- de la revue Revue de la Presse', du No. 151, 6 septembre 1918
- 'La Belgique Héroïque et Vaillante'
- 'l'Agonie du Fort de Lierre'
- Recueillis par le Baron C. Buffin
Récits de Combattants
soldats allemands sur la coupole du fort de Lierre
- l'Agonie du Fort de Lierre
- par un officier de la garnison
Il ne faut pas chercher dans ce récit une moisson d'impressions. Si la garnison d'un fort paraît très agglomérée dans l'étroite surface occupée par l'ouvrage, elle est en réalité dispersée partout: trois hommes ici, dix là, dans les coupoles, les magasins à munitions, les postes de guet, etc.; chacun est dans son trou et le contact est beaucoup moins intime que les troupes de campagne.
Lorsque, par suite de la destruction de certaines parties du fort, la garnison se rassem- blera peu à peu, la tension morale, l'absence de sommeil, l'irrégularité de l'alimentation l'auront transformée en une troupe passive sous l'avalanche des coups, encore capable sans doute de réaction ou d'efforts, mais d'efforts silencieux et machinaux.
A part ceux qui ont vécu ces heures, nul ne saura jamais qu'elle intensité de souffrances elles ont value aux défenseurs des forts.
27 septembre 1914. - Le canon gronde dans le lointain et semble se rapprocher. Nous entendons distinctement Waelhem et Wavre-Sainte-Catherine tirer; de grands panaches de fumée blanche montent au-dessus des arbres à l'horizon. La tour de Malines disparaît dans la fumée.
Depuis plusieurs jours, tout le monde est à son poste de combat. Des troupes allemandes, des patrouilles probablement,- sont signalées par nos guetteurs, à plus de 8,500 mètres du fort, trop loin pour agir contre elles. L'attaque est proche.
Nos hommes sont résolus et ne demandent qu'à ouvrir le feu.
La journée et la nuit se passent sans incidents.
28 septembre. - La matinée est calme pour nous. Le canon gronde toujours; des communications téléphoniques nous apprennent que Waelhem et Wavre-Sainte- Catherine sont violemment bombardés. A 14 heures, nos postes d'observation signalent l'occupation, par des groupes ennemis, de localités qui se trouvent dans notre rayon d'action. Les coupoles de 15 centimètres ouvrent le feu, qui se continuera jusqu'à la chute du jour.
Notre premier coup de canon fut un véritable soulagement; l'enervement de l'attente a disparu; le fort est rempli d'une animation joyeuse.
A 20 heures, bombardement par les forts des agglomérations situées le long de la route d'Aerschot et où l'ennemi est signalé en cantonnement.
Ce jour, aucune riposte de l'ennemi.
L'aviation nous avait signalé la construction de batteries de siège dans notre secteur de défense; nous ne pouvons rien contre elles à la distance où elles sont placées.
29 septembre. - Hormis notre tir de la veille, la nuit est calme. A 7 heures et demie précices, des sifflements caractéristiques nous avertissent que les obus passent au- dessus du fort; les éclatements ont lieu très loin, à Lierre sans doute; les rideaux d'arbres nous cachent la vue de la ville. Le téléphone nous confirme que des obus tombent à la Porte de Louvain. Nous ne tardons pas à avoir notre tour; des shrapnells d'abord dont l'éclatement strident et métallique étonne les hommes; puis des obus venant éclater surtout dans le massif de la caserne. Notre antenne de T. S. F. est coupée; première phase de l'isolement. Nous répondons avec vigueur au feu de l'ennemi.
A 11 heures, suspension du feu. Les hommes apportent au bureau de tir des éclats d'obus et de shrapnells, des balles, des fusées, etc.. Une fusée nous apprend que le réglage des Allemands est fait à 5 200 mètres, ce qui est la moyenne de notre propre réglage sur les batteries signalées.
A 14 heures, reprise du feu de part et d'autre. Nous recevons des projectiles de 13 cm. 5, dont un, qui a fusé, vient rouler devant le bureau de tir. La ville de Lierre continue à être bombardée; nous apprenons que l'hospice civil a été atteint et que l'on signale huit tués.
