de la revue 'l'Illustration' No. 3985-3986, 19-26 julliet 1919
'La Fête de la Victoire'
14 Julliet à Paris
par Gustave Babin

Paris 1919

 

« Qui de nous a vu ce jour a vécu », a écrit, dans l'éloquente lettre par laquelle il payait au maréchal Pétain et à ses glorieux soldats son tribut de reconnaissance, le président du Conseil, M. Georges Clemenceau. Et telle est, en effet, ramassée en une phrase lapidaire, l'impression profonde de chacun des témoins de cette inoubliable, de cette indicible apothéose que furent les fêtes de la Victoire les 13 et 14 juillet. Ceux qui, ayant souffert la guerre, ont savouré, lundi, cette ivresse ineffable d'un triomphe sans pareil, quelles choses pourront les émouvoir désormais et faire battre leurs cœurs d'un rythme comparable?

Cette solennité fut belle pleinement. Elle fut parfaite, irréprochable: il le faut dire, il en faut être persuadés. Que s'il y'eut, çà et là, dans le formidable ensemble, quelque lacune, quelque oubli, une faute vénielle, nous ne les avons pas vus: il faut admirer en bloc, sans se demander même ce qui fut le plus magnifique, de l'hommage rendu aux victimes propitiatoires de la terrible lutte, de la grandeur de cette parade militaire où, pendant des heures, le long d'une voie triomphale inouïe, on acclama les vainqueurs, ou du calme saisissant, de la haute sagesse de cette foule émue, recueillie, vibrante comme les feuilles au vent, agitée de mille sentiments divers, bouleversée de tendresse, de joie, d'orgueil patriotique. Qu'on n'attende d'aucune des pages improvisées qu'aura inspirées cette grande journée qu'elle puisse rendre les multiples impressions qui ont fait tressaillir à l'unisson tant de millions d'âmes: les mots sont définitivement impuissants, ici, à donner autre chose que de .vagues reflets d'une grande flamme qui a, vingt-quatre heures durant, consumé des cœurs innombrables. Nous nous trouvons en présence d'un fait trop grand, trop sublime pour notre entendement immédiat. Ce n'est que bien plus tard, avec le recul, que nous en pourrons concevoir la divine beauté, le miracle. Je n'ambitionne, pour ma part, que de raconter, chronologiquement, le peu que j'ai vu de cette merveille.

 

Remise des Épées aux Maréchaux

C'a été, d'abord, pendant les trois ou quatre jours qui ont précédé le grand jour, la fièvre charmante qui s'était emparée de Paris, cette amoureuse impa-, tience où tous nous étions de voir passer les heures qui nous séparaient du moment si longtemps et si ardemment souhaité; cette inquiétude de savoir si l'on serait prêt; et l'admirable, le touchant entrain des ouvriers affairés à parer les avenues par où se devait dérouler le cortège glorieux. Quelle gaieté! quel zèle! quelle ferveur, on peut bien dire! Travailler, c'est prier, disait un vieil ana. En vérité, ces charpentiers, ces soldats, ces manœuvres, ces ouvriers d'état, occupés les uns à creuser des trous, à dresser des mâts, à hisser des pavillons, les autres à tendre de souples étamines, à clouer des écussons laurés, ou, de leurs gros doigts si alertes, qui maniaient naguère la foudre, à monter d« frêles couronnes de clinquant, semblaient communier dans un même religieus hommage à la Patrie, et la servir encore, comme aux tranchées, comme dans les grands blés d'or de l'autre Messidor, où l'on combattait pour la décisive victoire de l'automne.

La première manifestation officielle inscrite au programme était, dimanche après-midi, à l'Hôtel de Ville, la remise aux trois maréchaux de France des épées commandées pour eux par l'édilité parisienne et qui ont été reproduites et décrites ici la semaine dernière, et aussi la distribution, aux vingt-deux régiments qui ont conquis la fourragère rouge, de belles fourragères de soie écarlate. Les vingt-deux drapeaux sont là, de celui de la Légion étrangère et de celui du 1e régiment colonial du Maroc, les deux régiments émules, chacun décoré de la double fourragère aux couleurs de la Légion d'honneur et de la Croix de guerre, à celui des fusiliers marins, qui vient de recevoir la fourragère rouge, en passant par un certain drapeau, si glorieusement usé, déchiré, mutilé, qu'il a fallu l'envelopper d'un filet, comme on voit les vénérables étendards des musées, et qui est celui du 2e régiment de marche de tirailleurs.

La vieille place de Grève a sa décoration des grands jours. Que de fois, déjà, elle s'est vue ainsi parée, dans la longue suite des siècles! Jamais, sans doute, pour une circonstance aussi grandiose. Aujourd'hui, un doux soleil y luit par intermittences, entre les ntfages, et dore, au faîte de l'arc de triomphe qui se détache sur les peupliers drus dé l'avenue Victoria, la devise municipale: Fluctuai nec mergitur, et, au flanc des colonnes rostrales, la nef inébranlable aux flots comme aux rafales.

Des drapeaux, des oriflammes claquent au vent de toutes parts. La façade entière, sous leurs caresses, semble frémissante jusqu'au faîte, jusqu'aux dômes à pans où veillent, dans l'azur, les porte-étendard de bronze brandissant leurs fanions d'or. A l'arrière-plan, à gauche, Notre-Dame éploie, sur ses tours, deux pavillons gigantesques, dont l'un, celui du Nord, domine les sirènes des jours d'alarme, évocatrices des temps sinistres.

Au seuil de la maison communale s'érige une estrade de velours vieil or, rehaussée de franges d'or, de faisceaux dorés, de trophées multicolores, sur laquelle nous allons voir successivement apparaître les généraux Gouraud et Guillaumat, Dubail, grand chancelier de la Légion d'honneur, et Berdoulat, gouverneur de Paris, Maistre, Hirschauer,... et que graviront bientôt les trois héros de la journée: le maréchal Joffre, accompagné de Mr la maréchale Joffre, et salué par de chaleureux bravos; le maréchal Foch, le maréchal Pétain, puis le président du Sénat et celui de la Chambre, des membres du gouvernement. Mais on a le regret d'apprendre que le président du Conseil s'est fait excuser.

Enfin, à 16 h. - l'heure exacte fixée par le programme -- les clairons sonnent aux champs: le président de la République arrive, accompagné du général Pénelon, secrétaire général de la présidence, et du colonel Braconnier, de sa maison militaire. La Marseillaise éclate, reprise par les chœurs de i'Opéra groupés sur le terre-plein, très justes, fort bien réglés, mais un peu grêles, dans ce plein air. Les maréchaux, avec M. le président du Conseil municipal et M. Autrand, préfet de la Seine, reçoivent le chef dé l'Etat.

Tout aussitôt, on a vu descendre, portant des corbeilles débordantes de passementeries rutilantes, les huissiers du Conseil municipal, suivis du président de la République et du cortège officiel: c'est le moment de la remise des fourragères aux drapeaux alignés à la tête des pelotons qui les accompagnent; et, derrière le chef de l'Etat, on voit le maréchal Pétain aller de l'un à l'autre porte-drapeau - les colonels de chaque régiment - leur serrer la main, s'entretenir avec eux, passer dans les rangs, parler aux soldats, les complimenter sur leurs exploits, qu'attestent les décorations étoilant leurs poitrines, continuer sa belle tâche de vigilant gardien du moral. Le maréchal Foch et le maréchal Joffre, chacun de son côté, l'imitent, le secondent dans l'accomplissement de cette mission paternelle et touchante, et, comme lui, attachent aux épaules des fourragères.

