de la revue ‘Revue de la Presse', du No. 151, 6 septembre 1918
'La Belgique Héroïque et Vaillante'
'Combat de Wavre-Sainte-Catherine'
Recueillis par le Baron C. Buffin

Récits de Combattants

soldat allemand dans les ruines du fort de Wavre Ste. Catherine

 

Combat de Wavre-Sainte-Catherine
28 septembre-10 octobre 1914
 
par le sous-lieutenant Heuroz
commandant la 1er compagnie du 1er bataillon du 2 régiment de carabiniers de forteresse

Sans cesse harcelés par l'armée belge et inquiets pour le flanc de leur ligne de communication, les Allemands résolurent de s'en prendre à la forteresse d'Anvers, refuge de notre armée après chacune de ses opérations offensives.

A la fin du mois de septembre, l'ennemi avait reçu du renfort en troupes de toutes armes, particulièrement en artillerie de siège et en pionniers, rendus disponibles par la chute de Maubeuge.

Le 27 septembre, à 7 heures du matin, je reçois l'ordre d'occuper les tranchées avec ma compagnie et de suspendre tous les travaux. Ma compagnie se trouve dans l'intervalle de Dorpveld et du front de Wavre-Sainte-Catherine. Elle est appuyée à droite par la compagnie du capitaine-commandant adjoint d'état-major Havenith, commandant de l'intervalle. Ce jour-là, les Allemands ont commencé à refouler le détachement de la lre division d'armée qui tient les abords de la ligne. Nous savons donc que les Allemands vont nous attaquer, mais nous sommes persuadés que nos positions sont inexpugnables, tant nous les ayons organisées et hérissées d'engins de toute espèce; aussi c'est avec la plus grande confiance que nous attendons le choc. Cette journée est très calme aux alentours du fort; un avion belge est abattu et tombe dans nos lignes, près de notre petit poste.

Lundi 28 septembre. - Une belle journée se dessine. Bien loin, au fond, s'élèvent deux ballons captifs boches; ils se balancent au gré des vents, l'air menaçant; des avions font entendre le ronronnement de leurs moteurs: prévisions certaines d'une attaque imminente. Vers 11 heures, un sifflement lointain retentit qui bientôt se transforme en un grondement de tonnerre, sans cesse grandissant, pour se perdre dans une explosion formidable! Par la visière de la tranchée, chacun voit, à 150 mètres en avant du fort, une colonne de fumée d'au moins 20 mètres de haut. C'est un 420 millimètres qui vient d'éclater. Exactement onze minutes après, un second obus, avec le même fracas, tombe à 50 mètres des glacis du fort. Tout le monde est sur pied, tous les yeux fixent le fort avec angoisse; le troisième obus ne se fait pas attendre: onze minutes après, il vient s'écraser en plein sur le fort...

« Pauvre Catherine! » disent les hommes. Malgré ses blessures, Catherine continue à cracher sa mitraille. Le feu des 420 se succède à intervalles de onze à douze minutes, durant toute la matinée; dans l'après-midi, il devient plus intense, les obus arrivent alors par salves de deux. Beaucoup manquent leur but, heureusement pour le fort. Cependant sa résistance est sérieusement compromise. Les bétonnements, les cuirassements n'ont du reste été calculés qu'en vue du bombardement par des pièces de 21 centimètres au maximum. Ainsi, voit-on souvent sortir, des souterrains de l'ouvrage, cinq ou six artilleurs, qui rapidement, entre deux rafales, grimpent sur le fort et en toute hâte comblent, au moyen de sacs de terre, les excavations produites par les projectiles, puis filent à toutes jambes à l'approche des bolides. Certains mêmes, bravant ces mastodontes de métal, continuent le travail; ces vaillants donnent aux soldats delà tranchée un bel exemple d'héroïsme; nous les regardons émerveillés, nous sentons notre courage grandir. Le bombardement cesse à 16 heures et demie exactement. La masse de béton du fort est fissurée, les couloirs bouchés par l'odeur écœurante des gaz de trotyle. Aucune victime de part ou d'autre. Le fort de Wavre- Sainte-Catherine a reçu te baptême du feu.