A 17 heures, suspension du feu; reprise vers 19 heures et demie, tir de peu de durée et de peu d'efficacité.
De tout cela le fort n'a pas trop souffert; des entonnoirs nombreux, surtout sur le massif de la caserne au-dessus de laquelle des simili-coupoles avaient été installées; une coupole de 15 centimètres éraflée, des carreaux cassés; tout va bien et le moral des hommes est bon. Ils s'enhardissent et il faut les empêcher de circuler à découvert.
Soixante-quatre obus ont atteint le fort.
Nous apprenons le soir par téléphone, que le fort de Wavre-Sainte-Catheriae, écrasé sous les obus formidables, est évacué; du fort de Waelhem, rien. Il aura sans doute subi le même sort. Cette triste nouvelle est annoncée aux officiers seuls.
A 11 heures et demie, un observateur signale l'approche d'une colonne par la route d'Aerschot. Nous battons cette route et ses abords par un tir en dispersion jusque vers 1 heure et demie.
30 septembre. - A 3 h. 40, un rassemblement de troupes ennemies est signalé au delà du village de Koningshoyckt. En même temps le fort de ce nom et la redoute de Tollaert, attaqués, demandent l'appui du fort de Lierre. Sur les renseignements et avec l'aide de leurs observatoires d'intervalle, nous ouvrons le feu, qui continuera jusque 6 heures. Nuit blanche pour tout le monde; ce ne sera pas la dernière; à partir de ce moment, il faudra renoncer à tout repos.
A 8 heures, le bombardement recommence, non seulement sur le fort de Lierre mais aussi sur les travaux des intervalles et les forts et redoutes à notre droite.
Quelques shrapnells d'abord, puis un déluge d'obus de tous calibres. Pas un carreau ne résiste; le sol tremble sous nos pas. Cette sensation du sol élastique persistera plusieurs jours encore après le bombardement.
Ail heures, silence complet. Les terre-pleins intérieurs sont bouleversés, la circulation dans le fort devient difficile; notre armement est cependant encore en parfait état.
A 12 h. 20, un sifflement sinistre, d'abord, puis un bruit semblable à celui d'un express en marche. Le projectile tombe au-dessus de la caserne et détonne formidablement; une pluie de béton et de maçonnerie tombe sur tout le fort. Nous venons de recevoir le premier obus de 420. Sans relâche, jusque 18 heures, toutes les six minutes, un projec- tile semblable nous arrive. Nous en reçûmes ainsi 57. Les entonnoirs mesurent 8 à 10 mètres de diamètre. Les bouchons de culots sont projetés à 50 mètres de haut et retombent comme un nouveau projectile. Un des premiers obus vient tomber près de nous. Le culot, lancé verticalement, s'abat ensuite sur le bord de l'entonnoir. Les dimensions sont anormales. L'ajusteur reçoit ordre d'aller, après le bombardement, ramasser le culot afin de le peser et de le mesurer. Mais il part aussitôt, sous le bombardement, et, après vingt minutes d'efforts, traîne la pièce au bureau de tir. Semonce pour cette inutile imprudence, le soldat répond simplement: « Mais il n'était plus chaud! » Le culot mesure 388 millimètres de diamètre et pèse 66 kilogrammes; d'autres éclats ramassés sont à bords tranchants; l'un d'eux mesure 85 centimètres de longueur. L'explosion produit une fumée noire, acre, très dense, se déroulant en volutes sur le sol et se dissipant difficilement.
Les communications téléphoniques intérieures fonctionnent toujours, sauf avec la batterie annexe du glacis du demi-front de gorge d,e gauche.
La caserne est à demi effondrée; le pavillon des officiers est coupé en deux; nous ne nous en préoccupons pas, les locaux ayant été évacués depuis plusieurs jours avec défense d'y séjourner. De la caponnière du front de gorge, on téléphone que la voûte est cravassée, que les embrasures sont obstruées par la terre et les débris de maçonnerie, lancés par les explosions voisines. Cette partie est évacuée. De la coupole de 15 centimètres gauche, on signale que la cuirasse de 5 cm. 7 du saillant I a été projetée en l'air et est retombée à une vingtaine de mètres de la tour. Un obus était tombé devant l'entrée de la poterne, longue d'une cinquantaine de mètres, et la compression de l'air avait produit ce dommage. Un canon de 8 c. 7 disposé pour le tir contre aéroplanes et zeppelins est projeté loin de son emplacement, l'aflût complètement retourné et une roue brisée.