La foule, cependant, maintenue aux extrémités de l'immense Grève, devinant les actes plutôt qu'elle ne les voit - et je ne parle pas de ceux des curieux qui, entassés dans les rues adjacentes, n'ont que l'espoir douteux d'apercevoir les voitures du cortège - demeure bien sage, heureux indice pour la journée du lendemain, et manifeste seulement par des vivats son enthousiasme.

A l'abri des balustrades de pierre qui courent en avant des façades, il y a un espace réservé à quelques invités, avec de fragiles chaises dorées; les mutilés y sont admis. Mais quelques-uns d'entre eux ont préféré s'asseoir sur le balustre même. On consent à les y laisser. Les moins invalides aident les autres à s'y jucher, avec quelle affectueuse camaraderie! Et l'un, qui avait déjà, depuis une heure, gardé sa place, la cède avec empressement au frère qui arrive. « Mais vous-même? lui dis-je... - Oh! moi, je n'ai qu'un bras en moins (et c'est le bras droit), tandis que lui, voyez: une jambe blessée; il ne pourrait se tenir debout; moi je peux! » II arrive encore un aveugle, accompagné de sa femme. Il souhaite d'être au premier rang. Avec ses pauvres yeux morts, à quoi bon? Enfin il y tient, et nous ne devons pas chercher à comprendre; et avec toutes sortes de soins, des gestes prévenants, comme s'il pouvait les voir, on lui avance une des chaises dorées et capitonnées, au dossier de laquelle sa femme s'appuiera, pour lui expliquer.

Le président, les maréchaux, les édiles sont revenus vers l'estrade où, sur une console drapée de velours, reposent les trois armes d'honneur. M. Evain, président du Conseil municipal, les prend là l'une après l'autre, et, en présence de M. Raymond Poincaré, de la solennelle assistance qui l'entoure, il les remet aux trois maréchaux, en rappelant à chacun, d'eux, dans un sobre discours, les titres qu'il s'est acquis à la reconnaissance de la Ville.

La cérémonie officielle prend fin, et le président de la République va se retirer, après avoir salué les vingt-deux drapeaux alignés devant lui sur deux rangs, au pied de la décorative estrade, magnifiquement parés de l'insigne nouveau qu'on vient de leur remettre, de cette chatoyante fourragère de soie qui en cravate les hampes. Avec leurs gardes, les nobles insignes montent en rangs pressés, gerbe ondulante, les quelques marches qui vont leur donner accès dans le palais municipal, à la salle des Prévôts, tandis que les détachements qui les accompagnent, aux accents des vibrantes musiques, défilent et s'engouffrent, baïonnette au canon, sous le haut porche qui conduit à la cour d'honneur. Car une fête a été organisée en l'honneur de ces braves, associés à la gloire de leurs chefs illustres, - un lunch élégant, un concert où, dans le cadre somptueux de la salle des Fêtes, au milieu de lambris dont leurs étendards forment la plus belle parure, ils vont applaudir quelques-uns des meilleurs artistes de Paris. Et les vivats qui, sous ces plafonds, de l'escalier d'honneur bordé d'une double haie de municipaux en tenue de gala, casque en tête, la tunique retroussée en rouge sur la culotte blanche, jusqu'à la salle des Arcades, puis, de nouveau, au moment de leur départ, saluent les maréchaux et les généraux, les acclamations qui leur font écho sur la place, tout cela, eomme la fière tenue de la foule, nous donne un avant-goût ide ce que sera le grand jour qui se prépare.

La soirée du 13 juillet était consacrée à la mémoire des morts, des héroïques victimes dont le sang a rédimé les deux provinces reconquises et payé la liberté de la Patrie et du monde.

La parure de la Voie Triomphale était achevée à la nuit tombante. Déjà une affluence énorme se pressait vers l'avenue des Champs-Elysées, la place de la Concorde, l'Etoile, foule où se confondaient, avec les Parisiens accourus des extrêmes faubourgs, des compatriotes éloignés venus de tous les coins de la France, et des étrangers qui arrivent des confins du monde, peut-être: on peut dire qu'en ces derniers jours la population de Paris avait presque doublé. Et comment, justes cieux, tout ce monde a-t-il pu subsister, dormir, manger? C'est là un grand mystère encore.

C'est donc, au moins aux abords de l'Etoile, une soirée de recueillement, de méditations. Avec ce tact souverain qui n'est qu'à elle, cette foule parisienne, cette foule française, l'a senti profondément. Elle est d'humeur égale, occupée de pensées austères. Elle songe à ses morts, et bien des cœurs, dans ces rangs serrés qui avancent à pas lents, sont étreints au souvenir de chers sacrifiés qui n'auront pas eu cette joie suprême de voir le triomphe.

La disposition adoptée tout le long des Champs-Elysées a rétréci sensiblement la largeur de la magnifique artère, conçue justement pour de tels jours. On s'est préoccupé de donner au nombre maximum des spectateurs la possibilité de voir le défilé. Au dernier moment, et mû par un sentiment d;égalité, d'équité simple, on a supprimé les tribunes et dressé, du haut en bas de l'avenue, et jusqu'à la Porte Maillot, des barrières de bois qui limiteront l'emplacement réservé au défilé des troupes et à la poussée de la foule. Les pessimistes disent: Jamais ça ne tiendra! » Et ils prévoient des bousculades; pis: l'auguste cortège des troupes envahi, violé, débandé, - des catastrophes, enfin. Mais ceux-là ne connaissent pas ce peuple, et lui font tort. Il n'y aura pas, dans ces deux journées, d'après les statistiques de la préfecture de police, une centaine d'accidents.

La décoration de la Voie Triomphale, dont on a vu ici, la semaine dernière, les projets, les esquisses, quelques photographies déjà, est charmante, harmonieuse et originale. Les éléments d'un tel décor demeurant invariables, mâts, drapeaux, trophées, guirlandes, il serait puéril de s'attendre à des surprises dignes des fées, - et encore, l'imagination elle-même est-elle bien limitée. L'essentiel, le certain est que nous ayons trouvé partout, dans toutes ces réalisations hâtives de plans longuement mûris, du goût, de la mesure, de l'élégance. Les meilleurs des clichés ne donneront qu'une idée vague et incomplète de la grâce et de la gaieté de ces longs alignements de mâts jumelés, parés d'ailes d'or et de verts lauriers, empanachés de longues banderoles, réunis par des draperies tricolores. Les mâts étaient blancs, relevés d'ors discrets, et, sur ces tons festoyants, les notes vibrantes des pavillons chantaient à pleines voix.

