de la revue 'L'Illustration' no. 4052 de 30 octobre 1920
'Le Dessinateur Poulbot'
par André Laphin

Des Gosses et des Bonhommes

 

C'était déjà merveille que de voir, pendant la guerre, de quelle popularité du meilleur aloi le dessinateur Poulbot jouissait même chez les combattants originaires de la campagne, lesquels n'avaient pourtant jamais aperçu un seul des « gosses », parisiens qui pouvaient avoir inspiré cet artiste.

Et l'on sait qu'aujourd'hui le simple énoncé du nom de Poulbot appelle immédiatement dans tous les esprits la vision d'une ribambelle de nerveux enfants îles faubourgs. C'en est au point que l'expression: « un Poulbot » est en train de devenir, dans le pays entier, synonyme d' « un gosse souffreteux et déluré »,

et de remplacer heureusement: « un gavroche » et « un titi ». Poulbot, ce terme, maintenant, ne semfre-t-il pas avoir toujours été, depuis qu'il existe une langue française, un diminutif malicieux et familier? Si familier que nul n'a jamais pensé à remarquer que le prénom de ce dessinateur est tout à fait inconnu.

Mais voici que deux choses, la même semaine, viennent d'attirer davantage encore l'attention sur notre jeune artiste: sa nomination au grade de chevalier de la Légion d'honneur et son affiche pour l'Emprunt.

Sans doute, les promotions dans cet ordre national furent nombreuses ces derniers temps; toutefois, la décoration de Poulbot a ceci de remarquable qu'elle a été sollicitée pour lui par ses aînés, par Louis Morin, Willette, Forain, Jean Weber, Léandre, etc. Démarche qui honore autant ces artistes réputés que celui qui en fut l'objet, démarche qui fait songer au temps où les maîtres-ouvriers des corporations admettaient un cadet dans leurs rangs, après qu'ils avaient jugé son « chef-d'œuvre ».

Quant à l'affiche pour l'Emprunt, tout le monde aura-t-il su remarquer qu 'elle était le résultat d'une méritoire exception aux habitudes de Poulbot? Eh! oui, pour une fois, en considération de la noblesse de la tâche, il a accepté de « travailler pour la publicité »!

Que cette dernière phrase, néanmoins, n 'aille pas faire regarder Poulbot comme un bohème montmartrois. Montmartrois, il l'est, certes, mais dans le meilleur sens.

Disons, pour échapper à l'équivoque, qu'il est un artiste parisien.

Vraiment artiste, il est de ceux qui croient en l'efficacité d'un travail tenace, de ceux qui ne sont jamais tout à fait contents d'eux-mêmes et se montrent simples devant chacun.

Vraiment Parisien, il est né d'une mère Parisienne et d'un père Picard. Que l'on ne voie là aucune plaisanterie: Paris ne serait plus Paris s'il n'était le fruit magnifique des croisements! de toutes les provinces de France.

Aussi bien, Poulbot a fait ses études à Paris. N'ayant jamais fréquenté l'Ecole des Beaux-Arts, c'est sur les bancs du collège Rollin qu'il commença de dessiner pour les journaux vers 1895, année où apparurent des journaux illustrés humoristiques à la devanture des kiosques, plusqu'alors on n'en avait vu que dans certaines familles et dans les cafés.

— Et je n'allais pas au café, ajoute Poulbot. Je ne savais même pas, en ce temps-là, qu'on pouvait payer îles dessins!...

Il ne tarda, d'ailleurs, pas à l'apprendre, puisqu 'il collabora, presque aussitôt, à toutes les publications comiques de France et qu'il devint même, aux jours du mémoire du cœur? On n'en veut plus douter quand on sait que le père et la mère de Poulbot étaient directeurs d 'école et que, dès ses premiers croquis, les gosses furent ses sujets de prédilection.

Au reste, il n 'a jamais pu venir à l'idée de personne que les dessins de Poulbot et les légendes qui les accompagnent puissent être autre chose que l'œuvre d'un seul et même homme. Toute la sensibilité d'un homme se joint ici à toute son intelligence. Et le public ne s'y trompe pas: « Doit-il aimer les gosses . s'écrie-t-il.

Combien le public a raison! Ah! ce n'est pas lui qu'on étonnera quand il apprendra que la fillette qui posa pour l'affiche de l'Emprunt, devant Poulbot allongé sur un lit de souffrances, n'est autre que la propre enfant de ce bon grand garçon, mademoiselle

Zozo!

André Laphin

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