- de la revue 'La Grande Guerre' editeurs Opdebeeck Anvers, 1919
- 'Les Operations Autour d'Anvers'
- La Siège d'Anvers en 1914
- les fortifications autour d'Anvers
Mais retournons dans notre pays. On sait que la victoire de la Marne avait éveillé l'espoir que les Allemands seraient forcés d'évacuer bientôt la France et même la Belgique.
Malheureusement, ce désir ardent de nos populations ne tarda pas à être déçu et il s'ensuivit partout un profond découragement.
Après leur défaite de la Marne, les Allemands décidèrent d'attaquer la forteresse d'Anvers et de s'en emparer, car ils voulaient écarter pour toujours cette menace perpétuelle dans le flanc de leur armée.
Anvers! Nous avons souligné la confiance inébranlable du pays dans ce réduit national, où semblaient s'être concentrés avec nos vaillantes troupes, tous les espoirs de la Patrie.
A moins d'être initié aux secrets militaires, personne n'aurait pu soupçonner qu'Anvers, en définitive, était une forteresse assez vulnérable.
Dès avant la guerre, une foule d'écrits, des plaintes et des avertissements solennels avaient maintenu cette question au premier plan de l'actualité. Et aujourd'hui encore, plus de six ans après la capitulation, on commue à la discuter âprement, et en haut lieu on se livre à de laborieuses enquêtes pour établir les responsabilités.
A ce point de vue il est assez intéressant de rappeler le débat qui se produisit au Sénat, le 6 mars 1905, à propos de la défense du territoire. Voici un extrait au compte rendu de cette séance mémorable:
« M. Hanrez. - Messieurs, on a lié la question des fortifications d'Anvers à celle des installations maritimes.
Ces questions ne devaient pas être liées, mais il en est deux autres qui auraient dû l'être, car elles présentent une connexité indiscutable: ce sont les fortifications de l'armée. C'est la question de la défense nationale tout entière qui est soulevée par le projet d'Anvers. On tu rait dû depuis de longues années déjà s'en préoccuper.
Je signale en passant le projet présenté par l'honorable général Dejardin, ancien directeur des fortifications d'Anvers, ancien professeur du cours de fortifications et de tactique à l'Ecole militaire, donc un homme très compétent. Le général Dejardin a proposé un système de fortifications Bruxelles-Anvers. Il lie les deux places: Anvers sert de base de ravitaillement; Bruxelles surtout sert à la défense.
Le général Dejardin dit que Bruxelles, capitale du pays, est le cur du pays: c'est le siège du gouvernement et c'est un foyer de patriotisme. A ce point de vue des craintes peuvent être soulevées en ce qui concerne la population d'Anvers, qui renferme beaucoup d'étrangers. Cette population est cosmopolite, ce qui est dangereux au point de vue du patriotisme.
Je me souviens, à ce propos, d'un mot du général Brialmont: il disait: « Si je devais défendre Anvers, je dirais à ceux qui veulent sortir: Sortez! car, une fois les portes fermées, je défendrais la place jusqu a ce que la chemise me brûle sur le dos.
Les étrangers enfermés dans Anvers seront un danger pour la défense. Il y aurait peut-être une partie de la population qui appellerait l'ennemi du dehors. »
Voici comment l'honorable général Dejardin, dans une notice que j'ai lue, défend son projet:
«Bruxelles devrait être fortifié...
M. le lieutenant-général Cousebant d'Alkemade, ministre de la guerre.
- Pourquoi n'en faites-vous pas la proposition? Nous verrons comment elle sera accueillie.
M. le comte de Smet de Naeyer, ministre des finances et des travaux publics.
- Déposez un amendement!
M. Hanrez. - Ce n'est pas à moi à faire une proposiition de ce genre. Vous auriez dû examiner ce projet avec celui des fortifications d'Anvers et les autres depuis très longtemps.
Je reprends donc une citation:
« Bruxelles devrait être fortifié. Anvers fut fortifié en 1859 comme base de l'armée belge, parce que, à cette époque. l'Empire allemand n'existait pas. La Belgique avait été, à différentes reprises, menacée par Napoléon III qui, sans doute, rêvait la revanche de Waterloo et nous devions préparer une base navale à l'armée anglaise et sans doute refaire 1815.
Mais aujourd'hui tout est changé; la puissance prépondérante et offensive, c'est l'Allemagne. Or, Liège et Namur, que nous pourrons difficilement garder, n'empêcheront pas le passage de la Meuse par l'armée allemande. Anvers est à l'extrémité du pays; toute la haute Belgique serait envahie malgré les places de la Meuse avant qu'un soldat anglais ait débarqué à Anvers. Bruxelles serait occupé et l'armée belge, en travail de mobilisation, obligée de se replier sur sa base pour ne pas être coupée.
Si nous pouvions, avec le service général, former la région forlifiée Bruxelles-Anvers, je crois la combinaison plus puissante sans exiger une armée de forteresse beaucoup plus considérable. »
Voilà, messieurs, quel est le projet du général Dejardin. Il aurait dû être examiné avec tous les autres projets et discuté en même temps que la réorganisation de l'armée. Il n'en a pas été ainsi.
A ce propos, l'orateur parla également de la garde civique.
M. Hanrez. - On mobilisera également les corps spéciaux de la garde civique, qui devront donner 17 à 18.000 hommes (artilleurs, chasseurs et cavaliers). On prévoit même la mobilisation du premier ban de la garde civique!
Nos gardes civiques savent-ils qu'étant mobilisés ils passent sous les ordres des gouverneurs des places où ils seront envoyés et qu'ils sont soumis aux règlements et au Code pénal militaires - à ce Code pénal dont chaque article commence par cette phrase sinistre: « Sera puni de mort... » C'est une véritable litanie. (Rires) Et ils sont engagés pour -toute la durée de la guerre, soumis à toutes les privations et, le cas échéant, traités comme prisonniers de guerre et envoyés dans les forteresses de l'étranger. Certes, nos gardes civiques ne savent pas à quoi ils sont exposés.
M. le lieutenant-général Cousebant d'Alkemade, ministre de la guerre. - Estimez-vous que l'on a tort de les utiliser?
M. Dupont. - Les gardes civiques n'ont pas une instruction militaire suffisante.
M. Hanrez. - Non seulement ils n'ont pas une instruction militaire suffisante, mais ils sont en possession d'un armement démodé, d'un fusil inférieur au fusil de l'armée. Et ce sont ces hommes que vous enverrez à la bataille dans des conditions aussi déplorables! Quels services voulez-vous qu'ils puissent rendre et à quels dangers ne seront-ils pas exposés!
On discuta, ensuite la question des effectifs.
« Les Belges n'aiment pas a payer les impôts, dit un orateur, mais qu'ils pensent aux contributions de guerre, aux ruines inévitables causées par l'invasion ».
On a beaucoup écrit sur cette question de la défense d'Anvers. Nombreuses sont les brochures qui .traitent ce sujet, mais lorsque la guerre éclata, la forteresse se trouvait dans une situation assez précaire.
Le gouverneur général Dufour avait une lourde tâche à remplir. En vue du siège il devait s'occuper du ravitaillement de la place, ainsi que de l'organisation des ouvrages de défense, pour lesquels, en raison de l'insuffisance des armements, il fallait recourir à une foule d'expédients.
Conformément aux instructions en vigueur, dès la mobilisation imminente, le Gouverneur militaire reçut à l'hôtel de ville la commission de ravitaillement et il exposa au collège des bourgmestre et échevins, au gouverneur civil et aux commissaires d'arrondissement, le problème des vivres. Dès ce moment, comprenant ce que le pays attendait d'elles, toutes les autorités et toutes les notabilités prirent ou proposèrent les mesures les plus convenables.
Les personnes les plus compétentes du commerce, de l'industrie et du barreau prêtèrent leur concours de sorte que, sans qu'il y eut jamais même l'apparence d'une résistance, toutes concoururent au but nettement défini et apportèrent à la réalisation de cette uvre gigantesque l'aide la plus désintéressée de leur compétence et de leur expérience.
Les vivres devaient être transportés jusqu'aux troupes en campagne. Là aussi il fallut organiser bien des services qui n'existaient pas, par exemple le convoyage, des trains par un personnel compétent, afin de faire parvenir les approvisionnements aux divers points de destination, où les différentes divisions venaient chercher leur part.
Pour faire ce dur métier, 7 notabilités anversoises d'abord, 28 dans la suite se présentèrent et conduisirent régulièrement leur train à destination pour y attendre l'arrivée du convoi divisionnaire, faire la distribution et ramener ensuite les impedimenta. Ils firent ce métier avec un dévouement absolu. Rappelons le cas de ce convoyeur qui, ayant une avarie tie machine alors que vers le 20 août il dirigeait le dernier train qui ait atteint Namur, fit arrêter le premier train de voyageurs entrant dans la gare la plus proche et conduisit son convoi à destination malgré la proximité des détachements ennemis.
