- le livre
- 'Journal dun Bourgeois de Paris
- Pendant la Guerre de 1914'
- par Georges Ohnet
Paris 1914
quelques pages de revues français
Journal d'un Bourgeois de Paris Pendant la Guerre de 1914
Fascicule V
L'affaire de Cuxhaven est une belle revanche prise par les Anglais de l'insulte de leurs côtes et du bombardement de Scarborough. Hambourg en a tremblé. Et ce n'est pas fini. Le raid des croiseurs, des submersibles et des hydroplanes est le premier essai d'une stratégie aéro-maritime qui ne peut que se développer d'une façon extrêmement intéressante. La flotte allemande, à l'ancre, au fond des baies fortifiées et dans le canal de Kiel, se croyait bien en sûreté. Brusquement elle vient d'apprendre qu'elle pouvait être attaquée. Sir Winston Churchill l'avait bien dit: Le dogue anglais ira, s'il le faut, chercher le rat allemand jusqu'au fond de ses trous. L'exécution a suivi de près la menace. Et les navires, les aéroplanes, les Zeppelins, tout ce qui dormait, attendant le moment de s'employer, a été réveillé par un coup de tonnerre. Voici, sur cette brillante opération, le rapport de l'amirauté anglaise:
Vendredi, des navires de guerre allemands, dans la rade de Schillig, près de Cuxhaven, ont été attaqués par sept hydroaéroplanes de la marine, pilotés par les officiers ci-dessous:
Commandants d'aviation Douglas A. Oliver, Francis E.-T. Hewlett, R.-P. Ross, Cecil F. Kilner, lieutenants d'aviation Arnold J. Milley, H.-K. Edwards et sous-lieutenant d'aviation Vivian Gaskell Blackburn, qui tous appartiennent à la flotte.
L'attaque s'est produite au jour. Partis d'un point dans le voisinage d'Héligoland, les hydroaéroplanes étaient escortés par un croiseur léger et une force de destroyers, et aussi de sous-marins.
Aussitôt que ces navires furent aperçus d'Héligoland par les Allemands, deux Zeppelins et trois ou quatre avions ennemis, et plusieurs sous-marins hostiles attaquèrent.
Il était nécessaire pour les navires anglais de rester à proximité, dans le but de recueillir les aviateurs à leur retour, et un nouveau combat survint entre les croiseurs les plus modernes d'une part et les avions et sous-marins de l'ennemi d'autre part.
Par une manuvre rapide, les sous-marins de l'ennemi furent évités, et deux Zeppelins furent rapidement amenés à s'enfuir par les canons de lUndaunted et de lArethusa.
Les aéroplanes de l'ennemi parvinrent à lancer leurs bombes près de nos navires, mais sans les toucher. Les navires anglais restèrent trois heures dans les eaux des côtes ennemies sans avoir été attaqués par aucun navire de surface, et rembarquèrent sains et saufs trois des sept aviateurs avec leur masliine.
Trois autres pilotes qui revinrent plus tard furent recueillis, suivant les dispositions arrêtées par les sous-marins anglais qui stationnaient par là; les avions avaient coulé.
Six aviateurs sur sept étaient donc revenus sains et saufs. Hewlett est toutefois manquant. Sa machine a été vue faisant naufrage à environ 8 milles d'Héligoland, Le destin de ce brave et habile pilote est actuellement inconnu.
L'étendue du dommage causé par les bombes des aviateurs ne peut être évalué, mais toutes les bombes ont été lancées sur des points d'importance militaire.
L'effet de cette attaque de Cuxhaven par la flotte et les hydroaéroplanes anglais a produit un effet violent en Allemagne. L'inviolabilité des villes, situées sur les côtes de la mer du Nord, à l'abri des champs de mines que la marine y avait posées, était hautement affirmée. L'amirauté avait pris toutes les précautions pour mettre à l'abri la précieuse flotte du Kaiser, et les Zeppelins avec lesquels l'Angleterre devait être bombardée. Et brusquement cette côte était insultée, attaquée, et les bombes pleuvaient sur Cuxhaven, en plein jour. Or Cuxhaven, défense fortifiée de l'embouchure de l'Elbe est la base principale des aéroplanes de la marine.
L'aménagement en a été fait avec un soin particulier. Des hangars tournants peuvent contenir, chacun, deux Zeppelins, et les hydroaéroplanes ont leurs abris, où ils attendent le moment de prendre l'air pour aller attaquer la flotte anglaise. La surprise a été grande, et Hambourg a frémi. Cent-vingt kilomètres de plus à faire et le grand port allemand pourrait être bombardé à son tour. Il doit s'y préparer. La guerre aérienne ne fait que commencer. Et il faut attendre de magnifiques exploits, de la rivalité entre nos aviateurs et ceux de nos alliés. L'amiral Tirpitz, qui a aménagé Cuxhaven, n'avait pas prévu pareille aventure quand il parlait, dans une récente interview, avec tant de présomption, du rôle brillant que se réservaient de jouer l'armée navale et la flotte aérienne de son souverain.
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Clemenceau, qui manque souvent de modération, mais qui ne manque jamais de talent, a fait, à bon droit, il faut le reconnaître, reproche au gouvernement de ne pas publier le dossier de la Commission des atrocités allemandes. Ce dossier vient d'être terminé. Il est effroyable. Nous avons, sous la main, la preuve indiscutable, flagrante, monstrueuse des crimes contre la loi, la civilisation et la nature, commis par les Allemands en Belgique et en France et nous ne la produirions pas, à la face de l'Univers? Qu'est-ce que l'on craint? Un redoublement de cruauté? Un supplément de délire? Une rallonge à la bestialité? C'est impossible. On ne peut pas aller plus loin!
Allons! Après le Livre Jaune, qui a produit sur l'opinion du monde un effet si puissant un livre rouge, couleur de sang et d'incendie qui épouvante les neutres, en leur montrant ce qu'ils peuvent attendre des bourreaux d'Outre-Rhin! Clemenceau a mille fois raison. Ce dossier est une arme de combat, dont il faut faire un usage immédiat. Du reste, la Revue des Deux Mondes prend les devants et M. Pierre Northomb y publie une étude ou les procédés de guerre des Allemands sont exposés, dans leur simplicité, de façon à soulever la conscience humaine. Ce sont des extraits du dossier belge de la Commission d'examen, composée de conseillers, de magistrats, de sénateurs, de professeurs de l'Université, d'échevins, tous personnages notables de Belgique, et dont le témoignage, appuyé sur des faits contrôlés, présente une exactitude indiscutable.
L'armée allemande, en pénétrant sur le territoire belge avait, suivant sa coutume, déclaré qu'elle ne faisait la guerre qu'aux soldats, et que la population civile, si elle demeurait calme, n'avait rien à redouter. L'autorité belge avait, de son côté, fait savoir aux populations que l'armée allemande étant très fortement disciplinée, les civils, s'ils ne se livraient à aucun acte d'hostilité, seraient respectés dans leurs personnes et dans leurs biens.
Dès l'arrivée des Prussiens à Visé, il fallut perdre toute illusion. Comme l'armée allemande pénétrait en territoire belge et rencontrait une première résistance au pont de Visé, l'ennemi, entrant, après une lutte de quelques heures dans la pittoresque petite ville, forçait les habitants à niveler les travaux de défense creusés par les soldats belges, et fusillait, pour l'exemple, onze civils.
Les cadavres de deux notables, MM. Broutsa, furent jetés sur un trottoir, face découverte; un officier supérieur et quelques jeunes lieutenants prussiens se placèrent contre le mur, et d'autres ayant obligé la population à venir contempler ce sinistre spectacle, l'un d'eux cria en français: « Ce sort vous est réservé à tous, si vous êtes encore hostiles! »... Le lendemain, devant Liège, les régiments prussiens montaient à l'assaut en imitant la sonnerie des clairons belges, et des détachements précédés du drapeau blanc, se démasquant tout à coup, attaquaient la garnison à bout portant.
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C'était, pour le début, une violation flagrante de toutes les règles de la guerre. Il devait y en avoir bien d'autres. Ainsi que le dit M. Northomb, « une forfaiture en entraîne d'autres. Un crime appelle de nouveaux crimes. »
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La méconnaissance systématique et ordonnée des lois de l'humanité et de l'honneur marquera d'une tache ineffaçable l'histoire de la Grande Guerre. Les faits odieux dont elle fut le prétexte sont si nombreux et si horribles qu'il faut souvent à celui qui les relate du courage pour poursuivre sa tâche, et que, pour ménager ses lecteurs, il doit parfois gazer certaines atrocités, ou même les passer sous silence. Et il s'efforce d'oublier, pour garder son calme en feuilletant les documents tragiques, qu'il s'agit là de son pays, de sa terre et de son sang!
C'est d'abord envers les prisonniers que la cruauté allemande se donne carrière. Les détails abondent, tous effrayants on peut même dire répugnants. Nulle pitié pour eux, mais l'arrogance, l'insulte, le mépris que les âmes basses ont pour les êtres sans défense!
S'ils sont nombreux, on les dirige vers l'arrière sans trop les molester: malgré tout, leur nombre impose! On se contente de les nourrir mal ou de ne pas les nourrir du tout, et d'empêcher dans les gares les ambulanciers de leur donner à manger. Mais, s'ils sont isolés ou en petits groupes, il n'est point d'outrages qu'ils ne subissent. On les malmène, on se joue d'eux, on les bafoue: « A Campenhout, dit un témoin, j'ai vu maltraiter deux prisonniers; on se moquait d'eux, on leur faisait « faire des exercices », on les contraignait à porter des charges, les frappant au point qu'ils ne pouvaient plus avancer. Et les gros rires d'éclater dans le bataillon satisfait. Une infirmière, Mlle R. B., a vu, le 25 août, dans Eppegem, un prisonnier dont on frappait la tète à coups de crosse... Dans une reconnaissance, le soldat Piérard a été surpris avec des camarades. Comme il était blessé, on l'a pansé, puis, à coups de baïonnette, on les a chassés, lui et les autres, devant deux compagnies allemandes qui tiraient sur eux... Ils ont enlevé de son poste, pour on ne sait quel motif, le chef de station de Baelegem: ils l'ont traîné, la corde au cou, derrière leurs chevaux, au pas, au trot, au galop! Une estafette, à Aerschot, le 25 août, arrive annoncer une mauvaise nouvelle; ce prisonnier la paiera: il est percé d'un coup de lance.
Le nommé Burm (J.-L.), du 24e de ligne, déclare que, fait prisonnier par les Allemands, ceux-ci, pour l'obliger à parler, lui ont trempé les mains dans l'eau bouillante. Il a vu près de lui deux autres soldats belges torturés: l'un d'eux, qui s'était rebellé, avait été saisi par des gardiens qui, lui tenant bras et jambes, lui avaient tordu le cou jusqu'à ce que mort s'ensuivît; le second a eu un doigt coupé. Le 20 octobre, l'aumônier militaire Van Combruggen et quatre témoins, soldats du 12e de ligne, ont relevé au pont de Dixmude le cadavre du lieutenant Poncin, de leur régiment; il avait été fusillé après avoir été lié au moyen d'un fil de fer enroulé une dizaine de fois autour des jambes.
Le 24 août, à Louvain, ramenant un prisonnier belge, la soldatesque le pend à un réverbère devant la gare. Le 6 septembre, le cavalier Baekelandt est désarmé: on le ligote, puis on lui ouvre le ventre à coups de baïonnette. Ce fait n'est pas isolé. Le soldat Lootens a vu près de Sempst, attaché a un arbre, les cadavres de deux carabiniers dont on avait ouvert le ventre et arraché les entrailles. A Tamines, un officier supérieur français a été amené près d'un arbre, lié au tronc: on a attelé un cheval à chacune de ses jambes; au signal donné, on a fouetté les chevaux! C'est l'écartèlement dans toute sa cruauté! « J'ai vu, dit le témoin, tremblant encore, j'ai vu le pantalon se déchirer, le corps s'ouvrir. »
Puis ce sont les innombrables violations de la convention de Genève. Les Allemands tirent sur les ambulances, massacrent les blessés et les médecins qui les soignent:
Le 16 août, sur la route de Hannut à Tirlemont, un groupe d'ambulanciers, parmi lesquels il n'y avait pas un militaire, fut assailli à coups de fusil. Le 26 août, le fait se renouvela sur la route de Haecht: les blessés que transportait un convoi furent tous atteints par des balles. Le 23 août, à Bioul, la route fut jonchée de cadavres de prêtres tués pendant qu'ils soignaient des blessés; la colonne d'ambulance du docteur Petit y fut décimée. Un Frère des écoles chrétiennes était à Lovenjoul, le 19 août, avec trois infirmiers; les Allemands les assaillirent. Ils leur arrachèrent leur brassard et les jetèrent sur un fumier; ils les frappèrent et les injurièrent violemment. Les malheureux parvinrent à fuir emportant un blessé: « J'ai dû, dit le bon religieux, le déposer sept fois à terre, parce que les mitrailleuses allemandes tiraient sur nous. »
A Wolverthem, d'autres Allemands jetèrent des blessés dans des maisons en flammes. A Gomery, dans ce charmant Pays Gaumet, qui prolonge au cur de nos Ardennes la douceur des dernières collines lorraines, trois cents blessés, parmi lesquels le lieutenant interprète Deschars, étaient soignés par une ambulance française. Le 22 août, plusieurs détachements allemands du 47e régiment d'infanterie occupèrent le petit village. Leur chef entra dans la grange qui servait d'hôpital et demanda un interprète. L'officier s'avança: il n'avait pas dit deux mots qu'il était abattu d'un coup de revolver. Alors le massacre commença, où les médecins succombèrent pêle-mêle avec leurs blessés dont, après une heure, un tiers seulement survivait! Pour couronner la journée, on brûla le village et l'ambulance elle-même.
On sait comment les Allemands, en pénétrant dans les villes et les villages, commençaient par lever des contributions, exerçaient des réquisitions, puis finissaient par piller et incendier les maisons, emmenant les habitants, hommes, femmes et enfants, comme otages. Quand ces otages les embarrassaient par leur nombre, ils les massacraient. Par un raffinement de cruauté, ils leur faisaient creuser leur tombe, puis leur demandaient quel genre de mort ils préféraient. On croit rêver, quand on lit de pareils récits, et, pourtant ils sont certifiés, vérifiés, par des enquêteurs dont l'honorabilité est irrécusable. Et ces malheureux, au gré delà fantaisie des bourreaux, sont fusillés, pendus, égorgés, assis, debout ou couchés:
On leur fera tenir, des heures durant, les mains levées; on jouera devant eux cinq ou six fois le simulacre de la fusillade. On les frappera s'ils ne marchent pas assez vite, comme l'évêque de Tournai, vénérable octogénaire, poussé sur la route d'Ath avec les notables de sa ville, et qu'un soldat, le voyant prêt à tomber, accable de coups de poing! On les fera retourner d'où ils viennent, avec des tours et des détours, pour voir leurs maisons détruites, et on les lâchera enfin, dans un éclat de rire ou un blasphème!
Devant ces soldats, qui disent combattre au nom de Dieu, les prêtres ne trouvent pas grâce, Rien que dans le diocèse de Namur, vingt-six ont été fusillés.
Ils font le mal sans utilité, par pure haine: dans un hameau du pays de Liège, un instituteur nommé Warnier est sommé non seulement de livrer les cartes qu'il possède, mais encore de fouler aux pieds le drapeau national. La mort le punit de son patriotisme. Ses enfants sont massacrés avec lui!
Autre manière de faire servir les Belges contre leur pays. Ils prennent les vieillards, les femmes, les enfants et les poussent devant eux à la bataille. A Tirlemont, à Eppegem, à Wigmael, à Sempst, à Michevoux, les curés, les coudes liés, marchent en tète du cortège protecteur. A Hofstade, ils mettent pour cela des femmes dépouillées de leurs vêtements. C'est à tel point qu'une jeune lîlle interrogée par le procureur du Roi l'a supplié de lui épargner la honte de ce qu'elle avait vu et subi.
Faut-il poursuivre? N'est-ce pas assez d'horreurs? On a vu, à Ternath, un gamin de treize ans ne pas pouvoir répondre aux questions d'un officier, parce qu'il ignorait la langue allemande et, pour ce fait, être amputé des deux poignets. Un soldat a marché, dans les rangs, avec le cadavre d'un petit enfant, embroché dans sa baïonnette. Ces brutes riaient et criaient: « Belgische bluth, sang belge! C'est du sang de cheval! »
Les localités, dévastées, pillées, brûlées, ne se comptent pas, c'est toute la Belgique occupée par les Allemands. Les envahisseurs n'ont qu'une réponse quand on leur reproche leurs atrocités: « C'est la loi de la guerre! »
Ils prétendent qu'ils ont dû faire des exemples, à cause des francs-tireurs. C'est un vieil argument de la guerre de 70, qui reparaît, mais ils savent bien qu'ils mentent et qu'il n'y a, ni en Belgique, ni en France, de francs-tireurs. Nos armées ne comptent que des soldats, et toutes les actions de guerre sont régulières et loyales. Du reste, les infamies ont été commises par ordre supérieur. Cent preuves écrites en sont tombées dans nos mains. Et en voici une de plus. C'est une proclamation du général von Bulow affichée à Liège.
C'est avec mon consentement que le général en chef a fait brûler toute la localité, et que cent personnes environ ont été fusillées.
