), à l'hôpital de Riva Bella, en Calvados, où le lieutenant devait être soigné et où son jeune compagnon ne cessa de veiller à son chevet.

 

Courage Civique

Les actes de courage, si fréquents sur les champs . de bataille, ne sont pas les seuls qu'il nous faut admirer.

Le courage guerrier est superbe, à coup sûr; le courage civique ne l'est pas moins.

Certes, il faut de la bravoure, et beaucoup, pour affronter tous les dangers du champ de bataille, mais il en faut aussi pour heurter l'opinion et oser, malgré les risques à courir, dire hautement ce qu'on pense sans souci des répressions, souvent graves, qui peuvent en résulter. Ce courage, qui dénote une énergie peu commune, un jeune enfant de quinze ans en a donné un exemple assez rare:

Nous sommes en Alsace, non loin de Mulhouse, dans une école moyenne.

L'instituteur, un Allemand « de race », fait un discours patriotique où, naturellement, il vante la « Kultur » allemande, énumère les admirables qualités (bienveillance et droiture, sans doute) qui font le charme de l'aimable peuple germain et le placent en tête des nations???

Le discours se termine, bien entendu, par de plates louanges pour le plus noble des « Kaiser » et pour le plus ineffable des « Kronprinz » puis par un appel au « hoch, hoch, hoch » traditionnel que les élèves s'apprêtent à répéter, lorsque l'un d'eux, Karl Lamb, un Alsacien, se lève droit et crie à pleins poumons:

« Que le Kaiser crève! Moi, je suis pour les Français!... »

Un obus éclatant dans la classe n'aurait certes pas causé plus

d'émoi...

Immédiatement le moutard est bousculé, empoigné et arrêté.

Quelques jours après (le 7 mai pour préciser) l'enfant passait devant le conseil de guerre de Mulhouse et cet écolier de quinze ans fut, par les boches, lâchement condamné à deux mois de prison.

 

Petit Artilleur

Nous sommes dans un hameau tout proche de Lunéville. Tout en surveillant la rentrée à l'étable d'un troupeau de moutons, une campagnarde et un jeune garçon causent avec animation:

- « Non, s'écrie celui-ci, je ne peux plus rester, il faut que je parte!...

- « Partir, pourquoi?... Tu te trouves donc mal à la ferme, mon p'tit gars? Pourtant...

- « Oh! non, madame, interrompt le petit, vous êtes bonne pour moi et je vous aime bien, mais je veux faire comme papa, je veux me battre. ,

- « Te battre, à ton âge! Petiot comme tu es!...

- « J'ai dix-sept ans et je suis bien capable de me servir d'un fusil!... Qu'on m'en donne un, pour voir.

- « T'as dix-sept ans, c'est vrai, mais t'en parais à peine quatorze.

- « Possible! Mais je suis aussi fort que si j'en avais vingt!...

La fermière avait beau raisonner le petit bonhomme, celui-ci ne cédait pas et trouvait réponse à tout...

- « Enfin, conclut-elle en s'éloignant, ton père m'a chargée de veiller sur toi, je ne te laisserai pas partir. »

L'enfant, Aimé Agelot, avait en effet été laissé, par son père, aux soins d'une brave cultivatrice dans laquelle il avait toute confiance. Le père Agelot, contremaître dans une usine de Lunéville, était veuf et vivait seul avec son fils dans un village des environs lorsqu'éclata la guerre. Dès le premier jour de la mobilisation il dut rejoindre son corps comme sergent aux chasseurs à pied.

Il partait plein d'enthousiasme, troublé seulement par la pensée de quitter son cher enfant. Il ne reprit un peu de tranquillité que lorsqu'il l'eût remis aux mains de la digne femme, qu'il connaissait depuis longtemps, et du dévouement de laquelle il était assuré.

Aimé Agelot, ainsi que l'avait dit la fermière, ne paraissait pas son âge.

Petit blond aux yeux doux, il avait plutôt l'aspect d'une fillette que d'un garçon, mais sous son air timide se cachait une énergie que rien ne laissait deviner, et ce fût d'un ton très décidé qu'il témoigna son désir de troquer les outils de cultivateur - (on l'employait aux travaux des champs) - contre le fourniment du soldat.

Depuis le départ de son père, Aimé était devenu sombre et taciturne lui d'ordinaire rieur et plein d'entrain. - Une idée fixe le hantait: partir, aller se battre.