La plupart des établissements de fabrications se trouvaient à Liège et Liège était tombé.
Le gouvernement dut créer à Anvers tous les ateliers de fabrication et de réparation du matériel.
Au début de la campagne, Anvers était en voie d'organisation; bien des forts n'avaient pas encore de ceintures bétonnées autour de leurs coupoles, certaines pièces étaient à peine installées et ne possédaient point d'appareil de pointage, le champ de tir n'était pas dégagé, les observatoires n'étaient pas constitués, les projecteurs nécessaires n'étaient pas acquis, il y avait pénurie de munitions et il fallait établir plus de 100 kilomètres de défenses accessoires.
Enfin comme il n'existait aucun pont sur l'Escaut a l'intérieur de la position, ni sur le Rupel en aval ae Boom, il fallut en un temps très court assurer les communications sur ces importantes rivières à forte dénivellation de marées.
En quelques jours 4 ponts permanents furent lancés sur l'Escaut, savoir:
- 1) A Anvers - Tête de Flandre, longueur: 400 mètres environ;
- 2) à Anvers - en amont de Burght, longueur: 410 mètres environ;
- 3) à Hemixem près d'Anvers, longueur: 300 mètres environ;
- 4) à Rupelmonde, longueur: 330 mètres environ.
- 1) Sur le Rupel à Hellegat (Boom), longueur: 225 mètres environ;
- 2) au Tolhuys (près de l'embouchure du Rupel) 200 mètres environ.
On sait aujourd'hui que les Allemands ne parvinrent, après la chute d'Anvers, à reconstituer ces passages qu'au bout d'un temps relativement très long.
Un Zeppelin fit son apparition, ainsi que nous l'avons décrit. On constata alors que la position fortifiée n'avait pas un seul canon spécialement construit pour le tir contre les avions, mais deux jours plus tard, un canon de 75, monté sur un wagon fixé sur une plate-forme tournante, était en ordre de tir et, lors de leur deuxième incursion, les Allemands durent fuir précipitamment, jetant au hasard afin de ne pas tomber, leurs bombes par dessus bord: six ballonnets avaient été détruits. Depuis lors aucun dirigeable ne se risqua plus au dessus de la ville.
On travailla avec une activité fébrile jusqu'au jour où les Allemands commencèrent le siège de la place. Oui, nous pouvons même dire: jusqu'au jour où l'ennemi s'empara de la forteresse, et nous verrons qu'Anvers, malgré ses imperfections et ses lacunes, a joué un rôle très important.
Le véritable siège d'Anvers commença le 20 septembre; c'est ce jour-là, en effet, que l'artillerie allemande lança les premiers obus sur la première ligne de l'enceinte.
Deux jours auparavant, l'ennemi avait de nouveau bombardé Malines avec une violence extrême.
Dans la ville il n'était resté que deux cents habitants à peine. Ceux qui visitèrent Malines à ce moment purent croire la ville complètement déserte. Mais en certains endroits on rencontrait encore quelques rares habitants-par exemple dans le vaste cimetière, situé un peu en dehors de la ville. Le commissaire Callant était encore à son poste.
Qu'on nous permette d'interrompre un instant ce récit dramatique pour conter une anecdote. Elle fut rendue publique après la libération, le 5 décembre 1918, à l'occasion d'une manifestation organisée par ses collègues en l'honneur du commissaire Callant.
M. Sips, qui prononça le discours de circonstance, s'exprima en ces termes savoureux:
« Permettez-moi, monsieur le commissaire, de raconter à mes amis comment vous avez sauvé la vie au plus ancien citoyen de Malines.
C'était en septembre 1914, entre les premiers bombardements et le grand Bombardement du 27 septembre. Il ne restait pas plus de deux cents personnes dans la ville. Le personnel de la Croix Rouge d'Anvers se rendit à l'hopital et dans toutes les pharmacies afin de réquisitionner les objets qui pouvaient servir à l'armée. Le commissaire Callant les accompagna et apprit qu'ils cherchaient à savoir où était caché Op-Sinjoorken. Leur curiosité éveilla des soupçons: une fois Op-Sinjoorken à Anvers, Malines était certaine de ne plus jamais le revoir et aurait même à subir les sarcasmes des « Sinjoors ». C'était une revanche à prendre: la légende populaire n'affirme-t-elle pas, en effet, que les « Maanblusschers » ont volé « Op-Sinjoorken » à Anvers? A l'aide d'une échelle nous grimpâmes, le commissaire, mon collègue Van Laken et moi, dans le Vieux-Palais du marché aux Souliers et nous enlevâmes notre vieux concitoyen du coffre où il dormait d'un sommeil si profond, qu'il ne savait rien encore de tous nos bombardements. Après lui avoir fabriqué une caisse nous l'enterrâmes à Wavre-Saint-Catherine. dans le jardin de Van Laken, en lui recommandant de se tenir tranquille jusqu'au moment où nous viendrions l'exhumer, or, il paraît que juste à cet endroit, au-dessus de la tête d'« Op-Sinjoorken », les Allemands préparaient le feu pour leur cuisine. La nature espiègle d'« Op-Sinjoorken », reprenant le dessus, il se mit à jouer de multiples tours aux ennemis de sa chère ville. Lorsque l'un d'eux s'asseyait par terre, il se redressait aussitôt ayant l'impression que le sol était comme secoué par un tremblement de terre. Mais la cause du phénomène véritable était tout autre: c'était « Op-Sinjoorken » qui se retournait dans sa caisse, lorsqu'un Boche était assis sur sa figure, parce qu'il ne pouvait supporter la puanteur allemande. Lorsque le soir ils étaient couchés près du feu, ils entendaient une voix à leurs côtés; et quand ils criaient: « werda? » ils ne recevaient pas la moindre réponse. Et ce manège se renouvelait sans cesse, à tel point qu'à la fin ils crurent que c'était le sifflement du vent dans les arbres. Mais c'était la voix d'« Op-Sinjoorken » qui criait: « Bandits! Voleurs! »
II s'était tellement débattu qu'au moment où nous le remontâmes, après l'occupation de la ville, ses vêtements étaient en lambeaux et que ma femme dut lui confectionner une nouvelle tenue pour lui permettre de paraître dignement dans le monde. »
Quatre soeurs restèrent à l'hôpital jusqu'au 27 septembre. Elles étaient revenues de Gand à la demande du bourgmestre et avaient fait à pied le voyage de Duffel a Malines, sous une pluie battante.
C'est alors qu'éclata cet effroyable bombardement. Les malades qui pouvaient se sauver par leurs propres moyens s'enfuirent; les blessés et les morts furent transportés hors de la ville. Les surs enterrèrent elles-mêmes huit cadavres dans le jardin. Elles emmenèrent dix blessés dans leur seconde fuite à Gand.
Les premiers obus tombèrent sur la ville à huit heures et quart et le bombardement dura toute la journée. Le cardinal Mercier se rendit à Anvers.
Une femme fut atteinte à la Vieille chaussée de Lierre; elle parvint jusqu'à Contich, où elle mourut.
Un habitant de Louvain, frappé de folie, s'enfuit jusqu'à Battel, où il se noya. Une femme inconnue fut atteinte dans la rue Deckers, tandis qu'un civil tué était étendu près de la haie du cimetière communal. Six habitants périrent en face de l'église d'Hanswijck.
Au cours de ces bombardements et des bombardements antérieurs, il y eut 38 victimes.
Malines même ne fut pas défendue et le 28 septembre l'ennemi pénétra dans la ville qui avait subi de graves dégâts. Les Allemands mirent le feu en plusieurs endroits et les ruines s'amoncelèrent partout.
Du côté gauche des Bailles de Fer toutes les maisons depuis le coin de la rue de la Coupe, jusque près de la vieille Maison Scabinale furent réduites en cendres; le côté opposé et la chaussée présentaient un spectacle tout aussi lamentable.
Dans la rue Notre-Dame, un grand nombre de maisons furent détruites; dès Cinq-Coins jusqu'au delà de la rue de la Poche, toutes les maisons du côté droit étaient en ruines; la rue des Bateaux et la rue Etroite ainsi que le marché au Grain avaient également été très éprouvés.
Tandis que les flammes crépitaient et que des murs s'écroulaient avec fracas, on continuait à piller les immeubles et le butin était si considérable qu'on le transportait sur ues véhicules. Cette infâme besogne était faite non seulement par les Allemands, mais encore par la lie de la population, tant de la ville que des alentours.