Le 25 août, le même Bulow fait placarder à Namur la proclamation suivante:
Les soldats belges et français doivent être livrés comme prisonniers de guerre avant quatre heures, devant la prison. Les citoyens qui n'obéiront pas seront condamnés aux travaux forcés à perpétuité en Allemagne. L'inspection sévère des immeubles commencera à quatre heures. Tout soldat trouvé sera immédiatement fusillé.
Armes, poudre, dynamite, doivent être remis à quatre heures. Peine: fusillade.
Toutes les rues seront occupées par une garde allemande qui prendra dix otages dans chaque rue. Si un attentat se produit dans la rue, les dix otages seront fusillés.
Dans le cas où des habitants tireraient sur les soldats de l'armée allemande, le tiers de la population mâle serait passé par les armes.
Voici ce que, à peine entr'ouvert, le dossier de la Commission a laissé échapper. Est-il possible de douter, après la lecture de ces extraits que la publication d'un livre rouge, soit indispensable et urgente.
Publié aujourd'hui, il achèvera de faire juger nos ennemis. Publié après la guerre, il n'aura plus qu'une valeur historique. Il faut que les monstres sadiques, qui incendient, violent, volent et massacrent en Belgique et en France soient mis au ban de l'Univers.
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Nous voici arrivés au dernier jour de lannée 1914, et au cent-cinquantième jour de la guerre. Quand j'ai commencé à écrire ce journal, d'après les notes prises par moi, au fil des événements merveilleux et terribles qui se produisaient sous nos yeux, je ne croyais pas que cinq mois s'écouleraient sans qu'une décision intervînt qui mettrait fin aux tueries, aux destructions qui bouleversent et ensanglantent la Belgique et une partie de la France. Et pourtant le monstre, accroché à notre flanc de toutes ses griffes empoisonnées, est encore rugissant et féroce. Sa force a décru, sa rage n'a pas diminué. Il est tapi, aux aguets, saignant et pantelant, haletant d'agonie et d'épuisement, mais ne reculant pas parce que reculer ce serait l'aveu de sa défaite.
Un journal indiscret a demandé aux principaux chefs de l'armée allemande, à l'occasion du nouvel an, leur opinion sur la guerre actuelle. Les réponses que le Lokal-Anzeiger enregistre sont bien mélancoliques. Le Kronprinz, descendu de son destrier de guerre, le bel alezan Paris, répond ces seuls mots: Du sang-froid Résister WILHELM Eh! Quoi! Prince, résister, seulement? Il ne s'agit plus de tout enfoncer, de casser les os des pauvres Français, et d'entrer dans leur capitale, en passant sous l'arc de triomphe de l'Étoile? C'est du reste, le mot de la situation, car von Kluck, qui n'en est plus à sa marche torrentielle sur Paris, répète comme un écho funèbre: Résister!
Hindenburg, le grand vainqueur de Tannenberg, le maréchal couronné par la victoire, à qui toutes les Gretchens de la Germanie envoient des cartes postales énamourées, réclame modestement « une conclusion honorable de cette guerre ». Sombres bandits, que vous êtes, plus exécrables encore dans l'humilité que dans l'insolence, il ne fallait pas la déclarer cette guerre, à laquelle vous vous êtes rués, avec des cris de fureur et de joie. La joie est passée, mais la fureur reste. Le reître von Heeringen, continue à tirer sur Reims, avec les gros obusiers des Autrichiens, prêtés pour le bombardement de Maubeuge et d'Anvers, et qui ont servi pour la destruction de la cathédrale des sacres royaux.
Le Bavarois Prince Ruprecht, à qui l'État-major prussien a fait massacrer cinq cent mille de ses soldats, prodigués dans toutes les attaques dangereuses dit: « Ni phrases ni souhaits, mais de la volonté et du labeur. » Voilà où en sont, à la veille de la nouvelle année, tous ces batailleurs féroces, accourus au pillage de la Belgique et de la France. Ceux qui ne demandent pas la paix, souhaitent que l'on tienne bon. Désirs de naufragés, accroupis sur leur radeau, et scrutant l'horizon, dans l'attente d'un secours providentiel. Mais le vieux Dieu, si indulgent aux Hohenzollern a fini par se lasser des infamies, des cruautés, qu'il a vu commettre. Il ne répond plus aux invocations abusives. C'en est fini de la correspondance avec le ciel. Il faut s'accommoder uniquement avec la terre. Et cela ne sera pas facile.
Je n'ai pas demandé aux chefs de nos armées leur opinion sur la guerre, en ce premier jour de l'année, parce que je la connaissais d'avance. Tous auraient répondu: que l'armée allemande sorte de ses terriers et s'aligne dans la plaine, sur telles positions qu'elle aura choisies, aussi fortes qu'elle voudra, et nous y attende. Avec nos soldats, drapeaux au vent, tambours battants, clairons sonnants, nous marcherons à elle et, nous le jurons, par le Dieu de la France, nous la culbuterons comme nous l'avons fait, à la Marne, et le ferons, désormais, dans toutes les rencontres. Je souhaite donc, moi aussi, une bataille parce qu'elle nous libérera, rapidement, brillamment, à la Française.
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1er janvier 1915. Que nous apporte cette année nouvelle, dans les plis de son manteau aurore? La victoire d'abord, une paix féconde et glorieuse ensuite, et la liberté pour l'Europe affranchie d'une domination tyrannique et brutale.
Je n'ai pas voulu connaître les pronostics des devineresses, qui se flattent de flirter avec le Destin. Mais j'ai cherché les enseignements que m'offraient l'histoire des peuples. Et tous m'ont donné les réponses les plus réconfortantes, et les espérances les plus précieuses. Jamais les dominations, basées sur la force, n'ont eu que des succès éphémères. Les plus formidables ont été vaincues, par la résistance morale. Les exemples sont nombreux et éclatants: Les Flandres ont secoué le joug espagnol, la Suisse a eu raison de Charles le Téméraire. La Grèce a échappé aux étreintes du Turc. Tout près de nous, le mieux doué, le plus puissamment armé, celui qui disait, en parlant de lui-même, qu'il marchait suivi du Dieu de la victoire et de la guerre, Napoléon, après avoir étendu son autorité sur l'Europe, au point d'être acclamé par ses soldats Empereur d'Occident, a fini par succomber sous la coalition des peuples subjugués.
L'Empereur Allemand avait rêvé de reconstituer la puissance Napoléonienne. Il avait tout préparé pour la réussite de son plan d'asservissement mondial. Au prestige de la victoire, qui grandissait Napoléon, il avait suppléé par l'avantage de la naissance. La partie la plus difficile du programme était ainsi éludée, puisque c'était d'un trône que Guillaume s'élançait vers la grandeur suprême. Il n'avait pas à conquérir l'Italie, au prix de Rivoli et de Marengo, ni l'Egypte, en écrasant Mourad aux Pyramides. Il avait le glaive au poing, le diadème au front. Pour saisir le sceptre du monde il paraissait n'avoir qu'un geste à faire. Ce geste, il l'a fait. En vain. Que lui a-t-il donc manqué pour réussir? Le génie.
Il n'était qu'un héritier. II s'est cru un fondateur. Il a pensé qu'il lui suffirait d'être puissant, audacieux et violent, pour mettre l'univers sous ses pieds. Il avait entrevu, dans sa main gauche, le globe de Charlemagne. Mais il n'avait pas Joyeuse, dans sa main droite. Et la grande épée de Roland, pas celui de Berlin, celui de Roncevaux, la Durandal des claires victoires était restée en France. Voilà pourquoi l'hégémonie allemande n'a pas pu être établie.
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Je m'étais imposé comme règle de n'accepter les nouvelles qui nous arrivent, par les journaux étrangers, qu'après qu'elles auraient été contrôlées officiellement. J'ai manqué à cette discipline et j'ai été victime de ma crédulité. Du Danemark, de la Hollande, à moins que ce ne fût de la Suisse, l'étonnante annonce que le Kaiser avait fait couper ses moustaches, nous était parvenue. C'était un de ces événements si considérables qu'il paraît impossible de les négliger. Aucun lecteur éclairé n'ignore l'importance qu'ont toujours eue au point de vue diplomatique et militaire, la forme, la longueur et la couleur des moustaches de Guillaume. Suivant qu'il se costumait, en maréchal, en garde forestier, en amiral, en colonel de hussards, en général d'infanterie, ou en yachtman, ses deux ornements pileux prenaient des aspects variés. Le jour, où leur disparition fût proclamée, devait être une date mémorable, dans l'histoire vestimentaire et physionomique de l'Allemagne. Je me laissai donc aller à disserter sur ce cas extraordinaire. Or il n'y avait pas de cas, la nouvelle était fausse, et Guillaume a, toujours, paraît-il, ses deux crocs de matamore. Eh bien! J'en suis charmé. Sa défaite eût été moins entière, s'il ne l'avait pas subie avec la même figure de tranche-montagne qu'il avait dans la prospérité. Le Kaiser, rasé, avec une mine de bedeau, eut été incomplet. Il nous doit ses moustaches, en même temps que son épée.
Mais voyez à quel point la vérité sur les grands de ce monde est difficile à obtenir. Récemment, on nous avait dit que ce même Guillaume était gravement malade. Il était impossible de douter de l'exactitude du renseignement. On nous donnait le bulletin relatant les phases de la maladie, l'étiage de la température, et le nom des médecins traitants. Il était même question d'une opération dans l'impérial larynx. D'aucuns annonçaient déjà la mort du patient. D'ailleurs, affirmait-on, Mme de Thèbes l'a prédite. Brusquement, voilà le Kaiser qui se lève, prend le chemin de fer et se rend à Cologne. Il est là, avec sa maison militaire, ses cinq cents personnes de service. Puis, tout à coup, on répand le bruit qu'il est à Vienne, au chevet du lit de son allié, qui est mourant. Autre affaire. Cette fois, c'est François-Joseph qui va passer de vie à trépas, laissant la Monarchie dualiste dans un pétrin, dont la boulangerie viennoise, elle-même, n'a jamais eu aucune idée. Et tout cela est encore faux. Le vieil acéphale de Schnbrunn se porte comme un charme. Il fait ses cinq repas par jour, ce qui est déjà beau, mais il les digère, ce qui est magnifique. Guillaume n'est pas allé à Vienne. Et tout ce que les journaux danois, ou hollandais, à moins que ce ne soient les suisses, nous ont annoncé, n'est qu'un ramas de nouvelles fausses et tendancieuses. Décidément, il faut revenir à la méthode ancienne et ne plus rien accepter sans contrôle.
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Les Parisiens ont la manie d'affubler les personnages en vue de surnoms. On en a connu d'extraordinairement drôles. Un directeur de théâtre conciliant et autoritaire à la fois: « Guimauve le conquérant ». La « Barrière de l'Étoile » appliqué à la mère d'une de nos grandes artistes. L'empereur d'Autriche: « Le Père la Défaite ». Généralement ils sont malveillants et, la plupart du temps, féroces. Il paraît que c'est ce qui en fait la valeur et le charme. Le dernier qu'on ait trouvé présente cependant cet avantange d'être à la fois familier et touchant. Il s'adresse au général Joffre, que nos troupiers à cause du soin qu'il met à ménager leur vie, appellent: « la Caisse d'épargne. » Je suis sûr que le généralissime ne sera pas du tout mécontent de ce surnom là.
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Je suis entré dans un magasin de jouets pour acheter des étrennes destinées à mes petits fils. La grande vogue, cette année, appartient aux soldats de plomb. On en fait de charmants, bien supérieurs à ceux de mon enfance, qui étaient plats, petits et salissants. Ils venaient tous de Nuremberg, et étaient emballés dans des boîtes de sapin, bourrées de ronds de papier pris dans des journaux imprimés en langue allemande. Je ne jurerais pas que les beaux modèles d'aujourd'hui, ne sont pas également made in Germany. Mais, comme il en fallait pour le jour de l'an, on les a pris où il y en avait. Ce sont des Anglais, des Russes, des Indiens, des Canadiens et des Sénégalais. Mais vainement vous chercherez des casques à pointes. Pas un soldat prussien. J'ai demandé à la vendeuse, pourquoi, puisqu'il s'agissait d'une bataille, il n'y avait pas de troupes ennemies.
Mais, Monsieur, c'est bien simple, m'a répondu cette femme. Pas un enfant ne veut qu'on lui achète d'Allemands. Alors, nous n'en avons pas!
Voilà le boycottage exercé par la jeunesse, qui sera plus intransigeant que celui déclaré par les parents. Déjà, le public revient à ses habitudes. Telle maison, fermée au début de la guerre, a rouvert ses portes en s'afflublant d'un faux nez allié et en couvrant sa naturalisation récente, si même elle est réelle, de certificats trop nombreux pour être sincères. Les acheteurs ont reparu timidement d'abord. Puis, ils se sont enhardis et le sixième mois de la guerre n'est pas révolu que la boutique est pleine.
Les Parisiens sont incorrigibles. Jamais on n'obtiendra d'eux qu'ils se montrent inhospitaliers. Ils poussent leur amabilité accueillante jusqu'à l'absurdité. Allez à Rome, à Madrid, à Amsterdam, à Stockholm et à Copenhague, bons parisiens, et écoutez comment on parle de nous, dans les classes les plus élevées.
Ah! si tous ces neutres osaient, quel concours ardent et cordial ils donneraient à l'Autriche et à l'Allemagne, en haine de cette France, si brillante, si vigoureuse, si artiste, même dans la bataille, et qui, au moment où enfin, on la croit, dans le fond des abîmes, se redresse, remonte au sommet et resplendit à la face du monde. Qu'est-ce qu'il faudrait donc faire pour s'en débarrasser une bonne fois? On ne pourra pas y arriver, vous verrez. Jamais!
Et l'Amérique, qui gagne des milliards à cette guerre, n'a pas hésité à envoyer à l'Angleterre si modérée, si sage, une note, assez sèche, pour lui exprimer le mécontentement du commerce américain, dont on visite les cargaisons, bourrées de contrebande de guerre, avec l'ennui d'être obligé de mettre l'embargo sur les bateaux, quand le délit est par trop flagrant. Nos alliés répondent à cette note avec une patience et une douceur qui devraient faire rougir ceux qui l'ont envoyée. Il est vrai qu'il y a aux États-Unis une coterie allemande, tellement déçue, furieuse et agressive, qu'il ne faut pas rendre l'Amérique responsable d'une politique qu'elle a probablement dû subir, et qui ne peut pas lui plaire.
Il est à penser que les Anglais continueront à visiter et à arrêter les navires suspects, sans se laisser influencer par les réclamations injustifiables des Américains. Nous ne pouvons pas supporter que le trafic audacieux de la contrebande de guerre, par la voie des neutres, puisse prolonger des hostilités qui nous coûtent si cher. Le blocus austro-allemand doit rester établi, jusqu'à la fin des événements en cours. Nos amis d'Amérique sont trop pratiques et trop raisonnables pour ne pas comprendre que l'humanité toute entière y est intéressée.
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On vient de faire, d'après des statistiques, toutes sortes de calculs extrêmement curieux encore que fort peu sûrs. Je crois qu'on fait dire aux statistiques ce que l'on veut. Depuis que Eugène Labiche nous a présenté, dans une de ses comédies, un jeune statisticien qui s'était évertué à faire le compte des femmes veuves qui, annuellement, passaient sur le Pont des Saints-Pères, j'ai eu de ce genre de savants une défiance inquiète. Comme on dit dans le peuple, je les crois un peu « marteau ». Or il ne faut pas contrarier les gens qui sont dans cet état. On ne sait jamais ce dont ils sont capables. Il en est un qui a dénombré les hommes appelés sous les armes, par l'Allemagne, et son compte s'élève à un beau total de quinze millions. Excusez du peu.
II est vrai qu'un autre, aussitôt, pour calmer nos alarmes, déclare que l'Allemagne est déficitaire de vingt millions de quintaux de froment pour l'année 1914-1915, ce qui lui assure la famine pour le mois d'avril. Alors, comment nourrira-t-elle ses quinze millions de soldats? Etant donné son état de kultur, elle aura, sans doute, recours à l'anthropophagie, ce qui lui assurera de grandes ressources, si même elle se borne à dévorer ses compatriotes tombés sur les champs de bataille. Un troisième statisticien entreprend de faire le compte des pertes de l'armée allemande, et un quatrième se consacre au recensement des prisonniers.
Les pertes s'élèvent à deux millions d'hommes, et les prisonniers à sept cent mille. Il va sans dire qu'il n'est pas question, dans ces tableaux, de l'armée austro-hongroise dont les morts, les blessés et les prisonniers sont si nombreux, qu'on n'arrive pas à comprendre comment il y a encore, en Autriche, des troupes, ou ce qu'on appelle de ce nom. Rien qu'en Serbie, on a interné tant de prisonniers, qu'il est impossible de les loger et de les surveiller, peut être même de les nourrir. Les Anglais ont dû envoyer à Durazzo des navires pour emmener tous ces Autrichiens à Malte, où ils séjourneront, parmi les orangers en fleurs, jusqu'à la fin des hostilités. Je les engage à se plaindre. Voilà comment les peuples civilisés se conduisent vis à vis des sauvages qui ont massacré, pillé, brûlé toute la Serbie, dans une rage délirante et sanguinaire.
De toutes ces statistiques, il résulte que l'Allemagne possède assez de soldats pour lutter encore pendant quelque temps, et assez de vivres pour ne pas être réduite à la portion congrue, avant le printemps. C'est de quoi faire couler bien du sang, bien des larmes, pour arriver à une solution inéluctable: l'écrasement du militarisme germanique.
