de la revue 'l'Image de la Guerre' No. 45, septembre 1915
'En Arrière des Lignes Alliées'

Les Cimetieres de Gallipoli

 

Notes et Impressions d'un Soldat

Nous les connaissons par Loti et par Farrère, les cimetières d'Orient: lieux de recueillement où les tombes reposent sous le bercement des grands cyprès cen- tenaires, où l'herbe et les feuilles poussent en liberté - promenades où les enfants viennent jouer et où se rencontrent les amoureux; sanctuaires divins où la paix des morts éternise la joie des vivants et où la joie des vivants égayé la paix des morts...

Nous les avons trouvés presque tels quels. A peu près tout, ici, a été démoli: par le bombardement d'abord, par les Turcs aussi, qui, en se retirant, ont pris tout ce qu'ils pouvaient emporter. De Seddul-Bahr - le roi de la mer - il ne demeure que quelques pans de murs qui se dressent vers le ciel bleu. Mais les morts sont restés; les Turcs ont respecté leurs cimetières, les Français aussi i les obus même les ont rarement atteints et seuls quelques éclats de schrapnels ont, par endroits, endommagé leurs demeures.

Pourtant, les cimetières sont nombreux, on en trouve partout; il y en a à l'intérieur de Seddul-Bahr; plus loin, près de la plage; enfin, ils s'égrènent tout au long de la route qui monte du camp aux tranchées.

Presque toujours, ils ont le plus bel emplacement qui pût leur être donné. Y a-t-il dans la campagne quelque joli bois de cyprès, y a-t-il quelque groupe touffu de figuiers, soyez presque sûrs que vous y trouverez quatre, cinq, six tombes. Aux morts la meilleure demeure. Celles des pauvres sont très simples: à peine une pierre, sans inscription j l'herbe la recouvre bientôt. Les riches ont des plaques de marbre: dessus, de longs commentaires, en caractères artistement ornés; et, surmontant le tout, une sorte de turban de pierre.

C'est sur ces tombes que les habitants du village devaient aimer se réunir, en cercle; en face des montagnes bleues de la côte d'Asie, sur le ciel clair, dominant la mer étincelante, dans ce paysage de beauté, ils venaient causer, le soir, insoucieux des folies de leur gouvernants - et calmes, ignorants des catastrophes qui attendaient leur pays, ils goûtaient par avance la félicité du paradis, au milieu des fumées odorantes du divin narghilé...

Maintenant, toute la population a fui devant le «roumi», vieillards, femmes, enfants. Les seuls Turcs à Seddul-Bahr sont des prisonniers, à l'air minable, qui travaillent à des corvées sous l'œil paternel de nos territoriaux ou le regard narquois des gendarmes grecs volontaires. - II n'y a que des soldats français qui approchent les morts ottomans. Mais leurs tombes, immobiles regardent toujours vers la Mecque.

Les cimetières turcs, hélas! ne sont pas les seuls dans la presqu'île. Des milliers d'entre nous - et combien aussi de nos frères d'armes Anglais! - dorment sur cette terre. A Seddul-Bahr, a côté du cimetière turc, séparé seulement par un (il de fer, s'étend le cimetière français.

La plupart de nos morts, malheureusement, ne sont pas là. Ceux qui sont tués dans les tranchées ou à l'assaut restent d'ordinaire là où ils sont tombés. Il serait impossible de les recueillir, les transporter et les inhumer individuellement. On cherche à les identifier, pour prévenir leurs familles. On rassemble les corps: « un peu de terre sur la tête et en voilà pour jamais. » Pas de cérémonie, pas d'aumônier; rien. Cette procédure sommaire trouble un peu les habitudes traditionnelles de nos soldats. La plupart, pourtant, arrivent à en comprendre la nécessité et beaucoup sentent, bien confusément, que leur Âme purifiée par le sacrifice saura d'elle-même, sans les secours extérieurs de la religion des hommes, monter jusque dans les lieux très hauts, où elle vivra une vie bienheureuse, dans la paix éternelle.

