de la revue ‘La France Illustrée’ N 2176 12 Aout 1916
'Vingt-deux Jours Devant Verdun'
par Jean Mauclère

La Bataille de Verdun

 

Le 27, ce fut une autre fête: les Boches commencèrent à 6 heures du matin leur tir réglé avec des obusiers de 210 sur notre première ligne. Jusqu'à 5 heures du soir, notre tranchée fut littéralement écrasée par leurs énormes marmites. De midi à 3 h. 1/2, le feu se trouva précisément concentré sur le secteur de ma section, et j'étais justement de service à ce moment-là. Les obus tombaient à quelques mètres en avant, puis à quelques mètres en arrière de ma tranchée; mes hommes et moi, nous ne savions positivement plus où nous mettre. Puis les marmites se mirent à tomber en plein sur la tranchée: dans l'espace de 10 secondes, huit obus de 210 avaient tout retourné.Un homme est tué près de moi; quelques autres s'enfuient. Je m'enfile vivement dans le blockhaus pour laisser passer la rafale. Deux minutes après, je reviens à mon poste: ce n'était pas le moment de rester à l'ombre! Je cours prévenir le lieutenant et demander la relève des sentinelles. II était exactement 2 heures; j'ai gardé mon poste encore une demi-heure: quand on me fit relever, j'étais tout abasourdi et je n'en pouvais plus. Bientôt les Boches rallongèrent leur tir, et le bombardement cessa... pour nous. A 5 heures, on nous prévint que nous serions relevés le soir même, et j'étais content, je l'avoue, de quitter ce coin d'enfer. A 8 heures du soir, nous nous apprêtions à quitter la tranchée, quand nous vîmes s'élever du poste de commandement des fusées rouges et vertes demandant l'artillerie avec instance: les Boches attaquaient, débouchant du bois de Cumières.

L'artillerie ne se fit pas attendre: en un clin d'oeil, une véritable avalanche de ferraille s'abattit sur les tranchées boches. Puis les mitrailleuses se mirent à cracher, et la fusillade devint intense. En même temps les fusées éclairantes s'élançaient vers les nuages, douze à la fois, et illuminaient la position, tandis que les fusées rouges et vertes guidaient l'artillerie qui établissait un barrage terrible sur les Allemands. C'était grandiose et terrifiant. Mais, à son tour, l'ennemi établit sur nous un barrage serré au 150, si bien que nous nous trouvions pris entre deux lignes de flammes. C'était peur- être encore grandiose, mais nous ne songions plus à admirer. Bientôt nous recevions d'énormes torpilles dont nous nous garions avec peine, cependant que nous étions littéralement assourdis par un vacarme insensé fait de grondements sourds, de déchirements stridents, d'éclatements violents, de détonations plus ou moins proches, de sifflements aigus. Les barrages se resserraient toujours; cela n'allait-il pas tourner au tragique pour nous?

Nous étions depuis plus d'une heure dans cette situation et notre anxiété grandissait, lorsque, du côté boche, une fusée blanche partit en l'air à une grande hauteur. Nous cherchions à deviner la signification de ce signal, quand, de notre côté, une fusée à gerbe s'élança de même. Alors nous vîmes les deux artilleries diminuer progressivement de violence, si bien qu'à minuit la relève s'opéra dans le plus grand calme. Nous n'en défilâmes pas moins à toutes jambes quand il fallut traverser la plaine, et nous arrivâmes à 4 heures du matin au bois Bouché, sans autre incident que quelques inoffensives marmites.

La journée du 28 fut consacrée à un repos bien mérité, et à sept heures du soir, nous partions au travail. En rentrant à une heure du malin, j'étais à demi mort de fatigue.

J'ai dû m'y reprendre à quatre fois pour arriver jusqu'au bois. J'ai dormi d'un sommeil de plomb pendant trois heures. Mais le souci de me creuser un abri contre les marmites m'éveilla à 4 heures. Je pris allègrement la pelle et la pioche, et mon travail était déjà bien avancé lorsque, à 8 heures, le sergent de jour vint me prévenir qu'il y avait messe au camp à 9 h. 1/2. Eh quoi! c'était un dimanche? En grande hâte je posai mes outils, puis je raccommodai de mon mieux la loque qui me sert de pantalon, et me dirigeai vers la tranchée où un autel avait été dressé. Un prêtre- soldat célébrait la messe: nous étions heureux de nous grouper autour de lui pour remercier Dieu qui nous avait protégés dans de si terribles moments.

Je rapportai de cet office une impression de réconfort et de sérénité qui me fit passer une journée particulièrement reposante.

Le soir du 3o, nous partions à 7 heures pour creuser un boyau en deuxième ligne, derrière le Mort-Homme. Nous sommes rentrés à une heure du matin; je ne pouvais plus me tenir sur mes jambes et trébuchais à chaque pas, comme un homme ivre.

Le Ier mai, nous sommes partis aussi à 7 heures pour continuer l'ouvrage de la veille. Bien que ce fût en deuxième ligne, nous avons été bombardés. Les Boches ont perdu leur temps: nous sommes rentrés à 2 heures du matin, sains et saufs.

Le lendemain, c'était décidément la relève pour le repos. Nous avons quitté le bois Bouché à 9 heures du soir pour nous rendre à J..... en sept heures de marche et gagner de là!..... où nous allons nous refaire, afin de retourner promptement, je l'espère, clans la grande fournaise où se brasse le salut de la France.

U. S.

Sergent au ...e chasseurs.

Pour copie conforme,

Jean Mauclère

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