Et pendant que les savants font des calculs, les armées continuent à combattre.
Nos alliés de l'Est, qui ont eu fort à faire pour résister aux attaques furieuses du maréchal Hindenburg ont fini par enrayer cette terrible offensive. Ils ont pris le dessus, à leur aile droite, et par Mlawa s'étant avancés vers Thorn, ils menacent les communications des Allemands. Au centre, ils ont tenu ferme sur la Bzura et Varsovie est désormais à l'abri de toute menace. Vers Cracovie, à l'aile gauche, ils progressent, pendant que derrière eux Przemyzl agonise. La situation est donc satisfaisante. Ce n'est pas la foudroyante poussée qui devait rejeter les Allemands sur Posen d'un côté, et sur Breslau, de l'autre. Mais enfin, à l'aile droite, les Russes sont en Prusse orientale. A leur extrême gauche, ils ont forcé les cols des Carpathes et descendent dans la plaine hongroise. L'effet de cette avancée n'a pas tardé à se produire. La panique se répand dans les villes de la Transylvanie et gagne Pesth. Vienne murmure et commence à entrevoir le gouffre où le gouvernement est prêt à s'effondrer. Tisza, si coupable, dans cette sanglante aventure, n'a pas la pudeur de se taire. On change les généraux, mais on ne peut changer le destin de l'armée qui est d'être battue, en toutes les rencontres.
Cependant les intrigues n'ont pas cessé à Vienne, et voici un revenant des factions Stamboulovistes qui reparaît en Bulgarie. Ghenadieff, suscité par le Ballplatz, vient impérieusement à Sofia réclamer le ministère des affaires étrangères et, devant cette manifestation, le cabinet aux affaires, présidé par M. Radoslavof veut se retirer. Est-ce une affaire arrangée entre Vienne, Sofia et Constantinople? Si Ghenadieff reprend le pouvoir, ses tendances anti-russes indiquent un mouvement de la Bulgarie vers l'alliance austro-turque. Ce serait la suprême folie et la plus grande que pourrait commettre le tzar Ferdinand. Mais cette affaire-là se prépare depuis quelque temps. Les Turcs ont emmené les troupes et l'artillerie qu'ils avaient à Andrinople, ce qui prouve surabondamment leur accord avec la Bulgarie. Les Roumains, qui sont renseignés, restent en garde, sans se prononcer, comme des gens qui ne sont pas sûrs de leurs voisins. La Grèce, de son côté, arme et se prépare. Il y a donc une reprise de la lutte qui a conduit la Bulgarie à sa perte.
Cette fois, si elle recommence à trahir la cause des Balkans, nulle puissance humaine ne pourra et, du reste, ne voudra la soustraire au démembrement. La Serbie, la Roumanie et la Grèce se partageront ses territoires. Le tzar Ferdinand sera tombé de haut. Mais on est en droit dire qu'il aura bien fait tout ce qu'il fallait pour mériter le pire destin. Je ne sais pas comment cela se formule en bulgare, mais, en français, cela se dit: Il ne l'aura pas volé.
Nos alliés anglais ont à déplorer encore un malheur. L'Indomptable, un des cuirassés de leur flotte, a sauté dans la Manche. Torpille, ou mine flottante? Il ne sera peut-être pas possible de constater le fait. Le navire a coulé en trois quarts d'heure et le lieu du naufrage ne sera pas aisé à repérer. L'explosion, qui s'est produite, paraît-il, par l'arrière, indiquerait qu'il a été torpillé. Les sous-marins allemands sont audacieux et ont déjà accompli de redoutables exploits, en rade même du Havre. Je me suis alors étonné que nos sous-marins de la défense des côtes ne se manifestassent pas plus énergiquement. Cherbourg doit en posséder. Que font-ils? Une action de guerre, comme celle du Curie, même quand elle aboutit à la destruction du navire et à la prise de l'équipage, est utile et glorieuse. Ce qui est déplorable c'est l'inertie. Et nous avons l'impression que nos côtes ne sont pas protégées.
La puissance navale de l'Angleterre ne peut pas être diminuée par la perte de llndomptable. Mais le fait, par lui-même, est de nature à troubler gravement la navigation commerciale. S'il y a des mines flottantes, dans la Manche, ou si les sous-marins s'y promènent impunément, entre deux eaux, la traversée même de Calais à Douvres, pour les voyageurs, ne devient pas une partie de plaisir. Il faudrait chercher les mines et les draguer avec soin, et faire la chasse à ces dangereux poissons qui portent des canons et des torpilles.
Il est probable que l'accident de l'Indomptable, va exciter l'ardeur de nos alliés, qui ont pour habitude de rendre coup pour coup, et de ne jamais rester knock-out. Un de ces matins, nous allons apprendre quelque expédition audacieuse qui aura porté une atteinte sérieuse au prestige naval de l'Allemagne.
Les meilleurs auteurs, en matière de stratégie nautique, assurent que l'inaction de la flotte abritée dans les rades de la Baltique, ne pourra pas se prolonger, et que la grande bataille sur mer qui décidera, nouvel Actium, de l'empire des mers, va bientôt être engagée. Il est évident que l'orgueil Allemand ne se résoudra pas à laisser prendre sa flotte intacte, à l'ancre, au moment de la capitulation générale. Le Kaiser, sachant ses navires condamnés, aimerait mieux les faire détruire que de les rendre. Ah! Si l'amiral Boue de Lapeyrère pouvait être de fa fête! Si de sa faction dans l'Adriatique il était relevé et pouvait battre son pavillon, à côté du Jack Anglais. Quelle émulation et quelle gloire! Effacer Aboukir et Trafalgar, d'un geste, comme nous avons, dans les champs de la Marne et aux bords de l'Yser, oublié Waterloo! Et, dans le rouge couchant d'un soir de triomphe, l'amiral Boue disant à Jellicoë, successeur de Nelson: Part à deux! Comme Joffre a dit à French, successeur de Wellington: Quitte!
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Il était certain que les Turcs allaient à une catastrophe. Ils vont payer cher les deux cent cinquante millions que l'Allemagne leur a donnés pour s'assurer leur concours. Hâtons-nous d'ajouter que, néanmoins, les Allemands ne paraissent pas en avoir pour leur argent. Ce jeune conquérant, qui répond au nom d'Enver-Pacha, et qui était parti pour la gloire, dans le Caucase, accompagné par le général Liman von Sanders, vient de subir une défaite, qui dépasse en qualité les désastres fameux de Lulle-Bourgas et de Kirk-Kilissé. A Ardagan et à Sarykamych, le Turc et le Teuton, couplés, viennent de se faire ramasser quarante mille prisonniers, toute l'artillerie, les canons, les drapeaux, et même l'Etat-major du 9e corps, pendant que le 10e et le 8e couvrent d'une fuite éperdue tous les chemins du Caucase. Voilà qui est bien travaillé. Général Liman von Sanders, nos compliments sincères. Von der Goltz vient d'arriver à Constantinople, pour assister à la débâcle. Le vieux maréchal, disait, récemment, que l'armée ottomane n'avait jamais été en meilleure condition. Parfait! C'est un bon juge.
Qu'est-ce qui va bien pouvoir arriver de plus, comme catastrophe, à ce malheureux Empire, protégé et conduit par ces incapables et prétentieux Allemands? Si les Bulgares n'ont pas complètement perdu le sens des réalités, ils se jetteront sur Andrinople et reprendront la Thrace. Va-t-on me dire qu'ils sont d'accord avec les Turcs? Ce ne serait pas pour les arrêter. On sait comment ils traitent leurs alliés, quand ils croient que la trahison leur sera productive. Entre le démembrement de la Bulgarie et son accroissement, à l'heure actuelle, le Tzar Ferdinand a le choix. Entre Ghenadief, qui le poussera dans les bras des Autrichiens expirants, et Radoslavof qui le conduira vers la Triple-Entente victorieuse, le souverain doit se décider. Il ajuste le temps de dire les paroles qu'il faut. Demain les Russes qui sont en Bukovine, entreront en Transylvanie, et les Roumains ne peuvent plus attendre. Le sort de la Turquie est fixé. Vorontzof-Dachkof a abattu, le croissant, au Caucase, et, demain, il va pénétrer en Arménie sur les talons d'Enver-Pacha en fuite. Il n'y a plus une minute à perdre pour tendre la main à la Serbie, à la Grèce, à la Roumanie et réparer, en un moment, les fautes dernières. Le destin offre une revanche à Ferdinand. Il est à souhaiter qu'il sache la prendre.
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Il manquait à notre juste cause une consécration suprême. Les Allemands viennent de nous la donner.
Ils ont mis la main au collet du cardinal Mercier, archevêque de Malines, le plus haut dignitaire apostolique du Royaume de Belgique, comme s'il s'agissait d'un ivrogne ayant fait du tapage nocturne. Et quel était son crime, s'il fallait un crime pour avoir à subir les violences de la soldatesque allemande?
Une lettre pastorale adressée par le vénérable prélat aux fidèles et qui décrit avec une émotion poignante les souffrances endurées par le peuple Belge. Le cardinal parlant de la Belgique, écrit:
Elle souffre; des milliers de ses enfants sont tombés dans nos forts, sur nos champs de bataille, pour défendre ses droits et l'intégrité de son territoire. Bientôt, il n'y aura plus, dans toute la Belgique, une famille qui ne soit en deuil. Pourquoi, ô Dieu! toutes ces souffrances!...
Ce que j'ai vu de ruines et de cendres dépasse, malgré mes pires craintes, tout ce que j'avais imaginé. Partout, des écoles, des églises, des institutions charitables, des hôpitaux, des couvents réduits en ruines ou rendus inhabitables. Des villages entiers ont presque disparu.
... Dieu sauvera la Belgique, mes frères, nous ne pouvons en douter. Disons même, il est en train de là sauver . Il n'est pas un patriote qui soit insensible à la gloire du pays. Qui d'entre nous aurait le courage de déchirer la dernière page de notre histoire? Lequel d'entre nous peut contempler sans fierté la gloire que notre pays meurtri a remportée?...
Il n'est pas vrai que l'Etat est un Dieu Moloch, sur l'autel duquel toutes les vies sont un légitime sacrifice. La brutalité des murs paiennes et le despotisme des Césars ont créé cette idée erronée que le militarisme moderne tend à faire revivre que l'Etat est omnipotent, et que le droit civil est une création de son pouvoir absolu.
Non, répond la doctrine chrétienne. Le droit civil est la paix, c'est-à-dire la vie ordonnée de la nation sur la base de la justice. C'est pourquoi la guerre pour elle- même est un crime. Elle ne peut se justifier que comme un moyen de consolider la paix.
... La Belgique était tenue par son honneur de défendre son indépendance. Elle a tenu sa parole. Les autres puissances devaient respecter et protéger la neutralité de la Belgique. L'Allemagne a rompu son serment; la Grande-Bretagne a été fidèle au sien. Voilà les faits.
Cette appréciation si élevée des droits des peuples et des devoirs des gouvernements, n'était pas pour plaire à l'Allemagne.
Mais ce qui l'a mise en fureur, c'est l'affirmation noblement courageuse du cardinal- archevêque que la Belgique ne doit d'obéissance qu'à son Roi. Parlant de l'Allemagne il dit:
Cette puissance n'a pas d'autorité légitime. Dans le secret de vos curs, vous ne lui devez donc ni estime, ni affection, ni obéissance. Le seul pouvoir légitime en Belgique est celui de notre roi, de notre gouvernement et des représentants de la nation. Ceux-là seuls représentent pour vous l'autorité. Ceux-là seuls ont droit à votre affection et à votre obéissance... Mais la partie occupée de notre pays se trouve dans une situation à laquelle elle doit loyalement se soumettre. La plupart de nos villes se sont rendues à l'ennemi. Elles sont tenues de respecter les conditions de cette soumission.
Seule notre armée, qui combat avec les vaillantes troupes de nos alliés, doit protéger notre honneur et se charger de notre défense nationale. Apprenons à attendre d'elle notre délivrance finale...
Ces courageuses déclarations ont couvert le bruit des canons de l'armée prussienne. Un frisson a passé sur les opprimés, qui se sont dressés à la voix de leur chef spirituel. La lettre du cardinal Mercier a fait plus pour la résistance de la Belgique qu'une bataille heureuse. Dans toutes les paroisses du Royaume les exhortations du Prélat ont été répétées.
Aussitôt les prêtres dans leurs presbytères ont été gardés à vue, par des sentinelles. Dimanche, dans plusieurs églises, des soldats allemands, baïonnettes au canon, furent placés près des chaires, pour empêcher la lecture de la lettre pastorale. Tous les prêtres d'Anvers furent contraints de signer l'engagement de ne pas lire la lettre. Des curés ont été arrachés des sacristies et même des confessionnaux, jetés en bas de la chaire et même entraînés en prison, parce qu'ils avaient commencé la lecture défendue. Des perquisitions ont été faites avec la dernière brutalité pour saisir les exemplaires de ce saint manifeste, et l'imprimeur qui l'a édité, a été arrêté. Il se serait agi d'une conspiration que les craintes, les agitations et les brutalités allemandes n'auraient pas été plus accentuées. C'est qu'ils savent que le Prélat qui vient de faire entendre au monde civilisé les paroles vengeresses, parle au nom du Dieu de douceur et de justice, qui n'est pas celui des Barbares. Le bruit de l'arrestation du cardinal-archevêque de Malines a produit une émotion considérable dans les milieux belges. Au Havre, siège du gouvernement, les personnalités politiques, celles de gauche comme celles de droite, s'expriment avec indignation au sujet de ce coup de force des Allemands et louent l'attitude patriotique du cardinal- archevêque. M. Berryer, ministre de l'intérieur, estime que cet acte de folie de l'ennemi ne peut que grandir le primat de Belgique dont l'attitude constitue un noble exemple. M. Carton de Wiart, ministre de la justice, tout en faisant remarquer que le gouvernement belge n'a pas reçu officiellement confirmation de l'arrestation du cardinal, a dit que si le fait est exact, les Allemands ont commis plus qu'un crime, une faute:
Le cardinal Mercier, qu'entourent notre respect et notre admiration unanimes, a dit M. Carton de Wiart, n'a pas fait autre chose que d'exprimer dans les termes les plus dignes des sentiments communs à tous les Belges.
Une mesure aussi odieuse prise contre lui ne pourra que grandir encore son prestige et donner plus d'autorité à ses conseils. J'ajoute qu'en recourant vis-à-vis du primat de l'Église de Belgique à un aussi méprisable attentat, le gouvernement allemand donne la preuve qu'il ne connaît pas la mentalité du peuple belge. Il ne connaît pas non plus notre histoire nationale, sinon il saurait ce qu'ont coûté, en 1789, aux Autrichiens l'arrestation du cardinal de Falkenberg, lui aussi archevêque de Malines, et en 1817, au régime hollandais, la condamnation de Mgr de Broglie, évêque de Gand.
Décidément les Allemands manquent de finesse. Après avoir grandi M. Max, bourgmestre de Bruxelles, en l'enfermant à Erenbreistein, ils rehaussent encore la magnifique figure de Mgr Mercier en déchaînant contre lui leurs basses brutalités. Du dossier entr'ouvert des atrocités commises en Belgique, une telle odeur de pourriture se dégage que le cur se soulève de dégoût. Les intellectuels d'Allemagne peuvent crier encore: Ce n'est pas vrai... L'arrestation du cardinal Mercier, les violations des églises, les brutalités subies par les prêtres sont publiques. Et c'est parce que cette grande voix criait vers le ciel pour dénoncer l'infamie allemande qu'elle a été étouffée. Il est plus facile de bâillonner un témoin que d'effacer le crime.
Nos pessimistes quand ils ne sont pas sinistres peuvent être, sans s'en douter et dans toute la candeur de leur âme, extraordinairement comiques. J'ai rencontré hier, un excellent ami dont la vie a été bouleversée par la guerre et qui ne le pardonnera jamais à l'Allemagne ni à la France, du reste, quoique celle-ci soit bien innocente. Ce brave homme traduit son mécontentement en lamentations éperdues et si inutiles qu'il pourrait les épargner à son entourage. Mais il paraît que c'est un soulagement d'ennuyer les autres, quand on est ennuyé soi-même. Hier donc, il se lamentait. Oh! cette guerre! Que c'est long! Mon Dieu! Que c'est long! Et quelle horreur! Tous ces pauvres soldats massacrés! Et ces villes incendiées! Comment supporter ces abominations? C'est à perdre la raison. Et voilà, par dessus le marché, ma cuisinière, une fille que j'ai depuis quinze ans, qui a une maladie d'intestins!
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La guerre continue dans les tranchées. Et c'est tellement monotone, il est tellement évident que rien de décisif ne peut sortir de ces combats renouvelés, sur place et sans progrès appréciables, que le public ne se met plus en quête du communiqué de 3 heures, qui, il y a six semaines faisait des émeutes telles à la porte du New- York Herald, avenue de l'Opéra, que la circulation des voitures en était arrêtée.
Le nouvel an, le mauvais temps, une sorte de détente des fureurs de vaincre ont ralenti les opérations. Le Kaiser a emmené beaucoup de troupes du front occidental vers le front oriental. Il a remplacé aussitôt les corps par d'autres. Mais il semble que les nouveaux n'ont pas la même qualité. On nous dit que, vers Nieuport et Ypres, ce sont des recrues de seize à dix-huit ans, qui sont arrivées pleines d'enthousiasme et toutes chaudes des certitudes de victoire. Ce beau feu ne durera pas longtemps. Nos troupes vont se charger de donner à ces troupes fraîches, le sentiment de la situation exacte. On leur fait encore entrevoir la route de Calais.