A la place de la Concorde, le décor se corse: les mâts, dont certains s'élèvent gigantesques, sont rouges et or. Les colonnes rostrales s'enguirlandent de verdure et d'or. Les trophées de pavillons sont disposés en couronnes, de telle sorte que les étamines versicolores pendent tout droit. Les réverbères sont entourés de transparents formés de petits rubans alternativement bleus, blancs et rouges, que la brise du soir agite, échevelle, voilant, dévoilant, faisant scintiller comme du clinquant la lumière du foyer. Jamais ce cadre incomparable n'a reçu une plus brillante parure, et qui l?embellisse à ce point sans lui nuire. L'obélisque lui-même remplit l'office d'un mât formidable: 33 mètres de haut; et sur son pyramidion ébréché par les siècles, d'audacieux charpentiers ont attaché des guirlandes de feuillage doré, de souples bandes électriques qui étincelleront le soir en guirlandes de pourpre. Cette couleur rouge des illuminations* qui se continue tout le long de l'avenue entre les mâts blancs, forme trait d'union entre les motifs différents, met de l'unité dans la décoration.

Mais, ce soir, tout cela est éteint: la féerie est réservée à la soirée du 14 juillet, à la soirée du jour triomphal.

Au bas de l'avenue, deux pylônes blancs, les deux premiers qu'on rencontre, commémorent le souvenir de deux victoires, la Champagne, les Eparges. Au rond-point, sous d'autres Nikès aux ailes d;or éployées, nous lirons les noms du Grand-Couronné, de la Somme, de l'Alsace, de l'Ourcq, de la Marne, de l'Argonne, de l'Aisne, de Verdun; de distance en distance, le long de l'avenue, ceux de Dixmude, de Verdun, de Pogradec et de Skra di legen: toute la formidable épopée soudain évoquée en quatorze mots magiques, titres de gloire, titres de noblesse éternels des chefs illustres, des grands soldats qui demain défileront entre ces éphémères édifices.

Au rond-point encore s'érigent, massifs, non sans grandeur, leurs faces décorées de hâtifs bas-reliefs, souvent heureusement venus et surmontés de conques d'or, les quatre autels aux cités martyres, Verdun, Reims, Soissons et Arras. Et puis, dans les parterres, les deux amoncellements de canons que vous savez, et qui sont deux visions inoubliables, fruits vraiment d'une idée géniale.

La double haie des mâts accouplés, avec leurs éeussons ailés et laurés, leurs mouvantes étamines, agitées comme les feuilles argentées des trembles au bord du fleuve, se prolonge à l'infini, jusqu'à l'Arc de Triomphe, jusqu'à la lointaine porte de la ville, là-bas.

La place de l'Étoile a reçu une décoration différente: les mâts jumeaux, plus espacés, blancs toujours, soutiennent des vergues blanches d'où pendent des flammes, des drapeaux, des guidons aux couleurs des nations alliées.

 

 

La Veillée en Souvenir des Morts

Par toutes les avenues, la foule, en deux courants, monte et descend vers l'arche grandiose qui est le but de son pieux pèlerinage. Elle est exquise: c'est le moins qu'on en puisse dire, - bourdonnante comme une ruche, sans cris, sans gestes violents, patiente, d'humeur pacifique, douce, admirable, enfin. Je n'y ai pas vu l'ombre d'une bousculade. De place en place, à la croisée de deux grandes artères, à l'entrée d'un des passages ménagés à la circulation transversale, un remous se produit. On tourbillonne, entraînés, poussés. On se laisse aller, pareils au liège au fil de l'eau; et, vingt mètres plus loin, on se retrouve debout en eau calme. Alors on respire et l'on rit avec les voisins, familiers, fraternels, de la vaine frayeur qu'on vient d'avoir.

Du plus loin, et grâce au génial profil de cette avenue incurvée doucement du bord du fleuve à l'éminenee que couronne le monument glorieux, on perçoit, sous l'arceau géant, une lueur blonde dans des fumées, dans des flammes blanches, violettes, vertes: c'est le Cénotaphe, le monument dressé avec ferveur à « ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie ». Avec quel respect, quelle crainte sacrée n'ont pas dû y travailler les artistes qui en conçurent l'idée! Eriger quelque chose, quoi que ce soit sous ce monceau de pierre! Oser de la sculpture à deux pas du sublime Départ des Volontaires! C'est très humblement, guidés par leur seule foi patriotique et leur ardent désir de rendre aux héros un respectueux hommage, que se sont mis à l'œuvre tous les hommes de talent qui ont collaboré à cette œuvre de quelques jours. Leur piété a été récompensée. Leur cénotaphe, sobre, vague réminiscence, dans ses grandes lignes, de l'art de l'antique Egypte, qui a le plus profondément senti le culte des morts et leur a consacré les plus émouvants monuments qu'on connaisse, ressouvenir aussi de la vénérable et si calme sculpture de l'école d'Egine, n'était point déplacé sous le monument napoléonien.

Ils s'étaient gardés, d'ailleurs, de charger d'aucun ornement sacrilège la sublime architecture sous laquelle leur œuvre recevait un asile d'une nuit. Ce sont, j'y insiste, des fils pieux des Muses. Il faut les louer sans réserve, et de leur excellent esprit, et du talent certain qu'ils ont déployé.

Sous l'arc démesuré, surhumain, que la clarté lunaire d'une nuit merveilleuse d'été emplissait de pur azur, le cénotaphe aux morts de la Grande Guerre, inondé des faisceaux pâles des projecteurs électriques, voilé des fumées des urnes brûlant à ses pieds, apparaissait de bronze clair, de bronze fraîchement sorti de la fournaise, et aérien, et léger, montant en pyramide vers le ciel accueillant aux âmes épurées par le sacrifice. Les craintives colombes des corniches, éveillées par tant d'éclats, tournoyaient alentour en vols éperdus, dans ies demi-ténèbres bleues.

Les monstrueux canons, les canons capturés à l'ennemi formaient autour de cette formidable chose une haie hérissée, hostile encore. Et autour d'eux, autour des urnes fumantes, autour de l'arène circulaire que ferment les bornes de pierre, des cavaliers, lance au poing, inutile barrière contre la foule si sage, doublaient les chaînas encore tendues. Au pied du Cénotaphe, il y avait un rang de cuirassiers bardés de fer, quelques soldats, un zouave, un lignard, un chasseur, un marin montant la garde, silhouettes menues auprès de cette immensité, - à l'échelle pourtant, au moral, et par les hautes idées qu'ils évoquaient, de ce bloc énorme, brutal de lignes dans la nuit si douce, comme de cette pyramide de bronze neuf, luisant d'une lueur de veilleuse immortelle, comme une lampe d'autel, comme la flamme sacrée des Vestales, à l'ombre de ce même arc eyclopéen qui n'avait vu passer encore que deux morts illustres: l'Empereur, l'Homme prédestiné, retour de son calvaire de Sainte-Hélène, et le vieil Hugo endormi dans sa gloire.

Vers 10 heures, un reste de lumière mourante glaçait encore le ciel, au couchant, quand un trou s'ouvrit dans la foule qui montait l'impériale avenue: des voitures s'avançaient, dans le sillage desquelles on se pressait pour les suivre. Une automobile s'arrêta non loin de l'Arc, à l'entrée de la place circulaire. Une clameur s'éleva: M. Clemenceau, président du Conseil, venait apporter aux morts son hommage ému. Ce fut très court, très simple, très impressionnant. Le blanc vieillard s'inclina, tête nue. Il distribua autour de lui, paternel, quelques paroles que n'oublieront jamais, sans doute, ceux qui les ont recueillies, une fillette, des blessés. Il admira - en artiste, en grand Français - puis repartit. Derrière lui vinrent des délégations, celle du Conseil municipal, qui le croisa au pied du Cénotaphe, précédée et suivie de gardes à cheval, encadrée de pompiers tenant des torches; puis celle de la Ligue des Mutilés, celle de la Ligue des Patriotes, d'autres encore apportant des fleurs, des palmes, des lauriers, qu'elles déposèrent sur le soubassement...

