de la revue ‘Revue de la Presse', du No. No. 145, 18 juillet 1918
'La Belgique Héroïque et Vaillante'
'Combat de Budingen
18 Aout 1914'
Recueillis par le Baron C. Buffin

Récits de Combattants

carte postale

 

Combat de Budingen - 18 Aout 1914
Mort du Lieutenant Comte W. d'Ursel

par le colonel de Schietere de Lophem, commandant le 4e lanciers

 

Le combat de Budigen est un épisode du forcement de la Gette par les avant-gardes de l'armée du général von Kluck. L'attaque s'étendit de Diest à Tirlemont et fut particulièrement violente â Tirlemont et à Hauthem-Sainte-Marguerite.

Le 17 août, vers 18 heures et demie, je reçus l'ordre de me rendre à Budingen avec l'état-major du 2e groupe du 1er guides. De grand matin, les deux escadrons sous mon commandement avaient été envoyés de Geet-Betz en reconnaissance: le 3e vers Looz, le 4e vers Oreye. C'est donc sans troupe que j'arrive à Budingen vers 19 heures et demie et je m'instalie à la ferme Dubois, où se trouve déjà un poste de secours. Le passage de la Gette, dont le pont a été détruit, est défendu par une compagnie du 4e de ligne, installée dans de bonnes tranchées, mais son commandant, le lieutenant Dothée, me prévient qu'il a pour instructions de gagner Cumptich pendant la nuit. Comme je ne peux rester seul dans une localité si accessible à l'ennemi, je lui enjoins de prolonger sa mission jusqu'à ce que d'autres troupes viennent le remplacer et j'avertis mon colonel de la situation. Dans la soirée, je reçois comme soutien le capitaine commandant de Favereau, à la tête du 1er escadron du 2e guides qui s'établit au bivouac dans un champ voisin de ma ferme et qui, après avoir soigné ses chevaux et alimenté ses hommes, relève à 2 heures et demie la compagnie du 4e de ligne: le lieutenant de Formanoir occupe le pont et la rive gauche de la Gette, le lieutenant comte d'Ursel les tranchées au sud, étendant sa surveillance jusqu'au moulin de la ferme Saint-Job, et entre eux s'intercale le peloton du lieutenant vicomte de Jonghe d'Ardoye; établi à la chapelle, à 300 mètres à l'est du pont, un poste surveille les routes de Graesen et de Léau.

Pendant la nuit, aucun indice ne signale l'approche de l'ennemi et la tranquillité était complète lorsque vers 6 heures et demie arrive le 4e escadron du 1er guides (commandant van den Branden de Reeth), dont les hommes, épuisés par une pénible reconnaissance, prennent quelque repos et se ravitaillent avant d'occuper le secteur nord.

Vers 7 heures, je fais une inspection des positions: la défense ne s'étend pas suffisamment vers Geet-Betz, aussi envoyé-je, à 300 ou 400 mètres plus au nord, l'élève à l'Ecole militaire baron de Crombrugghe avec une dizaine de cavaliers; d'un autre côté, près du moulin de Saint-Job, je découvre une petite passerelle que j'ordonne immédiatement d'encercler de ronces artificielles, arrachées aux propriétés voisines; ce passage devient ainsi impraticable. Partout les soldats sont à leur poste, impatients de combattre, désireux de se distinguer.

Lors de mon retour le long de la Gette, une détonation retentit. C'est le lieutenant d'Ursel qui vient de tirer sur des soldats allemands, cachés dans les couverts, à quelques centaines de mètres. Je m'arme également d'une carabine et, bientôt, j'aperçois deux Allemands accroupis, se disposant à nous fusiller. J'en abats un, d'Ursel se charge de l'autre; nous tiraillons depuis quelques instants et nous avons déjà mis plusieurs adversaires hors de combat, lorsque soudain une balle siffle et produit un léger claquement à ma droite. Tournant la tête, je vois d'Ursel, étendu inanimé, sur le talus de la tranchée. Il semble mort. Le cavalier Simon s'approche, soulève le colback et découvre une plaie béante que le malheureux officier porte à la partie postérieure de la tête. Quelle pénible impression! Quel sentiment de profonde tristesse étreint le cœur d'un chef en voyant tomber à ses côtés un de ses plus braves officiers.