C'est une obsession, comme la haine de l'Angleterre. Ecraser les Anglais, envahir le Royaume-Uni, détruire l'ennemi de l'Allemagne, voilà le mot d'ordre. Car, à l'heure présente, l'Allemagne n'a plus qu'un ennemi, c'est l'Anglais. Et la Gazette de Francfort ricane: Pauvre France dupée par l'Angleterre. Elle attend les renforts promis par Kitchener. Mais, ils ne viendront jamais. Les dix-huit corps d'armée, en admettant qu'il y ait des généraux pour les commander, il n'y aura pas d'officiers, ni de sous-officiers, pour les encadrer. Que vaudra ce troupeau de volontaires, mal instruits, mal conduits? Chimères! Dérision! Piperie! La France s'énervera, s'impatientera à attendre le secours qui ne viendra pas, ou, s'il vient, qui sera de nulle valeur, et elle se décidera à traiter.
A traiter. Voilà le grand mot lâché. Ah! si nous voulions traiter! On nous rendrait bien, aujourd'hui, l'Alsace et la Lorraine, sans les avoir rasées, comme nous en menace le Kaiser. Que ne nous donnerait-on pas, si nous étions assez naïfs pour écouter les offres insidieuses de l'Allemagne? L'heure est si grave. Une paix honorable, à tout prix!
Non! A aucun prix. Il fallait, il y a trente ans, nous rendre l'Alsace et la Lorraine, quand il fut avéré qu'elles ne se plieraient jamais au joug prussien, et qu'elles ne seraient gardées qu'enchaînées. Nous les aurions payées bien cher. Et les Allemands se seraient fait de nous des amis fidèles, et, j'ose le dire, d'une autre qualité que les Autrichiens. Mais ils nous ont blessés, humiliés, menacés et frappés. Aujourd'hui que nous avons soutenu le choc et touché si durement l'Allemagne qu'elle est tombée sur les genoux, espérer obtenir de nous que nous ne lui donnions pas le coup de grâce? Allons! Nous sommes légers, nous sommes insouciants, nous sommes généreux, mais nous ne sommes pas bêtes.
Le drame est commencé, qu'il s'achève. Certes, il faut avoir du courage, de la patience surtout, et endurer les lenteurs de cette bataille pour des mètres de terrain. Mais tel événement va se produire, inévitablement, dans un avenir rapproché, qui changera brusquement la situation. Nous jouons une partie, dont toutes les cartes ne sont pas encore abattues sur la table. L'enjeu est notre existence nationale. Il faut donc ne pas perdre un instant notre adversaire de vue, car il n'hésiterait pas à tricher, si nous lui en laissions le moyen. A chaque instant, il essaye de passer une portée, ou de retourner un Roi qu'il a dans sa manche. La contrebande de guerre a été exploitée par lui, avec une audace et une adresse qui ont mis notre surveillance en défaut. Les preuves nous en viennent de Hollande, d'où, avec une bonhomie charmante, on nous écrit que les exportations allemandes se font, à l'heure et à la journée, sous le couvert des négociants néerlandais.
L'Amérique reçoit tout ce qu'elle veut acheter en Allemagne et c'est de Rotterdam qu'on le lui expédie. Et les Américains, qui sont des pince-sans-rire, reprochent aux Anglais de gêner leur commerce, au moment où ils font des fortunes en vendant tout ce qu'ils veulent, et comme ils veulent, avec des majorations formidables. On aime à rire, de l'autre côté de l'Atlantique. Mais on a le rire un peu massif. Nous ne sommes pas portés à la plaisanterie, en ce moment. Les atrocités allemandes ne nous en laissent pas le loisir. Nous ne ferons donc pas chorus avec les Américains. Nous continuerons à lutter courageusement, de toutes nos forces physiques et morales. Et ce sont surtout les forces morales qui nous sont indispensables. Nos ennemis, qui savent si bien mentir et calomnier, répandent, dans le monde entier, par tous leurs bureaux de renseignement, leurs agences de propagande, et leurs journaux spécialement consacrés à la guerre, le bruit que nous sommes las de combattre et que nous n'attendons qu'une occasion de conclure la paix. Ils vont jusqu'à insinuer que certains de nos représentants sont prêts à intervenir publiquement, pour amener une solution prochaine.
Toutes ces manuvres sont destinées à énerver l'opinion et à amollir l'esprit de résistance qui nous anime. Tout concourt au même résultat cherché, vise le même but: une paix prochaine et honorable. Et nous voilà, par un détour, revenu au point que nous visions en commençant: l'exploitation de la sensibilité française, pour obtenir la fin des hostilités. Eh bien! Les espoirs allemands seront trompés. Nous supporterons la lenteur des actions de guerre, comme nous avons supporté leur violence. Nous accommoderons à tout notre volonté de résister et de triompher. Guerre de tranchées, puisqu'il le faut, qui ne passionne plus l'opinion, parce qu'elle est toujours pareille à elle-même, quoique aussi meurtrière et aussi acharnée. Guerre de manuvres, quand il le faudra, plus entraînante, plus brillante, plus décisive. Tout nous paraîtra une tâche bonne à accepter, puisque la délivrance de notre pays est au bout, et la victoire. C'est là ce qu'il convient de répéter, sans cesse, à nos ennemis, pour leur faire perdre leurs illusions. Ils ont beau s'emporter en imprécations et en menaces contre l'Angleterre. Nous savons ce qu'il en faut croire. Nous n'ignorons pas que l'Allemand ne reconnaît qu'un véritable ennemi héréditaire: c'est le Français. Nos ennemis pourront dire ce qu'ils voudront, nous avons de la mémoire. Leur peuple entier a déclaré, par la voix de ses chefs, le Kaiser en tête, qu'il fallait supprimer les Français. Notre pays est si beau, si grand, si fertile, si doux qu'il n'est plus fait pour nous, mais pour l'Allemand, qui déborde du sien. Et quand l'Allemand crie: Mort à l'Anglais! C'est au cur du Français qu'il dirige son arme d'assassin et d'incendiaire.
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Nous connaissons quelques-uns des noms des chefs allemands qui ont commandé, dirigé ou exécuté les massacres et les destructions dont le dossier, rassemblé par la commission d'enquête, est publié dans le Journal officiel. Il est bon de les publier, pour que chacun puisse maudire ces monstres, avant le moment où ils seront punis de leurs crimes. Car les crimes qu'ils ont commis, le monocle à l'il et le sourire sur les lèvres, en disant comme excuse: « C'est la guerre » ne sont pas reconnus par nous comme des actes militaires, mais comme des actes criminels relevant des tribunaux. Ces hommes devront donc, avant tout préliminaire de paix, nous être remis, pour être jugés par nos cours martiales et exécutés publiquement. Les lois, pour de tels forfaits, édictent généralement la peine de mort. A notre tour de dire, mais sans sourire: C'est la guerre! Voici les noms des sombres bandits qui sont dès à présent connus:
Le duc de Brunswick, qui participa au cambriolage du château de Baye;
Le général Glauss, qui dirigeait les tueries de Gerbeviller et de Fraimbois;
Le général von Forbender, qui extorqua une contribution de guerre à Lunéville;
Le général von Durach et le prince de Wittenstein, qui commandaient les Wurtember-geois et les uhlans pendant l'incendie de Gler-mont-en-Argonne;
Le baron von Waldersee et le major von Ledebur qui fracturaient les secrétaires et les boîtes à bijoux du château de Beaumont;
Le général von Heeringen, le bombardeur de Reims;
Le général Fabricius, Badois, qui vida les caves de Baccarat; et le sous-officier Weiss, qui surveillait l'enlèvement des coffres-forts dans les usines de Lunéville, où, avec un excès de candeur confiante, nos malheureux compatriotes, l'avaient maintes fois accueilli quand il venait, avant la guerre, sous un prétexte commercial, préparer ses futurs exploits.
Enfin le général von Bissing, qui tient la Belgique à sa merci et déclare tranquillement que dans les répressions les innocents payent pour les coupables. Et tant d'autres, qui ont ordonné à leurs troupes de tuer les prisonniers et d'achever les blessés, parce qu'il fallait détruire la race française. Il faut que, dès à présent, ces misérables sachent à quoi ils s'exposent en commettant leurs crimes. Tant qu'ils ont pu croire qu'ils seraient les plus forts, leur férocité se donnait carrière sans ménagements. A présent, il faut les convaincre que nous userons de représailles, et que pour tous les manquements aux usages des nations civilisées, ils seront impitoyablement poursuivis et punis. Nous n'hésiterons pas à frapper le duc de Brunswick lui-même, s'il est coupable, et sa qualité de gendre du Kaiser ne rendra sa responsabilité que plus lourde. Nous sommes impitoyables, dans notre pays, pour les voleurs, les satyres, les incendiaires et les assassins. Est-ce parce que les criminels seront des étrangers et des ennemis, qui auront envahi laFrance, que nous serons portés à l'indulgence?
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Comme un de ses compatriotes se plaignait véhémentement, devant Edison, des malheurs et des chagrins dont il était accablé, le grand inventeur lui répondit avec une tranquille philosophie:
Mon ami, voyez-vous, pour oublier vos tourments, pensez à ceux que doit éprouver l'empereur Guillaume II. Alors vous comprendrez qu'il y a, sur la terre, un bougre qui est encore bien plus malheureux que vous.
Cette boutade d'un grand esprit, donne sur l'opinion des intellectuels d'Amérique des clartés précieuses. Si Edison pense ainsi, il y a de grandes chances pour que beaucoup d'autres pensent comme lui. Et comme il est probable que ce sont justement les gens qui constituent l'élite aux Etats-Unis, cela est excellent pour nous.
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J'ai rencontré mon ami du Cercle. II était plus déprimé que jamais. Décidément le trouble qui a été apporté dans son existence coutumière ne lui réussit pas. Il m'a pris par un bouton de mon paletot. Et j'ai cela en horreur. Puis il a gémi:
Ah! cette année 1915, qui commence si mal, comment finira-t-elle? Il n'arrête pas de pleuvoir, il n'y a pas un salon de rouvert, les théâtres sont morts, le cercle est sinistre, et on ne parle que de la guerre!
Je l'ai regardé avec commisération et lui ai dit doucement:
Mais, mon brave ami, de quoi voulez-vous donc qu'on parle?
Il a agité la tête douloureusement et a soupiré:
Oh! Vous aussi!
Il m'a adressé le regard que dût lancer César à Brutus, en le voyant lever sur lui le poignard. Il a lâché mon bouton, et s'est éloigné.
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L'offensive allemande en Pologne, parait brisée. Le mouvement que le maréchal Hindenburg avait prononcé, par Mlawa, a échoué. Les assauts furieux sur la Bzoura ont été repoussés, quoique renouvelés de jour et de nuit, jusqu'à onze fois, avec des pertes effroyables. La tentative sur la gauche Russe, par la Pilitza et la Nida n'a pas eu plus de succès. Et les Autrichiens en pleine retraite vont découvrir Cracovie. La situation est donc favorable aux Russes, qui sont vainqueurs en Arménie, de façon à ne plus entendre parler des Turcs jusqu'à la fin de la campagne. Mais le maréchal Hindenburg ne veut pas rester sur son échec, et il prépare une nouvelle manuvre pour forcer le passage de la Bzoura et de la Rawka et marcher sur Varsovie.
L'acharnement des Allemands contre le centre des Russes, va se traduire par une ruée de vingt et un corps d'armée. Le Kaiser a envoyé à son lieutenant sept corps d'armée pris en Flandre et en France, qui sont, sans doute des formations de l'active, déjà mises à malpar nous. Elles sont cependant supérieures en qualité aux corps de landwehr, avec lesquels Hindenburg a combattu jusqu'ici. C'est un million de combattants que le grand duc Nicolas va avoir à contenir et à vaincre. Avec sa froide et lucide intrépidité il y parviendra très certainement. Mais cette envie furieuse qui possède le Kaiser de s'emparer de Varsovie, est une sorte de démence. Le danger, pour les Allemands, est à l'aile gauche des Russes. Si le grand duc parvient à arrêter sur son front, comme il y a déjà réussi, la reprise d'offensive des Allemands, et que sa gauche victorieuse continue à avancer, la situation de Hindenburg deviendra promptement intenable. Les Russes sont en Hongrie. Ils menacent la Silésie. Est-ce le moment pour le Kaiser de tout sacrifier pour marcher sur Varsovie? Il recommence en Pologne les folies qui lui ont coûté si cher, quand, sur l'Yser et à Ypres, il voulait forcer la route de Calais. Il ne saura donc jamais profiter des leçons de l'expérience? Incohérence, voilà sa stratégie. Furie, voilà sa tactique. C'est le sûr moyen de conduire ses soldats au désastre et à la mort.
Cependant il se prépare chez les neutres des événements qui devraient inquiéter singulièrement le Kaiser. Une entrevue va, dit-on, avoir lieu entre le Roi de Roumanie et Ferdinand de Bulgarie. Une entente serait préparée entre les deux royaumes, qui assurerait à la Roumanie la sécurité de sa frontière, pendant qu'elle interviendra en Autriche avec son armée.
Les mouvements de l'Italie en Albanie et ses arrangements avec la Serbie, annoncent également sa prochaine entrée en scène. Avant le milieu de février, tels événements peuvent, il faudrait même dire: doivent se produire, qui changeront si gravement la situation que la guerre en sera abrégée. C'est ce que j'ai toujours cru et ce que je crois plus que jamais. Les symptômes précurseurs de ces modifications favorables se précisent plus sûrement de jour en jour. Il faut les suivre avec intérêt, les rapprocher, en tirer les déductions qu'il convient, et y puiser un puissant réconfort. Nous avons toujours été convaincus que la bonté et la grandeur de notre cause nous rallieraient toutes les nations de l'Europe. Elles sont en marche pour venir combattre à nos côtés. Il faut continuer à lutter fièrement, généreusement, pour le droit et la liberté. A nous seuls, nous sommes déjà sûrs de la victoire.
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Tout mauvais cas est niable. L'arrestation du cardinal Mercier a fait à Rome un si mauvais effet que le gouvernement allemand a battu en retraite, comme s'il était sur la Marne, et déclare que jamais le vénérable prélat n'a été privé de sa liberté. On a seulement mis des sentinelles à la porte de son Palais, pour l'empêcher de sortir, et on l'a gardé à vue, dans ses appartements, pour que les prêtres de son diocèse ne puissent pas communiquer avec lui. A cela près, il est libre. C'est l'Évangile selon saint Guillaume. Voilà ce que l'on déclare dans les journaux d'Allemagne. Il paraît que, à Rome, le Sacré Collège qui, en majorité était favorable aux Allemands et aux Autrichiens, a été scandalisé par la brutalité des autorités prussiennes, et que le geste de von Bissing a plus fait pour éclairer la curie romaine que la publication du dossier des atrocités commises en Belgique et en France.
Bons cardinaux! Ils voyaient sans déplaisir martyriser l'Église française, fusiller nos curés, et c'est à peine si l'incendie de la cathédrale de Reims leur avait arraché un soupir. Voilà ce que la fâcheuse politique antipapale du gouvernement français nous avait valu de discrédit à Rome. Le parti noir y était en majorité favorable à nos ennemis. Les Anglais, luthériens, étaient encore mieux appréciés que nous Français, au Vatican. On peut mesurer là l'étendue du mal qu'a causé l'intransigeance bien décidée de tous nos gouvernants. Dans une occasion capitale, où toutes les forces morales doivent être groupées autour de la France, nous avons failli être abandonnés par le pouvoir spirituel, parce que nous avons eu l'imprudence de ne pas nous faire représenter auprès du Pape. Il a fallu que la brutalité de ces lourdauds de Prussiens brouillât les affaires de l'Allemagne et de l'Autriche, à Rome, pour que la cause du droit et de la liberté parût être si nettement celle de l'Église proscrite et torturée, qu'il fût impossible à des cardinaux de couvrir de la pourpre de leur robe, toutes les flammes et tout le sang des atrocités allemandes.
Mais quelle leçon pour l'avenir! Il faudrait que ceux qui ont la charge de conduire la France dans les voies où elle marche, se résignassent à admettre que la Papauté est pour le genre humain, un phare dans les ténèbres. Toute question de foi et de religion mise à part, un grand Etat ne peut pas rompre tout rapport avec une puissance qui a sur la pensée universelle une telle autorité, sans risquer à un moment donné de se placer lui-même en situation d'infériorité. C'est ce qui vient d'être démontré à la France, à propos du cardinal Mercier. C'est ce qui sera évident, demain, au sujet de la Syrie où les Turcs vont commettre leurs atrocités coutumières. C'est à quoi il faut remédier, tout de suite, dans l'intérêt de la sécurité nationale.
Cette guerre d'où surgissent, à chaque instant, des événements nouveaux, d'une importance capitale sera pour nous, si nous savons profiter de ses enseignements, une formidable leçon de choses. Nous sentions bien que notre organisation générale en France était à refaire. Mais nous n'avions pas l'occasion de toucher du doigt, toutes les défectuosités de notre machine sociale.