D'après les renseignements que M. l'échevin Van den Henden nous communiqua avec bienveillance, il est établi qu'à Malines 343 maisons ont été entièrement détruites et 690 partiellement; tous ces immeubles ont été atteints directement par des obus.
En outre, plus de mille maisons ont été endommagées par des éclats d'obus et par le fait des soldats allemands, qui enfoncèrent les portes et causèrent de graves dégâts. Le bris des carreaux et l'enfoncement des portes extérieures ne sont pas comptés ici comme dégâts.
Plus de 5.000 maisons furent pillées.
Parmi les principaux édifices détruits et endommagés il faut noter l'hôtel Busleyden, propriété du Mont-de-Picté. Ce palais avait été construit en 1503 par Jérôme Busleyden, chanoine et conseiller spirituel du Grand Conseil et contenait de multiples uvres a art, nombre de fresques de grande valeur, deux cheminées monumentales en style gothique et une quantité de meubles précieux. Tout cela est détruit et le dommage peut être évalué à un million, en tenant compte de ce fait que les objets détruits ne peuvent plus être remplacés.
La cathédrale et la tour de Saint-Rombaut furent atteints quarante fois par des projectiles. Les vitraux précieux furent détruits. Il y avait des brèches dans la toiture et dans les murs. Les dégâts à la tour s'élèvent à 460.000 francs, ceux de l'église,à 600.000 francs. Le toit de l'église Notre-Dame était troué à plusieurs endroits; les vitraux étaient brisés. Les dégâts se montent à 180.000 francs.
A l'église Saint-Jean la voûte centrale était trouée, la toiture détruite. Les dégâts sont de 21.000 francs.
On peut dire d'une façon générale que toutes les églises avaient leur toiture et leur tour endommagées.
Le couvent des Petites Surs des Pauvres, de la rue Léopold, et la grande fabrique de meubles Van den Au-wera étaient totalement détruits. Le palais des archives avait des dégâts importants. Et partout on voyait des maisons incendiées: à l'avenue Van Beneden, à la Mélane, à la chaussée ae Louvain, à Neckerspoel, au Nieuwendijk. etc. Une aile de la caserne des lanciers à la chaussée de Lierre fut démolie.
Malines a été bombardé sept fois avec des pièces de petit calibre, mais la 8e et dernière fois (27 septembre) l'ennemi mit en uvre sa formidable artillerie lourde.
Une fois maîtres de Malines, les Allemands pouvaient déplacer leur artillerie en vue d'attaquer les forts et de commencer le siège d'Anvers.
A ce moment les soldats belges ne se renuaient guère compte de la gravité de la situation et se croyaient en sécurité a l'intérieur de l'enceinte fortifiée.
C'est ce que fait ressortir F. H. Grimauty, artilleur-cycliste, attaché à la 101e batterie, dans son ouvrage « Six mois de guerre en Belgique ».
« Pour la première fois, écrit-il, les Allemanus viennent se frotter à la ligne de nos forts. Ça nous semble vraiment d'une outrecuidance rare. Auparavant, lors de nos autres sorties, lorsque, sous l'arrivée de leurs masses de renforts, nous étions obligés de nous replier à l'intérieur du camp retranché, ils demeuraient à distance respectable, comme des renards avertis et prudents qui .parviennent à vaincre la tentation de chair fraîche dans le piège qu'ils devinent.
Dans la place forte d'Anvers, nous nous sentions aussi à l'abri que dans la lune. Et maintenant encore, qu'ils s'avancent avec un air menaçant, il nous semble narquoisement qu'ils veulent prendre la lune avec les dents... ou la descendre à coups de canon.
- Eh bien, qu'ils viennent voir! dit Pirotte... S'ils ne savent pas ce que c'est que de mettre la main sur un porc-épi c...
L'expression est assez juste, pour nous... Il nous semble qu'Anvers est comme un grand porc-épic insaisissable.
- On dit qu'ils viennent avec des canons formidables, fait un autre.
- Ils les useront contre nos coupoles, alors.
- Nous avons des vivres pour dix ans, affirme Pirotte avec un aplomb de grand intendant.
- Dans dix ans, il y aura longtemps qu'on aura chanté le bout-de-l'an du dernier Prussien, dit Charlier, paysan luxembourgeois.
- Dix ans sans revoir Bruxelles! dit Robin... Ce serait à devenir anthropophage.
-Bah! fait Pirotte avec son sourire de Liégeois.. Anvers est une jolie ville... On ne s'y enbêterait peut-être pas...
Voici, à peu près dans les termes et tout à fait dans l'esprit, une des conversations que nous avons eues alors,
Anvers est recueil et le phare. L'écueil à briser comme verre les vagues les plus acharnées. Le phare, où, narguant la tempête, luisent la liberté et la souveraineté de la Nation. Phare aux lueurs rouges debout sur le monde, où luisent aussi le courage et la douleur de la Nation. Nous nous sommes groupés sur ce refuge et sous ce phare, et nous défions l'océan mauvais des vagués teutonnes.
Celui qui nous eût dit que, deux, ou trois semaines plus tard, nous aurions échangé notre ligne puissante de forts contre un ruban d'eau de dix mètres de largeur, au plat pays du Veurne-Ambacht, nous l'eussions lapidé comme un traître, ou enfermé comme un fou.
Il a été magiquement prouvé par la suite qu'il en valait mieux ainsi. A ce moment, nous péchions par de multiples ignorances, et par la confiance presque innée chez tous les Belges qu'Anvers était censément imprenable. »
Et Grimauty avait raison, car telle était bien alors l'opinion unanime. Pendant des semaines, même pendant les jours les plus sombres, on avait tourné ses regards confiants vers la grande forteresse; on en parlait toujours, et soutlain, dans tous les coins du pays on entendit la voix grave des canons déchaînés.
« C'est à Anvers! » s'écria-t-on.
Et, malgré l'optimisme qui régnait partout, les fronts se rembrunirent. Qui n'avait pas, en effet, un être cher exposé au feu de ces canons mugissants, au milieu des dangers et des vicissitudes de la bataille?
« Le grondement de l'artillerie va grossissant, écrit Stijn Streuvels dans son journal de guerre. Par moments il se déroule en une salve régulière, puis éclate comme un tonnerre dont les coups se fondent dans une décharge tumultueuse.
« Ecoutez, mais écoutez donc cette canonnade! », s'écrie une femme dans la rue.
Elle a deux fils à l'armée et je m'imagine sans peine que chaque coup doit retentir au fond de son âme, comme la mort elle-même et la destruction. »
Nous donnerons d'abord un aperçu des opérations militaires, pour décrire ensuite d'une façon plus détaillée les divers épisodes, ceux notamment qui se rapportent aux opérations des Alliés en France.
L'armée assiégeante se composait du IIIe corps 8e réserve allemand, des le et IVe division d'ersatz; d'une division de fusiliers marins, d'une division bavaroise, des 26e et 27e brigades de la landwehr. d'une brigade de pionniers de siège et d'une brigade d'artillerie à pied.
Un grand nombre d'ingénieurs du génie et d'officiers qui résidaient à Bruxelles devaient chaque jour travailler aux fondations de l'artillerie de siège, devant la ligne des forts, mais ils étaient .contrariés dans leur besogne par les sorties des troupes belges. Leur déception, cependant, devait se changer en orgueil. Nos forts construits pour pouvoir résister à des canons de 210 mm. au plus, furent bombardés avec des pièces de 380 et 420. Et l'ennemi, abondamment pourvu de munitions, pouvait les dépenser sans compter.
Notre artillerie ne portait pas à plus de 12 kilomètres, tandis que l'ennemi pouvait atteindre 15 kilomètres et plus.
Aussi, dès le premier jour, nos illusions devaient recevoir un coup mortel.
Aperçu Sommaire du Siege d'Anvers
27 septembre: Les Allemands essaient de traverser la Nèthe près de Termonde, de Baesrode et de Schellebelle.
Notre quatrième division, qui occupait dix positions sur la rive opposée, se tient sur ses gardes et repousse les attaques de l'ennemi.
Du reste, les combats violents ne commenceront pour eux que quelques jours plus tard, car l'ennemi n'exécuta en ce moment qu'une manuvre simulée, pour détourner l'attention des Belges de son plan principal.
La position d'Anvers est divisée en cinq secteurs: lr secteur, au nord, forts St-Philippe, Merxem, Cappellen, etc.; 2e secteur, à l'est, les forts de 's Gravenwezel, d'Oel'egem, etc.; 3e secteur, au sud-est, le long de la Nèthe, près de Lierre et de Duffel, etc.; 4e secteur, le long du Rupel. les forts de Bornhem, de Liezele, etc.; 5e secteur sur la rive gauche de l'Escaut et dans le pays de Waes.