Le combat s'est engagé sur toute la ligne, de nombreuses balles sifflent à nos oreilles. En toute hâte, je cours à la ferme Dubois et ordonne au commandant van den Branden de mener ses chevaux à la place de rassemblement, à l'ouest de la gare, et d'occuper immédiatement, avec le plus grand nombre d'hommes possible, les tranchées au nord du pont, tandis que l'escadron du 2e guides continuera à défendre celle du sud. Après avoir expédié une patrouille à cheval vers Glabeek, surveiller le cours d'eau entre ce hameau et la Gette, j'invite les médecins du poste de secours à relever d'Ursel et à le soigner. Le combat continue, violent, l'ennemi nous envoyant continuellement des balles et des shrapnells. Nos cavaliers ripostent avec précision; tous les tirailleurs ennemis qui s'avancent en dehors des couverts sont abattus. Heureusement, vers 8 heures, survient le maréchal des logis Bonnejonne, du 1er chasseurs, avec un fusil mitrailleur, qui se place en position au sud du pont, sous la direction du lieutenant de Jonghe. Quelques minutes plus tard, je reçois par téléphone l'ordre suivant: « Au cas où la ligne d'eau serait forcée, ralliement au Grootenbosch pour se porter sur Vroen et Kersbeck-Miscom », et en même temps l'avis: Commandant escadron 2e guides à Budingen. Par ordre général commandant division cavalerie, vous passez sous mes ordres et avez pour mission de défendre à outrance le pont de Budingen. Une mitrailleuse est à votre disposition. Communiquez avec moi à Geet-Betz. - Colonel 1er guides.

Comme j'avais la direction du combat de Budingen, je m'attribuai ces prescriptions. Parcourant de nouveau les tranchées au sud du pont, je parviens à l'endroit où d'Ursel a été frappé. Le lieutenant, couché au bas du talus, paraît dormir; une blessure presque imperceptible marque d'un point rouge le coin de l'œil gauche. « Eh bien, d'Ursel, demandai-je, comment vous sentez-vous? » Avant même d'ouvrir les yeux il me répond: « Ah! c'est vous, major? » et j'ai la surprise de lui voir un regard clair et vif. « Souffrez- vous beaucoup? » - « Pas trop. » - « J'ai donné des ordres pour que vous soyez relevé et transporté au poste de secours. Entouré de bons soins, vous serez vite rétabli. » II me remercie beaucoup, me disant toutefois: « Si je n'en échappe point, dites à ma femme que ma dernière pensée a été pour elle. » Je le lui promets et l'assure encore que sa blessure n'est nullement mortelle et que des médecins le panseront à l'instant. En le voyant si conscient, si calme, parlant si aisément, j'espérai que la balle avait contourné le crâne et que la plaie de la partie postérieure de la tête n'était qu'un arrachement produit par la sortie du projectile. En partant, je recommande à mon adjoint, le capitaine Baes, de faire évacuer le blessé.

L'attaque allemande devient plus forte et décidée; les shrapnells ennemis atteignent les tranchées; le nombre des assaillants augmente de minute en minute; à la chapelle, dont le poste de surveillance s'est replié, se présentent des masses de fantassins ennemis que décime le feu du fusil mitrailleur et des pelotons des lieutenants de Jonghe et d'Ursel. Il est 9 heures et quart. Un nouvel ordre me parvient: « Au cas où l'eau serait forcée, se rallier sur Vroen. - Le colonel 1er guides (porteur: brigadier Brewer, 1er groupe, 5e escadron). »

Ayant reçu précédemment des instructions me prescrivant de tenir à outrance, j'estime que mon devoir est de résister encore. Mes cavaliers se comportent toujours très vaillamment; cependant plusieurs prétendent entendre siffler des balles dans leur dos. « Vous faites erreur, répliquai-je, le bruit que vous entendez provient des balles qui s'écrasent sur les murs des maisons avoisinantes ». Le fusil mitrailleur s'étant encrassé, il faut interrompre le tir; le maréchal des logis Bonnejonne est blessé; le lieutenant de Jonghe parvient à remettre en marche le mécanisme et tire lui-même.