Quelques jours après la conversation que nous avons entendue, Aimé revint des champs tout gai, tout joyeux.

- « Quoi donc qui t'arrive, petiot, que te voilà si en train? lui dit la fermière étonnée.

- « Il m'arrive que j'ai vu des soldats et que c'est entendu... je pars avec eux!

Des batteries d'artillerie avaient fait halte au village; Aimé s'était faufilé à travers les canons, les caissons, les attelages, avait causé aux soldats et, d'un petit air candide, les avait si adroitement interrogés qu'il avait pu apprendre leur lieu de cantonnement.

Dès lors, sa résolution fut prise... le lendemain il partait les rejoindre malgré toutes les bonnes raisons qu'invoquait la fermière pour le retenir. - Voyant enfin que la décision de son petit protégé était irrévocable, elle dut céder. Après lui avoir bourré les poches de tout ce qu'elle jugea pouvoir lui être utile et lui avoir donné quelque argent, les larmes aux yeux, elle le vit s'éloigner.

Lorsque Aimé rejoignit le régiment, il alla droit à un lieutenant:

- « Monsieur le lieutenant, je viens m'engager, je voudrais partir avec vous!

L'officier fut quelque peu interloqué à cette demande inattendue du moutard, de ce « gosse » campé crânement devant lui.

Il sourit et se disposait à le renvoyer gentiment d'où il venait, lorsque l'enfant renouvela sa demande, insista tant et si bien que, le prenant par la main, le lieutenant le conduisit chez le commandant.

L'aspirant-soldat fit si bien qu'il obtint enfin de rester, mais, ajouta le commandant « à la condition que ton père, auquel je vais écrire, m'autorise à te gar-, der; tout dépend donc de sa réponse. »

Cette réponse fut admirable: « S'il est dans les idées de mon enfant de servir son pays, je l'approuve... Nous ne serons pas trop de deux dans la famille. Qu'il se batte. »

L'homme qui écrivait cela, le père Agelot, blessé deux fois, à la poitrine et à la jambe, venait d'être promu adjudant, puis peu après, avait reçu ses galons d'officier et gagné la médaille militaire.

« Bon sang ne peut mentir », dit un proverbe, celui d'Aimé Agelot ne mentit point.

Devenu l'enfant gâté, le « tout-petit » du régiment, on lui apprit tout ce qu'un soldat doit savoir. - Vite il connut le maniement de l'admirable 75; bientôt, il fut une des sentinelles préposées à la garde du canon.

Il sait à merveille se servir de son mousqueton. Il le prouve.

A Nomény, après un vif engagement, au moment où deux pièces, repérées par les Allemands, s'éloignent pour changer de position, un parti de uhlans apparaît, fonce au galop sur les canons dont Aimé Agelotest l'un des gardiens... sans hésiter, il se blottit entre les roues, face à l'ennemi, épaule son arme, vise, tire, tire, tire... trois cavaliers sont descendus, mais l'un d'eux a pu avant de tomber, octroyer un coup de sabre au jeune artilleur, blessure peu grave, heureusement, que lui-même panse hâtivement, puis il continue avec ses camarades, à soutenir la lutte jusqu'à l'arrivée d'un détachement français... Les pièces sont sauvées.

Partout, Aimé Agelot se conduisit en brave.

- « C'est pas un môme, c'est un vrai brisquard », disait de lui un ancien soldat réengagé.

Le fait est qu'Aimé a à son actif une série de combats digne d'un vieux brisquard: il fut aux combats de Cirey, Blamont, Badonvillers, Charmes, Rambervillers, etc.

Après la bataille de la Marne il est affecté à une batterie d'artillerie lourde, se bat dans l'Aisne, à Neuville-en-Rue; va en Belgique où, près de Dixmude, il reçoit dans le mollet un éclat d'obus. Aussitôt guéri, il rejoint son corps, est aux affaires de Ille- sur-Noye, de St-Léger, de Courcelles-aux-Bois où, pour la troisième fois, il est blessé.

Aimé Agelot a su non seulement combattre, mais aussi entreprendre de difficiles missions, se glissant, par exemple, tout près de lignes prussiennes pour donner à nos officiers de précieux renseignements.

Cité à l'ordre du jour de l'armée, l'enfant pense à la joie de son cher papa...