Pendant la suspension du bombardement, nous nous précipitons pour constater les dommages pendant que nos canons continuent à tirer pour soulager le fort de Koningshoycht, dont plusieurs pièces sont hors de service, et la redoute de Tallaert menacée d'une attaque frontale.
Partout les voûtes sont lézardées; les pavés ont jailli hors du sol qui est crevassé et bombé. Des gaines de communications sont démolies. Le diamètre des entonnoirs est supérieur à la distance qui sépare les pieds-droits; ceux-ci se sont affaissés et les voûtes de béton, privées de leur support, se sont brisées net comme sapées par un gigantesque coup de hache.
Ce bombardement avait peu ému les soldats.
Lorsque la maçonnerie ou le bétonnage était atteint, une pluie de briques et de galets couvrait le fort, pénétrant avec violence par toutes les ouvertures. La première fois que la chose arriva, deux hommes qui se trouvaient à l'entrée d'une poterne furent contusionnés par les galets. Un loustic fit cette remarque: « Bon! Voilà qu'ils mettent des cailloux dans leurs obus! »
Mais des plaintes partent des ruines de la caserne. Nous en retirons un homme blessé et deux tués. Ce sont des ouvriers civils venus pour établir des téléphones haut parleurs.
Le blessé nous signale que deux ou trois hommes, dont un soldat, doivent se trouver sous les débris du local qui servait de mess à la troupe. Impossible de les retirer de l'amoncellement de débris.
La batterie annexe du glacis a été bouleversée par deux projectiles. Nous n'y trouvons ni morts ni vivants. Qu'est devenu le personnel qui la desservait?
Tout n'est pas perdu; sauf la coupole de 5 cm. 7 du saillant I, tous les organes de défense sont encore en bon état et les hommes ne manifestent aucune anxiété.
1e octobre. - Par ordre supérieur, et de concert avec les forts voisins et les batteries d'intervalle, nous ouvrons un feu rapide de vingt minutes de durée, à 2 et à 4 heures, sur les localités et les routes en avant de la ligne de défense.
A 7 heures, nous enterrons nos morts.
Dès 8 heures, les intervalles, le fort de Koningshoyckt et la redoute de Talîaert sont vivement bombardés. Notre tour n'arrive qu'à 10 h. 15: Neuf projectiles seulement nous sont envoyés.
A 13 heures, le bombardement recommence et, comme la veille, toutes les six minutes, un obus nous arrive.
Vers 15 heures, la demi-caponnière de droite est atteinte par un coup trop court, le tir ayant été généralement dirigé sur la moitié gauche du fort; la majeure partie du personnel s'y trouvait réfugiée. Aucun blessé, mais la coupole de 15 centimètres est immobilisée par des blocs de béton provenant de la tour à demi démolie; certains blocs mesurent près de 1 mètre cube. Le personnel est évacué rapidement au front de tête.
Un canonnier, porteur de bulletins de renseignements arrive alors, couvert de boue. Comme les coupoles avaient été maquillées au moyen de terre détrempée, on crut qu'il avait enlevé le maquillage en rampant sur la coupole et des camarades le lui reprochèrent. Etonnement du brave! Il avait, sous le feti, roulé dans un entonnoir dont il était sorti dans ce bel état.
Le bombardement ne cesse pas et nous voyons se restreindre nos abris intacts. Le commandant d'artillerie du fort a fait une chute dans un entonnoir; incapable de marcher, il doit être transporté à l'infirmerie. Le commandant des fusiliers, surmené et intoxiqué par les gaz des explosions, tombe en défaillance. Un des médecins est malade.
Les gaz exercent une influence de plus en pius angoissante. Des hommes ont des syn- copes, d'autres pleurent; certains, abattus, semblent attendre l'obus qui les écrasera. Ni exhortations, ni menaces de la part du commandant du fort, aidé par le médecin-chef de service et par l'aumônier, ne parviennent à relever le moral de ces hommes qui attendent la mort comme un bétail inconscient.