28 septembre: Un lundi. A midi juste le premier obus foudroyant de l'ennemi tombe sur le fort de Waelhem. C'est le début du bombardement, qui vise à présent la seconde enceinte des forts: Bornhem, Liezele, Breendonck, Wavre-Ste-Catherine, Koningshoyckt, Lierre, Kessel et Broechem. Le feu est dirigé en permier lieu sur Wavre-Ste-Calherine et Waelhem; le tir est d'une précision extraordinaire et on en conclut aussitôt que l'ennemi, grâce à son service d'espionnage, est parfaitement au courant de notre système de défense.
Nos forts et les canons de campagne postés dans les intervalles ripostent par un feu ininterrompu, mais ne peuvent atteindre l'artillerie monstre des Allemands. Pendant toute la nuit et la journée suivante, L'artillerie ennemie déverse sa mitraille sur les forts.
Le fort de Waelhem est desservi en partie par des artilleurs de Namur, auxquels ce formidable bombardement n'est pas inconnu. Leurs camarades d'Anvers, qui leur ont dit parfois en plaisantant: « Vous vous êtes sauvés beaucoup trop vite à Namur », commencent maintenant à- se faire une idée plus adéquate de la situation.
Le grand quartier général envoie en toute hâte la première et ia deuxième division dans, le troisième secteur (Waelhem-Lierre). La troisième et la sixième division restent dans le quatrième secteur (Dyle-Escaut). La quatrième division se trouve près de ïermonde et la cinquième division est maintenue en réserve.
29 septembre: Les Allemands attaquent le quatrième secteur. La troisième et la sixième division doivent se replier jusqu'à 1.500 mètres de la ligne des forts. L'artillerie lourde des Allemands bombarde le fort de Breendonck et toute la région qui s'étend derrière ce fort, entre Ruysbroeck et Willebroeck. Les Allemands entreprennent une attaque contre Blaesveld, mais le feu du fort de Breendonck les disperse. Le fort de Wavre-Ste-Catherine est réduit au silence, après un bombardement de 30 heures. Le magasin à poudre saute.
Les Allemands concentrent leur feu sur les forts de Waelhem, Koningshoyckt et Lierre, dans le troisième secteur. L'ennemi bombarde également Duffel. A 6 heures du soir, la garnison du fort de Wavre-Ste-Catherine se retire.
Près de Malines apparaissent deux ballons captifs allemands qui observent les mouvements des troupes belges. Le. génie augmente la charge de tonite accumulée sous le pont du chemin de fer à Duffel.
Les habitants quittent le village.
Un train blindé armé d'un canon s'avance de Contich vers Duffel et bombarde l'ennemi.
30 septembre: Des obus atteignent et détruisent le grand réservoir d'eau situé derrière le village de Waelhem et qui appartient aux « Water-Works d'Anvers, dont les stations principales se trouvent près de la Nèthe à cet endroit.
Le gouverneur d'Anvers (général Déguise), en prévision de cet événement, a fait remplir l'eau potable les cales sèches d'Anvers.
Le fort de Waelhem est déjà très endommagé et reçoit dix projectiles par minute, mais continue a tirer vaillamment avec les pièces restées intactes.
Les habitants de Waelhem et d'autres communes prennent la fuite. Le personnel de la gare détruit les appareils et se relire. Le génie fait sauter le pont de Waelhem.
Le soir un projectile atteint la maison communale de Duffel où se trouve le quartier général du troisième secteur; celui-ci va s'installer à Linth, petit village situé entre Contich et Lierre. Le secteur tout entier est soumis à un terrible bombardement, tant les forts que les intervalles.
Le bombardement dure toute la nuit avec intensité.
Au cours de, cette nuit les Allemands tentent de s'emparer par surprise du pont de Termonde. Auparavant un bombardement terrible avait obligé notre infanterie à abondonner la rive gauche. Une sentinellle ayant aperçu une masse grise sur la rive opposée prévient son chef. Effectivement l'ennemi veut prendre le pont d'assaut. Notre artillerie, nos mitrailleuses et nos fantassins du 13e de ligne ouvrent sur lui un feu nourri. Les premiers rangs allemands s'abritent derrière des matelas. En dépit d'un feu violent ils .avancent. Soudain le génie fait sauter le pont. Une détonation formidable retentit. Le pont s'effondre. Des pièces de fer. des morceaux de chair sanglants, des membres humains sont projetés en l'air au milieu du brasier et les survivants de la colonne d'assaut refluent vers Termonde en une fuite désordonnée.
1er octobre: Incendie à Wavre-Notre-Dame et à Wavre-Ste-Catherine. Pendant la nuit la garnison de Wavre-Ste-Catherine essaie de réoccuper le fort. L'ennemi bombarde violemment nos positions à cet endroit. Les forts se taisent, mais les batteries répondent encore avec vigueur. Nous avons de lourdes pertes. Les troupes reçoivent l'ordre de se maintenir coûte que coule. Quantité de maisons du village s'écroulent. Le soir, le commandant du fort réoccupe celui-ci, quoiqu'un incendie s'y soit déclaré et qu'il ne forme plus qu'un monceau de ruines.
Les Allemands déclanchent une attaque près de la redoute de Dorpveld; ils sont dispersés. ,Le fort de Waelhem a été réduit au silence, il n'en reste que des dé combres. La garnison se retire.
Koningshoyckt doit également renoncer à la lutte. A 12 heures le magasin des munitions saute; à 2 heures 30 une nouvelle et formidable explosion se produit. Le fort de Lierre est violemment bombardé et gravement endommagé. Il reçoit ce jour-là, outre une foule d'autres obus, 60 obus de 430 mm. Les Allemands exécutent une attaque, mais sont repoussés.
L'artillerie allemande s'acharne sur Duffel, principalement sur le quartier de la gare. Les aliénées de l'établissement de l'Etat sont les derniers civils qui quittent le village.
Le génie belge détruit la tour de l'église de Duffel. Les Allemands bombardent Willebroeck et le fort de Breendonck.
Le matin les premiers obus tombent également sur la ville de Lierre. L'artillerie ennemi est établie à Heyst-op-den-Berg. L'hôpital de Lierre est atteint: cinq soldats et deux femmes sont tuées. La population prend la fuite; des maisons s'écroulent.
2 octobre: Continuation du bombardement général, surtout du fort de Breendonck, des ponts du Rupel. de Bornhem. de Kessel, de la gare de Duffel. La redoute de Tallaert est évacuée.
La première brigade de la cinquième division et le premier régiment des carabiniers repoussent de violentes attaques aux environs de Lierre. Le première et la deuxième division sont rejetés sur la Nèthe. Les Allemanus lancent une attaque sur le fort détruit de Waelhem, mais sont repoussés par le feu des mitrailleuses. Plus de 250 projectiles s'abattent sur la gare de Duffel, ce qui portera à 12.000 le total des projectiles tombés dans un rayon de 200 mètres autour de la gare, du 27 septembre au 30 octobre.
A 7 heures du matin les Allemands font un assaut près de Wavre-Ste-Catherine. Le premier détachement est revêtu d'uniformes belges, mais on découvre la ruse à temps. Nos troupes doivent battre en retraite et abandonner un grand nombre de blessés.
L'infanterie se retire à 1 heure de l'après-midi par le pont de Duffel. Elle est suivie, à 2 heures, par l'artillerie de la première division.
Un train de la Croix-Rouge qui entre dans la gare pour recueillir des blessés et qui a arboré dix drapeaux de la Croix-Rouge, subit, malgré ces signes maniîesles, un terrible bombardement. Néanmoins on charge les blessés. Le train repart, poursuivi à nouveau par les projectiles. A 8 heures du soir on fait sauter le pont de chemin de fer. Le fort de Lierre est violemment bombardé. Nos troupes repoussent de furieux assauts. Des incendies éclatent dans la ville. Des explosions se produisent dans le fort. A 2 heures de l'après-midi il reçoit le 235e obus de 420 mm. On abandonne le fort à 6 heures. Seuls le fort de Kessel et le fortin de Duffel résistent encore.
3 octobre: Violent bombardement de Kessel. Le fortin de Duffel tire ses dernières munitions. La garnison se retire à 10 heures du soir sur la rive droite de la Nèthe. Cette rive est exposée à un feu intense. Le fort de Kessel succombe à son tour; il est évacué dans le courant de la journée. La première ligne de défense est aux mains de l'ennemi.
La lutte continue sur la ligne de la Nèthe: Les Allemands exécutent trois assauts successifs pour s'emparer du passage de la Nèthe près de Waelhem, mais toujours sans succès.