Je l'ai déjà dit, au cours de ces notes hâtives, et il faudra y revenir après la campagne. Une refonte de nos institutions est à entreprendre. Besogne énorme, pour laquelle, si tous les hommes de bonne volonté, de savoir et de raison, qui abondent, dans notre pays, veulent se grouper, se comprendre et s'aider, nous avons toutes les compétences nécessaires. Après cela, nos enfants jouiront d'une France toute neuve, avec tout le confort moderne, où il sera doux de vivre dans le travail, la justice et la liberté.
Et si ce n'est qu'un rêve, il n'est pas encore défendu de rêver!
. Les Champs-Elysées, par ces belles journées d'hiver, presque douces comme un printemps, sont admirables. Les arbres dépouillés de leurs feuilles, profilent leurs branches noires sur un ciel gris, teinté de bleu. Sur l'asphalte des allées, des enfants jouent, comme pendant la belle saison. Les autos montent et descendent, à une allure rapide, conduites par des militaires et emportant vers des buts incertains, des officiers au képi galonné, engoncés dans leurs manteaux de troupe, l'air absorbé, dormant, peut-être. Déambulant la canne à la main, des soldats anglais battent d'un pied alerte le trottoir, en regardant les femmes. Ils sont propres, nets, ils sourient, on voit qu'ils se sentent sympathiques. Que la place de la Concorde est imposante et noble. De la terrasse de l'Automobile-Club, au premier étage, sur la colonnade, la vue est vraiment admirable. Il s'en dégage une impression de puissance et de grandeur, qui ne permet pas de douter de la victoire. J'ai vu la même place en 1870, avec les bataillons de mobilisés, sans ordre, traînant la jambe, et débandés avant de combattre. Le jour du 31 octobre, quand les mobiles du Finistère firent sortir de l'Hôtel de Ville, le gouvernement insurrectionnel à la pointe des baïonnettes, il y avait eu bataille, entre la grille des Tuileries, le pont de la Concorde, les Champs-Elysées et la rue Royale; plus de trente mille hommes de garde nationale défilèrent par la rue de Rivoli marchant sur l'Hôtel de Ville pour mettre à la raison le vieux Blanqui, et ce fou de Flourens qui se promenait sur la table du conseil, en haranguant les émeutiers. Je n'oublierai jamais ce passage des gardes nationaux de l'ordre, sous les fenêtres du Ministère des Finances, qui était occupé alors par le gouverneur de Paris.
C'étaient des cris enragés de: Vive Trochu! On croyait encore à la sincérité, au fameux plan, et à la vertu militaire de ce lamentable bavard. L'aspect de Paris n'était plus le même. En dépit de son agitation, la ville était accablée de tristesse. L'hiver sévissait avec une rigueur implacable. Et puis la certitude de la victoire ne donnait pas, à toutes les choses, l'aspect riant qu'elles nous offrent. Ah! comme l'espoir échauffe le cur, éclaircit le regard, et ranime la pensée. Cette locution familière de notre pays: « Voir tout en rose » est d'une vérité délicieuse.
Et dans ces Champs-Elysées, éclairés par un pâle soleil d'hiver, parmi ces enfants qui jouaient, au milieu de ces soldats jouissant d'un jour de liberté entre deux combats, malgré les atrocités de l'invasion, malgré les destructions, et les massacres, l'air qui passait était vivifiant et sain, et le ciel bleu annonçait le triomphe.
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Parisiens, soyez patients, soldats, soyez braves, députés, soyez prudents, Français donnez tous vos efforts, tendez toutes vos énergies. Sur la place de la Concorde, la statue de Strasbourg est toujours voilée de noir.
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J'espère que M. de Jagow, ministre des affaires étrangères d'Allemagne, n'a pas la prétention d'être un prophète. Il a dit à des journalistes, qui se sont empressés de le répéter, que fin janvier, l'armée allemande en aurait fini avec les Français, qu'ensuite, au mois de mars, les Russes seraient écrasés, et que l'Angleterre aurait son tour, au mois de mai. Il n'est pas assurément un prophète. Mais peut-être a-t-il la prétention d'être un magicien... Il escamote, à son gré, les peuples et les Empires. Le voilà sur son estrade. Un gobelet, il souffle. Passez muscade. Il n'y a plus de France. Un autre gobelet, un petit coup de baguette magique, passez muscade. Il n'y a plus de Russie. Troisième gobelet... Faut-il rire, ou se fâcher de l'outrecuidance du personnage? Il ne faut ni rire, ni se fâcher. Il faut plaindre un homme du rang de M. de Jagow, un ministre d'Empire, d'être réduit à ces misérables boniments de bateleur.
Mais c'est une nécessité de sa situation, il faut qu'il donne le change à sa clientèle, qu'il trompe ses auditeurs, et pendant qu'il a la mort dans l'âme, à la pensée des désastres vers lesquels se précipite son pays, il est obligé de mentir, comme un arracheur de dents, sur une place de village, devant les badauds émerveillés. Trois mois, M. de Jagow, pour en avoir fini, avec les alliés? Votre maître est moins affirmatif. Il parle de longs efforts. Son héritier dit: Résister! Vous, vous dévorez l'ours russe, le léopard britannique, et le coq gaulois, en trois mois. Quel ogre! Le Serbe, à lui tout seul, met l'Autriche en péril. Le Monténégrin tient ferme devant son colossal adversaire. Et vous, le temps de parler, vous réglez le compte de l'Europe. Heureuse faculté! Allons! Dans trois mois, nous recauserons de vos pronostics. En attendant, il faut encaisser les démentis que nous donnons à votre ministre, à Berne, le baron Romberg, un dur et rogue allemand, de l'École de Kiderlen-Wchter. Ce diplomate avait hautement déclaré faux les ordres d'exécution concernant les prisonniers et les blessés français, donnés par les généraux allemands. Or voici, publié par la Gazette de Lausanne, l'ordre du général Stenger, dont nous avons déjà parlé, dès le début des hostilités. C'est en Alsace, le 24 août, que ce forban a commandé à ses soldats le massacre de tous les Français:
14e CORPS BADOIS 58e brigade
ORDRE DU GÉNÉRAL COMMANDANT LA BRIGADE
A partir d'aujourd'hui, il ne sera plus fait aucun prisonnier. Tous les prisonniers seront mis à mort. Les blessés, avec ou sans armes, seront mis à mort. Les prisonniers, même en grandes unités constituées, seront mis à mort. Aucun homme vivant ne doit rester derrière nous.
On sait que les Français ne se sont pas laissés faire. Mais des meurtres sans excuses, n'en ont pas moins été commis, par ordre, et avec une férocité qui mettait d'accord les chefs et les soldats. Il est absolument indispensable que de pareils crimes soient punis, et que si le général Stenger tombe entre nos mains, il soit jugé par un conseil de guerre, et exécuté conformément à la loi martiale. Les brutes sanguinaires contre lesquelles nous nous défendons, avec une suprême énergie, ne comprennent que la violence et ne sont sensibles qu'aux coups. Il faut donc user de représailles vis-à-vis d'eux, impitoyablement. S'ils touchent à nos blessés, ou traitent durement nos prisonniers, il faut leur rendre au centuple le mal qu'ils auront fait.
Du reste, le gouvernement français paraît être entré dans cette voie et il a publié une déclaration, adressée au gouvernement allemand dans laquelle il assure la réciprocité des traitements appliqués aux prisonniers. Si les prisonniers français sont mal nourris, modification de la nourriture des prisonniers allemands. Pas de solde, ou diminution de solde aux prisonniers, soldats et officiers français, même traitement pour les Allemands. Et ainsi partout. Une claque donnée à un prisonnier français, ricochera en soufflets sur les joues des prisonniers allemands. Qu'on se le dise. Et il faut que ce soit la règle, désormais. La tête des plus hauts personnages civils et militaires de l'Allemagne, doit répondre des violences, des destructions, des vols et des massacres commis chez les alliés. Et que le Kaiser lui-même sache quelle formidable responsabilité il encourt. Quand on a traité comme un criminel l'homme immense, le conquérant gênéreux, le législateur génial, le régénérateur de là société européenne que fut Napoléon, je pense qu'il ne peut y avoir d'hésitation à punir un brigand couronné qui ne s'est signalé que par des forfaits encore plus imbéciles que monstrueux.
En 1793, il suffisait qu'un homme fut déclaré « hors la loi » par l'assemblée. Il se savait perdu. Aujourd'hui il s'agit, pour le Kaiser, d'être déclaré « hors l'humanité. » Et quand on a enfermé l'Autre à Sainte-Hélène, pour y expier sa gloire, ses bienfaits et son génie, que pourra-t-on faire à celui-ci, incendiaire des villes et des églises, assassin des femmes, des enfants et des prêtres, détrousseur des caisses publiques, et qui n'aura pour toute gloire que la formidable banqueroute du Pangermanisme.
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Le projet de loi ordonnant la cessation de la fabrication de l'absinthe est déposé sur le bureau de la Chambre. On annonce qu'un député nommé Girod, représentant un des départements où la fabrication de l'absinthe est le plus intense, a l'intention de combattre la prise en considération du projet. Je ne crois pas qu'il osera, si enragé qu'il soit pour la défense de ses intérêts électoraux, parler en faveur du poison. Le projet prévoit, paraît-il, une indemnité pour les fabricants de cette drogue assassine. Les empoisonneurs qui ont édifié des fortunes en intoxiquant leurs concitoyens ont assez gagné d'argent pour que l'État ne se croie pas encore obligé de leur faire des rentes. Qu'ils distillent du cassis, puisqu'ils vont avoir des alambics disponibles, qu'ils fassent des liqueurs de ménage. Mais l'élixir de folie, c'est fini. Il y a vingt ans que nous aurions dû couper court à l'abâtardissement de notre race en proscrivant la mominette. La natalité française a baissé, dans de redoutables proportions, parce que l'alcool en général et l'absinthe, en particulier, ont tari les sources de l'énergie masculine en France. La régénération de notre pays, commencée, héroïquement, par la défense sacrée de la patrie, doit être assurée par la discipline hygiénique qui proscrira totalement l'alcool. Il faut que le gouvernement, qui a eu le courage de s'attaquer à l'absinthe, et produits similaires, ne l'oublions pas, ait la vertu de supprimer le privilège des bouilleurs de cru.
Un large courant de probité et de sacrifice soulève toute la France, que nos représentants en profitent pour introduire, dans les murs électorales, cette réforme nécessaire. Le privilège des bouilleurs de cru est un abus qui a eu pour la santé populaire des conséquences désastreuses.
Il suffit d'une heure de raison, de pudeur et de courage. Le privilège une fois aboli, on aura à réglementer la vente de l'alcool, par l'institution du monopole. Car il ne s'agit pas d'interdire l'alcool, qui pris à dose raisonnable, est un aliment d'énergie. Mais d'en empêcher l'abus, qui est un vice mortel. En même temps qu'on assainira le pays, on fournira à l'État, les immenses ressources que produira le monopole de l'alcool. Le moment est propice pour une telle réforme. Ce sont de ces sacrifices qu'il faut faire dans les heures graves, comme un holocauste propitiatoire au destin.
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Une triste nouvelle nous parvient: Gaston de Caillavet est mort. Il avait quarante cinq ans, et sa collaboration avec Robert de Fiers, si féconde en brillants succès, nous promettait encore bien des uvres charmantes. Au milieu des massacres qui ensanglantent chaque jour le sol de notre pays, une mort de plus est bien peu de chose. Mais celui qui disparaît, aujourd'hui, était un des consolaleurs désignés de nos tristesses et de nos douleurs. Il aurait dû se retrouver au milieu de nous, à la fin de cette horrible guerre, pour effacer les traces des carnages et des destructions et célébrer la victoire, dans une société rajeunie et triomphante. Quand j'ai quitté la commission de la Société des Auteurs, Caillavet m'avait écrit gentiment: « On me dit que vous ne vous représenterez plus aux élections et que votre place est vacante. Voulez-vous me la donner? »
Et j'avais répondu: « Oui, de grand cur. » Cette place, il ne l'a pas occupée assez longtemps.
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Les Dieux se manifestent. Les Romains, autrefois, auraient demandé aux augures ce que signifie le tremblement de terre qui vient, en plein hiver, d'ébranler tout le sol du midi de la Péninsule. Et les augures, après avoir examiné les entrailles des victimes sacrifiées, auraient répondu: C'est parce que vous ne vous décidez pas assez vite à intervenir dans la querelle qui divise les peuples civilisés et les nations barbares. La terre s'agite, sous vos pas, pour exprimer son impatience de vos tergiversations. Allons! Décidez-vous! Il est temps! La nature elle-même proteste contre votre inaction.
Je ne sais pas si les Italiens sont demeurés superstitieux. Ils l'étaient, autrefois, surtout à Naples dans la Calabre et en Sicile. Aujourd'hui ils sont tellement malins que je me doute qu'ils ne croient plus qu'à ce qu'ils ont intérêt à croire. Ils viennent de faire aux deux frères
Garibaldi, qui sont morts bravement, sous le drapeau français, des funérailles impressionnantes. Ces deux jeunes gens ont maintenu haut le nom illustre du vieux chef de bandes qui a combattu partout et toujours quand il s'est agi de défendre la liberté. Ils sont tombés dans nos rangs pour la plus juste des causes. La France saura glorifier ces jeunes héros qui par leur courage auront contribué à son triomphe. Mais si l'Italie ne comprend pas, en constatant l'émotion avec laquelle le peuple de Rome vient de suivre au champ du repos les petits-fils de Garibaldi, que l'heure est venue pour elle de sortir de sa réserve, il faut renoncer à la voir accomplir sa destinée historique. Nous n'avons pas besoin de son aide. Avec nos alliés russes et anglais, nous sommes sûrs de la victoire. Les Serbes et les Monténégrins combattants de la première heure, participent avec une valeur indomptable à la lutte engagée contre les oppresseurs germaniques. Ils se tailleront dans les territoires de l'Empire Austro-Allemand, une magnifique conquête. Pour n'avoir pas hésité à affronter la bataille, et y avoir consacré toutes leurs forces, jusqu'à combattre pour la vie, ils auront une part splendide dans le triomphe. Seule, l'Italie, qui depuis tant d'années vit son rêve d'irrédentisme, aura l'occasion de pouvoir le réaliseret ne la saisira pas.
La France a combattu avec elle, pour chasser l'autrichien de la Lomhardie. Après ses revers de la guerre de 1866, la France lui a obtenu la Vénétie, pour la consoler de Custozza et de Lissa. Aujourd'hui, il s'agit de prendre le Trentin, Trieste, la Dalmatie. Et elle hésite? Quelle mollesse subite a engourdi son cur? Quand il fallait traverser la mer et jeter une armée dans les sables de la Lybie, elle mobilisait sa flotte, son armée. Elle bravait le Turc, et allait jusque devant les Dardanelles le menacer de ses navires. Elle était seule. Elle ne tergiversait pas. La route à parcourir lui apparaissait nette et claire. Elle s'y engageait sans hésiter. Aujourd'hui, on dirait qu'un nuage lui dérobe le but, et qu'elle ne sait plus si elle doit se mettre en marche. Tout craque en Autriche. Va-t-elle attendre que l'effondrement se produise, avant qu'elle ait participé à la poussée suprême? Ses jeunes soldats lui ont montré la route. Ils lui tendent le laurier conquis sur le sol sanglant de l'Argonne, et lui crient:
Debout! Ce sont les mêmes Barbares qui menacèrent la Rome antique, dont tu es l'héritière, qui essayent de reprendre la conquête du monde. Tous les latins sont en armes pour la bataille. Toi, seule, y manques. Qu'attends-tu?
Et comme, dans son Vatican, le Saint Père sentait trembler le sol sous ses pieds chaussés de blanches sandales, il s'est mis à genoux, et il a prié pour l'Italie.
La catastrophe qui s'est produite coûte à nos voisins plus de pertes cruelles et, hélas inutiles, qu'une grande bataille. On parle de plus de vingt mille morts. Dans la conflagration terrible qui bouleverse l'Europe, ce malheur inattendu et brutal, paraît encore plus douloureux parce qu'il est le résultat du déchaînement des forces mystérieuses. Quand nous combattons contre les Allemands, et que nos héros tombent dans la mêlée, nous savons pourquoi ils consentent à mourir. L'idéal auquel ils sacrifient leur jeunesse, leurs bonheurs et leurs espérances, rend sublime le don qu'ils font à la patrie. Mais l'écroulement de ces villes, le bouleversement de ces campagnes, l'écrasement des paisibles habitants sous les décombres de leurs toits, est-il rien de plus navrant et de plus lamentable? Toutes nos commisérations les plus vives vont à l'Italie, dans ce jour de deuil qui n'a même pas la funèbre beauté d'un jour de victoire.
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Une nouvelle lézarde, sérieuse et menaçante vient de se produire dans l'édifice Austro-Hongrois. Le comte Berchtold prend sa retraite et cède la direction des Affaires étrangères au baron Burian, magnat hongrois, homme de confiance de l'Empereur François-Joseph. C'est un très grave symptôme de l'ébranlement subi par la monarchie dualiste. Le comte Berchtold était un modéré. Il avait lutté contre le comte Tisza qui représentait, auprès de l'Empereur, les idées de domination européenne qui ont entraîné l'Allemagne dans la guerre abominable qui fait couler des torrents de sang. Tout récemment encore le comte Berchtold avait donné à son maître le conseil de traiter de la paix, sans attendre que l'écrasement de la monarchie fut complet. Ses idées n'ont pas plu à la Hofburg et l'Empereur a accepté la démission de son ministre. C'est un très grand malheur pour l'Autriche.