Mardi 29 septembre. - Les lre et 2e divisions se trouvent alors dans le 3e secteur, Waelhem-Lierre; les 3e et 6e dans le 4e; Waelhem-Escaut; la 4e division occupe Ter- monde; la 5e forme la réserve générale. Le bombardement recommence à la pointe du jour; bientôt, les grosses marmites tombent dru sur le fort. Parfois une de ces niasses, mal dirigée, éclate dans l'intervalle. C'est un véritable tremblement de terre, le sol oscille, on croirait que la terre va s'entr'ouvrir et nous engloutir. Bientôt le feu redouble d'intensité. A certains moments, le fort est canonné à la vitesse de 20 à 25 coups par minute avec obus de tous calibres. Le fracas, est assourdissant, on s'entend à peine parler.

Chacun craint pour le fort et chaque fois qu'un obus est « but », les hommes murmurent: « Pauvre Catherine ». Vers 10 heures, le tir à shrapnells contre les intervalles commence. Ordre m'est donné par le commandant Havenith d'occuper avec une section la tranchée de combat; le restant de ma trou e s'établit dans la tranchée- abri, située à 50 mètres derrière. Pendant ce changement, une volée de shrapnells s'ébat sur le boyau de communication: quatre blessés très légèrement, dont le sergent Claudot, volontaire de guerre, qu'il faut évacuer. Ensuite, c'est au tour du village de Wavre-Sainte-Catherine d' « encaisser ». Plusieurs salves y font assez bien de victimes, dont plusieurs civils. C'est la panique; les gens affolés, terrifiés, se sauvent, emportant quelques objets hâtivement rassemblés; les femmes en pleurs entraînent leurs bambins qui, ne sachant quoi, poussent des cris déchirants. A la nuit tombante, plusieurs maisons sont en flammes. Nous assistons impuissants à ce lamentable tableau, furieux de ne pouvoir venger ces malheureux. De tous côtés, le canon gronde, l'air saiuré de fumée est acre, l'odeur de la poudre nous prend à la gorge. Enfin, peu à peu, tout rentre dans le calme, les sentinelles gagnent leur poste au delà du réseau des fils de fer barbelés. Jusqu'ici la cuisine s'est faite dans la tranchés, à côté d'an abri pour mitrailleuse; pendant le bombardement, un obus malencontreux plonge dans la douche, où cuit la soupe, projetant de toutes parts potage et viande; toutes communications avec l'arrière étant coupées, le ravitaillement est impossible. Je recommande aux soldats de ménager les vivres qu'ils ont encore et de conserver à tout prix leur ration de réserve. Les hommes, toujours calmes, oubliant déjà le danger qu'ils ont couru pendant la journée, ne protestent

point; ils se rendent bravement à leur poste d'observation, pendant que leurs camarades vont prendre un peu de repos. La nuit se passe sans incident.

Mercredi 30 septembre. - La compagnie occupe toujours la même position. A peine le soleil est-il levé, que le bombardement des forts, de l'intervalle et de la redoute reprend de plus belle. Je reçois un renfort, une compagnie du 6e de ligne qui vient occuper la tranchée-abri. Plus de 300 hommes grouillent dans ce trou. Je prévois un 42 sur cette tranchée! Quel carnage! Je tremble pour mes hommes en songeant au danger qu'ils courent. Mais eux n'y pensent pas; heureux du renfort inattendu, ils ne songent plus qu'à la victoire. Les obus de tous calibres pleuvent de toutes parts, les obus-mines éclatent avec un fracas épouvantable. Les coups se précisent et atteignent notre parapet. La tranchée oscille, va-t-elle s'écrouler? Les éclats d'obus tombent à nos pieds.