Le cimetière français de Seddul-Bahr n'est pas grand. A droite, ce sont les tombes des soldats: un léger tertre; dessus, une croix de bois toute simple, sur la croix un nom, un numéro matricule avec l'indication du régiment, le lieu de naissance, la date de la naissance, celle de la mort. C'est tout, et c'est assez.

J'ai regardé ces tombes une à une. Il y a là des Méridionaux, des Parisiens, des Bretons, des habitants du Nord; sur ce petit espace de la terre d'Orient voisinent tous les pays de la France.

Parfois sur un même tertre se dressent deux croix, deux frères d'armes sans doute qui reposent ensemble; ils étaient du même village; toujours de patrouille tous deux: toujours volontaires ensemble; ils ont chargé côte à côte et côte à côte ils sont morts. Maintenant leurs corps sont unis dans la tombe comme leurs âmes fraternelles communient dans l'éternité.

Notre cimetière de Seddul-Bahr n'est pas le seul. De même que les Turcs, nos cimetières s'égrènent à travers toute la campagne. Il n'est pas rare, dans un endroit un peu écarté, sous un arbre, d'apercevoir une croix surmontant un tertre; parfois la croix est faite de deux morceaux de bois réunis par un morceau de ficelle. Mais jamais elle ne manque. Souvent, un képi la surmonte, tout blanchi par la poussière! Et s'il n'y a pas de nom sur la croix, le soldat qui passe sait pourtant que c'est un braVe qui est mort là.

Sur la route, non loin d'une ferme qui porte le nom d'un de nos commandants, près d'un bois de pins, au sommet d'un promontoire qui s'avance dans les détroits, il y a un petit cimetière français.

Les tombes s'alignent, face à l'Asie. Elles regardent un tumulus, à côté d'un fort turc: on dit que c'est le tombeau d'Achille. L'air est frais, la brise marine souffle continuelle- ment. Entre les tombes poussent quelques fleurs sauvages.

S'il faut s'endormir ici du dernier sommeil, il me semble que c'est là qu'il doit faire bon être, au milieu des tombes françaises sur la terre ottomane, et reposer, bercé par le chant éternel des vagues, au souffle léger de la brise...

Presqu'île de Gallipoli, août.

H. A.

 

de la revue 'l'Image de la Guerre' No. 47, octobre 1915
'Lettre d'un Soldat Français
aux Dardanelles'

Des Combats à Gallipoli

 

 

Août 1915

« Je pense que tu as reçu ma dernière lettre de l'île de Ténédos, dans laquelle je parlais de nos dix jours de repos.

Dans la nuit du 21 au 22 nous repartions pour Gallipoli.

Nous nous arrêtons à la pointe du jour; la côte d'Asie qui est à 7 km. nous apparaît et e est la danse qui commence.

Des marmites de 39 cm. de diamètre et de 80 cm. de long nous tombent sur le poil. Nous voilà en tirailleurs, utilisant les moindres plis du terrain. Nous faisons 4 km. dans cette formation et arrivons derrière une colline pu nous sommes en sûreté. Jusque-là nous n'avons que quelques morts et blessés à déplorer.

De là nous repartons pour les premières lignes, ce qui fait encore 4 km.

Pendant notre séjour à Ténédos, les nôtres avaient progressé, de sorte que par endroits, nous étions près des Turcs.

C'est à nous qu'il échoit d'occuper la plus mauvaise place. Ma compagnie est dans la tranchée la plus avancée; un lieutenant et vingt hommes sont détachés pour occuper un pelit boyau isolé qui sert de poste d'écoute, le lais partie de ce groupe. Notre situation, certes, n'a rien d enviable: devant nous les Turcs, à droite les Turcs, à gauche les Turcs, juste un petit passage pour communiquer avec les nôtres; derrière nous la mer!

Pendant la journée et la nuil qui suivit, rien de spécial . Le lendemain, les avions allemands nous lancent des proclamations dans lesquelles ils annoncent avoir reçu 100,000 hommes de renforts et que nous devons nous rendre si nous ne voulons pas être jetés à la mer.

Dans la nuit du 23 au 24, la lune venait de se cacher, je pars volontaire en reconnaissance. Une heure après, je reviens avec de bons renseignements. Mais c'est fatigant de ramper comme les serpents...