Dès maintenant rien ne peut plus l'arrêter sur la pente où elle roule vers les abîmes. Le baron Burian sera l'exécuteur des volontés du Kaiser, et plus que jamais l'Empire, vassal de l'Allemagne, va être sacrifié à la folie furieuse qui entraîne les pangermanistes aux désastres. Ce n'est pas une très bonne méthode de changer le cocher de la voiture, au milieu d'une descente difficile. C'est cependant le parti que vient de prendre François-Joseph, ou plutôt, la camarilla qui préside, à sa place, aux destins de l'Empire. Le poids dont est déchargé le comte Berchtold, n'est pas petit, et il va sentir un véritable soulagement à ne plus l'avoir sur les épaules. Il n'est pas à supposer que le baron Burian puisse faire mieux, ni même autre chose que ce que faisait son prédécesseur.
Quand on est parti pour encaisser des coups, on a beau se tourner dans n'importe quel sens, on en reçoit quand même. La présence du baron Burian à la Ball-Platz n'améliorera pas les finances de l'Empire, qui sont dans un désordre inimaginable, ne rendra pas de la cohésion à l'armée, qui est tombée au dernier degré du découragement. La partie est perdue. L'Autriche a manqué tous les buts qu'elle a visés. Ses roueries ont tourné, toutes, contre elle-même. Il n'est pas possible de donner les preuves d'une maladresse politique pareille, jointe à une telle incapacité militaire. Le peuple Austro-Hongrois, si brave, si fier, a été mal gouverné, mal administré, mal commandé, et le voilà qui, avec le dernier Habsbourg, est en proie à une crise qui peut amener sa fin. L'Empereur se décompose et l'Empire se désagrège. Le maître et le serviteur sont mourants. Et pendant qu'ils agonisent, le Kaiser, piqué par sa tarentule stratégique, court, comme un insensé, de l'orient à l'occident, de la Pologne à la Belgique, cherchant la victoire qui le fuit. Lugubre tableau, qui n'est que le prélude des catastrophes qui se préparent. Car les temps sont révolus, et rien ne changera, maintenant, le destin des deux empires, alliés pour le massacre, et couplés pour le châtiment.
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Cette guerre a déchaîné une crise vestimentaire comme on n'en vit jamais de pareille. D'abord, sous prétexte que tous les Français étaient mobilisables, on a vu, dans la rue, les gens les plus pacifiques et les moins exposés à partir pour l'armée, arborer des tenues pseudomilitaires étonnantes. Les employés de commerce, pour aller à leurs affaires, se sont affublés de peaux de bêtes, ont chaussé des bottes, serré leurs jambes dans des leggins et couvert leur tête, avec des bonnets, casquettes ou chapeaux étranges. Les militaires se sont montrés dans des uniformes qui n'avaient rien à voir avec l'ordonnance. Soldats vêtus de velours à côtes, comme des terrassiers, officiers en vareuses, bleues, jaunes, de formes diverses, depuis le pyjama jusqu'à la robe de chambre. Et puis des passe- montagnes et des cache-nez, pour se promener sur les boulevards, ce qui est vraiment bien peu militaire. Et enfin des zouaves en pantalons de fantassins, et des turcos en culottes de toile. Un méli-mélo de tenues, une bigarrure de couleurs, une fantaisie dans la coupe, qui est peut-être une forme de l'héroïsme, mais qui marque un peu de laisser-aller. Ce sont de très braves gens. Mais je ne crois pas que jamais des soldats se soient montrés à Paris, avec des cache-nez, même par des hivers beaucoup plus rigoureux que celui dont nous jouissons. Que ces poilus, dans les lignes où ils combattent, dans les tranchées où ils veillent, s'habillent comme ils le trouvent commode, je les approuve, mais quand ils se montrent, le dimanche, sur les promenades de Paris, en permission, sans armes, qu'ils étalent des cache-nez jaunes ou verts, autour de leur cou, cela donne l'idée fâcheuse d'une garde nationale. On nous a dit que certains chefs avaient interdit le port du cache-nez, des pèlerines en caoutchouc et de tout ce qui ne fait pas partie de la tenue réglementaire. Ce sont ces fantaisies qui sont cause de cette sévérité. Les jours de bataille, la garde impériale se mettait en grande tenue pour marcher à l'ennemi. Les grenadiers mettaient leurs bonnets à poil, et la vue de ces hautes coiffures noires impressionnait déjà l'ennemi. La tenue fait partie de la force d'une armée. Il ne faut rien céder sur la tenue. Des soldats débraillés ne respectent pas leurs chefs. Et le respect des chefs est un des premiers éléments de la victoire.
Nous avons eu, du côté de Soissons, une affaire malheureuse, qui a été exploitée par l'indigence des Allemands, comme une grande victoire. Les troupes, engagées par nous, avaient à peu près l'effectif de trois brigades, soit dix-huit mille hommes. L'avance prise par nous sur les hauteurs de Crouy, qui aurait eu cet avantage de nous rendre maîtres de la rive droite de l'Aisne, a inquiété les Allemands, qui ont jeté sur nous la valeur de toute une armée. La crue de l'Aisne est venue, à ce moment- là, gêner l'envoi des renforts qui nous auraient permis denous maintenir. Les ponts de bateaux ont été emportés. La sécurité de nos détachements a paru menacée et l'ordre de repasser la rivière a été donné. Des troupes engagées, qui sont obligées de rompre le contact et de se replier au-delà d'une rivière, sont toujours dans de mauvaises conditions. Nous avons perdu du monde et quelques pièces de canon. Aussitôt la gloriole allemande, mise depuis longtemps à la portion congrue, de crier victoire et d'égaler cette escarmouche aux grandes batailles de 1870, à un Gravelotte, où il est resté sur le terrain en tués et blessés, plus que nous n'avons eu de soldats engagés à Crouy. Tout ce tintamarre et ces sonneries de trompettes, dans l'espoir d'abuser les neutres.
L'accroc est réparé. Les Allemands n'ont pas passé l'Aisne, comme ils se le proposaient. Ils ont été battus à Saint-Paul, en avant de Soissons. Mais il n'en reste pas moins que nous avons toujours trop de confiance, que nous nous engageons avec des effectifs trop faibles. Il fallait prévoir la crue, la destruction des ponts et ne pas risquer l'opération. Mais Napoléon a bien passé le Danube, à Essling, dans les mêmes conditions. Il est vrai que cela lui a coûté la vie du maréchal Lannes et la perte d'une bataille. Mais, quelques mois après, il a eu sa revanche à Wagram. Attendons Wagram avec confiance. Et ne nous laissons pas impressionner par les cris de joie des Allemands. Depuis le commencement des hostilités ils nous ont déjà écrasés plusieurs fois, à ce qu'ils prétendent, et nous ne nous portons pas plus mal.
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Ceci pourrait s'intituler la revanche des Abeilles. Dans un petit village des environs de Reims, des Allemands en maraude entrent chez un vieil horticulteur qui cultive des fleurs et élève des abeilles. Les Teutons se précipitent dans l'enclos, bousculent le bonhomme, et comme il faisait mine de résister, ils l'attachent à un arbre et le schlaguent vigoureusement avec la bretelle de leurs fusils. Puis ils renversent les ruches sur l'herbe, et font main basse sur la cire et le miel qui les emplissait. Mais les abeilles furieuses s'élancent en bourdonnant et accablent de piqûres les brutes pillardes. En un instant, la scène change. La troupe allemande en déroute se sauve, en hurlant de douleur, poursuivie par les essaims implacables. Le visage enflé, fous de peur, ne sachant où se réfugier, les Allemands détachent le vieil apiculteur, qui va à ses ruches, les relève, appelle ses abeilles. Et, dociles, calmées, les travailleuses ailées reviennent vers leur ami, se posent sur sa tête, sur ses bras, sur ses épaules, comme pour protester contre les violences qu'il vient de subir, et dont elles l'ont si bien vengé. Une cinquantaine d'Allemands ont été fort malades d'avoir livré bataille aux abeilles. Ils ont pu constater que le vin était plus facile à dérober que le miel, et que les bêtes ne se laissent pas toujours réduire aussi aisément que les hommes.
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Les Chambres paraissent décidées à ne pas agiter les esprits. Elles ont raison. La tâche du gouvernement est assez lourde, pour qu'on ne l'aggrave pas encore. Si les ministres étaient obligés de s'occuper à préparer des réponses aux critiques qu'on peut leur adresser, il ne leur resterait plus de temps pour travailler à la défense nationale. Evidemment, il y aurait beaucoup à dire sur la façon dont l'administration s'est comportée. La meilleure utilisation de nos deniers n'a pas toujours été pratiquée. Mais dans le trouble de l'improvisation, il était bien difficile de procéder économiquement. Ce n'est pas quand la maison brûle qu'il faut se préoccuper du prix des pompes avec lesquelles on éteindra l'incendie. Pomper, d'abord, et éteindre. Voilà l'important. Les commissions ont déjà fonctionné. M. Doumera fait au Sénat, devant la commission sénatoriale de l'armée, la lecture d'un très important rapport. Il propose de couvrir toutes ces illégalités, parce que la nécessité de défendre le pays primait le respect des formalités.
Bridoison, avec la fo-orme, nous aurait laissé écraser. Le gouvernement nous a tiré d'affaire. C'était là le plus pressé. Mais cinq mois se sont écoulés, et il paraît que, même aujourd'hui, certains abus se produisent encore commis par des fournisseurs. Cela, il ne faut, sous aucun prétexte, le tolérer. Le contrôle du Parlement doit s'exercer avec la dernière rigueur, quand il est avéré que l'Etat est exploité par des fraudeurs. Il est vraiment sans excuse que des citoyens français abusent de la situation si grave, dans laquelle se débat le pays, pour le piller, ou le mal servir.
Dans des cas semblables, Napoléon était inflexible. Se rendant en Espagne, il arrive à la frontière et tombe sur une affaire de souliers mal conditionnés, avec des semelles en carton. Il entre en fureur, à la pensée que ses soldats, avec les jambes desquels il gagnait les batailles, vont être si misérablement chaussés, il envoie le fraudeur devant un conseil de guerre et le fait fusiller séance tenante. Il ne s'agit pas, aujourd'hui, de mettre douze balles dans le ventre de négociants peu scrupuleux. Mais puisqu'on les tient, il faut d'abord leur faire restituer leur gain illicite, et les écraser d'amendes. Si, par dessus le marché, on veut leur faire tâter de la prison, je n'y vois que des avantages. Ce traitement inusité servira de leçon à ceux qui pourraient avoir envie de voler sur leurs traces. Les services que les commissions du Parlement peuvent rendre seront immenses, si les députés laborieux et instruits qui les composent, et ils sont nombreux, s'emploient à vérifier la marche des affaires financières, commerciales, agricoles et même militaires. Il y a tout un domaine administratif, dépendant de l'armée, dans lequel un contrôle sérieux aura pour effet immédiat d'empêcher les gabegies. Il suffira que le contrôle soit redouté pour que les fautes ne soient pas commises. Et surtout qu'il soit bien entendu que nous sommes en état de siège et que la répression doit être impitoyable.
Une question est en discussion qui passionne les chambres. Les députés et les sénateurs mobilisés, doivent-ils préférer leur mandat législatif à leur devoir militaire. Il ne me paraît pas possible d'hésiter à imposer aux représentants du peuple, l'exercice de leur mandat. Ce ne sont pas les deux cent soixante membres du Parlement qui sont mobilisés qui feraient un trou dans les effectifs de l'armée. Et l'absence de ces députés et sénateurs peut avoir, dans la marche des affaires publiques, une influence déplorable. Ils viennent de servir pendant cinq mois, bravement et simplement, maintenant il s'agit de servir autrement. Voilà tout, mais ils doivent, de tout leur cur, travailler à la bonne administration du pays, comme, sous les drapeaux, ils travaillaient à sa défense.
Ne perdons pas de vue que nous dépensons un milliard par mois, et que, en même temps que le meilleur sang de la France coule sur les champs de bataille, le plus clair de sa fortune se répand hors de ses caisses. Vie nationale et vie économiqUe sont donc à défendre, à la fois, et c'est une tâche immense. Que nos représentants s'y consacrent, avec une abnégation et Une prudence absolues, qu'ils ménagent l'opinion publique, en se faisant les auxiliaires du gouvernement, et non ses détracteurs, qu'ils fortifient le moral delà population en donnant l'exemple de la patience, de la ténacité et de l'énergie. Ils peuvent contribuer à la victoire finale, autant que les chefs de guerre, en ayant le courage civil au même degré que ceux-ci ont le courage militaire.
La besogne surhumaine que nous avons à remplir, pour défendre notre indépendance, notre gloire et notre existence même, menacées par la violence pangermaniste, est loin d'être achevée. La partie la plus dure reste à accomplir. Les dernières convulsions du monstre allemand seront terribles. Il faut nous attendre à des combats violents, à des secousses formidables, peut-être à des revers momentanés. Mais si nos représentants maintiennent l'union nationale, aident le gouvernement qui fait pour le mieuX et assurent la concordance de toutes nos énergies, nous sortirons triomphants de cette aventure prodigieuse.
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La guerre que nous faisons est sans éclat, sinon sans gloire, et cependant elle est terrible. Nous aurions bien préféré, encore que nous n'y eussions pas trouvé les avantages que la durée nous a procuré, une guerre de mouvements et de masses, qui eut décidé, en cinq ou six grandes batailles, du sort de l'Europe. C'était l'affaire de trois ou quatre mois de lutte furieuse. Après quoi, chacun aurait posé les armes, vainqueurs et vaincus. Les uns pour tirer parti de leurs avantages, les autres pour panser leurs blessures. Les Allemands, ne l'ont pas voulu. Ils se sont laissés tomber à terre, comme, dans les luttes, un athlète à bout de souffle, qui ne veut plus donner de prise à son adversaire. Et nous avons été contraints de ramper, nous aussi, et de faire une guerre d'usure qui nous coûte aussi cher qu'une belle et brillante guerre stratégique.
Nous supporterons la guerre d'usure, comme nous aurions supporté la guerre stratégique, comme nous supporterons toutes les formes de la bataille auxquelles nous convieront nos ennemis. Car, Dieu merci, nous ne les craignons pas. Ils le voient tous les jours, et le verront bien davantage, à mesure que le temps s'écoulera. Seulement, pour celui qui rédige le journal de la guerre, la monotonie des opérations est déplorable.
Comme je me suis fait une règle absolue de la plus complète véracité, je dois m'en tenir aux communiqués publiés par le gouvernement, et ces communiqués ne procurent pas d'exaltation. Ils sont d'une uniformité qui, je le crains, influence l'humeur de beaucoup de Français. Nos pessimistes ont beau jeu pour récriminer, ratiociner, et se lamenter. Mais ils ont tort. Une fois de plus je les semonce à ce sujet. Ce sont de bons Français, trop nerveux et trop sensibles. Que veulent-ils? Le triomphe de notre juste cause, et surtout que la guerre finisse. Et bien! Le meilleur moyen d'obtenir ce double résultat c'est de ne pas semer le découragement, et de se faire énergiques et confiants. Cela doit leur être bien facile.
Ils n'ont qu'à se reporter à six mois en arrière et à mesurer le chemin parcouru par les Allemands, qui venaient d'envahir la France et qui criaient « Victoire! ». Ils ont battu en retraite, vaincus sur la Marne. Et, depuis cette journée libératrice, ils ont fait des tentatives pour nous rompre, dans des batailles formidables qui ont duré des semaines, et qui leur ont coûté des centaines de mille hommes. Non seulement ils n'ont pas fait un pas en avant, mais c'est nous, qui, sans trêve, d'un effort lent, mais sûr, les avons repoussés. Nous sommes à la veille des efforts décisifs. Est-ce le moment de se décourager? Nous avons la certitude de la victoire. Sachons la mériter par notre contenance ferme et résolue. Enflammons nos soldats de notre ardeur.
Forain a publié une gravure admirable. Elle représente deux soldats qui causent dans la tranchée. Tiendront-ils, demande l'un. Qui ça? réplique l'autre. Et le premier hochant la tête avec inquiétude, dit: Les civils! Voilà, résumée, en une légende, toute la question qui nous occupe. Il faut que les civils tiennent, comme les soldats, et que le découragement ne parte pas des villes pour se répandre dans les champs où la bataille se livré. Rappelez-vous ce noble de Mun, mourant, mais criant encore:
Tenir! A tout prix, tenir!
Il faut se faire un cur de marbre et ne s'émouvoir de rien. L'entêtement, l'obstination aveugle et sourde doit être notre règle de conduite. Nous devons nous éloigner de tout ce qui pourrait nous troubler, repousser tout ce qui affaiblirait notre confiance. Les civils doivent marcher, automatiquement, sans une réflexion, sans une remarque personnelle, avec une discipline absolue qui soit poussée jusqu'à l'oubli de soi-même. La docilité aux ordres des chefs, la croyance à leur supériorité, le désir de les satisfaire, sont les éléments principaux du moral des soldats. Les civils doivent s'imposer à eux-mêmes des règles pareilles, et les observer malgré tout. Que nulle suggestion politique ne les émeuve. Il faut qu'ils se mettent dans l'esprit que le ministère actuel est inamovible, jusqu'à la fin de la guerre, et que tout citoyen, électeur, député, ou sénateur qui ferait de l'opposition en ce moment serait un traître à la patrie. Parce que le gouvernement assume la charge de diriger la France, il est doté de toutes les qualités, il possède toutes les vertus. II est impeccable comme il est inattaquable. Même s'il est médiocre, il sera tenu pour bon, parce qu'il porte le drapeau national.
