de la revue 'Le Noël', no. 1088 27 avril 1916
'A la Bataille de Verdun'
par Arsène B.
 

La Bataille de Verdun

attaque allemande à Verdun

 

Notre poste de refuge était installé dans la ....***

Elle est actuellement située à deux mètres en avant de nos lignes. Deux avant-postes boches l'encadrent, l'un au Nord, à quinze mètres du plus, l'autre à une cinquantaine de mètres à l'Est. Les premiers jours de tranchée, à droite et à gauche de cette redoute, furent très calmes. Nos poilus utilisèrent sagement ce répit pour rectifier la ligne, pour creuser des tranchées qui, hélas!... La difficulté du ravitaillement sous les obus, le manque d'eau et de « kanias » constituaient les seules épreuves, supportées avec assez de placidité, vu la rareté des marmites.

Mais, au huitième jour, on commença à déchanter, les 150 et les 210 se rapprochaient insensiblement de nos lignes. Le 17 au soir, les Boches essayèrent sur la première nouvelle tranchée un tir de repérage qui présageait une attaque. Elle ne le fit pas attendre.

Dès le lendemain 18, à 7 heures du matin, le bombardement recommence, uniquement avec do. grosses pièces et des « minnen ».

Pendant que les batteries reçoivent des obus asphyxiants ou lacrymogènes, les boyaux de communication, les abris du colonel, de sa liaison, sont labourés, nivelés, écrasés sous des tonnes de fer. En première ligne, les « minnen » font sauter les poilus à 30, à 60 mètres. Deux ou trois d'entre eux deviennent, du coup, sourds et muets. Un pauvre tambour entre au poste de refuge comme un tourbillon, criant, pleurant, et sous l'influence d'une trépidation nerveuse telle que nous sommes obligés die lui boucher les oreilles, d'entourer sa tête d'une triple couche de pansements, pour que les éclatements de torpilles ne lui arrivent qu'assourdis.

A 11 h. 1/4, le bombardement cesse complètement; à peine la dernière marmite est- elle tombée, qu'un sergent, posté dans le couloir de la redoute, crie, un peu effaré:

- Les Boches! voilà les Boches!

La redoute est pleine d'officiers, de mitrailleurs, de poilus qui forment la réserve d'une compagnie. Il y a une minute d'effarement. Noua regardons notre médecin auxiliaire et nous nous regardons entre nous.

- Cette fois-ci, pensons-nous, notre mort est certaine! Les Boches, nous surprenant au milieu des combattants, vont nous tuer sans explication.

Nous n'avons pas le temps de prolonger nos réflexions; plus rapidement qu'on ne peut l'expliquer, les Boches ont bondi vers la redoute. Trois ou quatre montent par-dessus, lancent quelques grenades dans la tranchée et tuent quatre ou cinq des nôtres. Un autre groupe l'aborde à l'Est, et pendant que, du petit poste, ils nous envoient deux ou trois jets de liquide enflammé, un grand diable d'apache roux, portant des cheveux d'au moins cm 15 de long (il était effrayant à voir une fois mort), se glisse le long du mur d'enceinte, s'agrippe au rempart de sacs qui protège la mitrailleuse et essaye de tuer les servants à coups de grenade. Mais un sergent mitrailleur l'a vu; bravement, avec un calme magnifique, il grimpe sur une échelle, décharge sa carabine à bout portant sur le Boche, qui reste accroché aux sacs de terre, les pieds dans le vide et la face affreusement contractée. Il tire en brave, notre sergent; mais il a la jambe droite fracassée par une balle; il tombe du haut de son échelle dans le couloir de la redoute, perdant le sang à flots. Quelques heures plus tard, il succombe à sa blessure, réconcilié avec le bon Dieu, offrant sa vie, comme l'ont déjà fait tant de Savoyards, sans amertume d'aucune sorte.

Le lieutenant qui commande la redoute organise la défense. Il place les bombardiers à l'entrée, attend lui-même, revolver au poing. Mais les Boches ne lui laissent pas le plaisir de les « descendre ». Ils fuient, sous le crépitement des mitrailleuses et des fusils... Nous sommes sauvés! du moins dans cette partie du secteur. La bataille continue à notre droite et à notre gauche, Là, elle fut plus acharnée; il y eut corps à corps. Les Boches pénétrèrent en face, dans un poste avancé où deux mitrailleuses étaient braquées. Us firent prisonniers les occupants; mais le lieutenant de la com- pagnie et quelques hommes les chassèrent presque aussitôt. Il n'y resta qu'un sergent boche de dîx-sept ans, qui empoignait au collet un petit mitrailleur blessé aux reins d'éclats de grenade. Le lieutenant dut lui mettre le revolver sous le nez pour lui faire lâcher prise. Ce Boche plein de morgue et d'arrogance faillit se faire écharper par les poilus chargés de l'escorter jusqu'au A midi, la bataille finissait. Les Boches étaient par- tout repoussés par les seuls fantassins...

Au poste de refuge de la redoute, deux blessés moururent dans la soirée; un mitrailleur, touché à la tête- par un éclat de bombe, entra dans le poste en tournant sur lui-même comme une toupie et vint s'abattre près de moi raide mort; scène macabre qui me fait encore frémir. Au poste de secours de notre major, le tableau était plus écœurant encore. Tous les blessés graves avaient été rassemblés dans un tunnel servant d'entrepôt de poudre et d'obus de 75. On ne pouvait y pénétrer qu'avec une lanterne sourde. Ma lanterne à la main, je parcourus chaque rangée; de tous les coins, une supplication ardente:

- A boire! J'ai soif! Oh! ne me laissez pas mourir de soif!

Je donne à boire, je console, j'absous, accomplissant ce pèlerinage de la douleur qui prépare toutes ces âmes de héros au pèlerinage suprême. M'approchant d'un brave vieux qui crache le sang, je lui suggère quelques invocations et l'invite à recevoir le pardon suprême. Il s'inquiète un instant pour sa femme, pour ses trois gosses; puis, faisant sans doute intérieurement le sacrifice de sa vie, il me demande à haute voix l'absolution. Aussitôt, deux, trois voix s'élèvent dans l'ombre du souterrain:

- A moi aussi, Monsieur l'aumônier, faites m'en autant!

La demande s'étend, et tous, même ceux qui peuvent espérer encore la guérison, désirent l'absolution du prêtre. Ils sentent qu'elle les consolera et les fortifiera. Saluons les bien bas, tous ces mourants de la grande bataille; ils sont dignes de leurs aînés, ils trouvent au fond de leurs âmes des accents dignes des martyrs. Ces heures passées près d'eux, en nous approchant de la mort, nous font toucher l'action de Dieu, de sa grâce toute-puissante.

Ne pouvant évacuer les blessés à l'arrière que la nuit, il fallut attendre jusqu'à 2 heures du matin avant de prendre quelque repos sur le béton humide du souterrain.

Arsène B.

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