Vers 19 heures et demie, ce bombardement infernal se ralenti; bientôt, il cesse. Le fort a reçu 60 obus de 420. Le commandant de l'intervalle Lierre-Tallaert annonce une attaque par l'infanterie ennemie appuée par l'artillerie de campagne.
Les hommes se ressaisissent, les coupoles sont occupées et la ligne de feu se garnit de mitrailleurs et de fusiliers. La redoute de Tallaert ne peut agir que faiblement et demande du secours. Nous battons avec toutes nos pièces le terrain qui précède les défenses accesoires de l'intervalle. L'attaque ennemie échoue sous ce feu vers 21 heures. Toute la garnison a pris part au combat, même les malades. Le commandant des fusiliers a réoccupé son poste de rempart.
Alors le fort est de nouveau bombardé et, à 23 heures, une nouvelle attaque de l'inter- valle se déclanche sans plus de résultat que la première.
2 octobre. - A 2 heures, troisième attaque de l'intervalle. La ligne de feu du front de tête du fort est inondée de balles par les mitrailleurs ennemis. Les fusiliers ripostent avec rage. Leur commandant doit se dépenser pour régulariser le tir. Les fusils échauffés se calent. N'importe! L'Allemand ne passera pas! Nos canons tirent à toute volée, le vacarme est assourdissant. Pendant plus de deux heures, nous vivons au milieu de cet enfer et nous n'entendons même plus les balles ennemies sifflant en essaims autour de nos têtes. Un des canons de la traditore vient d'être mis hors de service par le tir; le second met les bouchées doubles, mais ne tarde pas aussi à ne plus rentrer en batterie.
A 4 heures et demie, les fusées rouges de l'ennemi nous apprennent sa retraite. L'inter- valle n'est pas fauché; pas un fil des défenses accessoires n'est coupé.
Ce succès rend aux hommes espoir et confiance; ils sont presque joyeux. Cependant leur fatigue est évidente. Aussitôt l'attaque ennemie refoulée, le bureau de tir cesse de répondre aux appels. On va voir; tout le personnel dort; l'officier, écroulé sur une paillase, titube quand il se redresse. Un répit de quelques minutes avait eu lieu et tout le personnel, n'étant plus en éveil, s'était affalé.
Le commandant du fort lui-même s'était peu auparavant endormi dans une coupole en pleine action.
Le commandant d'artillerie du fort, toujours dans l'impossibilité de marcher, est évacué avec un autre blessé. On distribue des vivres et l'on répare les dégâts. Le réapprovisionnement en munitions des coupoles s'effectue par les gaînes restées intactes.
A 7 h. 20, le bombardement reprend de plus belle. Des avions ennemis sont venus se rendre compte de l'état du fort et la destruction devient systématique. Toutes les six minutes, un projectile de 420 nous arrive « le train bloc », disent les hommes. Nous suivons avec anxiété la marche du bombardement.
Les projectiles s'annoncent de loin, frappant successivement la gauche et la droite du fort. Les saillants des flancs étant très rapprochés, le coup atteint indifféremment l'un ou l'autre de ces saillants. Des soldats l'ont remarqué et engagent des paris dès que l'arrivée du projectile est signalée.
Le saillant I est d'abord copieusement arrosé, puis le tir approche du front de tête. La gaîne de droite du front de tête s'affaisse. Par là s'effectuait le ravitaillement en munitions des coupoles. Combien d'hommes sont restés sous les débris? Un appel est impossible. Nous devons évacuer en partie le front de tête et la moitié du personnel se réfugie dans la demi-caponnière de droite. Toutes les communications téléphoniques et télégraphiques sont coupées; le bureau de Lierre ne répond plus, la ville étant évacuée.
Le tir s'approche de la dèmi-caponnière de droite et un obus vient éclater à quinze mètres de l'entrée.