Le soir la première brigade de troupes britanniques arrive à Anvers, saluée avec un vibrant enthousiasme par la population. Le ministre Churchill a précédé les troupes anglaises et a demande à notre quartier général de prolonger la résistance. Il est extrêmement optimiste et assure notamment au bourgmestre qu'il sauvera Anvers.
Notre commandement suprême, qui déjà avait décidé l'évacuation d'Anvers, consent à une nouvelle résistance.
Le corps anglais, qui avait débarqué à Zeebrugge, comprenait 10.000 hommes sous le commandement du général Paris. Le premier détachement compte 2500 hommes qui défilent le samedi soir dans les rues d'Anvers.
Ce sont de beaux hommes mais mal équipés. On les dirige vers le front où ils prendront place entre Lierre et Duffel, aux côtés de notre deuxième division.
Mais Anvers ne peut plus être sauvé. Près de Termonde et de Schoonaarde, la quatrième division déjoue les testatives faites par l'ennemi pour traverser l'Escaut et pénétrer dans le pays de Waes. Une importante mission incombe à cette division, car si les Allemands parvenaient à traverser l'Escaut, ils pourraient enfermer notre armée dans les murs d'Anvers comme dans une souricière.
4 octobre: Les Allemands rejettent hos dernières troupes de la rive sud de la Nethe.
Le génie dégage le terrain dans la direction de Linth en coupant les bois de sapins, les buissons et autres obstacles. Les obus tombent jusqu'aux abords de ce village. La population de plusieurs villages s'enfuit.
Les Anglais occupent leurs tranchées près de Lierre.
Violent bombardement du fort de Broechem. Le génie détruit les ponts sur la Nèthe. Combats sanglants aux environs de Schoonaarde, près du pont de l'Escaut.
Les Allemands bombardent furieusement les retranchements de nos troupes, mais celles-ci maintiennent leurs positions près du pont.
5 octobre: Trois régiments allemands traversent la Nèthe près de Lierre, mais se heurtent à la deuxième division d'armée et aux troupes anglaises du général Paris.
L'ennemi a également passé la rivière au sud de Lierre.
Dans la ville on se bat avec acharnement. Des mitrailleuses installées dans les maisons tirent sur l'ennemi à mesure qu'il avance. Des corps-à-corps s'engagent dans les rues.
Les derniers soldats belges et anglais se retirent.
Des Allemands ivres incendient les maisons, après les avoir pillées.
Entre Waelhem et Duffel la première division contient encore les Allemands qui exécutent des assauts répétés. Près de Schoonaarde, le long de l'Escaut, la lutte n'est pas moins ardente. Dès l'aube les deux artilleries adverses ouvrent le feu. Celle des Allemands est très violente.
Le lieutenant de Burlet a écrit, à propos de ce bombardement:
« J'ai perdu sept hommes de mon peloton, dont un sous-officier et mon infortuné ordonnance que vous avez vu près de moi dans la trancnée: un shrapnell a éclaté à deux mètres de nous, enlevant la figure de mon pauvre Tuitinier. Je me suis couvert de son cadavre de 6 heures et demie à 7 heures trois quarts, heure à laquelle, après avoir évité mille dangers, et senti tressaillir sous des éclats d'obus le corps qui me protégeait, j'ai battu en retraite. »
Le commandant Cartuyvels écrit à ce propos:
« Vers 7 heures et demie le feu cesse. Je sors de mon abri et j'entends parler allemand de l'autre côté de l'eau... Pan!... Une balle m'arrive en pleine poitrine et, miracle, dévie sur un petit canif, puis une seconde me troue le genou gauche.
« J'avais pour instruction de rester aussi longtemps que je jugerais la chose possible. Estimant la situation intenable et voyant que nous ne faisions aucun mal à l'ennemi, je donne ordre à mon escadron de battre en retraite. Je tâche de partir, comme je puis, à trois pattes; j'entre dans un premier, puis dans un second fossé plein d'eau. J'en avais jusqu'au cou et je me traînais sur l'herbe mouillée, quand une balle me casse la cuisse droite, près de la hanche. J'étais bloqué! Je fis le mort; malgré cela, ces « cultivés » continuaient à tirer sur. moi... Quelle retraite morale on fait lorsqu'on reste pendant douze à treize heures sous les balles ennemies!
« J'écrivis sur mes manchettes à ma femme, à ma mère, leur disant « adieu », et j'attendis la mort I Les obus continuaient à faire rage au-dessus de ma tête, les balles à siffler....; un fantassin rampait à quelques mètres de moi; une balle lui traversa la tête: il poussa un cri rauque et rendit l'âme; l'après-midi, je reçus une balle dum-dum ou de ricochet dans la cuisse gauche qui mo fit beaucoup souffrir.
« A la nuit tombante, grâce a un petit sifflet dont je me servais pour donner des ordres je fus retrouvé par le maréchal des logis de Looz-Corswarem et le cavalier Thibaut de mon escadron; aidés d'un civil et d'un soldat d'infanterie, nommé Ledent, je pense, ils me placèrent sur une brouette et m'amenèrent à Doel; j'étais sauve! »
Sous la direction du docteur Godenne, de Looz et Thibaut ramenèrent encore plusieurs blessés: ils furent! décorés. Dix-sept hommes furent tués ou disparurent ce jour-là; sept avaient été blessés et portés à l'hôpital. Sur trois officiers deux furent grièvement blessés. Voilà pour ce qui concerne le 4e escadron du 1er régiment de lanciers, qui avait bien mérilé ae la patrie.
Les Allemands tentèrent ce jour-là de traverser le fleuve, mais sans y réussir. Un bataillon de grenadiers s'aventura jusqu'au villase de Saint-Amand, mais dut se replipr devant des forces supérieures.
La lutte ne fut pas moins vive près de Blaesveld et les mitrailleuses ennemies postées dans les maisons firent pleuvoir une prêle de balles sur notre première ligne.
6 octobre: Les gros mortiers bombardent le fort de Broechem. A 10 heures et demi du matin une partie du fort n'est plus qu'un monceau de ruines. A 4 heures de l'après-midi, il y a des fissures dans la plupart des voûtes et la dernière coupole s'est effondrée.
A 5 heures le fort est totalement détruit. A ce moment dix forts ou redoutes ont déjà succombé et la brèche faite dans l'enceinte extérieure atteint vingt kilomètres.
Les Allemands font des préparatifs pour traverser la Nèthe avec le gros de leur armée. L'inondation du terrain n'a pas réussi comme on l'aurait désiré.
Dans l'après-midi l'ennemi jette deux ponts sur la Nèthe entre Duffel et Lierre et cinq autres à Lierre même. Notre artillerie n'est pas à même d'empêcher ces tentatives. Les munitions commencent à faire défaut. Nos troupes, ainsi que les contingents anglais, se sont repliés sur Vremde, Bouchout, Hagenbroeck, lé long de la chaussée de Lierre à Anvers.
L'ennemi franchit la rivière.
Le fort de Breendonck essuie un feu violent Les batteries abandonnent Blaesveld et traversent le Rupel près de Hellegat et l'Escaut près de Rupelmonde.
La situation le long de l'Escaut devient de plus en plus critique. Le 13e de ligne est en position près de Schoonaarde, le 8e à Grembergen, en face de Termonde, et le 10e près de Baesrode.
L'ennemi dirige le feu de ses batteries sur Schoonaarde, Baesrode et Grembergen et se prépare à une attaque. Celle-ci se déclanche près de Schoonaarde, où l'Escaut, décrit une courbe qui offre des avantages à l'ennemi, en lui permettant de prendre nos troupes de flanc.
Les carabiniers, les lanciers et l'infanterie ont reçu l'ordre d'opposer une résistance acharnée près de Berlaere, mais il essuient un feu terrible. A la pluie ues shrapnells viennent s'ajouter bientôt des obus de tous calibres. Nos troupes détruisent encore deux batteries allemandes; elles voient plusieurs hommes tomber à côté de leurs pièces; le reste prend la fuite. Les survivants et d'autres soldats reviennent pour ramener les pièces en arrière, mais sans y réussir.
A Berlaere il y a de nombreux blessés dans les ambulances de campagne. Au cours de la nuit quelques Allemands ont réussi à traverser l'Escaut à la nage; à l'aide cordes ils ont attiré à eux des radeaux chargés d'éléments ennemis et même des pièces d'artillerie; ces soldats ouvrent le feu dans le flanc "de nos troupes.
Berlaere devient intenable. Une pluie Qe projectiles s'abat sur le village, qui est évacué. Peu après nos troupes le bombardent à leur tour. Un détachement de cavalerie vient au secours du 13e de ligne. Notre artillerie bombarde une fabrique qui bientôt prend., feu et les Allemands qui s'y étaient logés s'enfuient.