Le 24, les Turcs essaient de nous attaquer, mais nous les refoulons partout avec perte et fracas.

Le 25 au matin, ça change de note:

Les Turcs nous avaient aperçus, je ne sais comment, et ils faisaient irruption dans un boyau transversal et commençaient à nous lancer des bombes. De notre tranchée nous étions mal placés pour leur donner la réplique. Il n y avait qu un moyen de les arrêter, c'était qu'un homme se transportât immédiatement dans une tranchée qui allait dans leur direction, de s arrêter à une courbe où le feu d enfilade de l'ennemi était moins violent, et de là leur lancer des grenades pour les faire déguerpir. Ce qui rendait cette mission plus dangereuse encore, c'était que cette tranchée avait été aménagée par nous de façon à tendre un piège aux Turcs: elle était remplie de fil de fer barbelé. Impossible de se sauver si l'ennemi y arrivait.

Le lieutenant nous rassembla et demanda s il y avait un brave pour sauver la situation. Sans être plus brave qu'un autre, ce fut moi le volontaire.

Je m'embarque dans la tranchée, sans fusil ni cartouches, mais avec une provision de vingt grenades. J oublie de dire que la tranchée était pleine de cadavres turcs. Je marchais dessus. Par endroits, la tranchée n'étant pas assez liante, j'étais forcé, car il faisait jour, de me traîner dessus. Ca me répugne encore à l'heure actuelle! C'est un spectacle horrible!

Une fois arrivé, je commence à faire danser ces messieurs qui ne voulaient pas rester tranquilles. Malgré le danger qui me menaçait, j ai eu le sourire pendant cinq minutes. J'entendais hurler ceux qui étaient touchés. Chaque grenade faisait ses victimes.

Pour mon compte, je ne tenais qu'à un fil, on m'avait aperçu de la droite et les balles commençaient à pleuvoir.

Malheureusement ce petit jeu ne devait pas durci, car j'étais bientôt louché. Il me restait encore quatre grenades et je ne voulus pas partir avant de les avoir lancées. Je rassemblais mes forces et j'épuisais le restant de mes munitions. Je perdais mon sang a flots et je ne pouvais plus remuer ma jambe. Il me iallut me traîner sur les cadavres pour retourner vers les camarades. Je souffrais, une sueur froide perlait sur mon front. Enfin j'arrivai, le lieutenant vint a moi et me lefra affectueusement la main, me disant qu'il me citerait au général.

Les Turcs attaquaient toujours, aussi je dus me traîner encore jusqu'au lieu où les brancardiers vinrent me chercher. On m'emmena nu poste de secours, de là à l'hôpital de campagne où je fus charcuté. Ma blessure? À l'entrée, le trou est gros comme une noix, à la sortie on y passerait presque le poing. L'os est légèrement touché, mais pas cassé. En revanche, les nerfs et les muscles ont été tranchés. Le pied est enflé et mort, impossible d articuler les doigts... J'ai encore an éclat métallique dans un muscle, mais je crois qu'on ne I'enlèvera pas. Actuellement, j'ai un caoutchouc qui facilite les écoulements. De l'hôpital de campagne on ma transporté sur le navire-hôpital et cinq jours après je débarquais à Toulon.

Des blessés récemment arrivés des Dardanelles m'ont appris que ceux qui étaient avec moi dans la tranchée ont été massacrés jusqu'au dernier. Le lieutenant était criblé de balles. Ainsi, en voulant exposer ma vie, je l'ai sauvée...

 

de la revue 'l'Image de la Guerre' No. 55, novembre 1915
'La Lutte se Poursuit'

Episode des Combats dans le Presqu'île de Gallipoli

artillerie française à Gallipoli

« Nous nous divisions en deux équipes, les francs-tireurs, les grenadiers, tous volontaires.

La nuit venue, les francs-tireurs partent en patrouille; ils ont à reconnaître le terrain, l'étudier, ils cherchent où sont les bons endroits pour tirer.