Tout à coup, un obus tape sur la tranchée. La fumée dissipée, on s'aperçoit avec consternation que plusieurs hommes sont ensevelis sous les décombres! On les entend crier. Au premier moment, personne ne bouge, nous sommes cloues au sol par la stupeur et l'effroi. Enfin, plusieurs volent au secours de leurs camarades, je m'approche et vois avec horreur le pauvre Vander Stappen, complètement décapité. La tête intacte, gît à ses pieds; trois autres, dont le sergent Dooms, sont grièvement blessés. Les obus arrivent par rafales, c'est épouvantable! Les hommes atterés se sont couchés, leur couverture sur la tète pour se protéger des éclats et pour ne rien. voir. A côté de moi, un soldat sort d'un calepin le portrait de sa femme et de ses enfants, ils sont trois groupés autour de leur" mère. Pendant cet infernal bombardement, ce pauvre homme, voyant la mort si proche, aime à revoir les siens; les Larmes aux yeux, il secoue tristement la tête. Je m'assieds à ses côtés, et, après quelques bonnes paroles, je parviens à lui faire reprendre courage. Soudain il se lève, et tendant son poing vers l'ennemi, leur crie: « Arrivez donc, sales Boches, nous allons voir si vous êtes aussi forts à la baïonnette qu'avec vos 42. » A peine a-t-il lancé les derniers mots de son apostrophe qu'une explosion plus formidable que les autres nous fait sursauter. La poudrière du fort vient de sauter. « Pauvre Catherine! » Notre artillerie placée dans les intervalles, bien que soumise, elle aussi, à un bombardement violent, riposte avec vaillance. Nos hommes en sont encouragés; ils se sentent soutenus. Il est exactement 11 h. 45. Une estafette tout essoufflée me tend d'une main tremblante un pli fermé; c'est un ordre du commandant de la position fortifiée d'Anvers. « Malgré le bombardement, et si terrible qu'il soit, il faut résister à outrance, jusqu'à la mort! » On résistera.

Je congédie l'estafette, un garçon de dix-huit ans, qui, sans se soucier des obus et des shrapnelles, s'encourt à son poste.

Les Allemands bombardent toujours avec acharnement la redoute de Dorpveld. Un 42 s'abat sur une maison située près du fort. Il n'en reste que des décombres; des briques retombent jusque dans notre tranchée. Enfin les heures passent, la journée s'écoule tout doucement. Dans la soirée, la canonnade diminue d'intensité, les soldats en profitent aussitôt pour se promener et se dégourdir les membres. Ils sont gais, contents de se revoir, heureux d'avoir échappé à la mort; et c'est toujours pleins d'espoir qu'ils attendent l'arrivée des Boches. Résultats de la journée: un tué, cinq blessés. Les petits postes placés, chacun veille, personne ne veut se reposer. On croit à une attaque de nuit et tout le monde désire être là, pour donner le premier coup de feu, pour recevoir dignement l'ennemi. Contre toute attente, la nuit se passe sans incident, à part quelques patrouilles aperçues aux environs du village.

Jeudi 1er octobre. - La compagnie occupe le même poste. Le bombardement, tant dans les intervalles que sur les positions arrières, recommence plus effroyable encore que les jours précédents; les Boches nous inondent de projectiles de tous calibres. Tout le monde reste inébranlable sous les averses de mitraille. Les batteries ripostent toujours. Seuls les forts se taisent, ils sont complètement détruits. Le bombardement se poursuit avec la dernière violence, comme si l'ennemi voulait nous écraser par les seuls eflets de son artillerie lourde, contre laquelle il nous sait impuissants. Le vacarme est indescriptible. En moins de vingt minutes, je compte trois tués et une dizline de blessés. Ma tranchée menace ruine; à tout prix, il faut la réparer; sur ma demande, quelques volontaires se présentent et malgré le bombardement travaillent avec ardeur. Les pertes sont grandes, mais nul ne songe à lâcher pied. L'ordre est venu de résister à outrance, de tenir malgré tout, nous obéirons, nous sommes résolus à mourir sur place. Les obus pleuvent toujours sans discontinuer.