Nos troupes occupent à nouveau la rive de l'Escaut à cet endroit; elles doivent s'y maintenir à tout prix pour couvrir la retraite de l'armée belge, qui a déjà commencé. A 8 heures du soir le grand quartier général juge la situation désespérée et le Roi donne l'ordre de la retraite. Eè gros de l'armée doit passer sur la rive gauche de l'Escaut. Les opérations en vue de couvrir la retraite sont confiées à la deuxième division, aux troupes do forteresse et aux contingents britanniques.
La première et la deuxième division se retirent d'abord. Le mouvement de repli commence la nuit. La première division est transportée par chemin de fer de Saint-Nicolas à Ostende, où elle est chargée d'établir une nouvelle base. On espère pouvoir se maintenir derrière le canal de Schipdonck et la Lys.
7 octobre: Dans la matinée le gros de l'armée allemande achève le passage de la Nèthe et attaque les forts de ia seconde ligne. Des villages entiers situés en dehors de cette ligne se vident; les habitants fuient en masse par Anvers vers la Hollande ou traversent l'Escaut pour atteindre le pays de Waes.
Désormais il n'est plus possible dé cacher plus longtemps la vérité à la population d'Anvers. Celle-ci apprend presqu'à l'improviste le véritable état de choses. Jusque-là les journaux avaient affirmé constamment que la situation était favorable, que les forts tenaient bon et que tes Allemands avaient été repoussés.
Aussitôt, avec calme et sang-froid, chacun prit des mesures en vue d'un bombardement éventuel. On entassa dans les caves des vivres et des matelas, on y déposa des seaux d'eau afin d'éteindre au besoin les commencements d'incendie, et on y ajouta même une hache afin de pouvoir s'ouvrir une issue, en cas d'écroulement.
Toutes ces précautions avaient été indiquées par les journaux et on les jugeait suffisantes, a autant plus qu'en général on ne se souciait guère du danger imminent. Un certain nombre d'habitants avaient déjà quitté la ville pour se réfugier en Hollande ou en Angleterre, mais leur départ et leurs frayeurs avaient soulevé des rires et des sarcasmes. D'autres, après avoir mis leurs enfants en sûreté, étaient revenus pour reprendre leur place dans la ville investie.
Nombre de personnes de la bourgeoisie rendirent de grands services dans les divers organismes créés par la guerre, surtout dans les ambulances, où elles dépensèrent sans compter leur activité et leur dévouement.
Tout à coup le gouverneur militaire fait savoir que le bombardement de la ville est imminent et que la population peut quitter la ville par les routes du nord et du nord- ouest.
Ainsi, sans transition, les habitants se trouvent en présence de l'éventualité la plus terrible: le bombardement; sans doute, il en a été question bien souvent déjà, mais maintenant le fait est certain, inéluctable.
Cependant aucune panique ne se produit. On fait ses préparatifs de départ après avoir dûment réfléchi. Les premiers groupes se forment, d'autres suivent et bientôt c'est un exode général. Il y avait à ce moment 500.000 personnes dans la ville.
La Croix-Rouge s'occupe du transport des blessés. La confusion augmente dans les rues... On sent que soudain la fin de la forteresse approche, cette forteresse que l'on croyait imprenable.
Malgré tout, bien peu des gens se font une idée exacte de la situation et on s'imagine généralement que les Anglais vont continuer à défendre la place.
De nombreux blessés, obligés de se sauver par leurs propres moyens, se dirigent en clopinant vers quelque gare, appuyés sur un bâton ou sur deux balais qui leur servent de béquilles.
Les derniers trains partent plus que bondés; des bateaux, noirs de monde jusque sur le pont, parce que l'on y est déjà entassé dans les cales; des chaloupes, des allèges, des yachts descendent le fleuve. Et des milliers et des milliers de personnes entreprennent la route à pied vers Bergen-op-Zoom, Putte, Rosendaal, ou d'autres localités de la Hollande.
Partout chez nos voisins du nord c'est un formidable afflux de réfugiés.
Près du pont de Burght la cinquième division attend que son tour soit venu de traverser l'Escaut. On entend le canon de toutes parts, mais surtout dans la direction de Termonde, qui constitue à présent le point le plus dangereux, car de ce côté l'ennemi peut entraver la retraite de l'armée.
La troisième division utilise le pont d'Hemixem. Le gouvernement est parti pour Ostende depuis le 1er octobre. Le Roi se rend maintenant - le 7 octobre - à Saint-Nicolas.
La sixième et la quatrième division contiennent les Allemands le long de l'Escaut, de Baesrode jusqu'à Termonde. La deuxième division reste encore à Anvers.
Le 8e de ligne posté près de Termonde est le premier régiment qui reçoit l'ordre de se retirer de la rive gauche. Il était exposé au danger d'être encerclé par les Allemands qui avaient forcé le fleuve à droite près de Schoonaarde et à gauche près de Baesrode. Les communications avec Anvers sont coupées. On a évacué le plus de matériel possible par le pont de Tamise et la ligne Puers-Saint-Nicolas, mais vers le soir on est obligé de faire sauter ce pont et les troupes se replient sur Lokeren.
Le 8e de ligne devra donc abandonner Grembergen, après y avoir résisté vaillamment. De l'autre côté du fleuve, se dressent les ruines tragiques de Termonde. L'ennemi s'est installé dans la ville martyre sur laquelle il a exercé sa barbarie depuis le commencement du mois de septembre, mais où notre armée ne lui a pas épargné ses coups. Quant aux Allemands ils n'ont aucune raison de se glorifier de leur attitude, de leurs actes et de leurs procédés à cet endroit.
Les troupes épuisées du 8e s'abandonnent au sommeil aussitôt qu'elles ont trouvé une place favorable. Depuis des semaines elles n'ont plus goûté un repos réparateur.
Et le 8me, qui a été à Namur. connaît déjà toutes les affres de la retraite.
Pendant que les hommes dorment d'un profond sommeil des ordres se transmettent à voix étouffée. C'est la retraite mystérieuse qui commence. On secoue les dormeurs.
« Rassemblement »
« Pourquoi?»
« II parait que nous partons... »
« Est-ce qu'il y a du danger?. »
« Qui sait? Rassemblement sur place! »
Tels sont les ordres et les hommes se réunissent comme des fantômes dans la nuit; plusieurs d'entre eux sont encore assoupis et presque fâchés d'avoir été troublés dans leur sommeil. Instinctivement ils songent à Namur, au calvaire que fut leur fuite vers la France, aux dangers qui les guettent de tous côtés.
Rassemblement et départ!
L'abandon des positions se fait en grand silence. A l'endroit où se trouvaient les sentinelles on place des bonshommes de paille. Les postes se rendent à Grembergen, que les troupes quittent également dans le plus grand secret. On entoure de paille les fers des chevaux et les roues des fourgons, et il est défendu ue fumer et de parler. Les hommes souffrent de la faim. On marche dans la direction du nord afin de se retirer ensuite sur Lokeren.
Bientôt des messagers viennent annoncer que cette ville est sur le point d'être occupée par l'ennemi, qu'elle l'est peut-être déjà et qu'il faut donc appuyer davantage vers le nord et chercher une position de couverture derrière la Durme, la petite rivière du pays de Waes.
Les troupes atteignent Waesmunster. Des réfugiés emmenant aes chariots, des charrettes et toutes sortes de véhicules barraient la route et pour traverser le porit il fallait presque user de violence.
Des détachements du 10e de ligne arrivaient par tous les sentiers et les chemins de traverse. Ces troupes venaient de Baesrode et se repliaient, elles aussi, pour ne pas être cernées.
Le 13e de ligne, venant de Schoonaarde et couvert par la sixième division, va tenter d'atteindre le canal de Terneuzen par Beirvelde.
Lokeren ne peut donc plus tarder à tomber aux mains de l'ennemi.
Aussi le 8e et des détachements du 10e franchissent la Durme en toute hâte près de Waesmunster. Des officiers annoncent que le pont doit être détruit. A cette nouvelle des cris de protestation et de colère s'élèvent parmi la foule des fugitifs, puis un concert unanime de plaintes et de lamentations, d'imprécations et de clameurs, accompagné d'une bousculade effroyable Les officiers, émus par ces scènes de désespoir, finissent par accorder un délai.
Alors une formidable poussée se produit dans les rangs de tous ces malheureux qui veulent à tout prix atteindre l'étroit passage.
C'est une lutte du plus fort contre le plus faible; des enfants tombent à l'eau, on crie, on se dispute, des familles sont séparées, des paquets éclatent et leur contenu se répand sur le sol. Le tumulte est à son comble, chacun veut se sauver, se mettre en dehors de l'atteinte de l'ennemi redouté.
On songe à Aerschot, à Louvain, à Sempst et Eppeghem. à Lebbeke et à Termonde!