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Il y a quarante-quatre ans, à cette date, au château de Versailles, dans la grande galerie des glaces, dont le décor avait servi de cadre aux majestueuses splendeurs du règne de Louis XIV, le roi Guillaume de Prusse était proclamé Empereur d'Allemagne. La pluie tombait à verse. Il faisait, comme dit le peuple, un temps de chien. Mais les musiques militaires jouaient dans la cour d'honneur, autour de la statue équestre du Roi-Soleil. Tous les Rois, les Princes, les généraux, les ministres, qui venaient de tenir un rôle dans la tragédie qui se terminait par l'agonie de la France, étaient présents, en grand uniforme, chamarrés d'ordres, et rayonnants d'orgueil. M. de Bismarck et le maréchal de Moltke, les deux faussaires d'Ems, étaient aux côtés du Roi Guillaume. Bismarck, grognon et crispé, parce qu'il s'était querellé, la veille, avec son maître. Moltke, funèbre et glacé, à son ordinaire.
De ces deux hommes, l'un était le génie satanique qui avait assuré la grandeur de son pays, l'autre était le médiocre chef de guerre, dont tous les plans avaient été si bien contrariés par les événements qu'aucun des résultats militaires obtenus ne fut amené par ses combinaisons stratégiques. Autant Bismarck avait été remarquable, autant Moltke s'était montré faible. Le pompeux spectacle qui se déroulait ce jour là, dans le Palais de Louis XIV était l'uvre du chancelier et des généraux de l'armée allemande. Un homme y manquait qui avait fait plus que tous les autres, pour le triomphe de la Prusse, c'était Bazaine.
Placez à la tète de l'armée de Metz, n'importe lequel des chefs de corps, Ladmirault, Cissey, Lebuf ou Ganrobert. Fidèle à la parole donnée à l'Empereur, il se dirige sur Verdun, après avoir battu l'armée allemande à Gravelotte, et arrive à Châlons, où Mac-Mahon, avec ses cent vingt mille hommes, vient lui donner la main. L'armée française, formant un bloc de quatre cent mille hommes, devant Paris, peut livrer, quarante-trois ans plus tôt, une bataille de la Marne. On voit ainsi que Bazaine avait sa place marquée, dans la galerie des glaces du Palais de Versailles, le 18 janvier 1871.
Cette aventure désastreuse pour la France, quand on y réfléchit, et quand on l'examine, à la clarté des événements qui l'ont suivie, offre une accumulation de malchances, de mal façons, de mauvais vouloirs, qui, mis en bloc, expliquent notre désastre. Le tort immense des Allemands est, en quarante-trois ans, de n'avoir pas eu assez de sens critique et de modestie pour faire, dans leur triomphe, la part de tous les avantages qu'ils tenaient de nous, et de s'être attribués une invincibilité qui ne leur venait que des circonstances. Voilà le point initial de leur déconfiture actuelle, et de notre revanche. Ils nous ont sous-estimés.
Quant à nous, si, au lendemain de la guerre, après cette grandiose cérémonie de la proclamation du Roi Guillaume à Versailles, nous nous étions mis au travail, comme firent les Prussiens en 1806. Il y a quinze ans nous aurions été en mesure de battre les Allemands. Lors de la visite du Tzar en France, quand l'armée lui fut montrée à Bétheny, nous'avions notre 75, notre Lebel, et le service de trois ans, en plein fonctionnement. Mais nous ne voulions pas de la guerre. Pour que nous ayions combattu, il a fallu que les Allemands nous envahissent et nous frappent. Cette guerre fut, pour nous, une défense nationale. Et cela, le monde entier le sait, en dépit des mensonges des Allemands. Tout ce que le Kaiser, son chancelier, son Jagow, son bureau Wolff, sa presse domestiquée, son Heydebrand, sa Sozial- Démocratie, toutes les bouches allemandes, qui ne s'ouvrent que pour l'imposture, pourront alléguer, n'arrivera pas à établir que l'Allemagne a eu à défendre son indépendance, quand c'est elle qui a menacé la nôtre.
Et c'est en cet anniversaire, le dernier, sans doute de la fondation de l'Empire d'Allemagne, que nous tenons à l'attester.
Le lendemain du jour où les Rois et Princes d'Allemagne avaient élevé sur le pavois, suivant la coutume de leurs ancêtres, leur chef de guerre, en le proclamant souverain maître, la défense de Paris faisait son dernier effort sur le plateau de Montretout et à Buzenval. La suprême sortie était un acte de folie auquel les généraux, qui savaient à quel point il serait inutile, auraient eu le devoir de s'opposer. Ils ne le voulurent pas. La garde nationale, exaspérée par les bruits de capitulation prochaine, prétendait qu'on n'avait pas assez demandé à son courage,etréclamaitimpérieusementla bataille. Il parut nécessaire de lui faire subir une bonne saignée qui la calmerait.
Ce furent donc, pour la plus grande partie, les bataillons de la garde nationale qui furent engagés, avec quelques régiments réguliers, et des mobiles. L'affaire mal conduite et entamée sans ensemble ne pouvait pas réussir. L'aile gauche avait enlevé très brillamment la redoute de Montretout, les hauteurs de Saint-Cloud, et le plateau, que l'aile droite n'avait pas encore abordé les pentes de la Jonchère. Le centre jeté, sans être appuyé par de l'artillerie, sur le mur du parc de Buzenval et la porte de Longboyau, fut décimé par des tirailleurs postés à des meurtrières, et qui tiraient sans risque. La saignée fut copieuse. Elle coûta quatre mille morts dont Lambert, l'explorateur, le marquis de Coriolis, Rochebrune, et Henri Régnault. Là tomba, frappé au front par la balle de quelque stupide fusillier poméranien, le plus brillant maître de la jeune école française. L'armée rentra, lourde de sa défaite, lasse de ses efforts, triste de ses pertes et résignée à la capitulation. Le général Trochu, qui avait déclaré que le gouverneur de Paris ne capitulerait pas, donnait sa démission de gouverneur et demeurait Président du gouvernement de la défense nationale. Le tour était joué et Paris rendu.
Ceux qui ont assisté à ces choses, qui ont piétiné dans les boues du plateau de la Celle-Saint-Cloud, vu le général Trochu, au fort du Mont-Valérien, pendant cette journée de Buzenval, laissant son aide de camp, le prince Bibesco, commander l'armée française, ceux-là, on peut le croire, sont assez insensibles aux visites des Tauben et des Zeppelins. Le bombardement de Paris fut autre chose que les promenades aériennes de quelques dirigeables. Et la pluie de bombes, qui tomba sur la rive gauche de la Seine, jusque sur le quai Malaquais, était autrement grave, et ne fit pourtant aucun effet. C'était déjà, il y a quarante-trois ans, une idée bien arrêtée, pour les Parisiens, de ne pas s'émouvoir des manifestations balistiques des Prussiens.
Les femmes faisaient la queue à la porte des épiceries et des boucheries, sous les projectiles, avec une tranquillité vraiment admirable. J'ai vu, sur le quai de Passy, au plus fort du bombardement, des gamins guetter la chute des obus et s'élancer sur leurs éclats pour les emporter à titre de souvenir. C'était la répétition du sublime tableau de Gavroche, dans les Misérables, allant à la cueillette des cartouches, pour ravitailler les insurgés de la barricade. Et tout cela avec un héroïsme tranquille et comme naturel qui, rapporté à Versailles, exaspérait les Allemands.
A quarante trois ans de distance, ce sont les mêmes sentiments, les mêmes gestes, la même crânerie française. En conscience, si les Allemands n'étaient pas hors d'état de saisir ce qu'il y a de définitif dans cette insouciance des parisiens, est-ce qu'ils ne renonceraient pas à leurs tentatives d'intimidation? A quoi leur sert ce qu'ils font? Quand ils auront écorné quelques maisons, tué quelques femmes ou quelques enfants de plus, qu'est-ce que cela prouvera? Leurs affaires seront-elles plus avancées? Ces gens sont véritablement à la fois stupides et cruels. Ils font le mal, pour le plaisir. C'est le dernier degré de la sottise et de la méchanceté.
D'autres qu'eux se seraient dit: Allons! Nous n'obtenons aucun résultat de nos épouvantails. Remisons ces grandes machines, qui coûtent si cher, et qui servent à si peu de chose. Nous nous épargnerons le ridicule de les voir dégringoler, comme un cerf-volant mal équilibré, qui jonche le sol de sa queue en papier, au milieu des gamins consternés. Eux, point. Ils s'entêteront. Ils essayeront de détruire, de tuer, d'incendier. Parce que leur gloire est le massacre, et qu'ils ont l'hystérie du meurtre.
Ils n'en ont pas eu le démenti. Ils ont bien envoyéjeurs dirigeables, mais ce ne fut pas contre nous, ce fut contre les Anglais. Un vol de Zeppelins, parti de Cuxhaven, a longé la côte de Hollande, traversé la mer du Nord, et survolé le rivage anglais, en visant spécialement Sandringham, résidence d'été du Roi d'Angleterre. Les dirigeables se sont divisés. Les uns sont allés à Yarmouth, dans le Norfolk. Les autres ont été à Gravesend et à l'embouchure de la Tamise. Partout ils ont laissé tomber des bombes. Ce sont des engins qui pèsent environ six à sept kilogrammes. Nous voilà loin des torpilles de soixante-quinze kilos dont il avait été parlé. Cette bombe est cependant très redoutable et peut effondrer le toit d'une maison. En tout cas, l'éclatement fait un bruit terrible et casse tous les carreaux du voisinage. Voilà une bonne affaire pour les vitriers. L'expédition aérienne des Allemands a eu tout le succès qu'ils s'en promettaient. Un jeune garçon de dix-sept ans a eu la tête enlevée à Yarmouth, et une mère et sa fille ont été tuées. Il y a eu d'autres victimes inoffensives sacrifiées à la fureur germanique. Les Zeppelins et ceux qui les montaient sont arrivés, pendant la nuit, comme des malfaiteurs, et leur coup fait, ils se sont enfuis. Brillante page militaire, à ajouter aux assassinats et aux destructions. Et le Haut Seigneur de la guerre, comme les Allemands appellent leur Empereur, avec cette dévotion de valets qui les caractérise, a conquis une nouvelle gloire.
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Il paraît bien probable, maintenant, que l'Italie et la Roumanie ne se décideront à intervenir que quand il leur paraîtra absolument démontré qu'il n'y a plus aucun risque à le faire. La Roumanie, à qui cette façon de procéder a si bien réussi avec les Bulgares, il y a deux ans, quand, au prix d'une promenade militaire sur les bords du Danube, ils ont obtenu, sans tirer un coup de canon, Silistrie et la rectification de leur frontière, est décidée à occuper la Transylvanie. Mais il faudra que les Russes s'en emparent, au préalable.Moyennant la peine qu'elle aura prise de tenir garnison dans la Transylvanie, la Roumanie compte que cette province, arrachée à l'Autriche par les efforts des alliés, lui sera offerte comme un de ces cadeaux qui entretiennent l'amitié.
Il paraît en être de même de l'Italie. Quand l'Autriche aura été écrasée, quand les Serbes auront, une fois de plus, versé leur sang généreux pour vaincre l'armée combinée Austro-allemande, les Italiens s'avanceront frais, dispos, avec le sourire sur les lèvres, pour demander qu'on les récompense de leur neutralité. Il faudrait donc leur donner Trieste, le Trentin, la Dalmatie, quand nous aurons combattu si durement pour vaincre nos ennemis. Ce serait la triste parabole des ouvriers de la onzième heure, qui sont payés aussi cher que ceux qui ont travaillé tout le jour, sous le brûlant soleil.
Nous sommes bien habitués à être pris pour dupes. Ce n'est pas pour rien qu'on nous avait surnommés les Don Quichotte de l'Europe. Toutes les fois qu'il y avait des coups à recevoir, on nous trouvait prêts. Quand il y avait des avantages à l'ecueillir, nous prenions sur notre part, pour favoriser les autres. Ce n'est pas sans un peu de mélancolie que nous retrouvons, dans notre histoire, tant de souvenirs d'actions plus glorieuses que productives: la guerre de Crimée, pour défendre le Turc, qui ne nous en a pas gardé la moindre reconnaissance, la guerre d'Italie, pour émanciper nos frères latins qui, à dater de ce jour, se sont alliés avec leur ennemi de la veille. Oui, nous Français, nous sommes d'éternelles et incorrigibles dupes. Nous aurons, avec la Belgique, porté le poids le plus lourd de cette guerre. Notre richesse, notre jeunesse, nos villes si belles, nos monuments si précieux, nous aurons tout sacrifié pour assurer la victoire commune. Tout cela pour qu'à la fin de la campagne, les Roumains et les Italiens apparaissent en criant: Victoire! pour se faire donner une part des dépouilles de l'ennemi.
Comme on demandait à César quelles étaient les circonstances de sa vie militaire où il avait dû faire les plus grands efforts pour vaincre, il répondit:
A Pharsale, où nous combattions pour l'Empire. A Munda, où nous avons combattu pour la vie.
Ne regrettons donc rien, car, nous aussi, comme César à Munda, nous combattons pour la vie. Seulement restons sans enthousiasme vis-à-vis des neutres, si pratiques, qui auront, pendant tout le cours de la guerre, prodigué les déclarations, et économisé la poudre.
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Les appréhensions que nous avait inspirée la rentrée des Chambres se sont dissipées, très heureusement. Il y a décidément un fond de raison dans le caractère français, qui, aux heures graves, se combine avec sa vivacité et produit une énergie clairvoyante. C'est cette énergie clairvoyante qui a maté toutes les impatiences, calmé les excitations, et rendu prudents des gens qui arrivaient pour tout dévorer. Il est parfaitement certain que, si l'opinion publique n'avait pas été absolument contraire à tout changement ministériel, nous aurions pu avoir une crise. Comme toujours, c'étaient les deux ministres les plus importants, ceux sur qui pèse le plus lourd du fardeau de la défense nationale qui étaient menacés. Il est bien difficile déplaire à tout le monde. Comme disent les gens du peuple: « On n'est pas louis d'or ». Mais, dans les circonstances actuelles, être ministre de la guerre, ministre des affaires étrangères, et on peut ajouter généralissime, sont des emplois qui ne sont pas de tout repos. Songez à la besogne terrible que font les trois titulaires de ces charges. Mesurez leur responsabilité. Elle est effrayante. Ils tiennent dans leurs mains le sort de la France. Si leur activité se ralentit, si leur volonté fléchit, la victoire peut nous échapper. Et ils le savent. Aussi il est nécessaire de les laisser travailler, sans les troubler, à notre affranchissement d'abord, à notre triomphe, ensuite. Et c'est pourquoi nous ne cesserons pas de réclamer du Parlement le maximum de confiance, de sécurité et de patience.
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Le Pape Benoît XV vient d'adresser un télégramme au Roi Albert, en réponse à la dépêche que celui-ci avait envoyée au Souverain Pontife pour lui dénoncer officiellement les sévices dont souffrait le cardinal Mercier. Ce télégramme est bien anémique et bien pâle. Le voici:
A Sa Majesté le roi des Belges.
Je remercie Votre Majesté de son télégramme et de la pénible nouvelle qu'elle me communique.
Notre douleur n'est pas moins vive que celle de Votre Majesté, et nous tenons à l'assurer que nous n'avons pas manqué de faire à ce propos ce qui était de notre devoir.
BENOÎT XV, pape.
On ne peut pas dire que Sa Sainteté paraisse disposé à excommunier la soldatesque brutale qui a porté la main sur son vicaire et l'a séquestré dans son palais. Il ne faudrait pas pousser beaucoup Benoît XV, pour lui faire exprimer le regret que le cardinal Mercier n'ait pas donné sa bénédiction aux envahisseurs de son pays, tout couverts du sang des prêtres qu'ils avaient massacrés. Il paraît que l'Empereur Guillaume, meilleur juge de la cause de l'archevêque de Malines, et très ennuyé de l'effet que son arrestation ne pouvait manquer de produire sur les catholiques d'Allemagne et d'Autriche, aurait bien voulu terminer à l'amiable ce fâcheux incident. Il avait envoyé des ordres au général Von Bissing, qui aurait été chargé d'obtenir que le cardinal signât une « note conciliatrice » destinée à être reproduite dans les journaux, afin de calmer l'opinion.
Cette note, très habilement rédigée en termes cauteleux et vagues, fut présentée au primat de Belgique par un général, délégué du baron von Bissing.
Le cardinal lut la note avec attention et dit:
Cela me paraît très bien! Large sourire du général teuton.
Je voudrais seulement y changer un seul mot, un seul, général!
C'est presque accordé, Éminence.
Eh bien, je voudrais remplacer simplement l'expression « choses blessantes pour les sentiments allemands » par l'expression beaucoup plus exacte: « vérités blessantes pour les sentiments allemands »,et j'ajouterai, pour tout dire, que je fais de cette modification, d'ailleurs bien insignifiante ce n'est qu'un seul mot! la condition de l'acceptation de votre ingénieuse note.