A l'aube naissante, la vision s'évanouit comme un fantôme dans la lumière qui montait. Des équipes précautionneuses firent glisser doucement vers l'entrée de l'avenue des Champs-Elysées, à gauche, en face de la tribune réservée au président de la République, le Cénotaphe dépouillé du prestige des rayons qui le doraient la nuit. Il apparut blême, froid, austère, mais toujours noble de lignes, avec les quatre faisceaux de lances gigantesques dressés à ses angles, avec les roides Victoires aux ailes repliées abaissant sur ses quatre faces leurs palmes inclinées vers des tombes sanglantes, mais paré de la pure beauté que lui conférait, dans nos cœurs, la vertu des héros immortels auxquels il était consacré.

La Fête de la Victoire commençait.

 

 

A la Porte de Paris

Est-ce par la porte Ouest de Paris, par la même porte où, autrefois, s'était avancé, une froide et tragique journée d'hiver « l'inoubliable grand-père » avec ses hordes, que Guillaume II comptait effectuer l'entrée solennelle de ses rêves à la Picrochole?

Ce fut là, en tout cas, que se déroula le premier acte de cette journée du Triomphe; là que, recevant les maréchaux Foch et Joffre, M. Evain, président du Conseil municipal, eut la joie de leur montrer, grande ouverte, pavoisée, bordée d'une foule respectueuse et émue, la voie qui montait vers « l'Arc des Vainqueurs », où Austerlitz, Iéna, Friedland, Rivoli, Arcole allaient, du haut des pilastres illustrés de centaines de grands noms de victoires, saluer au passage Verdun, le Grand-Couronné, l'Yser, la Marne, l'Ourcq, tous les vocables glorieux écrits sur les pylônes de la Voie Triomphale.

Le temps s'annonce radieux, idéal. Le ciel est avec nous! Un joli ciel pâle, rosé encore, puis bleu tendre, puis d'azur vif, s'illumine de soleil de minute en minute. Un zéphyr un peu aigre, aux premières heures, violente doucement les pavois innombrables dont la nuée s'allonge, de chaque côté de l'avenue, à perte de vue.

La porte conventionnelle, la modeste grille de l'octroi qui marque la limite de la grand'ville, est pavoisée. J'eusse, pour ma part, souhaité que la cérémonie eût un caractère plus traditionnel, à l'exemple de ce qui se passe à l'entrée de la Cité de Londres dans les circonstances mémorables; que les grilles fussent closes, même par un seul ruban de soie aux couleurs des écharpes des conseillers municipaux, tous rangés là autour de leur président et du préfet de la Seine, M. Autrand, dont la poitrine, cuirassée de lauriers d'argent, étincelle sous l'uniforme; que de belles clefs ciselées fussent offertes, après leurs épées, en hommage aux maréchaux. Mais, je le répète, il faut passer sur ces lacunes involontaires. Les traditions sont abolies, pour la plupart. On peut, selon son penchant, le regretter ou s'en réjouir...

Par cet allègre matin d'été, dans l'opulent cadre de verdure que ferment, à l'Occident, les futaies touffues dtf bois de Boulogne, à l'ombre desquelles se prépare le prestigieux défilé, où les troupes se massent, s'alignent, prêtes à partir au premier commandement, la scène qui va se dérouler ici aura de la grandeur.

On a vu descendre de voiture, au seuil de Neuilly, à l'entrée des Acacias, l'un après l'autre tous les généraux glorieux qui vont conduire les troupes dans ce défilé sans précédent, commandants en chef des armées alliées, chefs de nos armées, le plus prodigieux état-major qui se puisse concevoir. Le maréchal Pétain, ennemi décidé de toute pompe, se rendra directement au point de concentration des troupes françaises, sous le couvert du Bois.

Mais une automobile s'arrête: voici le maréchal Foch, étonnamment alerte, gai, et tenant à la main son bâton constellé avec la désinvolte élégance, l'élégance native d'un modèle de Largillière, de Le Brun ou de Rigaud. Le général Weygand, son chef d'état-major, l'accompagne. Le maréchal Joffre, accompagné par le général Belin, suit de près, enveloppé, contre l'air piquant de la septième heure, de ce large manteau bleu légendaire qui fut aussi populaire parmi les « poilus » de son armée de la Marne, de Champagne, de l'Yser, de Verdun, que la redingote grise de l'Autre parmi ses « grognards ». Et quand, au signal que la cérémonie va commencer, il dépouillera ce lourd harnois de guerre, on le verra apparaître, bâton en main, souriant, bonhomme, adorable de bienveillance et très beau d'allure, sous le vieil uniforme des Mac-Mahon et des Canrobert, le dolman noir et la culotte rouge. Et tous les chefs, comme lui, comme les soldats, ont revêtu la tenue de campagne, sans grand-cordon de moire, sans culotte blanche, sans le bicorne empenné des grands jours.

Les édiles parisiens barrent en ligne l'avenue, formant la porte vivante de la Cité Lumière. En avant se tiennent leur représentant, M. Evain, et le représentant du gouvernement, M. Autrand, qui, chacun, prononcent un bref discours, saluant les sauveurs de la Patrie des aïeux, les soldats de l'idéal, les libérateurs de la Patrie, les vengeurs de l'humanité. Et quand le maréchal Foch, en une brève allocution, en quelques mots très simples et très émus, a remercié au nom des vaillantes troupes; quand les deux maréchaux, d'un geste spontané, ont donné l'accolade à leurs deux hôtes, la triple haie des élus de Paris s'écarte: « Messieurs les Maréchaux, profère M. Evain, les portes de Paris vous sont ouvertes. » Les deux glorieux soldats remontent en auto, le maréchal Foeh dans une limousine, le maréchal Joffre dans une très simple voiture découverte, qui enfilent, l'une suivant l'autre, l'avenue de la Grande-Armée, vers l'Arc de Triomphe, qu'emplit la lumière dorée de l'Orient.

Alors on entend monter dans l'air, grandir, puis s'éteindre, indistincte, dans l'éloignement, une clameur de joie, de fête; des vivats, des bravos, des cris confus: la foule entassée derrière les barrières blanches acclame les deux grands chefs, le vainqueur de la première Marne, le vainqueur de la seconde Marne, le triomphateur de novembre.

Et quelle foule!

Sur les 6 à 7 kilomètres du parcours que va suivre le défilé, depuis Neuilly jusqu'à la place de la République, du rebord des trottoirs aux toits des maisons, aux balcons, aux fenêtres, elle s'accumule à l'infini, en lignes serrées, en grappes denses. Le cortège sera déjà en marche qu'elle continuera à s'accroître.

