- de la revue Revue de la Presse', du No. No. 147, 4 aout 1918
- 'La Belgique Héroïque et Vaillante'
- 'Mort du Caporal Trésignies'
- Recueillis par le Baron C. Buffin
Récits de Combattants
soldat belge mettant le feu pour détruire un pont
- Mort du Caporal Trésignies
- d'après le récit du premier sergent-major ... du 2e régiment de chasseurs à pied
Le 20 août, l'armée belge, appuyée sur la ligne des forts d'Anvers, a pris position sur le Rupel et la Nèthe; devant elle sont établis les III" et IXe corps allemands. Le haut commandement, apprenant que de violents combats se livrent sur la Sambre et vers Mons, exécuta une sortie les 25 et 26 août: la 6e division s'empara de Hofstade et des bois de Schiplaeken, les 1re et 5e divisions prirent Sempst, Weerde et Eppeghem; mais à l'aile gauche, la 2e division ne put déboucher sur la rive ouest du canal de Louvain et au centre la 6e division ne put occuper Elewyt; aussi l'armée rentra-t-elle dans le camp retranché.
Le 26 août 1914, vers 9 heures du matin, un peloton du 2e chasseurs à pied, commandé par le premier sergent-major ..., occupe à Pont-Brûlé une tranchée construite par les Allemands sur la rive sud du canal de Willebroeck. Des lignes ennemies part une pluie de balles qui rend bientôt, même pour les tireurs couchés, la position intenable. D'aucun côté la retraite n'est possible, il faut traverser le canal, coûte que coûte: un pont existe à quelques mètres, mais son tablier est levé et la manivelle du treuil se trouve sur la rive opposée. Que faire? Le sergent essaie de construire un radeau, travail rendu presque impossible par le manque de matériaux et par la fusillade de l'ennemi. Il faut y renoncer. « Un nageur de bonne volonté pour passer le canal, crie-t-il alors. - Présent! » répond le soldat Trésignies. Et il se lève. « Mon ami, dit le sergent, il s'agit d'aller baisser le pont. - Bien, sergent. »
Et tranquillement, en s'appliquant, Trésignies sur un bout de papier écrit ces mots pour sa femme: « Adieu, c'est pour le Roi », et confie le message à son chef. Alors, en un clin d'il, il s'est déshabillé et a sauté dans l'eau. Il nage déjà lorsque le sergent lui crie: « Trésignies, au nom du colonel, je vous nomme caporal. » Et Trésignies, ayant remercié par un sourire, traverse le canal, atteint la rive, grimpe sur la culée du pont et empoigne la manivelle. D'abord, il tourne en sens inverse et le pont se relève davantage, mais vite, il remarque son erreur et rectifie son mouvement. Le pont s'abaisse graduellement. La haute stature de l'homme se profile sur l'horizon, semblable à une statue antique. De toutes parts des coups de feu sont dirigés contre lui. Déjà Trésignies est atteint aux cuisses et aux bras; le sang jaillit, coule en ruisselets le long de son corps; impassible, il tourne encore, accomplissant son uvre de délivrance, il tourne, il tourne jusqu'au moment où une dernière balle le frappe au cur et l'abat sur la pierre bleue; quelques soubresauts, et le corps reste inerte, la tête pendant dans le vide...
En souvenir de ce héros, le conseil communal de la ville d'Anvers a décidé qu'une des rues de la métropole porterait à l'avenir le nom du caporal Trésignies et qu'une souscription serait ouverte au profit de sa veuve et de ses deux enfants.