Hélas! on est sans nouvelles de lui, les lettres qu'on lui adresse restent sans réponse!....

Le généralissime ayant décidé le renvoi à l'arrière des tout jeunes gens, Aimé a dû quitter le front; il est maintenant sous l'égide d'un excellent officier, le lieutenant Boubée qui s'est pris pour lui d'affection et consacre tout le temps qu'il a de disponible à parfaire l'instruction générale de son jeune protégé: «Je n'ai pas d'enfant, dit-il, et si son père est tombé, j'adopte celui-ci et je l'emmène avec moi au Maroc. »

Le brave petit sera en bonnes mains, mais nous souhaitons pour lui que son valeureux père revienne bientôt l'embrasser.

 

Précoce Boulangère

Quel admirable exemple de courage,d'abnégation et de dévouement vient de donner cette fillette d'Exoudun (Deux-Sèvres), Marie Daniau, qui a entrepris une besogne au-dessus de ses forces pour sauvegarder d'une part la situation de son père, parti au front, et d'autre part, empêcher les habitants de son village et des environs de manquer de pain.

Depuis le départ de son père, boulanger du pays, le fournil est clos, le four éteint. Nul homme dans la contrée pour le rallumer, tous sont partis combattre.

Marie a assisté bien des fois à la confection du pain. A en juger par les « han » que poussait son père en soulevant la pâte dans le pétrin, la besogne doit être rude. N'importe.

Marie a entendu les doléances des villageois.

Un matin, dès patron-minet, elle réveille son frère, de quatre ans plus jeune qu'elle, descend avec lui au fournil, prépare la pâte qu'elle met dans le pétrin et de ses bras frêles, la manipule de son mieux. Quand elle la juge à point, tant bien que mal, elle modèle une miche.

Le four est allumé, la miche est enfournée..., peu à peu, elle se dore, la croûte se forme... Le pain est cuit!

Sa pâte est un peu lourde et la croûte un peu molle; l'aspect en est informe mais c'est un début et la fillette n'entend pas s'en tenir là.

Tenace et courageuse elle veut arriver à faire du bon pain, elle y arrivera coûte que coûte...

Elle y est arrivée.

Maintenant, la jeune boulangère et son petit frère, transformé en mitron, fournissent du pain à toute la région.

Ils font deux, parfois trois fournées par jour...

Quand le maire d'Exoudun vit réapparaître dans le pays ce pain, dont on avait presque eu le temps d'oublier le goût et la couleur, il s'informa, mais ne crût à sa provenance que quand il eût vu par lui-même les enfants au travail.

Le préfet fut informé et le président de la République, mis au courant, eut la bonne pensée de leur adresser une lettre de chaudes félicitations et des bijoux en guise de souvenir.

Si Marie Daniau et son frère ont bien « mérité de la Patrie » ils ont aussi bien mérité de leur prochain.

 

Le Bouvier de Pierrefitte

Ce petit bouvier de Pierrefitte qui, tout en surveillant les bestiaux dont il a la garde, chantonne, sifflotte, rêvasse et s'amuse à confectionner des pétoires n'a guère l'aspect combattif, - tout au plus, jusqu'ici, a-t-il échangé quelques taloches avec des camarades, bergers ou bouviers comme lui.

Mais voici que la guerre éclate et chez lui comme chez tant d'autres, une transformation s'opère.

Jusqu'ici, aux heures de repos ou aux repas pris en commun, on causait de bœufs et de moutons, de semailles et de récoltes.

Maintenant, on ne parle plus que de boches et d'austro-boches, de combats et de mitraille.

Tout change, les choses et les idées.

Gustave Châtain, (c'est le nom de notre jeune campagnard) au lieu de surveiller ses bœufs, voudrait à présent aller chasser les boches... et un beau jour, se trouvant à Senlis, il se met à la remorque d'un régiment d'Alpins et veut aller faire campagne avec'eux.

Il chercha d'abord à se rendre utile, se montra obligeant envers tous et empressé à faire les commissions de chacun.

Il obtint enfin un fusil, c'était son suprême désir.

De ce jour, ce moutard de 15 ans devint un vrai soldat sachant faire le coup de feu et piquer sa baïonnette aux bons endroits.

Il se distingua particulièrement à la bataille de l'Aisne où, au cours d'un violent engagement, il reçut une balle dans l'épaule droite.