Les premiers rangs se sont formés dès la veille, se sont épaissis et tassés d'heure en heure. Que de centaines de mille personnes, de tout âge, de toute condition, auront passé la nuit entière à la belle étoile! Les figures sont tirées, poussiéreuses, mais des yeux y luisent fiévreux, ardents d'enthousiasme, d'admiration, d'amour profond et tendre.

L'ingéniosité de tout ce monde, altéré de sainte curiosité, résolu à voir à tout prix, a été prodigieuse, - autant que son courage. On a vu arriver de toutes parts, en petits groupes, par familles, entre amis, des gens porteurs de leurs paniers - car il faudra manger pour tenir jusqu'au bout - de petits sièges, de pliants pour s'asseoir, les confortables bancs des promenades ayant été bien vite envahis, de boîtes de toutes sortes, de caisses, de planches qu'on y posait pour multiplier les places. En arrière de ces premiers venus, des voitures à bras se sont rangées, des fiacres, des automobiles, de lourds camions, d'aucuns découverts et garnis de bancs, d'autres leurs toitures chargées de spectateurs. Il y avait, enfin, les classiques échelles, chargées à se rompre, et, dans les branches des arbres, pliant déjà sous des curieux agiles, des sortes de petites escarpolettes, adroitement combinées et fabriquées avec soin par des mains expertes. Enfin, on vendait, dans les jours qui ont précédé la fête, des périscopes, renouvelés de ceux qui rendirent aux tranchées tant de services, qui permettaient aux bons yeux de regarder par-dessus les têtes pressées et d'entrevoir des bribes au moins du beau spectacle. Que de bonnes volontés, que de zèles, que de cœur, au fond, dans tout cela, dans cet unanime et violent désir de voir, d'acclamer, de pleurer d'émotion, qui agitait ces masses!

 

 

Hommage aux Morts

La tribune d'où le président de la République, les présidents du Sénat et de la Chambre des députés, le président du Conseil et les membres du gouvernement, les ministres qui se sont succédé durant l'interminable guerre, les membres du corps diplomatique doivent assister au prodigieux défilé, s'érige, assez basse, sans apparat, très simplement décorée, à la sortie de la place de l'Etoile, en avant de l'Arc de Triomphe, à droite de l'avenue. En face, se dresse maintenant le cénotaphe aux morts. A sa base, à gauche, une tribune a recueilli, groupées dans un pittoresque chatoiement, tout un chœur d'Alsaciennes et de Lorraines, coiffées du grand nœud ailé ou du petit bonnet de dentelle, cravatées d'éclatants fichus et vêtues de jupes claires. De petits groupes d'entre elles viennent saluer tour à tour, à leur arrivée, en leur remettant des fleurs, M. Georges Clemenceau, d'abord, puis les maréchaux Foch et Joiïre, qu'accueillent tous trois de longues ovations.

La tribune officielle est déjà au complet quand, à 8 heures, arrivent les deux maréchaux, entourés en un moment d'une véritable et brillante cour de généraux. Un court moment plus tard, la sonnerie aux champs retentit, précédée de longs vivats: le président de la République, à son tour, fait son entrée, en landau. Le président du Conseil le salue, les membres du gouvernement l'entourent, et leur groupe, auquel se joignent les présidents du Sénat et de la Chambre et les deux maréchaux, à pas lents se dirige vers le Cénotaphe tout blond et rosé, aux reflets du soleil matinal: la France entière, représentée par ses plus hauts magistrats, par ses plus grands soldats, va s'inoliner devant les morts. Sans un mot, dans un impressionnant silence, où il semble qu'on entende la palpitation de tous les cœurs bondissant à se rompre dans les poitrines, le président de la République se découvre, imité par la foule innombrable tout entière, et, sur le socle du monument, dépose une large couronne de fleurs et de feuillages, auprès de laquelle, en un elin d'oeil, viennent se ranger, portées par des mains attentives, les couronnes apportées la veille par les diverses associations, par les mères en deuil, les blessés honorant leurs frères d'armes, d'anciens combattants, des aviateurs, et d'autres qu'offrent les gracieuses filles de Lorraine et d'Alsace: c'est tout un soubassement fleuri qui semble porter sur des corolles aux couleurs tendres, sur des rameaux flexibles, dresser dans la lumière matinale la haute pyramide couronnée d'une vasque d'or.

Cependant, les deux maréchaux s'en sont retournés, accompagnés de leurs chefs d'état-major, vers la Porte Maillot, où se forme le triomphal cortège dont ils doivent prendre la tête.

 

Le Défilé des Vainqueurs

Des minutes s'écoulent. Combien? Elles paraissent interminables. On LES attend, et les cœurs palpitent comme dans l'angoisse.

La place de l'Etoile, bien dégagée, avec les spectateurs rangés au pourtour, sous les mâts croisés de leurs vergues formant portiques, avec ces myriades de banderoles, d'oriflammes, de. pavillons mollement balancés par la brise insensible, apparaît immense; l'Arc, plus gigantesque que jamais, au milieu de sa ceinture de canons béants vers le ciel, fouillis de butin où se dissimulent, presque perdus, quelques groupes de curieux.

Les chaînes sont tombées: à peine avait-on pu le remarquer la veille, avec la foule qui se pressait tout alentour. La voie illustre que, naguère, piétons respectueux, nous n'osions pas même traverser, sachant pour quel auguste usage elle avait été tracée, et pressentant confusément que le jour brillerait où elle remplirait enfin sa destinée, la voici libre, ouverte devant les héros, les vainqueurs. La formidable voûte d'ombre, ouverte dans la façade toute dorée de lumière nouvelle, se révèle parée de je ne sais quelle allure auguste, quelle majesté que nous ne lui soupçonnions pas. Le Départ, le groupe sublime a droite, le solennel Triomphe à gauche, se modèlent au soleil oblique du matin avec une vigueur magnifique. Cortot, dans ce moment, est comme illuminé du génie de Rude. Tout est beau. Tout est grandiose. Des larmes montent aux yeux pour rien, à lire sur les pavillons ondoyants du pavois des noms qu'on avait oubliés, noms de navires héroïques, le Joule, le Foucault; d'autres qu'on ignorait honteusement, le Goéland 1re, la Jeanne-d'Arc VII, sous-marins, patrouilleurs, grands comme le Vengeur. Les pacifiques colombes de la corniche s'ébattent en grands cercles dans la clarté dorée qui caresse leurs ailes.

Puis, tout à coup, les échos endormis de l'arche immense s'éveillent: ils apportent jusqu'à nous le bruit lointain d'une musique qui approche. Quel moment! Les sons se rapprochent: LES voici.

Ce n'est qu'une musique, une des nôtres, clairons, tambours en tête; la musique du 28e d'infanterie, la première qui ait l'honneur de franchir ce parvis, en ce jour deux fois saint. Et quel groupe elle précède!

Mille mutilés ouvrent ce cortège: grande, noble, touchante idée. Les têtes se sont découvertes. Un impressionnant silence plane. Quelques vagues cris... c'est trop poignant; les voix s'étranglent. On voudrait s'agenouiller. Mais il y a la foule où, bon gré, mal gré, pendant des heures, il faudra bien se tenir debout, étayé en tous sens.