Hélas! l'angoisse de ces pauvres gens n'est que trop justifiée. Mais lorsque le quart d'heure est passé il reste encore bien des fugitifs sur la rive sud. Le génie cependant ne peut attendre plus longtemps et le pont est détruit.
Les bateaux doivent également rester sur l'autre rive: l'intérêt de l'armée prime tous les autres. Dans leur désespoir des gens se jettent à l'eau, traversent la rivière à la nage ou s'accrochent à des perches tenaues par les soldats. Qui décrira ces scènes lugubres?
Les troupes achètent tout ce qu'elles peuvent trouver dans les boutiques de Waesmunster. Malgré leur fatigue, elles reçoivent l'ordre de construire des ouvrages de défense le long de la Durme.
Après quelques heures de travail un nouvel ordre arrive: il faut poursuivre le mouvement de retraite. L'ennemi vient d'occuper la ville de Lokeren et la résistance, le long de la Durme, ne peut plus être d'aucune utilité.
Les hommes épuisés se remettent en route. La nuit tombe et ils ont le cur étreint par l'angoisse et l'incertitude.
A chaque instant on craint une attaque de l'ennemi. Un grand nombre de soldats sont tellement exténués qu'à la moindre halte ils se laissent tomber et s'endorment. Quelquels-uns se débarrassent de leur fusil, de leur bêche, de leur havresac et marchent à moitié assoupis; d'autres tombent en syncope, on les relève, on les dépose pour quelques moment sur un véhicule jusqu'à ce qu'ils devront faire place à d'autres victimes. Et c'est ainsi que cette partie de l'armée remonte de son côté vers le nord, afin d'y suivre l'étroit couloir qui reste ouvert entre la frontière hollandaise et l'ennemi qui avance du sud le long de l'Escaut et menace dans le flanc l'armée en retraite.
Des conducteurs dorment assis sur leurs chevaux, des artilleurs sur leurs caissons, des soldats s'arrêtent pour dormir dans un champ, dans un fossé et se réveillent pour se joindre à d'autres détachements ou se retirent en Hollande où on les désarme à la frontière.
Et toutes les routes fourmillent de réfugiés, de populations de villages entiers, riches et pauvres, jeunes et vieux, de vieillards et de malades provenant des établissements de bienfaisance.
Ainsi, avant le bombardement d'Anvers on avait évacué les aliénés de l'important hospice de Mortsel vers l'établissement de Selzaete. Ici ce fut un défilé lamentable de pauvres gens doublement malheureux. Ils furent recueillis charitablement à Selzaete, dans l'hospice situé près du canal.
Pendant que le gros de l'armée battait en retraite, les troupes de forteresse restaient à leur poste, sans connaître la situation exacte. Elles recevaient les nouvelles les plus contradictoires, surtout de la part des réfugiés qui passaient dans un défilé ininterrompu. Les postes étaient toujours aux endroits qui leur avaient été assignés et près de Haesdonck notamment on pouvait voir des groupes de soldats occupés à mettre le feu à une ferme afin d'élargir le champ de tir.
Dans l'après-midi les bâtiments de l'Etat à Anvers étaient fermés, ainsi que la plupart des hôtels et des magasins.
Le bombardement commença quelques minutes avant minuit, causant aussitôt des dégats considérables, comme nous aurons l'occasion de le voir dans une description plus détaillée. La population se réfugia dans les caves.
8 octobre: L'exode général d'Anvers continue. Des milliers d'habitants de la ville et des villages environnants se pressent sur les quais. Un défilé interminable encombre les routes de Wilmarsdonck-Ossendrecht, de Merxem-Cappellen-Putte, de Brasschaet- Esschen-Roosendaal, de Brasschaet-Wuestwezel-Breda, etc.; d'autres se dirigent vers le pays de Waes.
Le 4e corps de réserve et la 27e brigade de la landwehr occupent des positions en face des forts 1 à 6.
Une brigade d'infanterie de marine se trouve en seconde ligne. Entre la Dyle et l'Escaut, devant les forts de Breendonck, Liezele et Bornhem il y a une brigade d'artillerie de marine et la 4e division d'Ersatz. Les forts intérieurs sont bombardés. Des pièces en position près de Lierre et sur le Vosberg entre Waerloos et Waelhem continuent à bombarder la ville.
Les forts intérieurs du côté sud répondent. Dans l'après-midi le commandant supérieur anglais fait savoir au général Déguise que toute résistance est désormais inutile et que les troupes britanniques, vont évacuer la place fortifiée. A 5 heures de l'après-midi on décide que la 2e division rejoindra l'armée de campagne, tandis que le général Déguise ira s'installer au fort Sainte-Marie.
Les forts de la partie nord de l'enceinte n'ont pas encore été attaqués, mais ils ne sauraient plus être d'aucun secours. Leurs garnisons doivent faire leur choix entre ces deux éventualités: l'internement en Hollande, ou la prison en Allemagne.
La 2e division et la brigade de marine anglaise traversent l'Escaut près de Burght et du Steen.
Le 1er bataillon du 10e couvre la retraite de la 6e division près du bois de Zèle, mais il semble qu'on l'a lui-même oublié, tandis que les Allemands sont en marche sur Lokeren et qu'ils ont déjà occupé le village de Zèle. Le major Deisser bat en retraite. Le 11e et le 12e de ligne ainsi que le 1er chasseurs se replient sur Wondelgem. pendant que le 4e chasseurs et les grenadiers arrêtent l'ennemi près de Loochristy. Les troupes en retraite sont toujours menacées d'être coupées et cernées à cet endroit, d'autant plus que l'ennemi s'est emparé également de la ville d'Alost, d'où il marche sur Gand.
Il faut que les Allemands soient arrêtés à tout prix près de Quadrecht et de Melle. Cette tâche est confiée aux volontaires belges, à la cavalerie et à la brigade de fusiliers-marins de l'amiral Ronarc'h soutenus par la 4e brigade mixte (7e, 8e et 9e batteries).
La brigade de fusiliers-marins français (2 régiments et 3 bataillons, et une compagnie de mitrailleurs) avait quitté Saint-Denis et Epinay-Ville-Taneuse pour se rendre à Dunkerque. Sept trains avaient été mis à sa disposition.
Elle avait été formée au mois d'août 1914 avec des froupes dos dépôts de Cherbourg, Brest, Lorient, Rochefort et Toulon. Le 22 août Ronarc'h prit le commandement de la brigade. Le 1er régiment était placé sous les ordres du capitaine Delage et le 2e sous le capitaine Varnéy. La brigade fut envoyée d'abord dans le camp retranché de Paris. Elle était chargée de faire des patrouilles de police dans la capitale et reçut en outre une instruction sommaire. Il y avait parmi ces braves beaucoup de jeunes gens de moins de dix-sept ans. Les Parisiens qui les avaient salués d'abord avec enthousiasme changèrent ensuite d'attitude el les désignèrent sous le nom un peu méprisant de « demoiselles de la marine ». Aussi les matelots désiraient-ils vivement d'être envoyés au front, car beaucoup avaient honte de devoir se promener dans les rues de Paris.
La brigade fui répartie dans les différents secteurs du camp retranché. A ce moment les Allemands approchaient et menaçaient Paris. Mais la bataille de la Marne écarta le danger et les marins, au lieu d'entrer en contact avec l'ennemi, durent, pendant tout le mois de septembre, exécuter des manuvres et faire des services de patrouilles et de surveillance.
Du 20 au 24 septembre on changea leur uniforme; la blouse et le col marin furent remplacés par la tenue de l'infanterie; une telle métamorphore n'était guère du goût de ces braves, si fiers de porter les insignes de la marine française.
"C'est rigolo de voir Jean Gouin en capote (Jean Gouin est le surnom des marins) », écrivait l'un d'eus dans son journal de guerre. D'autres exprimaient une opinion analogue.
Soudain la bonne nouvelle du départ arriva et le 2 octobre on s'embarqua dans les trains. Pendant le trajet les fusiliers aperçurent les ravages terribles produits par la guerre, les ponts de l'Oise détruits, les maisons incendiées de Creil, les fermes démolies par les obus.
Il était 11 heures du soir lorsque le premier train entra en gare de Dunkerque. D'après le plan primitif les marins devaient débarquer dans cette ville et s'y exercer en vue de la lutte prochaine.
Mais un contre-ordre arriva et chacun aut rester dans le train pour continuer le voyage.
« Nous allons donc en Belgique! » conclurent les marins, joyeusement.
On changea de locomotive et le train, après avoir franchi la frontière, s'arrêta au premier village belge, à Adinkerke.
