Les Russes Arrivent a Marseille, 1916
Des troupes russes ont débarqué à Marseille, saluées par un chaleureux souhait de bienvenue du général Joffre:
« Notre fidèle alliée, la Russie, dont les armées combattent déjà si vaillamment contre l'Allemagne, l'Autriche et la Turquie, a voulu donner à la France un gage nouveau de son amitié, une preuve plus éclatante encore de son dévouement à la cause commune.
Des soldats russes choisis parmi les plus braves et commandés par les officiers les plus réputés, viennent combattre dans nos rangs. Vous les accueillerez comme des frères; vous leur montrerez quelle chaude sympathie vous réservez à ceux qui ont quitté leur patrie pour venir lutter à nos côtés.
Au nom de l'armée française, je souhaite la bienvenue aux officiers, sous-officiers et soldats des troupes russes débarquées en France. Je m'incline devant leurs drapeaux, sur lesquels s'inscriront bientôt les noms glorieux de communes victoires.
Signé: JOFFRE. »
Cet ordre du jour donne à l'événement l'importance et la solennité nécessaires. Il est temps, en effet, que l'on commence de soulever les voiles qui cachent trop souvent au public le gigantesque effort de la guerre, soit de notre côté, soit du côté de nos alliés.
Un excès de réserve sur certaines journées glorieuses, sur des faits d'armes incomparables, sur tout ce prodigieux travail qui s'accomplit en Angleterre, en Russie, chez nous, aurait fini peut-être par égarer ou affaiblir l'opinion.
Nous ne devons voir, évidemment, dans l'arrivée de ces frères d'armes qu'une expérience hardie, une poussée nouvelle vers la victoire; et nous n'allons pas nous imaginer que de grandes armées russes vont venir bientôt combattre sur notre front. Mais la tentative est néanmoins d'un intérêt puissant qu'il ne faut pas méconnaître. La loi de cette guerre, c'est l'effort continu dans la confiance inaltérable.
Et comme l'a si bien dit un de nos fameux académiciens:
« Nos ennemis haletants devant Verdun, la lourde menace qui s'élève d'Amérique, Trèbizonde tombée, les soldats russes combattant sur le sol français, autant de signes heureux qui apparaissent à la fois. Sachons en tirer le fier et lucide optimisme de l'action ».
Le Débarquement
M. Georges Prade, témoin oculaire du débarquement, en a fait dans le Journal le récit suivant:
« Deux heures. Rien encore. Mais, peu après, une haute silhouette de navire glisse le long du môle D. Le premier transport entre; son pont couvert nous apparaît d'un vert tendre comme couvert de feuilage. Il approche et l'illusion se dissipe. Ce sont des milliers de soldats russes en uniforme verdâtre, debout, serrés les uns contre les autres, droits et immobiles, la main à la visière de la casquette large. Le spectacle est splendide et l'émotion saisit tous les assistants. Le navire glisse le long du môle, très près de nous, tandis que les notes lentes de l'Hymne russe, joué par nos matelots groupés sur le quai, devant un peloton de hussards à cheval rythment son insensible avance. Les Russes sont toujours muets. Soudain, de la passerelle où se tient le général Lichovski, entouré de son état-major, un ordre bref jaillit. Tout l'avant du navire s'anime et trois sonores hurrahs jaillissent des rangs pressés et toujours impassibles. Un nouveau commandement, trois hurrahs partent. De l'arrière, déjà, apparaît la silhouette d'un second navire et, successivement, tous les Russes vont ainsi saluer la terre de France.
Le spectacle est simple et grand. Les navires, avec leur foret d'hommes, le quai, où l'on trouve, à côté de nos alliés et, notamment, un régiment d'Ecossais et d'Hindous, nos hussards à cheval, nos fantassins et là-bas, au fond, derrière des wagons, les prisonniers allemands avec leur petit calot de travail.
Nos officiers montent à bord des navires et bientôt les soldats russes en descendent. Ce sont des gars superbes, ayant tous déjà fait campagne, et la plupart sont des volontaires. Quelques-uns sont médaillés. Ils se rangent, s'alignent, et, quelques instants après, le fusil sur l'épaule, au milieu des hurrahs de la foule, ils partent pour leur camp.
Un petit enfant de troupe, moins haut que son fusil, est l'objet d'une ovation enthousiaste.
Le soir, ils couchèrent au camp Mirabeau, où étaient arrivées déjà leurs cuisines roulantes. Je reconnus un de leurs officiers, qui fut longtemps notre hôte sur la côte d'Azur.
- Eh bien! me dit-il, bonjour ami. Nous voilà. Vous voyez bien qu'avec sa patrie, tout homme, digne de ce nom, a une seconde patrie, qui s'appelle la France et qu'il retrouve un jour.
Et nous partîmes le long de la route, où serpentait, dans le cadre radieux du golfe, au soleil, le splendide flot des hommes ».