Oui, quel groupe! Le premier qui frappe les yeux est un pauvre infirme, sublime loque étendue sur une voiture, et déjà à demi-ensevelie sous les fleurs. Près de lui, sur un fauteuil roulant, un autre qu'on pousse. Puis des boiteux, appuyés sur des cannes, des béquilles, et s'appliquant à marcher au pas de leurs jambes traînantes; des masques balafrés, défigurés, informes, attendrissants; des aveugles, brandissant des drapeaux dont ils ne verront jamais plus les couleurs éclatantes, et que conduisent doucement par le bras des camarades à peine moins infortunés. Touchante fraternité des malheureux! Non, en vérité, nuls mots ne peuvent exprimer ce que nous éprouvons à cette minute, - rien, que des pleurs.

La plupart ont repris l'habit civil; d'aucuns portent encore les uniformes maculés dans les tranchées, usés par la victoire, et même quelques pantalons 'rouges se mêlent au groupe.

 

 

En arrivant à la hauteur du monument aux morts, ils se découvrent, font tête à gauche, comme nous le verrons faire à toutes les troupes qui, désormais, vont passer sous nos yeux. Et quand ils sont à la hauteur de la tribune des Alsaciennes, toutes ces enfants, ainsi qu'elles faisaient naguère, à Strasbourg, où c'est la façon de saluer et d'acclamer, sur le passage du général Gouraud et de ses fiers soldats, agitent convulsivement eu silence leurs mouchoirs, qui frémissent moins fort que nos cœurs sanglotants.

Le canon tonne, en mesure, depuis qu'une stupée, au sommet de l'Are de Triomphe, a donné le signal que le cortège s'ébrannent. A peine avons-nous eu le temps de nous remettre de cet émoi profond, qu'une fanfare nous arrive, à travers le porte-voix g'éaut de l'arche: c'est la Garde républicaine qui, de souveraine allure, ouvre le défilé, formant l'escorte d'honneur des maréchaux, de l'armée entière. Et elle est digne de cet honneur, cette légion de magnifiques soldats chevronnés qui après trop de très hauts faits sont venus modestement, stoïquement reprendre leur place dans le rang, et dont il faudra, quelque jour prochain, qu'un historien digne d'elle écrive les fastes.

Tous les yeux se sont tendus, rivés vers la porte de gloire: voici les1 deux maréchaux, Joffre à gauche, à droite Foch, le commandant en chef de toutes les armées du monde civilisé qui vont défiler là devant nous. Evénement. unique dans l'histoire de France, dans l'histoire des peuples, dans l'histoire de tous les triomphes passés, dans l'Epopée même.

L'état-major des armées interalliées, de vingt, de trente armées, suit le fanion du commandant en chef. Et, à dix pas derrière, on salue très bas, marchant entre le g'énéral Berthelot et le général Pont, le général Pau, le glorieux mutilé de 1870, qui, aux premières heures de la guerre, s'en vint réclamer sa place de doyen vénéré au milieu de ses jeunes camarades, à la tête des saint-cyriens de 1914.

Maintenant, le spectacle inouï, le spectacle miraculeux va se poursuivre trois longues heures, et nous n'aurons pas trop de toutes nos prunelles avidement dilatées pour le dévorer. A combien de moments, plus particulièrement saisissants, de ce défilé, n'avons-nous pas souhaité la puissance d'arrêter d'un coup de baguette tel groupe qui passait, tel drapeau chargé d'honneurs, tel uniforme couvert de croix! Mais non; tout cela g'iisse, s'éloigne, disparaît au milieu des acclamations ininterrompues, au milieu dé nos bravos, des sifflets stridents des Américains, qui continuent toujours à nous surprendre un peu, au milieu, souvent, des larmes. Que de beauté! que de sublime!

Le défilé s'effectuant dans l'ordre alphabétique des puissances alliées, c'est le commandant en chef des armées de l'Amérique, général Pershing, que nous avons vu arriver d'abord, magnifique cavalier de bronze, impassible, en avant de son large fanion rouge; puis le bataillon de ses soldats robustes et souples, une cohorte soigneusement choisie pour l'effet, marchant coude à coude, avec une régularité, une sorte d'automatisme digne de ces classiques images d'Epinal qui popularisèrent, chez nous, l'amour des beaux militaires, et commencèrent notre éducation patriotique; puis les drapeaux étoiles, éclatants de couleurs, simples, bien neufs, au regard de tels autres qui vont nous donner le grand frisson; puis les marins, pittoresquement corrects avec leur cocasse petit chape'au blanc, leurs guêtres grises, leurs cols étoiles.

La Belgique suit: derrière le général Gillain, commandant en chef, des soldats trapus, pensifs, douloureux encore, dirait-on, de tant d'épreuves acceptées par leur malheureuse Patrie; des drapeaux sommés du lion dressé, et portant dans leurs plis fatigués des noms évocateurs de belles actions et de grandes souffrances: Passchendaele, Houthulst, l'Yser... ils passent trop vite et l'on ne peut recueillir que deux ou trois vocables dans ce. trophée magnifique de cinquante enseignes.

Et voici l'armée britannique: ce fut l'un des moments culminants du beau rêve que nous venons de vivre, et l'un des plus impossibles à évoquer ainsi, au pied levé. Prodigieuse apparition! En tête, le maréchal Sir Douglas Haig, d'une silhouette, d'un prestige souverain, d'une distinction d'allure inexprimable. C'est toute l'Angleterre, toute la race qui passe, le cavalier incomparable: deux êtres types en un, l'homme infiniment noble, la monture belle à crier. Et derrière ce Verrocchio, une double file de généraux d'armées où je reconnais mainte figure rencontrée autrefois dans la pleine tourmente, Sir Henry Rawlinson, Sir Julian Byng, le général Currie, du Canadian Corps, et où la belle figure du général de Laguiche, attaché militaire français, tient à merveille son enviable place.

Mais que dire des drapeaux, de ces deux cents étendards - deux cents! - groupés en harmonieuses gerbes au milieu des fantassins, des highlanders, des marins, de représentants des troupes d'élite de l'armée entière de l'immense empire? Ils passent au rythme lent de marches solennelles, qui toutes semblent exhaler comme un écho du grave hymne royal. Leurs soies, brûlées par tous les soleils du globe, délavées par toutes les pluies, de l'Inde ardente au Canada brumeux, des possessions éparses dans les mers tropicales à des Thulés presque inaccessibles, arborent toutes les couleurs, toutes les nuances, et c'est encore le souvenir d'un grand décorateur qn'ib évoquent dans ma mémoire: je songe au somptueux Carpaccio, à ses fastueuses processions ordonnées selon des lois impeccables, à ses couleurs triomphales. Et quelle histoire prodigieuse symbolisent ces magnifiques enseignes! quelle continuité d'énergie, quelles traditions, quelle puissance! Que d'expéditions audacieuses, que d'aventures fécondes en périls racontent ces lettres d'or éteint qu'on entrevoit luire dans leurs plis, comme dans un tableau en raccourci du monde entier, des noms sonores de l'Hindoustan aux appellations improvisées des villes africaines, en passant par des vocables de batailles où nos étendards et ceux-là n'étaient pas du même côté, et qu'on ne lit pas sans un petit frisson: Ramillies, Malplaquet, Blenheim!

Mais le général Montuori amène l'armée italienne, marchant d'une allure balancée, le fusil horizontal à la main droite: on crie « Bravo! » à ces fantassins et à ces marins gris-vert, qui, si généreusement, se jetèrent à nos côtés.