Nous, pendant ce temps, on attend. Ça, c'est toujours ce qui m'a paru le plus long. On écoute les bruits: une balle, si c'est dans leur direction... Des fois, on pense à des choses, aux vieux, là-bas. Quand on le peut, le mieux, c'est de « roupiller ». Un bon « roupillon », n'est-ce pas? c'est toujours autant de pris sur les Turcs?

Les patrouilleurs rentrent. Ils nous disent le terrain par où l'on doit passer. Nous nous en allons et alors ça devient intéressant.

C'est d'habitude minuit, le moment le plus noir de la nuit. On monte doucement la petite échelle qui mène au haut du parapet, on l'enjambe en s'allongeant tant qu'on peut, on passe par dessus les fils de fer qui protègent notre tranchée, et sans bruit, car pour peu que les fils crient, voilà les Turcs qui tirent, il faut rentrer dans notre tranchée et tout est à recommencer.

Les fils franchis, on respire un peu; on est dans la campagne; on est deux portant chacun une musette pleine d'une quinzaine de grenades.

La tranchée turque est à cinquante mètres à peu près: c'est cet espace qu'il faut parcourir sans un mouvement, sans un bruit qui puissent donner l'alerte au guetteur qui veille au créneau d'en face. Qu'il voie la moindre chose, et ce sont des feux de salve: ra ra ra - et le grenadier a son compte vite réglé!

Pour faire ces cinquante mètres, c'est une heure, deux heures souvent que nous mettons. On s'allonge à plat ventre, on rampe sur les coudes. Diable de pays! Ce n'est pas comme chez nous: il n'y a rien ici où s'abriter, pas un arbre, pas une herbe. Il faut se confondre avec la terre et avancer presque sans bouger!

Tout doucement, tout lentement, on va. Et puis paf 1 une émotion: une fusée coupe le ciel et brille, brille. Il vous semble qu'ils ne peuvent pas ne pas vous avoir vus. On s'arrête, on ne remue plus, on fait le cadavre, parfois pendant des heures. Et puis, quand le guetteur est relevé, tout doucement on recommence à vivre, on avance encore un peu.

Et c'est la pierre qu'on heurte et qui roule comme un tonnerre; c'est une branche sèche où l'on marche qui se casse avec un bruit sec comme un coup de fusil. Tout à coup quelque chose bouge là-bas; on reste immobile, on retient son souffle. Ce n'est qu'un rat qui vient de passer en courant. Il y a aussi la lune. Drôle de lune! On la croirait turque, des (ois. Elle est bien cachée par de gros nuages, on se croit tout à fait tranquille et la voilà qui brille, qui brille pire qu'une lampe électrique. Ah! elle nous fait passer par de rudes moments!

Enfin, on est à quinze mètres de la tranchée turque. Dans la nuit toute calme, on écoute; on distingue des ordres brefs, on les entend qui piaillent en leur charabia. C'est un bon moment dont je jouis toujours une seconde. Dire qu'ils sont là, sans souci, ne se doutant de rien! On les tient. On va rire.

Je plonge ma main dans ma « musette », je me lève à demi, je donne un tour de clef au détonateur de la grenade, et je tire, je tire. Les coups éclatent. Des hommes se sauvent, des choses volent en l'air, et ça crie et ça court dans tous les sens. Je tire, je tire toujours.

Ce ne sont pas de mauvais soldats que les Turcs! Eh bien! rien ne leur fait autant peur que mes petites grenades!

Enfin, la « musette » est vide; la distribution est faite.

C'est le moment de décamper, et de filer, toujours courbé, jusqu'à notre tranchée ».

H. A.

 

de la revue 'l'Image de la Guerre' No. 58, decembre 1915
'Jour des Morts a Gallipoli'

Notes et Impressions d'un Soldat

 

Presqu'île de Gallipoli, 1e novembre

C'est aujourd'hui la Toussaint, demain le Jour des Morts. Mais à la guerre, on n'a pas le loisir de célébrer deux fêtes à deux jours qui se suivent. C'est pourquoi, par une entente tacite, repos nous est accordé ce dimanche et nous allons fêter en même temps et les saints et les morts.