Les habitants accoururent de toutes parts et dans leur joie de voir les troupes françaises qui venaient au secours des Belges, les acclamèrent frénétiquement. Aux cris de « Vive la France! » les marins répondirent en criant: « Vive la Belgique! Vive le Roi Albert! »
Les mêmes scènes attendrissantes se répétèrent pendant le reste du trajet, jusqu'à Gand. A chaque gare, notamment à Furnes et à Dixmude, où peu après les fusiliers allaient lutter avec un héroïsme admirable, se pressait une foule émue et enthousiaste. On donnait aux Français de la bière, du pain, de la viande, du fromage, du tabac, des cigarettes, des cigares, des fruits, tout ce qui pouvait leur être utile ou seulement agréable.
A Thourout le train des fusiliers marins croisa un train chargé de recrues belges, qui venaient de Lierre, après avoir été occupées aux travaux de défense d'Anvers et qui étaient dirigées vers un camp français.
Les soldats des deux nations alliées se saluèrent par de longues acclamations.
A ce moment on se proposait d'envoyer la brigade à Anvers pour secourir la forteresse qui était sur le point de succomber, mais on ignorait encore que dès lors toute résistance était superflue.
A Gand, l'amiral Ronarc'h rencontra le général Pau qui servait d'agent supérieur de liaison entre les armées alliées. Il annonça que l'armée belge se repliait et que le sort d'Anvers était décidé. La cavalerie belge couvrait le mouvement de retraite au sud de Lokeren. La brigade française devait prêter son concours à cette importante opération, de concert avec les volontaires belges et les troupes anglaises attendues.
Il s'agit donc d'arrêter l'ennemi en face de Gand. La garnison du chef-lieu de la Flandre Orientale, commandée par le général Clooten, se compose de huit escadrons do cavalerie, d'une brigade mixte, d'une brigade de volontaires et de deux régiments de ligne. La 7e division anglaise est en route vers Gand. Il faut rassembler toutes les forces disponibles et accorder ueux jours à l'armée belge, pour lui permettre de couvrir sa retraite.
Les deux derniers trains de fusiliers-marins arrivent pendant la nuit. La population les accueille avec une extrême cordialité. La brigade est ensuite dirigée vers Melle.
« Nous traversons des champs de bégonias superbes dans lesquels nous allons peut-être mourir », écrit un autre de ces vaillants marins.
Mourir parmi les fleurs..., c'est là, en effet, pour des enfants de la mer, un sort étrange.
Nous décrirons plus loin le combat de Melle; pour le moment il nous suffira de noter que les marins français ainsi que nos troupes ei les Anglais accomplirent la mission qui leur était assignée et empêchèrent l'ennemi d'exécuter sa manuvre d'enveloppement.
Le 8 octobre les grenadiers se dégagent de l'étreinte de l'ennemi, près de Zèle, et se replient sur Gand. Le 4e chasseurs marche sur Saffelaere.
La 2e division quitte Anvers dans les conditions indiquées plus haut. Les troupes y sont incapables d'arreter plus longtemps l'avance de l'ennemi. Les convois se trouvent déjà sur l'autre rive.
De violents incendies ravagent la ville. Les autorités civiles sont réunies à l'hôtel de ville et restent à leur poste. Dans les faubourgs on voit circuler des gens de mauvaise mine, avides de pillage. Il en est de même en amont de l'Escaut, où de sinistres gredins s'apprêtent à exercer leur rapacité dans les villages abandonnés.
On anéantit de grandes quantités d'approvisionnements. Des navires chargés de toutes sortes de vivres eï de matériel sont coulés, des autos sont précipités dans le fleuve, des navires allemands détruits.
Les quais sont jonchés de pièces d'équipement, de fusils, de sacs et même de munitions.
Le passage de l'Escaut près du Steen est vraiment tragique. Des civils se glissent dans les rangs des soldats. Des flammes gigantesques provenant des tanks à pétrole s'élèvent au-dessus de l'Escaut. Le spectacle d'Anvers, vu du pays de Waes, est effrayant. Le ciel n'est qu'un immense brasier et de formidables explosions se succèdent sans interruption.
A la Tête de Flandre on essaie de mettre un peu d'ordre parmi les troupes, puis la deuxième disivion entreprend à son tour sa retraite lamentable à travers le pays de Waes, le long de la frontière hollandaise.
9 octobre: Les dernières troupes franchissent l'Escaut et on fait sauter les ponts. Les autorités civiles se réunissent à l'hôtel de ville. Des incendies font rage sur divers points. L'administration communale qui a voté une motion affirmant que la population est prête à faire tous les sacrifices nécessaires dans l'intérêt de la forteresse et du pays, veut avoir.des renseignements relatifs aux intentions du commandement de l'armée. L'autorité militaire n'a pas donné d'instructions, ni fait connaître les décisions prises par elle. Les bureaux de l'état-major sont abandonnés. Il n'y a plus de troupes sur la rive droite, sinon dans les forts du nom, mais ces troupes sont incapables d'empêcher les. mouvements de l'ennemi.
Et pendant ce temps, le bombardement continue et menace de détruire Anvers de fond en comble, sans aucun avantage pour le pays.
Les autorités délibèrent et décident d'envoyer une délégation au général von Beseler. Le bourgmestre De Vos, Louis Franck et Rijckmans, respectivement président et vice-président de la Commission intercommunale instituée récemment, et le consul-général d'Espagne, M. Francisco Yebra y Saiz, se chargent de cette mission et affrontent les dangers du bombardement et de la traversée des premières lignes allemandes. Précédés d'agents porteurs du drapeau blanc, les délégués se dirigent par la Pépinière vers la Porte du Kiel, où ils rencontrent les avant-postes allemands. On bande les yeux aux parlementaires, et on les conduit au grand quartier général allemand, installé à Tildonck.
Le général von Beseler se montre d'abord plein de défiance et demande pourquoi on ne lui envoie pas un général. Il envoie des parlementaires à Anvers et propose d'attendre leur arrivée à Contich, parce que ce village est plus rapproché. Il fait suspendre le bombardement d'Anvers.
Les parlementaires reviennent et déclarent n'avoir pas rencontré d'officiers dans la ville. La Convention de Contich, réglant la capitulation d'Anvers, est rédigée.
La Convention stipule notamment que tous les forts doivent se rendre avant midi. La délégation rentre à Anvers. Pendant la nuit M. Franck, affrontant toutes sortes de dangers, se rend au fort de Schooten pour y exposer les événements. De cette façon les commandants des forts ont l'occasion de détruire encore leurs ouvrages et de permettre à la garnison de se retirer.
Ce même soir, le général Déguise envoie un officier à Anvers afin de régler la capitulation, mais celui-ci n'arrive pas à se mettre en communication avec l'autre rive Le lendemain matin le général Déguise confirme la Convention de Contich.
Ce 9 octobre, la retraite se poursuit à travers le pays de Waes. Les Allemands bombardent Moerbeke. Un train y est exposé également au feu de leur artillerie, ce qui provoque une courte panique. Quelques détachements se retirent en Hollande, et ainsi commence l'internement, auquel nous consacrerons une description détaillée. Les troupes de forteresse, qui sont encore toujours à leur poste, doivent suivre le même chemin, de sorte que 30.000 soldats belges et 2.000 Anglais sont désarmés en Hollande et concentrés dans des camps.
Pendant la nuit, le gros de l'armée a franchi le canal de Terneuzen. Mais la retraite devra se poursuivre, car à cet endroit la jonction avec les Alliés est impossible.
La 7e division anglaise, qui doit aider à contenir l'ennemi près de Melle, arrive à Gand.
La bataille près de Melle commence le 9 octobre, dans l'après-midi. La lutte continue pendant toute la journée et la nuit suivante.
10 octobre: Entrée des Allemands à Anvers. Les troupes marchent à travers la ville déserte, où ne sont restés que de rares habitants. Le général Déguise se rend et est transporté en Allemagne.
Le Roi est arrivé à Selzaete le 8 octobre; le 9 octobre, il est à Eecloo, où il passe la nuit; te 10 octobre, il part vers Bruges et Ostende où la Reine le suit.
Des troupes de forteresse se retirent en Hollande. La 7e division anglaise prend position à Melle aux côtés des Belges et des Français. Combats près de Gontrode.
Nous voici parvenus à la fin de notre aperçu général du siège d'Anvers. Nous pouvons maintenant en relater séparément et avec plus de détails les divers épisodes, avant de suivre notre armée vers le sanglant et glorieux Yser. Il nous faudra également décrire les événements qui se sont déroulés en France après la bataille de la Marne, car le marnent approche où les Belges, après avoir lutté presque seuls contre des forces ennemies très supérieures, vont prendre leur place dans le front, gigantesque des nations, qui ont engagé la lutte contre l'ambition criminelle de l'Allemagne.