Puis on applaudit tour à tour le groupe très correct des officiers japonais; celui des officiers chinois; les représentants de l'armée hellénique, en tête desquels marchent les evzones coiffés du petit bonnet à houppe, les jambes nerveuses serrées dans des maillots blancs, les pieds chaussés d'amusants souliers à la pointe retroussée; les Polonais, en chapska carrée, derrière leur beau drapeau de pourpre pâle, blasonné de l'aigle d'argent; les Portugais, dont le casque godronné a des allures d'armet; les Roumains, très décoratifs, avec des profils de légionnaires de Rome.

Après eux, passe dans la foule comme un soupir. Elle se tait un moment avant de pousser de nouveau une chaleureuse acclamation: elle a reconnu, à leur shako fendu, les Serbes héroïques. Il semble que cette compagnie, cette poignée d'hommes, ce soit totit ce qui reste de l'armée serbe immolée, du peuple serbe martyrisé, anéanti. Les cris qui montent, vers eux, ces chevaliers, ces martyrs, et, au delà d'eux, s'en vont là-bas vers leur vieux roi auguste, sont des cris de reconnaissance profonde, d'admiration pour leur constance inébranlable, leurs sublimes sacrifices.

Voici encore les Siamois, puis les Tchéeo-Slovaques. Puis un vide, un silence.

 

 

Et Voici les Héros de France

C'est le moment que nous attendions depuis toujours, nous, enfants de la défaite, nous qui avons grandi dans l'humiliation, la crainte et l'espérance, tour à tour. J'entends murmurer les feuillages, frissonner au-dessus de ma tête les étamines caressées du vent, bruire l'aile des pigeons familiers de l'Arc, - et mon cœur battre éperdument. J'attends.

Toutes les oreilles, bientôt, ont reconnu les accents d'une musique française. Laquelle? je n'y vois plus assez distinctement pour le dire. Elles sont deux ou trois groupées, je crois.

L'Are rayonne: voilà donc la minute ineffable, la minute sans- pareille, - après laquelle on pourrait disparaître sans regret, n'ayant plus rien à espérer, plus rien à voir d'égal à cette chose.

« Le maréchal de France Pétain », dit le programme. Ce sont eux. Les voilà, enfin! - le maréchal, haut en selle sur un cheval blanc, grave, comme toujours, et très bon, c'est visible. Dans la traversée de ces trente à quarante mètres qui séparent le seuil lumineux de l'Arc de l'entrée de l'avenue où j'ai le bonheur d'être, il grandit, grandit, comme dans un songe, jusqu'à devenir gigantesque.

Quelle peut être, à ce moment où il sort de l'ombre que déverse la grande voûte perdue là-haut dans l'azur, quelle peut être la pensée dont vibre cet hommç qui, toute sa carrière, toute sa vie, n'a vécu que pour cette heure-là, lui comme! ceux qui le suivent, les Castelnau, les Gouraud, les Hirschauer, les Humbert, les Mangin, les Maistre, les Dégoutte, les Fayolle,... tant d'autres dont les noms se pressent sous la plume et que vont saluer tour à tour, dès qu'on pourra les reconnaître, des acclamations sans nombre? Voilà donc la récompense dejtoute une existence de travail assidu, de la « pompe » pour les examens, des lohgues nuits d'études à Saint-Cyr, à Polytechnique, plus tard à l'Ecole de guerire, et aussi le salaire, ô mes chers coloniaux, des randonnées terribles dans les sables, des interminables journées de torpeur sur les marigots et les fleuves empoispnnés de fièvres! Voilà la récompense de tant de foi, de tant d'amour pour la Patrie! C'est l'heure idéale, divine, l'heure où le ciel paie! Une ardente action de grâces monte des cœurs bondissants, qui ne cessera qu'avec le passage du dernier de ces admirables soldats, du dernier des tanks qui vont clôturer le défilé.

Le général de Castelnau, superbe en selle, à la place d'honneur que lui ont value ses éminents services, comme les douloureux tributs qu'il a payés, dans la personne de ses chers enfants, à la bien-aimée France, suit le maréchal Pétain et son état-major. Puis viennent derrière le général Berdoulat, gouverneur de Paris, une compagnie d'infanterie territoriale, une compagnie de ces vaillants « pépères » qui ont tant mérité de notre gratitude, et comme combattants d'abord, et plus tard dans des fonctions plus obscures, où les animait un même zèle patriotique, ouvre la marche, en avant des écoles militaires, de Polytechnique, de Fontainebleau, de Versailles, de Saint-Cyr, de Saint-Maixent, d'une cohorte de sous-lieutenants, de lieutenants, de capitaines imberbes, mais chamarrés, décorés, splendides.

Il faut, bien entendu, renoncer à énumérer l'une après l'autre tant de belles et vaillantes troupes qui, jusqu'aux approches de midi, jusqu'à l'heure où, dans le ciel bleu et argent, éblouissant, un ciel d'apothéose, le- soleil de la Victoire arrivait au zénith, ont, sous nos yeux émerveillés, humides, défilé au milieu d'ovations inouïes, consacré de leur passage le sol de la Voie Triomphale.

La foule -- un peu au hasard, quand un ami, un ancien soldat reconnaissait son régiment, sa division, son général - là acclamait ceux-ci, plus loin ceux-là; mais il est quelques-uns de nos grands chefs, quelques-unes de nos troupes d'élite qui, d'un bout à l'autre du défilé, ont recueilli d'unanimes et ininterrompues acclamations: ainsi - après les maréchaux, bien entendu - le général de Castelnau, « le quatrième maréchal », comme on l'a appelé, de qui la mâle et noble figure demeurait grave, au souvenir, sans doute, des deuils cruels; ainsi le général Fayolle, commandant un groupe' d'armées; ainsi les grands coloniaux, le général Gouraud, qui ne peut pas ne pas songer, en chevauchant dans cette gloire, qu'il y a un an, à cette même date, il préparait le tournant décisif de la campagne; les généraux Mangin, Humbert, Dégoutte, les com- mandants d'armée, généraux Debeney, Maistre, dont on se rappelait les services insignes, à des heures critiques; le général Gérard, qui commande une des armées d'occupation. Et cette foule aurait évidemment, dans sa fidèle gratitude, acclamé avec la même flamme, s'ils eussent été présents derrière le vainqueur de la Marne, leur premier chef, un Sarrail, un de Langle de Cary, tous les artisans méritants de la première victoire; un Nivelle, qui voulut abréger la guerre et qui attend sans crainte le jugement de l'histoire; un Franchet d'Espérey, chargé des lauriers des Balkans; et encore un Lyautey, victorieux au Maroc après avoir fourni aux vainqueurs d'ici, en bonnes et solides troupes, tant d'appoints excellents. A la place du proconsul africain, elle fêta du moins ses hommes: la nouba des tirailleurs, les askris marocains, les goumiers, splendides sur leurs selles de filali rouge brodé d'or, déniant derrièrele général Poeymirau, fidèle collaborateur, ami dévoué, lieutenant, au vieux sons, du général Lyautey.