J'ai pu descendre des tranchées. J'ai traversé le nouveau camp: depuis six semaines que je ne l'avais vu, comme tout était changé I Une nouvelle distribution des troupes a été opérée; j'ai traversé longtemps de vastes espaces déserts; là grouillait, avant, la vie agitée, innombrable d'un camp; maintenant, c'est vide. Il ne reste plus que quelques tombes.

Petites tombes silencieuses! Je me suis arrêté devant elles: quoique abandonnées, elles ne semblent pas dans l'abandon. Cet air triste qu'elles avaient autrefois, elles l'ont perdu un jour peut-etre. La poussière du képi, qui se dresse sur la croix, avait été enlevée. Les mauvaises herbes etaient arrachées. Sur plus d'une tombe, des fleurs avaient été posées. Des mains pieuses et rudes de soldats avaient passé par là.

Je n'ai pas vu de cérémonie religieuse. Je suis allé tout droit au principal cimetière français de Seddul-Bahr, à l'arrière du village, à côté de la baie de Morto. Les tombes modestes avaient été fleuries. Des groupes de soldats circulaient, épelant des noms qu'ils ne connaissaient pas, mais qui étaient des noms de camarades. Ils avaient une allure un peu hésitante, un peu maladroite, les mains dans les poches, comme s'ils étaient déshabitués de tels pèlerinages, pareils à des marins qui se promènent sur la terre ferme.

Et moi aussi j'ai parcouru les tombes, officiers et soldats. Devant l'une, j'ai lu: Garibaldi, Georges, canonnier au ... régiment, mort pour la France. Il y avait des noms étranger, il y avait surtout des noms du Midi de chez nous, de ces noms si français, gravés ici pour toujours.

Sut une tombe, à côté des autres tombes françaises, j'ai lu: Chakir Ogêoii Bekir, 10e Régiment d'infanterié. Prisonnier turc.

Quand j'eus vu toutes nos tombes et que je me trouvai au cimetière turc qui dresse là, sous un cèdre centenaire, un grand caveau rouge et des tombes de marbre à turban de pierre, je regardai la côte d'Asie, en face. Tout était calme; pas un coup de canon: comme si, en ce jour des Morts, la guerre même était motte aussi.

Ma pensée alors alla vers tous ces camarades avec qui nous étions venus, en ces jours radieux de mai, il y a cinq mois. Rêves, espoirs dorés! Nous allions traverser de vastes contrées lointaines, de grandes forêts aux oiseaux mystérieux, et au bout de l'effort, la ville prestigieuse! Cinq mois sont passés: nous avons eu le débarquement, les journées du début de mai, les offensives de juin, et nous revoyons tout l'effort parcouru...

Et ce jour des Morts, il me sembla qu'il me restait encore quelque chose à voir. J'allai dans, le camp anglais, je m adressai à un soldat et lui demandai de me conduire à une de leurs cimetières. L'Anglais parvint à saisir ma demande. Il était tout jeune, mais il avait l'air grave de presque tous les soldats anglais. Il marchait à côté de moi, sans mot dire, pensif: il me semblait que nous nous comprenions.

Je traversai le cimetière: il n'y avait ni fleurs, ni couronnes; rien que des tertres de terre; c'était simple, austère et grave. Même les tombes n'étaient pas séparées; elles avaient la forme de grands caveaux, avec, marquant les places, des croix de bois, et sur la croix, presque toujours la même inscription: In loving memory of ... of wound received in action. J'avais vu tout le cimetière et j'étais arrivé à l'emplacement où, là aussi, des fosses ouvertes attendaient. Les deux fossoyeurs creusaient. C'étaient deux Hindoux, à la tête de mages, avec leur longue barbe noire, leur visage de bronze. Quand je fus tout près, ils me jetèrent un regard mystérieux et lointain, et, sans s'arrêter un moment, continuèrent à frapper lentement, avec une gravité de prêtres et des gestes éternels.

Un cavalier anglais traversa la route, au galop, l'air jeune et fort.

Dans la mer, qu'on apercevait au loin, le soleil s'était couché pendant que je regardais les tombes. Un nuage rosé flotta un instant sur la mer pâle.

Des Anglais passèrent en chantant. Puis la nuit tomba rapidement.

H. A.

 

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