Sa blessure, ne le tracasse que parce qu'elle jl'empêche momentanément de retourner au feu.

Cité à l'ordre du jour du 13me Corps, Gustave Châtain a en outre reçu la croix de guerre, mais il prétend qu'il ne la portera fièrement que lorsqu'il aura tenu le serment qu'il s'est fait à lui-même: Venger son capitaine et son colonel qui ont été si bons pour lui, l'ont si bien accueilli et sont tombés tous deux hélas, mortellement frappés.

Dès que le petit soldat sera guéri, soyez certains qu'il tiendra sa parole... si ce n'est déjà fait!

 

Vaillante Italienne

Sur la terrasse d'une de ces charmantes maisons italiennes, toute picotée de fleurs, aux colonnettes enguirlandées de vignes et de plantes grimpantes, une jeune fille, presqu'une fillette, est accoudée à la balustrade.

Elle regarde attentivement au loin, paraît émue et angoissée...

C'est qu'elle suit les péripéties d'un assaut donné par des troupes italiennes, massées à la gare d'Ala, aux soldats autrichiens retranchés un peu plus loin.

La bataille est acharnée.

Toute palpitante, la jeune fille, Maria Abriani, en attend anxieusement l'issue, lorsque, tout à coup, elle a l'intuition que de sa demeure et des jardins environnants les assaillants, ses compatriotes, pourraient tourner l'ennemi et le mettre en déroute...

Pas une minute elle n'hésite, s'élance vers l'escalier qu'elle descend quatre à quatre et, bravant le feu, feu croisé qui double le danger, elle court vers une compagnie de chasseurs alpins...

Tout essouflée, elle explique au capitaine la tactique qu'elle vient d'entrevoir et

le décide à la suivre ainsi que ses soldats. De l'escalier de sa terrasse elle lui fait voir les endroits propices à l'exécution du plan qu'elle a subitement conçu, puis guide les soldats au sommet des jardins d'où ils se mettent aussitôt en demeure de fusiller l'ennemi... elle assiste au combat.

L'officier veut la renvoyer, tout au moins la mettre à l'abri... Elle ne veut céder à aucun prix...

« Et les blessés? » dit-elle simplement.

Car des hommes sont tombés déjà et la jeune fille s'empresse autour d'eux, leur donnant à boire, les soignant de son mieux, les réconfortant de son délicieux sourire...

Les Autrichiens, surpris par une attaque imprévue partant d'un point où ils ne pouvaient soupçonner la présence de l'ennemi, durent reculer, puis battre en retraite...

Aux cris de « Ev-viva Vltalia » la ville d'Ala était prise, conquise par un gracieux stratégiste portant cotillon et corsage dont la plus précieuse garniture est à présent la médaille ad valorem que le roi d'Italie lui a décernée et qui lui a été remise solennellement comme à un soldat.

 

 

l'Héroïne de Loos

voir aussi Emilienne Moreau - the Lady of Loos / Mes Memoires

La croix de guerre vient d'être décernée - elle ne le fut jamais mieux - à une délicieuse jeune fille de Loos (Nord), une blonde aux yeux très doux.

L'héroïne se nomme Emilienne Moreau.

Elle habitait avec ses parents et terminait ses études pour être institutrice, lorsqu'éclata la guerre.

Bientôt les troupes ennemies s'établirent dans le village... elles y restèrent un an.

De conduite exemplaire, très digne, très calme, mais résolument énergique malgré son air plutôt timide, la jeune fille sut imposer le respect à des bandits, qui d'ordinaire, ne respectent rien ni personne. Elle ne cessa d'être la sauvegarde des siens - sa mère, sa sœur et son jeune frère - tout en veillant son père très gravement malade et qui ne tarda pas à succomber.

Ce fut Mlle Moreau qui l'ensevelit et qui, aidée de son frère (un bambin de dix ans) dut confectionner le cercueil avec du bois pris dans les lignes allemandes..., il ne restait dans le village, ni bois, ni menuisier.

Lorsqu'enfin on entendit au loin, l'approche de nos alliés, les Anglais, un peu d'espoir revint.

La jeune fille les guetta puis, lorsqu'elle les vit pénétrer dans le village, elle s'élança vers eux au mépris de la mitraille qui tombait en averse.