Elle reconnut aussi d'un seul élan, et tout le long du parcours, les trois drapeaux de la Légion étrangère, et l'admirable colonel Rollet, dont le légendaire uniforme de toile khaki était, ce jour-là, de saison - mieux qu'à Château-Salins, un certain matin de novembre 1911 - et qu'entourait une phalange très décorée de ses meilleurs et plus fidèles officiers et soldats. Et les fusiliers marins, ceux de l'Yser, ceux de Dixmude, rangés derrière l'amiral Ronarc'h - défilant, seul de son grade dans ce cas, à pied, robuste, trapu, têtu, vrai type de Breton de Cornouaille - ne pouvaient manquer, de soulever, autant que les plus favorisés du défilé, une vague d'enthousiasme, qui déferla jusque sur les représentants si méritants de la marine marchande.

Et les derniers vivats allèrent à l'artillerie, que commandait le général Herr, et qu'on salua de « Vive le 75! Vive le 155!»; à la cavalerie, sous les ordres du général Féraud, dont les étendards de Saumur et de la garde républicaine précédaient le groupe piaffant; à l'aviation et à son porte-drapeau, le lieutenant Fonck; aux chars d'assaut, enfin, qui marchaient sur les pas du général Estienne.

Jamais on ne saurait trop louer le bel ordre de ce défilé triomphal, où il n'y eut pas une faute, pas un mécompte, pas le moindre à-coup, qui fut d'une beauté parfaite; et l'on aimerait à pouvoir, remercier le ou les organisateurs, les metteurs en scène de cette merveille unique, de ce chef-d'œuvre accompli.

Et maintenant, l'Arc de Triomphe a rempli sa mission pour laquelle, il y a cent treize ans, le Dieu de la Guerre l'avait fait jaillir de son cerveau, dans sa forme colossale et sublime, en attendant qu'il le fît surgir de terre, s'il avait pu vivre son rêve jusqu'au bout, pour jalonner.le passage des soldats d'Austerlitz, de Wagram, d'Iéna. Mais c'est pour les soldats de la Marne, de Verdun, de l'Yser, de la Somme, de cent autres batailles non moins illustres que celles des campagnes impériales, pour ces soldats aussi grands, sinon davantage, que ceux de l'Epopée, que les Renommées sculptées aux tympans par Pradier ont embouché leurs trompettes .et. tendu leurs couronnes: les petits-fils sont dignes en tout de ces hommag'es prédestinés à leurs aïeux.

J'ai quitté derrière le dernier tank la place de l'Etoile, et, de loin, dans le sillage du landau présidentiel, des automobiles officielles, à travers une foule qui s'écoulait, non pas comme un torrent, mais pareille à un ruisseau paisible au sortir de la source, suivi le prodigieux cortège des vainqueurs grisés à peine de leur gloire.

Ils ont parcouru ainsi, d'ovation en ovation, les mêmes boulevards qui avaient vu le retour des troupes libératrices de l'Italie, en 1859, jusqu'à la place de la République. Là, au pied de la statue colossale, les maréchaux les* attendaient, les virent passer, les saluèrent, émus. Et là les glorieuses légions se dispersèrent..

Gloria Victoribus!

 

 

La Nuit de Fête

Maintenant, comment décrire, après ces splendeurs inoubliables, celles de la nuit qui suivit. Tâche impossible encore, - d'autant que les heures passent, que les souvenirs s'estompent, pour rayonner, dans l'avenir, d'un éclat renaissant et plus vif.

- L'après-midi fut une après-midi de grande liesse, où toutes fatigues étaient oubliées.

Dans l'avenue témoin du Triomphe, jonchée de déchets informes, débris de bancs, éclats de planches, reliefs des repas hâtifs, feuilles de journaux - envers d'une matinée éblouissante - les spectateurs s'attardèrent, tous ceux qui, pieusement, étaient accourus de si loin, et qui, perdus dans l'immense cité en fête, n'avaient point d'asile.

Le soir tomba, clair au ciel, brumeux de tant de poussière sur la terre si basse. Puis une ondée passa. Les plus las se relevèrent. Des lueurs de contes de fées commençaient à scintiller de la pointe émoussée de l'obélisque, parmi des guirlandes d'or. Les Champs-Elysées, de nouveau, s'emplirent d'ombres joyeuses. La fête de nuit commença, à son tour, dans l'allégresse générale. Mais, encore une fois, comment en donner le tableau?

Le point central,, ce fut de nouveau l'Arc de Triomphe, l'autel formidable devant lequel l'univers, depuis l'aube, communiait.

A la nuit dose, rayonnant sous les feux croisés des projecteurs, il se couronna d'une gloire miraculeuse, de larges faisceaux de lumière électrique, blancs, bleuâtres, aveuglants-, perçant, ainsi que les rais d'un soleil couchant, les nuages, les vapeurs ardentes qui montaient, comme d'une cassolette gigantesque, des feux de Bengale, reliefs de la guerre, rebut des champs d'-atterrissage des avions de bombardement, allumés sans relâche sur la plate-forme du monument. Jamais, vous dis-ge, on ne reverra cela.

L'avenue s'illuminait d'infinies guirlandes écarlates. La place de la Concorde rougeoyait. La Seine, lasse, elle aussi, eut-on dit, assoupie, lente, charriait des flammes, reflétant de chacune de ses vaguelettes, en serpenteaux de feu, les illuminations de ses rives. Aucun rêve, même le plus féerique, ne saurait égaler cette vision de réalité pure.

L'une des attractions de cette soirée, ce fut, le long de la rue de Rivoli, puis du quai d'Orsay, la promenade d'une ingénieuse et agréable invention de l'Italie, où elle fait les délices de la foule dans les grandes fêtes publiques, et qu'on y appelle, je crois, la fiaccolata. Nous l'avons, en l'adoptant, baptisée « la girandole ». Elle est sortie, comme une hydre de lumière, comme une tarasque gigantesque, fantastique, du porche du Grand-Palais, et a pris le pas, poussée à bras, sur ses roulettes, par des équipes de soldats enchantés de leur sort. Je ne l'ai vue que de loin et j'en ai mal compris le mécanisme. Mais cette suite de motifs lumineux, encadrant des écussons nationaux, des portraits de généraux, des images symboliques, m'a paru fort séduisante, et il est à souhaiter que nous applaudissions de nouveau, à loisir, dans une soirée moins abondante en attractions, « la girandole » ou fiaccolata. Elle créera un lien de sympathie supplémentaire entre l'Italie et nous, surtout si elle lui vient, comme la musique, des cieux qui dispensent les bienfaits de la Paix.

Il y avait, ici et là, des feux d'artifices qui retinrent dans leurs quartiers respectifs les « paroissiens » fatigués de la veillée de la précédente nuit, des longues stations de la journée, et d'avoir tant applaudi et acclamé. Montmartre illuminé, inondé des feux d'une vingtaine de faisceaux électriques, présenta l'un des beaux spectacles de cette nuit sans pareille. Et, depuis la veille, la tour Eiffel s'était rallumée aussi, après cinq années de nuits sombres, où elle se dissimulait si jalousement dans les ténèbres.

Et telle fut la dernière vision de ce kaléidoscope magique, au sortir duquel nous sommes demeurés pour longtemps éblouis, clignotants comme des hiboux aux feux de l'aurore.

Gustave Babin

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