A Wavre-Sainte-Catherine village, les ravages sont terribles, la localité entière tremble dans un bruit continu de tonnerre. C'est dans cet enfer pourtant que doivent demeurer les soldats chargés de la défense. Le sous-lieutenant Blanckaert et ses mitrailleuses tiennent toujours près de l'église; ils s'abritent comme ils peuvent et leur impassibilité dans ce bombardement infernal n'est pas un des spectacles les moins impressionnants. L'artillerie ennemie, toujours avec la même rage sacrilège, vise l'église, qui reste debout; le clocher est à peine touché; des maisons s'écroulent. De temps en temps une explosion plus puissante se fait entendre, quelqu'un déclare alors simplement: « Encore un 42 ». Il est visible que l'ennemi tente, par l'intensité de son bombardement, de rendre nos positions intenables, espérant nous démoraliser. De notre pauvre tranchée qui oscille, qui tangue à donner le mal de mer, le spectacle est effrayant.

Chaque fois qu'un obus de gros calibre l'atteint, des positions entières s'éboulent ensevelissant morts, blessés, vivants. Deux, trois, quatre grosses marmites s'y abattent par minute. Le capitaine du 6 de ligne tombe à mes côtés, l'épaule fracassée. Dans les tranchées, les hommes tiennent bon, malgé l'horrible crispation des nerfs, la soif, le spectale de leurs camarades déchiquetés, le gémissement plaintif des blessés. Le sergent-major Démarche est blessé également. Nos batteries tirent à toute volée. Pour- tant elles ont fort à souffrir, car elles sont repérés exactement par les maudits ballons captifs. Des schrapnells brisants, des obus-mines éclatent jusque sur nos pièces; elles sont démolies les unes après les autres et les braves artilleurs gisent à leurs pieds. Hor- rible! la situation devient de plus en plus critique. En l'absence du capitaine du 6e de ligne qui est évacué, je prends le commandement de la tranchée. Il est 14 heures et demie précises. Toui à coup, on aperçoit, à 200 mètres en avant du fort, deux hommes, dans le réseau cfe fils de fer. Pas de doute, ce sont des Boches. Que viennent-ils faire? Leurs obus ne tombent cependant pas loin d'eux. Soudain, trois salves partent des tranchées du capitaine-commandant A. E. M. Havenith; un boche tombe, se relève et tombe une seconde fois, l'autre s'enfuit. Un quart d'heure après, il revient accompagné de deux camarades portant un brancard et agitant un drapeau de la Croix-Rouge. Pas un coup de feu n'est tiré, le blessé est transporté vers les lignes allemandes. Le bombardement continue pour diminuer d'intensité vers la tombée de la nuit. Le commandant du ort, qui avait évacué son ouvrage, profite de cette accalmie pour le ré- occuper, mais celui-ci est à peu près anéanti. Le lourd cuirassement d'une coupole de 15 centimètres a complètement disparu, et l'incendie sévit dans les décombres. Je fais immédiatement ensevelir les morts et emporter les blessés. Vers 17 heures, je reçois l'ordre du commandant de l'intervalle d'occuper la tranchée de combat avec lés deux compagnies. On prévoit une attaque pour cette nuit. Mes sentinelles de surveillance à leur poste, nous attendons bravement l'arrivée des Allemands. Un instant de calme, nous en profitons pour casser une croûte. Les hommes en sont à leur dernière ration de vivres de réserve. Que mangerons-nous demain? Déjà la soif se fait sentir, la gorge brûle, et il n'y a pas d'eau. Des hommes en trouvent derrière la tranchée, elle est un peu trouble, mais qu'importe, cela rafraîchira bien. Devinant que je suis altéré, un brave me tend sa gourde. « Merci, mon vieux. Conserve cela pour demain, et puis je n'ai pas soif. - Mais, mon lieutenant, il y a du sucre avec!!! » Je vais visiter mes petits postes. J'ai à peine fait vingt pas que le caporal arrive en criant: « Mon lieutenant, les Boches sont ià, près des fils de fer ». Je tends l'oreille. Tout à coup les sonnettes accrochées aux fils de fer tintent; pas de doute, ce sont eux. Au commandement de: « Feu à volonté », les hommes ouvrent un tir nourri sur les réseaux. C'est un feu d'enfer. Les balles coupent les fils et font voler des milliers d'étincelles.