Deux Allemands viennent vers elle, la baïonnette en avant, la visant à la poitrine... elle les attend de pied ferme et lorsqu'ils sont tout proches, les abat avec le revolver d'ordonnance d'un officier anglais. Plus loin, trois autres boches, lâchement terrés dans une cave tirent sur le poste britannique... à coups de grenades, elle les tue tous les trois... Et de cinq!!

Puis, elle court aux alliés blessés, leur prodigue ses soins jusqu'à la venue des médecins militaires... Ceux-ci arrivent enfin, précédant des troupes de « highlanders » qui font leur apparition en chantant le God Save the King à pleins poumons.

Lorsqu'ils en sont à la dernière strophe de leur hymne national, Emilienne Moreau, campée devant eux, entonne d'une voix claire et sonore, notre chant national à nous: la Marseillaise aussitôt reprise en chœur par tous.

Héroïne!... le titre est bien mérité comme la croix qui le consacre!

 

Et Bien d'Autres Encore!...

Si l'odieuse guerre déchaînée par des gredins prouve, une fois de plus,l'ignominie de la race boche, fourbe, lâche et féroce, elle prouve en revanche la noblesse de caractère et les sentiments chevaleresques de la race gauloise.

Aussi eussions-nous voulu pouvoir narrer tout au long les exploits accomplis par notre « vaillante jeunesse » mais, si nombreux sont ces exploits, si nombreux ces jeunes, tant de vaillance est par eux dépensée, qu'il a fallu - n'ayant point assez de pages à notre disposition - nous contenter de dire la véridique histoire de quelques- lins et de raconter succinctement celle de quelques autres...

En tête de notre nomenclature, citons le petit hussard, - ainsi que le nomme Pierre Eoti dans un article ému - MAX BARTHOU, fils de l'ancien président du Conseil, qui voulant partir au front, disait à son père: « Etre le fils de l'un des promoteurs de la loi de trois ans, cela me met dans l'obligation d'en faire au moins trois fois plus que les autres »...

Hélas! à peine arrivé à Thann, il fut massacré par un paquet de mitraille envoyé dans l'inoffensive localité par les bandits qui font le mal pour le mal.

Pauvre enfant! Pauvre père!

MAURICE CLAUDE, jeune Eorrain de quinze ans, affreusement blessé trois fois par les Allemands, lorsque ceux-ci entrèrent à Domèvre, fut transporté à l'ambulance du château. Un colonel allemand, une brute, qui après avoir fait tirer sur l'enfant faisait mine de le plaindre, lui demanda en passant devant son lit:

« Eh bien « mon ami » vous ne souffrez plus?

Se détournant péniblement, l'enfant le souffleta de cette réponse: « Je n'ai jamais souffert, je meurs pour mon pays... Vive la France!... Ce furent les dernières paroles du pauvre petit, victime comme combien d'autres, hélas! de la férocité boche.

EMILE BIGARRÉ, un adolescent dont les états de services portent: Deux mois de campagne, une blessure. Il a hâte qu'elle soit guérie parce que, dit-il, « on m'attend sur le front! »

CAMILLE EOVIGNY (de Longuyon). Agé d'une quinzaine d'années, a voulu se venger des ignobles gredins qui l'avaient, « pour s'amuser » attaché à un arbre isolé où il resta deux jours. Délivré enfin par un officier de hussards, passant en éclaireur, il s'est engagé, se bat avec la plus grande bravoure et fait payer cher aux Boches, leur ignominie bête et féroce.

AUGUSTE BOUQUIN (élève du pensionnat de Bourges) s'engage à dix-huit ans dans les chasseurs à cheval. Au feu, il se conduit en héros, on veut le grader, il refuse; préfère (( abattre des Boches, comme simple soldat ».. Hélas! seul de sa compagnie, il fut tué aux environs d'Arras d'une balle en plein front.

MATHIEU MARCEE, de Varangéville enrôlé à dix-sept ans, à la 7e compagnie d'un bataillon de chasseurs à pied, s'est conduit en héros, allant ramasser les blessés en plein feu, sauvant une de nos mitrailleuses des mains allemandes, partant avec les éclaireurs et le jour et la nuit. Partout le jeune chasseur s'est montré des plus braves. Dans un assaut de nuit des plus violents où il était parmi les premiers, il fut tué d'une balle au front...

Puisse sa mort glorieuse être une consolation à votre chagrin », écrivait son lieutenant en annonçant la mort à ses parents... Nous le souhaitons du fond du cœur.

