de la revue 'l'Illustration' No. 3856, 27 janvier 1917
'Alan Seeger'

Les Volontaires Américains Morts pour la France

voir article en anglais sur Alan Seeger : Alan Seeger - American Poet in the Foreign Legion

 

Un hommage délicat et émouvant a été rendu au poète Alan Seèger, dimanche dernier, à la Comédie-Française, au cours d'une matinée de gala organisée en l'honneur des volontaires américains morts pour la France. M. René Besnard, sous-secrétaire d'Etat à la Guerre, rappela au nom du gouvernement les morts héroïques des Chapman, des Prince, des Rockwell, des Weecks, et il exalta les raisons qui décidèrent ces beaux jeunes hommes de l'Amérique à venir prendre une part si fraternelle de nos souffrances et de nos gloires.

« C'est le sentiment, dit-il, c'est l'honneur, c'est la sainteté de notre cause qui ont jeté ces héros dans la bataille. » Et cette interprétation fut confirmée par les poèmes du volontaire américain Alan Seeger que M, Silvain et que Mme Weber récitèrent après le discours du ministre.

Alan Seeger, caporal à la légion étrangère, est mort le 4 juillet dernier, au début de l'offensive de la Somme, à l'attaque du village de Belloy-en-Santerre. Il avait vingt-huit ans. C'était un véritable poète, riche d'images nouvelles et de la plus fraîche sensibilité, qui souriait à la vie avec une jeunesse charmante et qui apportait dans notre vieille terre d'Europe l'amour des rêves inspirés par les grands espaces et les immenses ciels de son enfance et de sa patrie.

Il était né à New-York; il avait suivi sa famille au Mexique et, lorsqu'il revint avec elle aux Etats-Unis pour entrer à l'école, il rapportait le souvenir des paysages tropicaux. Elève du Harvard Collège, il trouva dans la lecture et la traduction de Dante et de l'Arioste l'orientation de sa vocation poétique. Et Paris l'attira. Il y vint en 1913 avec toute l'ardeur d'un romantique et, dans l'enchantement du quartier latin, de sa petite chambre ouverte sur le musée et le jardin de Cluny, il composa ses Juvenilia. Dans l'été de 1914, il porta son manuscrit à un éditeur de Londres, mais oublia le plaisir d'être imprimé pour les joies des visites au British Muséum. La menace de la guerre le surprit à Cantor-bery où il passait quelques jours avec son père. Il revint à Paris, par Bruges où il déposa chez un libraire ses manuscrits qui lui furent providentiellement rapportés au début de 1916...

Dès la fin d'août 1914, il s'était engagé dans la légion étrangère avec une cinquantaine de ses compatriotes. L'instruction militaire du bataillon fut faite à Toulouse en six semaines. A la fin d'octobre, Alan Seeger et ses camarades gardaient des tranchées au Sud de Reims. En 1915, la légion s'en fut de secteur en secteur et le poète se félicitait de sa nouvelle existence dans les lettres qu'il écrivait à sa famille. Apres l'offensive de Champagne, le bruit de sa mort courut aux Etats-Unis. Il démentit lui-même la nouvelle et joyeusement. Une bronchite le conduisit, dans l'hiver, à l'hôpital et nécessita un congé de convalescence après lequel il retourna au front, pour prendre part à l'offensive de la Somme où il trouva la mort qu'il ne redoutait pas.

Dans l'un de ses poèmes, Champagne 1914-1915, que M. André Rivoire a traduit avec une piété harmonieuse, il avait demandé à ceux qui riront demain dans les fêtes heureuses de boire le vin d'or en pensant à ceux qui sont tombés.

Tous, par milliers, d'un cœur volontaire et tenace, Sont tombés bravement pour que ceux qui viendront, Libres de toute honte et de toute menace, Puissent vivre leur vie et porter haut leur iront.

Dans un autre, une Ode en souvenir des Américains qui devait être lue au « Décoration Day » de 1916, devant les statues de Washington et de La Fayette, à Paris, il avait écrit: « Une heure glorieuse vaut une éternité obscure. »

Les deux poèmes récités par M. Silvain, doyen de la Comédie-Française, et par Mme Weber furent applaudis longuement et avec une émotion intense. Un incident très touchant se produisit en outre au foyer des artistes. Lorsque les compagnons d'armes du poète vinrent remercier Mme Weber qui s'était drapée dans les plis d'un drapeau américain, tous s'inclinèrent et portèrent pieusement à leurs lèvres l'étoffe du drapeau étoile, symbole de leur Patrie.

Dans un autre court poème, que nous citons tout entier, on sentira très vivement la simplicité et le don d'évocation du poète mort si prématurément et qui acceptait son sort avec une si noble tranquillité:

 

J'ai un Rendez-Vous avec la Mort...

J'ai un rendez-vous avec la Mort
Sur quelque barricade âprement disputée,
Quand le printemps revient avec son ombre frémissante
Et quand l'air est rempli des fleurs du pommier.
 
J'ai un rendez-vous avec la Mort
Quand le printemps ramène les beaux jours bleus.
Il se peut qu'elle prenne ma main
Et me conduise dans son pays ténébreux
Et ferme mes yeux et éteigne mon souffle.
Il se peut qu'elle passe encore sans m'atteindre.
 
J'ai un rendez-vous avec la Mort
Sur quelque pente d'une colline battue par les balles
Quand le printemps reparaît cette année
Et qu'apparaissent les premières fleurs des prairies.
 
Dieu sait qu'il vaudrait mieux être au profond
Des oreillers de soie et de duvet parfumé
Où l'Amour palpite dans le plus délicieux sommeil,
Pouls contre pouls et souffle contre souffle,
Où les réveils apaisés sont doux.
 
Mais j'ai un rendez-vous avec la Mort
A minuit, dans quelque ville en flammes,
Quand le printemps d'un pas léger revient vers le nord cette année
Et je suis fidèle à ma parole:
Je ne manquerai pas à ce rendez-vous-là.

 

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