Alors, la redoute que tout le monde croit morte s'allume comme un brasier et envoie sur l'assaillant des rafales de mitraille. Les hommes crient déjà victoire, heureux de faire le coup de feu, mais furieux de ne pas apercevoir les Boches. Il fait un noir d'encre. Impossible de voir à deux mètres devant soi. Les Allemands, surpris dans leur attaque, rispotent ferme, mais leurs balles, passent au-dessus de nous. De temps en temps, quelques balles ennemies semblent venir s'écraser derrière nous, contre un mur qui n'existe pas. Tout le monde a la même pensée: des balles explosives! Plusieurs patrouilles sont envoyées fouiller les alentours. Je fais reposer les hommes par moitié. Manquant presque totalement de munitions, j'envoie le sergent-major Cnirephout prévenir le commanda ,t Havenith qu'il me faut des cartouches à tout prix. J'ai su après que le sergent-major n'était jamais arrivé. Que lui est-il arrivé? Tué ou disparu? La nuit se passe sans autre événement.

2 octobre. - Le jour venu, la grosse artillerie ennemie reprend son tir d'écrasement. Le pont de Duffel est battu par des pièces de 13 centimètres. La gare reçoit plus de 250 obus en moins de deux heures et demie. Le fort de Wavre-Sainte-Catherine et la redoute Dorpveld sont à nouveau couverts de projectiles. Ce sont les préliminaires d'une attaque d'infanterie. Vers 6 heures trois quarts plus de 200 hommes débouchent en ordre serré de la route de Malines et, à travers champs, se dirigent au pas de course sur la redoute. Je commande aussitôt le feu rapide; à 200 mètres, les hommes tirent juste, des rangs entiers sont balayés, remplacés par d'autres, qui à leur tour tombent sous les coups de nos Mausers. Soudain, toute la bande s'arrête, quelques hommes agitent des drapeaux belges et des drapeaux blancs. Nous distinguons mieux leurs uniformes, ce sont des lignards. « Cessez le feu, ce sont des nôtres », crient les hommes. Malgré tout, j'ordonne de continuer le tir. Violant une fois de plus les lois de la guerre, les Allemands ont revêtu leurs troupes d'uniformes volés dans nos dépôts. La fusillade recommence aussitôt plus violente que jamais. De toutes ces troupes une trentaine parviennent à la redoute et se cachent dans les fossés. L'un d'eux, porteur de pancartes, les place au sommet de la redoute, le côté intérieur dirigé vers l'ennemi; je ne puis distinguer ce genre de signaux. La fusillade cesse; dix minutes après, une des deux pancartes tombe et une vingtaine d'Allemands s'enfuient vers leurs lignes... Quelques instants plus tard, nous entendons le mac... mac de leurs mitrailleuses placées au-dessus de la redoute; bien pointées, leur balles traversent nos créneaux.

Le sergent Chaignot, volontaire de guerre, le fusil sur une des mitrailleuses, tombe raide mort, une balle au front. Le brave âgé de dix-sept ans à peine, est fils unique d'une veuve! Une brève accalmie me permet d'évacuer mes blessés.

L'ennemi ne bombarde plus que nos positions arrière. Au moment précis où l'artillerie allemande allonge son tir, l'infanterie ennemie, sortie on ne sait d'où, se précipite en hurlant « Hoch! » sur le fort de Wavre-Sainte-Ca-therine. J'ai ordre de tenir jusqu'au bout, mais tourné à ma droite et n'ayant plus guère de cartouches, je vais être entouré. A droite, le capitaine-commandant Havenith débordé se replie en bon ordre; n'ayant donc plus de sûreté de ce côté, je me vois forcé de battre en retraite vers la chapelle, à 500 mètres derrière notre ligne. Le caporal Deron et une dizaine d'hommes restent à faire le coup de feu jusqu'à ce que le dernier soldat ait quitté la tranchée. J'ai à déplorer la perte de beaucoup de victimes. Les maudites mitrailleuses de la redoute me fauchent une vingtaine de combattants. Beaucoup d'entre eux, blessés, ne peuvent être transportés et restent malheureusement aux. mains des Allemands. Arrivés au poste de la chapelle, notre seconde ligne, je donne ordre d'occuper- la nouvelle tranchée. Nous n'en avons pas le temps, une cinquantaine de Teutons, que je n'avais pas vus, nous canardent de flanc, plusieurs des nôtres tombent. Nous devons nous retirer, abandonnant nos blessés. Nous sommes poursuivis jusque Poupelaerstraat, où fatiguée, exténuée, ma compagnie s'arrête pour prendre un léger repos.