JACQUES KERVYN DE LETTËNHOVE, dont le père était un des membres du cabinet belge lors de l'arrivée des Allemands et dont la conduite fut si noble et si courageuse, - s'était engagé au 3e lanciers belges, fut tué d'une balle à la tête alors que, au cours d'une reconnaissance, il a fournit à lui seul avec une audacieuse bravoure, la pointe avancée. Il avait dix-neuf ans.

ANDRÉ LANGE. A l'âge de seize ans, est parti au front avec un régiment de ligne et prit part avec lui à divers engagements. Tua un Allemand d'un coup de baïonnette, mais se dévoua surtout pour aller chercher les blessés sous le feu de l'ennemi et les ramener dans une brouette; il sauva ainsi son capitaine.

JOSEPH LAUZONNE (de l'Hérault), âgé de seize ans, nommé caporal pour sa vaillante conduite fut, pour la même raison porté pour le grade de sergent... il n'en porta pas les galons, parce que, parti au front à l'insu des siens, il fut recherché et dut rentrer chez lui... Il espère obtenir la permission de repartir.

GILBERT BAYON (de Courcy près de Reims), a quinze ans, c'est le plus jeune artilleur de France. Orphelin de mère, son père parti au front comme engagé volontaire suivit les troupes en Belgique, prit part à la retraite de Charleroi. Confié au 7e d'artillerie, il fut cycliste, observateur en ballon et pointeur. Il fait maintenant à Rennes, son instruction militaire.

HENRI DEROMBIER (Saint-Nicolas près Arras), soigné dans une ambulance parisienne est vraisemblablement le plus jeune blessé de France; il n'a pas tout à fait treize ans. S'est distingué comme ambulancier pendant le bombardement d'Arras où il fut atteint par un éclat d'obus en soignant des blessés.

FERNAND COLIN (de Badonviller), quatorze ans. Son père mobilisé, il se trouvait seul à Montigny (village des environs), lorsque les Allemands franchirent la frontière. A toute force il voulait rejoindre sa mère, pour la soutenir et la consoler. Il fit des kilomètres sans nombre et des détours nombreux pour y arriver, mais partout arrêté par les sentinelles allemandes, il échoua à Rambervillers, mort de faim et de fatigue. Recueilli par le 92e territorial, il est l'enfant adoptif du régiment, et se conduit comme un vrai petit soldat, prend la garde avec la compagnie, va aux tranchées, porte la soupe , est planton, estafette, vaguemestre, mais n'a qu'une ambition: Il veut aller au feu... et il ira.

EMILE BRANTE a quinze ans et demi. Son père étant mobilisé, il voulut partir aussi et réussit à se cacher dans un des wagons d'un train qui, de Toulon amenait à Paris des fusiliers marins. En route, il se démasqua et se montra si aimable, si obligeant, si « débrouillard » qu'il devint l'enfant de nos braves mathurins. On l'habilla, on l'équipa et le voilà fusilier marin en miniature. Le régiment va partir au front, Emile Brante écrit à son père des lettres pressantes et pleines de cœur pour obtenir l'autorisation d'y partir avec eux... il compte bien y parvenir, car « il veut avoir la peau de quelques Boches! »

OLIVIER LE BASTARD, petit Parisien fut glorieusement tué dès les premiers combats. Il tomba le 29 août, alors que, le premier de sa section, il s'élança hors d'un petit ravin où elle était abritée contre les balles, entraînant ainsi tous ses camarades qui avaient tout d'abord hésité... Il fut, hélas! victime de sa bravoure, lui aussi.

MARTIN CHRISTIAN (de Divion, Pas-de-Calais) est un petit bonhomme de dix ans qui a voulu absolument « défendre son pays », son trop jeune âge ne lui permettant pas de combattre, il a cherché à se rendre utile autrement et depuis juillet, il est au front avec les soldats, aidant à la cuisine roulante, allant aux tranchées et aux boyaux aider au ravitaillement.

JEAN SCHOENLAUB, petit Alsacien de quatorze ans apprend que son père, capitaine, a été tué.