A 9 h. 30, je me rends sur la place du village, où se trouve le commandant van den Branden: deux obus éclatent à peu de mètres de nous. A ce moment, le brigadier Desterbeck, du 4e escadron du 1er guides, de patrouille vers Glabeek, accourt m'avertir qu'une compagnie ennemie, précédée de nombreux tirailleurs, se dirige le long du chemin de fer de Geet-Betz vers Budingen. Dès lors, mon dispositif est tourné, des forces supérieures vont m'attaquer en flanc et rendre toute résistance inutile: je donne l'ordre de retraite et désigne Grootenbosch comme point de rallie: ment.

Déjà des Allemands occupent les maisons du village; d'autres ont gagné la grande ferme et les bâtiments à l'ouest de la halte. C'est donc dans des conditions désavantageuses que s'effectue la retraite des deux escadrons qui, pour regagner leurs chevaux, doivent traverser un espace déjà battu par le feu de l'adversaire. Fâcheux contretemps! Au cours du combat, un certain nombre de chevaux, affolés par le bruit de la fusillade et de l'éclatement des shrapnells, se sont échappés des mains de leurs gardes et galopent dans la plaine. Alors, sous la protection du peloton du lieutenant Terlinden, commence une poursuite folle des cavaliers derrière leurs montures. Quand, enfin, ils sont en selle et effectuent leur retraite, les Allemands cachés dans les fermes tiraillent tant qu'ils peuvent. Heureusement leurs coups, mal ajustés, ne portent pas, ce qui fait qu'un petit nombre seulement d'hommes sont frappés, plus ou moins gravement, entre autres le capitaine commandant de Favereau, qui a le bras gauche fracturé par une balle et son cheval tué sous lui.

Le moment est critique, car les fantassins ennemis garnissent, de plus en plus nom- breux, les maisons voisines et nous envoient toujours aussi maladroitement d'innombrables balles. Si leur tir avait été bien dirigé, pas un de nous n'aurait échappé. Il n'y a pas de temps à perdre et une galopade rapide soustrait les escadrons aux projectiles ennemis.

Comme j'étais resté un des derniers sur le lieu du combat, quand je me rends à l'emplacement des chevaux haut-le-pied, cavaliers et montures sont partis. Il ne reste plus que le maréchal des logis Keucker de Wattlet et deux ou trois autres cavaliers. Impossible de retrouver mon cheval. Pour me soustraire au danger, car les balles sifflent de plus belle, je m'abrite derrière une maison proche. Quelle veine! un cheval passe, je l'attrape, saute en selle et me dirige au galop vers le Grooten-bosch, à travers un espace découvert, frôlé par des centaines de balles. Comment échappai-je? C'est incompréhensible. Je m'arrête près d'une briqueterie et appelle à moi des cavaliers qui courent épars dans la campagne: une quarantaine d'hommes m'ont déjà rallié quand un groupe nombreux d'autres guides, revenant vers moi, me signalent la présence de cavalerie entre Dries et Miscom. A la tête de ces hommes, je me porte vers Hoogen, à cent mètres à l'Est du Grootenbosch, où je rencontre le lieutenant de Formanoir avec son peloton. Aussitôt je donne l'ordre à cet officier de reconnaître la cavalerie signalée dans la plaine. Il revient vingt minutes après et m'apprend que c'est le 1er régiment de guides qui gagne Kersbeek-Miscom. Il est environ midi.