Nous étions tous heureux d'avoir échappé à l'ennemi: cinq minutes de plus dans la tranchée et nous étions prisonniers. Enfin je me dirige vers Elzenstraat pour joindre le lieu de concentration, le pont de Duffel. A l'entrée du village, je rencontre le capitaine- commandant Havenith; heureux de me revoir après ces terribles journées, il me félicite d'avoir tenu vaillamment avec mes hommes pendant cinq jours, sous un bombardement furieux, et de m'être retiré en bon ordre. Pendant le repos que je donne à mes hommes, je fais un appel général; 75 soldats manquent: tués, blessés et disparus. Deux gradés restent, le premier sergent Coppens et moi. Nous croyons avoir mérité quelques jours de repos à l'arrière, mais dès que nous sommes ravitaillés

en cartouches et en vivres, nous recevons l'ordre de reprendre position entre Wavre- Sainte-Catherine et Duffel. Nous y sommes acceuillis par un nouveau bombardement. Contournés à notre droite dans la direction de Waelhem, nous sommes contraints de nous retirer sur Duffel. La traversée de ce village, bombardé par du gros calibre, nous demande longtemps. Bientôt l'ordre nous parvient de nous replier à tout prix. Nous passons au pas accéléré, nous traversons le pont de Duffel, canonné avec frénésie, en trombe et sans avoir perdu un homme, et nous nous arrêtons hors du village. Ordre nous est donné ainsi qu'au commandant Havenith de nous replier sur Linth, où nous arrivons dans la soirée. Le restant du régiment s'y trouve. Là, je fus témoin des félicitations que le chef de corps adressa au sergent Delobbel pour sa belle conduite au feu et sa bravoure pendant le bombardement. Il avait, au péril de sa vie, sauvé son commandant (le commandant Van der Minnen) enseveli dans sa tranchée. Un autre fait est à signaler concernant ce sous-officier: sa compagnie se trouvait immédiatement entre le fort de Koningshoyck et la redoute de Borsbeek; les artilleurs d'une bat-- terie de 75, qui appuyaient la tranchée à gauche, avaient abandonné leurs pièces. Et cependant, ces pièces étaient de la plus grande utilité pour contrebattre les pièces allemandes et l'infanterie boche installée à 800 mètres de la position.

Sans hésitation et emporté par son patriotisme, Delobbel, qui savait manier le canon, se présenta pour remettre la batterie en action. Avec trois nommes, dont un artilleur blessé, il gagne la batterie dont toutes les défenses sont bouleversées, et qui n'a plus d'épaule-ment. Sous les feux directs de l'infanterie et des grosses pièces, le sergent Delobbel voulut commencer le tir à 600 mètres avec boîte à balles, mais malheureusement les artilleurs avant de s'enfuir avaient déboulonné les culasses et les tire-feu. Avec les bretelles de leur besace, nos gaillards improvisèrent un nouveau tire- feu et bientôt les pièces ouvrirent un feu d'enfer. Malheureusement, exposés au tir de l'infanterie, deux des servants improvisés sont mis hors de combat; un éclat de schrapnell tue le dernier. Deux pièces sont hors d'usage, qu'importe, notre sous-officier continue seul et les obus tombent dru sur les Boches. Mais bientôt, exténué, canardé à outrance et sa dernière pièce venant d'être i démolie, il est obligé de se terrer et ce n'est que dans la soirée qu'il peut regagner la t tranchée. Inutile de dire s'il y fut bien reçu!

 

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