Calme en apparence, il ne dit rien, mais quelques jours après, il enfourche sa bicyclette et laisse dans sa chambre ce simple billet: « Je suis trop malheureux, je vais venger papa! »

Parti, sans trop savoir où, - ceci n'est point inventé à plaisir - il rencontre l'ordonnance de sou père qui l'emmène auprès des anciens camarades de celui-ci; - on devine l'accueil qui lui fut fait, mais vu sou jeune âge, on dut le renvoyer. - Pour calmer son désespoir, le colonel lui dit: « Va petit, nous vengerons ton père pour toi. »

JOSEPH SOUTELET (Neuilly-sur-Seine près Paris). Dix-sept ans veut s'engager. Au bureau de recrutement, on le refuse comme étant trop jeune. Il part pour Reims, se procure un uniforme et arrive à se mêler aux soldats et va faire le coup de feu avec eux, A la ferme de Ja Vauzelles, il prend part à un assaut à la baïonnette, embroche un Boche et rapporte sa capote comme trophée... Mais les officiers le remarquent, l'interrogent... il est forcé d'avouer sa fugue. Il est ramené à Neuilly, après avoir été au commissariat de Pantin où, paternellement on le gronda tout en le félicitant... Mais il doit rentrer chez lui. Il y rentre, mais compte repartir prochainement, dès qu'il aura l'âge réglementaire. Cette fois ce sera (( pour de bon! »

GASTON HUET, apprenti typographe à Fontainebleau, âgé de quinze ans, voulut à toute force suivre le 46e d'infanterie qui, de Fontainebleau, allait au front; il y fut avec eux, assista à tous leurs combats, mais, hélas! le 18 janvier 1915, le vaillant enfant fut mortellement frappé par un éclat d'obus... Honneur à lui!...

ROGER GSELL est un autre petit héros qui paya de sa vie sa courageuse conduite.

Né à Périgueux, il avait dix-sept ans. Fils d'Alsaciens ayant opté pour la France, il s'engagea au 53e d'infanterie, se battit en Belgique, sur la Marne, sur l'Yser.

Porté à l'ordre du jour de l'armée, il fut gravement blessé à Dixmude, si gravement, hélas! qu'il ne put se guérir. Le 8 janvier 1915, après deux mois de souffrances, il mourut en chantant la Marseillaise... Pauvre cher petit!

CHRISTIAN DE JONCHOY, petit-fils du général de Sonis, ne pouvant, vu son jeune âge, il n'a que quatorze ans et demi, s'engager dans les rangs français a pris du service dans un corps de goumiers, où il se conduisit avec une remarquable bravoure.

CARLOS SCHOUTEN, élève à l'Ecole des Pupilles de l'Armée belge s'est engagé au moment de la guerre avec beaucoup de ses camarades. Sa belle conduite lui a valu malgré sou jeune âge, les galons de caporal-fourrier.

Hommage en terminant à ces petits bonshommes enrégimentés qu'on appelle « Boys-Scouts ». Ils rendent bien des services, ces petits. Remplaçant, dans bien des cas, leurs aînés, partis au feu, ils remplissent des missions souvent difficiles et fatigantes, parfois très périlleuses: gardiens de voies, éclaireurs, cyclistes, porteurs de dépêches, ambulanciers... que sais-je?

Bast! c'est pour la France, ils y vont carrément. On l'a vu dans les narrations qui précèdent, on le verra encore dans celle qui suit:

A la mobilisation, la Société des Boys-Scouts de la ville de Vichy, pour obvier au manque des services de chemin de fer avait organisé un service postal de nuit pour la transmission du courrier entre Saint-Germain-des-Fossés et Vichy.

Fes jeunes boys-scouts accomplissaient avec joie cette mission de confiance et n'avaient aucune crainte, malgré leur jeune âge des risques qu'ils courraient ainsi sur les grandes routes: leur joie s'augmentait de la fierté de partager une responsabilité et d'accomplir une mission officielle.

Pour la sauvegarde de ces petits boys-scouts la municipalité leur avait confié un sifflet et un revolver pour appeler à l'aide en cas d'attaque; ils avaient même le droit de se défendre avec l'arme si leur vie ou le courrier étaient menacés.

Ces jeunes enfants se sont montrés dignes de la confiance qu'on leur avait témoignée en leur confiant une arme et en leur permettant de « partager, comme ils disaient eux-mêmes, les risques que couraient leurs aînés et se rapprocher ainsi d'eux. »

BRAVO LES JEUNES!!!

 

Back to French Articles

Back to Introduction