Les hommes reçoivent l'ordre de se transporter à l'autre extrémité du fort que le bom- bardement vient d'abandonner. Impossible de prévenir ceux restés à la caponnière du front de tête. Les explosions se succèdent de six en six minutes et le bombardement est systématiquement conduit par série dans un sens invariable. En observant les points de chute, on pouvait donc prévoir le moment où il était temps de partir. Le coup du début était seul dangereux. Dès que les explosions se rapprochaient trop, les hommes se rassemblaient au coup de sifflet, attendaient la chute du projectile, puis filaient vers leur nouvel abri.
Cependant ce jeu ne peut durer longtemps. Les projectiles semblent nous suivre, les voûtes s'effondrent au fur et à mesure que nous les abandonnons.
Vers 14 heures, ordre est donné au commandant des fusiliers de faire rejoindre ses hommes par groupes et de gagner, dans les intervalles des coups, la poterne d'entrée du fort, qui jusqu'alors est restée intacte. Le mouvement s'exécute dans un ordre parfait. Par miracle, nous passons entre les projectiles. Le tir se maintient pendant tout un temps sur la partie gauche du fort et les hommes se rangent sur la berme contre le talus extérieur du demi-front de gorge de droite. A ce moment était tombé dans l'ouvrage lé deux cent trente-cinquième obus de 420.
A part des morceaux de maçonnerie et des éclats qui n'atteignent personne grièvement, la sécurité y paraît assez grande. Vers midi, les projectiles se rapprochent, les hommes qui se trouvent sous la poterne d'entrée et dans le corps de garde sont appelés à l'intérieure. Tous les organes de défense sont à ce moment détruits ou immobilisés. Les couloirs et poternes sont obstrués par de monstrueux blocs de maçonnerie.
Seule la coupole de 5 cent. 7 du saillant IV paraissait en bon état; mais il était impossible d'y parvenir.
Le dernier abri de la garnison est bientôt menacé à son tour. Un projectile vient éclater au bord du fossé, à quelques mètres au delà de l'entrée du fort, provoquant un moment de panique.
Le bombardement continue et ne permet pas de réoccuper l'ouvrage.
A 14 heures et demie une détonation formidable et une fumée intense nous font présumer que le fort de Koningshoyckt vient de sauter.
Nous voyons le tir de nos batteries de campagne, en position derrière nous, se raccour- cir pour couvrir la retraite des troupes des intervalles et leurs shrapnells éclatent à notre hauteur. Des batteries allemandes viennent s'installer à droite du fort; nous sommes pris entre deux feux.
Réintégrer le fort en ruines n'est plus possible. Les obus de 420 continuent à le battre de six en six minutes avec une régularité désespérante. Les vivres de réserve, les cartouches sont ensevelis sous les décombres. Plus d'eau potable, les fusils sont vides et les hommes affamés. Il est encore temps peut-être d'éviter l'encerclement. C'est ce que nous tentons sous une pluie de schrapells. Les hommes sont épuisés et c'est avec un immense sentiment de tristesse et de découragement qu'à 18 heures les officiers se décident à les ramener vers Lierre.
La défense avait duré quatre jours interminables, sous un bombardement qui ne laissait aucun repos au personnel et qui ne permettait aucune relève.
Escomptant prématurément les effets démoralisateurs de leurs terribles engins, les Alle- mands crurent que, dans la nuit du 1er au 2 octobre, une attaque de vive force les ren- drait maîtres du fort.
Leurs trois tentatives d'assaut furent autant d'échecs. Quand, vingt-quatre heures plus tard, ils y pénétrent, c'est un monceau de ruines qui tombe entre leurs mains.
Se battre n'est rien! ... à condition qu'on puisse rendre les coups. Or, la portée de l'artillerie ennemie, considérablement supérieure à celle de nos pièces, la mettait à l'abri de notre tir. Nous en étions ainsi réduits à nous croiser les bras et à attendre que la mort voulût bien de nous.
Cette attente dans un obscur boyau de maçonnerie, que l'on sait voué à la destruction et qui, toutes les six minutes, risque d'être écrasé par un projectile que l'on entend approcher est une agonie à répétition.
Elle agit sur les nerfs les mieux trempés, et l'héroïsme de ceux qui attendirent la mort, uniqvement parce qu'on leur avait dit qu'il le fallait, est d'autant plus admirable qu'il fut déployé dans l'ombre et que nul n'en a jamais rien su!