Je crois intéressant de reproduire un extrait d'une lettre que m'adressa le docteur Lepape, blessé durant le combat et fait prisonnier: « Au début de l'engagement, je me trouvais avec le docteur Spelkens, près de la ferme Dubois, aménagée tant bien que mal en poste de secours; nous nous sommes alors quittés afin de prendre les dernières mesures pour l'acheminement de nos blessés. A ce moment rares étaient les balles qui sifflaient sur la route tandis que quelques coups de feu venaient, parallèlement au chemin de fer et le railway. Ce fut de ce côté que je fus appelé en premier lieu pour donner mes soins: pendant que j'effectuais mais pansements, j'assistai à la débandade des chevaux, se cabrant et tiraillant leurs longes pour fuir; les gardes et maréchaux ferrants se démenaient en vain, puis s'efforçaient de les ralier vers le passage à niveau; pendant cette opération, je constatai la mort du maréchal ferrant Gevaert, atteint d'une balle au front. C'est au moment précis oh, voyant l'inutilité de mes soins, je me relevais, qu'une balle m'atteignit au genou; heureusement, il me fut possible, après extraction immédiate et pansement compressif, de continuer mon service. Je vis ainsi arriver des soldats en retraite, suivis à une centaine de mètres d'uniformes gris se faufilant le long du chemin de fer. D'autre part, mon ordonnance accourait m'annoncer que nous nous retirions. Rentrant alors dans la ferme, je détruisis tous les papiers y laissés par des sous-officiers surpris par l'alerte (états des cadres, feuilles à en-tête du régiment, carnets de campagne, correspondance, etc.), puis je m'acheminai vers les troupes. J'eus la malencontreuse idée d'enfourcher un cheval sans tenir compte de ma jambe; aussi quelques mètres plus loin, je tombai et me fracturai une côte. Quand je revins à moi, j'étais dépouillé de tous mes papiers et armes; la plupart des maisons flambaient et quelques Belges, enfermés dans l'une d'elles, tiraient encore. Peu après, je voyais défiler, pendant près de deux heures, des troupes d'infanterie avec mitrailleuses et canons.

« Quelques constatations me reviennent à l'esprit:

« 1 Les officiers allemands avaient fait croire à leurs hommes que nous étions des Français et non des Belges (les culottes rouges en témoignaient).

» 2 Systématiquement les portes et les fenêtres des maisons étaient enfoncées à coups de crosse de fusil, puis les habitations étaient incendiées au moyen de rondelles empilées en paquet que portaient certains soldats; en quelques secondes, la flamme apparaissait et s'étendait rapidement.

» 3 Les Allemands voulaient fusiller des prisonniers, dont un maréchal des logis, parce qu'ils avaient tiré d'une fenêtre « ce qui, disaient-ils, était contraire aux lois de la guerre »; connaissant un peu la langue aile-allemande, j'ai voulu m'interposer, ce qui m'a valu des bourrades. Je ne sais ce qui en est résulté.

» 4 Sur ma demande, les Allemands ont consenti à ne pas brûler le poste de secours ainsi qu'une maison voisine habitée par une femme in articula mortis.

» 5 Les soins médicaux ont été parfaits; le service d'inhumation au contraire fut défectueux, les fossoyeurs ne s'occupant pas des cadavres belges, ceux-ci devant être inhumés par les habitants: inutile de dire qu'ils étaient dévalisés.

» ... En ce qui concerne le lieutenant d'Ursel, je le savais blessé sous la tempe gauche, mais j'ai appris la nouvelle de sa mort, alors que j'étais à Saint-Trond; d'après les renseignements qui m'ont été fournis, quand on a identifié le cadavre de cet officier des guides, il était atteint à la figure et au cœur. »

II résulte de ce récit que les Allemands ont attaqué le pont de Budingen avec des forces considérables, que les deux escadrons de guides ont résisté avec la plus grande bra- voure et, conformément à leurs instructions, ont défendu à outrance le passage de la Gette. A mon profond regret, j'ai dû abandonner le lieutenant d'Ursel sur le champ de bataille, mais j'affirme qu'il n'avait à ce moment qu'une blessure à la tête et que s'il a été frappé au cœur, c'est qu'il a été achevé, au mépris des lois de la guerre.

 

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