Et tandis que le général verdissait de rage contenue, le cardinal Mercier esquissait cet ironique et spirituel sourire que ses intimes connaissent bien. Inutile de dire que le général n'insista pas, et que la note ne fut pas signée. Il est à craindre que le Pape, entouré par sa camarilla, qui est très favorable à l'Allemagne et à l'Autriche, ne soit pas tenu au courant des atrocités qui ont motivé la lettre pastorale du cardinal Mercier. Si Benoît XV sait exactement ce qui s'est passé en Belgique, son télégramme glacé et hésitant est incompréhensible.
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Avec les Anglais c'est toujours coup pour coup. Les Zeppelins n'étaient pas encore rentrés dans leurs hangars que déjà la riposte à cette piteuse manifestation se préparait. L'escadre de l'amiral Beatty, croisant sur le Dogger Bank, aperçut dans la brume quatre croiseurs de haute mer, allemands, escortés de croiseurs légers et éclairés par des destroyers qui cinglaient vers la côte anglaise. Ils se préparaient à assassiner encore quelques femmes et quelques enfants, dans des villes sans défense. C'étaient le Seydlitz, le Moltke, le Derflinder et le Blucher. L'amiral anglais commandait aux croiseurs de bataille, le Tiger, le Lion, le Princess Royal, le New- Zealand et lIndomitable. Des torpilleurs et des croiseurs légers éclairaient sa marche.
Dès que les allemands aperçurent l'escadre anglaise, ils virèrent de bord et s'enfuirent à toute vitesse. L'amiral Beatty, à treize mille mètres, commença le feu. Il montait le Lion et tenait la tête de la chasse. Ce fut une course splendide en échangeant des coups de canon, pendant trois heures. Quand l'escadre allemande fut en sûreté derrière ses champs de mines, elle pût s'arrêter. Le Blucher était coulé, le Derflinder était en flammes, ainsi que le Seydlitz. Les obus avaient démoli leurs superstructures. Les éperviers allemands sortaient fort déplumés des serres du milan britannique. Le Lion vaisseau amiral, et le Meteor destroyer sont rentrés portant de glorieuses blessures, qui seront promptement pansées. L'escadre allemande doit être considérée comme hors de jeu pour de longs mois, à cause des réparations quelle aura à subir. On peut affirmer que si elle ne s'était pas dérobée au combat, par une fuite éperdue, elle aurait été anéantie dans cette journée. Le combat du Dogger Bank, après le combat de Guxhaven et celui de Iles Falkland assure bien nettement la suprématie du pavillon anglais. Il ne reste plus qu'un essai à faire: celui des cuirassés allemands contre les cuirassés anglais. Et espérons que cette fois-là, pour la démonstration définitive, les nôtres seront de la fête. Car nous aussi, nous avons des pièces de 300, et des canonniers qui savent s'en servir.
Il paraît que nos amis Anglais pour charmer les longueurs de la campagne, ont fait venir, de leur pays, des meutes de chiens, et qu'ils chassent le lièvre à courre. C'est un beau sport. Je ne sais rien de plus passionnant que la poursuite d'un lièvre qui ruse en plaine, devant un quatuor de bâtards, pas trop vîtes. Mais je ne crois tout de même pas que ce soit pour galoper à la queue de leurs chiens, dans nos champs de Picardie, que nos voisins aient passé le détroit.
Loin de nous la pensée de vouloir les attrister et de les obliger à voir la vie en noir. Ils sont à la bataille, peu sûrs du lendemain, il est assez compréhensible qu'ils jouissent du jour qui passe. Mais, vraiment, au regard de nous autres Français, les meutes de chiens et la chasse à courre, c'est aller loin dans le détachement des malheurs d'alentour. La Belgique est en ruines, la France ruisselle de sang. Il est beau de chasser. Il serait plus beau certes, de reconduire l'allemand à la frontière. Il est juste de dire que nos alliés s'y emploient vaillamment. Mais quand un peuple aime les sports, il n'est rien qui puisse l'en détacher. Nous avons déjà vu à Pau, station hivernale, fréquentée, depuis de longues années, par les Anglais, organiser des chasses au renard. Tous les ans, l'équipage de chasse à courre fonctionne dans la patrie de Henri IV, et les habits rouges galopent le long du gave, à la queue d'un renard importé d'Angleterre, dans une boîte, comme un plumkake. C'est plus fort qu'eux. Le sport les hante.
Et alors, entre deux combats, en arrière de la Bassée ou de Givenchy, dans les plaines de Béthune, ils découplent leurs harriers sur un bon bouquin de France, qui leur fera, un de ces jours, la farce d'aller se jeter dans les lignes allemandes. Et qui sait s'ils n'auront pas l'audace de l'y suivre!
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A pareille date, il y a quarante-quatre ans, le général Vinoy, qui, pour la circonstance, avait pris la place du général Trochu, au gouvernement de Paris, signait la capitulation de la ville. Il n'y avait plus de pain que pour trois jours, et celui que nous mangions, depuis plusieurs semaines avait l'apparence du pain d'épices, sans en avoir la saveur. Il était collant et purgeait d'une façon fâcheuse. Et cependant la ration à laquelle chaque personne avait droit paraissait bien petite. Nous pouvons dire, en toute sincérité que, sans endurer de grandes souffrances, nous avons su ce que c'était que la misère et la faim. La capitulation sonnait le glas de la résistance nationale. Paris rendu, il n'y avait plus guère de lutte possible. Des revers successifs avaient accablé nos armées de province. Les mobilisés de Chanzy avaient été battus au Mans. Les troupes de Faidherbe, vainqueur à Bapaume et à Pont-Noyelles, venaient d'être défaites à Saint-Quentin par le général de Gben. Bourbaki, dans son grand mouvement stratégique vers l'Est et Belfort, avait d'abord réussi à Villersexel, puis échoué à Héricourt. Désespéré d'être contraint à la retraite, il s'était tiré une balle dans la tête. Son armée, commandée par le générai Clinchant, prise entre la poursuite de Werder et la marche enveloppante de Manteuffel, avait dû se réfugier en Suisse.
Tout nous manquait à la fois. Nos soldats improvisés n'avaient pas pu tenir devant les vieilles bandes allemandes, habituées à la victoire. Nous étions, comme aujourd'hui, au sixième mois de la guerre. Que le lecteur veuille bien faire la différence, apprécier notre situation, et se rendre compte de toutes les espérances que nous sommes en droit de concevoir. Au bout de six mois, nos armées, après de nombreuses batailles, presque toutes heureuses pour nos armes, sont intactes, aguerries, sûres de leurs chefs et d'elles-mêmes. Notre matériel est supérieur. Notre trésorerie est dans un ordre excellent. Nos ressources sont abondantes, et nous avons des alliés qui se préparent à faire un effort gigantesque pour abattre le monstre teuton déjà cruellement blessé.
Le peuple, décidé à aller jusqu'au bout de sa tâche, a oublié tout ce qui n'est pas la défense de la patrie. La politique a désarmé, le Parlement a fait silence. L'ordre règne partout. La France offre le spectacle d'une grande nation qui met en uvre tout son courage, toute sa richesse, et tout son génie pour assurer le développement de sa destinée historique. Rien n'est plus grand, rien n'est plus beau. Et la cause que nous défendons, étant celle du droit et de la liberté, nous combattons avec l'encouragement moral de l'humanité toute entière. Voilà les vues que nous avons, le 28 janvier, sur la situation de notre pays. C'est bien la revanche, complète et éclatante de nos revers de 1870. Et cette revanche, c'est l'Allemagne qui, par sa folle jactance et son incommensurable orgueil, nous l'a offerte. Car, répétons-le, une fois de plus, c'est l'Allemagne qui nous a déclaré la guerre, et nous a forcés de tirer l'épée pour la défense de notre honneur et de notre vie.
Si l'Allemagne ne nous avait pas attaqués, jamais nous n'aurions fait la guerre. Nous en avions trop nettement compris l'horreur et mesuré les ruineuses conséquences, pour qu'il nous parût possible de déchaîner un pareil fléau sur le monde. Nous nous serions résignés à notre amoindrissement, car la France, sans l'Alsace et la Lorraine, n'était plus qu'une nation souffrante et presque infirme. Il a fallu la brutalité, l'ambition, la rapacité de l'Allemagne, cristallisées en une mégalomanie furieuse, pour que le Destin s'accomplit. A l'heure actuelle, les chances sont fixées. L'Allemagne sera vaincue, le militarisme prussien, quia été l'agent scélérat de ce complot criminel contre la paix générale sera écrasé. A quarante-quatre ans de distance, nous pouvons entrevoir cet avenir somptueux.
Le Rêve, de notre cher Détaille se réalise. Les régiments endormis dans les plaines, autour de leurs drapeaux, ont vu passer dans le ciel, les ancêtres victorieux qui les conduisaient vers des gloires nouvelles.
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Voici les sous-marins allemands qui font encore de hardies excursions sur les côtes d'Angleterre. Ils se sont hasardés jusque dans le canal d'Irlande. Bientôt, on en verra un surgir, dans la Tamise, sous le grand pont de Londres, au pied de la Tour. L'audace de ces sous-marins est vraiment admirable. Dans l'Adriatique, juste revanche, nos sous-marins torpillent les navires autrichiens jusque dans le port de Pola. Le Curie s'est audacieusement risqué, dans les conditions les plus dangereuses, et a été pris. Mais il agissait, et sa perte fut glorieuse. Dans la Manche, rien. Il y a trois mois les avions allemands venaient impudemment survoler Paris. Il suffit que le service de l'aviation fut placé sous la direction du colonel Hirschauër pour que, instantanément, la situation changeât. Aussitôt qu'un Taube ou un Aviatik paraissait à l'horizon, nos pilotes prenaient l'air et fondaient sur l'ennemi, comme le faucon sur un canard sauvage. Ce fut une affaire réglée, les avions allemands ne reparurent plus sur Paris. Il est à penser que si le fameux sous-marin allemand U-28, qui accomplit tant de prouesses, se trouvait nez à nez avec un de nos gros poissons meurtriers, et essuyait le choc de ses torpilles, il se risquerait désormais avec plus de précaution dans nos eaux et dans celles de nos alliés. Je pense qu'un combat sous l'eau ne gênerait pas plus nos marins qu'un combat dans les airs ne trouble nos aviateurs. Et le commerce ne serait plus inquiété, comme il l'est, en ce moment, par ces destructions de navires trop répétées.
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Sa Sainteté le Pape vient d'ordonner des prières publiques, dans toutes les églises de l'Europe, pour le rétablissement de la Paix. Voilà bien du zèle. Benoît XV était plus froid, quand il s'agissait de venger toute la chrétienté outragée dans la personne de son Eminence le Cardinal archevêque de Malines, coffré par la soldatesque prussienne, comme un passant attardé qui fait du tapage nocturne. N'en déplaise au très Saint Père, les prières que l'on pourra adresser à Dieu, dans les cathédrales ou les églises d'Allemagne, et d'Autriche, ne pourront pas être les mêmes que celles qui monteront vers le ciel, à travers les toits effondrés et calcinés des temples de Belgique et de France. Chez nos ennemis, on demandera à « unseren alten Gott » la continuation des massacres lucratifs et des destructions sensationnelles. Chez nous on ne demandera que la paix avec l'honneur. Nous ne nous contenterons pas de rentrer dans nos foyers, avec les avantages de la guerre. Nous voulons la victoire complète, définitive et qui mette notre pays à l'abri des menaces étrangères, pour un siècle. Nous verserons, s'il le faut, pour assurer cette grande uvre, jusqu'à la dernière goutte de notre sang. Voilà, souverain pontife, la paix que nous demanderons au Très-Haut, et point d'autre.
Nos evêques et nos cardinaux vous l'ont déjà fait savoir par les commentaires qu'ils ont donnés de vos paroles, car une explication était nécessaire. Nous sommes en Franco, en grande majorité catholiques, très Saint Père, à la différence des Allemands et des Autrichiens, qui sont presque exclusivement Luthériens, ou Orthodoxes. Si donc vous voulez trouver des fils respectueux et dévoués, c'est en France qu'il faut les chercher, et non dans les pays qui paraissent actuellement bénéficier de vos préférences.
Votre Curie romaine, qui est en coquetterie avec Berlin, Vienne et Constantinople, ne favorise que des hérétiques. La France a toujours été la fille aînée de l'Église. Et s'il faut vous rassurer sur ses destinées, elle sera victorieuse, car elle a repris sa tradition séculaire et accomplit l'uvre de Dieu: Gesta Dei per Francos. Vous êtes deux, à Rome, Vénéré Seigneur, qui n'êtes pas encore assez fixés sur nos destinées, pour avoir pris votre parti. C'est le Roi, dans son Quirinal, et le Pape, dans son Vatican. Le Roi ruse pour obtenir, sans combattre, ce qui ne peut lui être assuré que par la force des armes. Et le Pape hésite entre les pillards, les massacreurs de Belgique, et les nobles soldats qui ne se battent que pour l'honneur, et épargnent les vaincus. Le Roi ne pourra pas dominer les aspirations de son peuple, qui est conscient de sa destinée, et qui ira crier à Trieste le « Fuori Stranieri » qui accompagnera la déroute de l'Autriche. Vous, très Saint Père, malgré les précautions de la camarilla qui vous entoure, vous finirez par entendre les cris de détresse des femmes et des enfants torturés, des prêtres mis en croix. Vous verrez la Belgique et le Nord de la France mis au pillage et les voleurs armés se baignant dans le sang. Ce jour là, très Saint Père, vous ne parlerez plus de paix. Vous songerez au châtiment. Car vous avez une mission de justice, sur la terre, et pour réduire les mauvais chrétiens vous tenez, dans vos mains, des armes redoutables.
Vos prédécesseurs, quand la gloire de Dieu, et la majesté de l'Eglise étaient outragés, n'hésitaient pas à prononcer l'anathème contre les plus puissants Souverains, et à excommunier les peuples. Vos timides observations ne peuvent se changer en formidables arrêts. Lorsque toutes les nations s'élancent, les unes contre les autres, pour changer la face de l'Europe, la plus haute puissance morale ne peut pas se désintéresser de la lutte et se confiner dans la prière. Il a des neutralités qui sont des abdications. La papauté a perdu son pouvoir temporel. Si elle se résigne à perdre, d'elle-même, son pouvoir spirituel, que lui restera-t-il? La gratitude de Guillaume II, de François-Joseph et du Grand-Turc? Dans trois mois, ce sera bien peu de chose.
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On nous révèle une affaire Desclaux-Béchof, qui est sale et malodorante comme ces bulles qui crèvent à la surface des pièces d'eaux, quand on a l'imprudence d'en remuer le fond. Affaire crapuleuse de vols, accomplis par un fonctionnaire public, au profit d'une femme équivoque, entourée d'étrangers, qui fleurent tous le métèque à plein nez. Comme par hasard, le Desclaux est un des hommes qui suivaient le char du triomphant Caillaux. J'entends Gaillaux, avant le pistolet. En un temps et trois mouvements, le Desclaux avait été élevé de la modeste situation de petit commis à la douane d'Alger, d'aucuns disent de mouchard attaché à la police secrète, au poste envié de percepteur, puis de sous-chef de cabinet du ministre des finances. Et, dès lors, il n'avait plus quitté le néfaste argentier, qui a failli mettre la France à bas, financièrement. De cette affaire de détournements de vivres, s'exhale un parfum de trahison que la désinence en am en aum et en of des noms, de tous ceux qui y figurent, rend bien significative. S'il n'y a pas d'espions dans ce milieu-là, ce sera miraculeux.
L'affaire Desclaux, en elle-même, ne présente aucun intérêt. Mais c'est une affaire- témoin, qui sert à nous faire juger le chemin que nous avons parcouru, depuis six mois, dans le sens de notre rénovation. Avant la guerre, un homme tel que Desclaux eut été intangible. Et c'est pour n'avoir pas compris que nous étions revenus à la vertu, que ce triste sire a osé les actes qui l'ont fait coffrer incontinent. Elle est passée l'époque où douze jurés ont pu affirmer, sur leur honneur et leur conscience, que Calmette n'avait pas été assassiné, sans être lapidés par la foule, au sortir de la salle d'audience.
Il y a eu, depuis, la Belgique, la Marne, deux millions d'hommes écharpés, des villes en feu, des cathédrales bombardées, et la France prête à donner la dernière goutte de son sang pour venger ses foyers détruits, ses enfants morts et sa liberté menacée. Toute cette tragédie formidable a effacé jusqu'au souvenir des basses et dégoûtantes intrigues par quoi se gouvernait notre pays, il y a six mois. C'est cette transformation, qu'un Desclaux était incapable de comprendre, qui a rendu possible et si simple l'arrestation du fraudeur, et qui le fera condamner. Cela, n'a du reste, aucune espèce d'importance, et pas plus qu'une tache de boue sur le pantalon d'un marcheur qui se hâte vers son but. On se brossera et il n'en sera plus question. Mais le fait, comme symptôme moral, méritait d'être mentionné.
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Lorsque les Anglais eurent réussi à canonner lEmden, qui avait coulé tant de leurs navires, et sans doute, plus souvent qu'il n'a été su, avec leurs équipages, le commodore Anglais se piqua de courtoisie, vis-à-vis du capitaine allemand, et lui dit: « Vous avez bien combattu, gardez votre épée. » A cette époque, je hasardai cette opinion que le capitaine de lEmden était un simple pirate et que, la première chose à faire, après sa capture, était de le pendre, pour l'exemple, à son mât militaire. Un traitement si mérité eut, sans doute, rafraîchi l'ardeur de massacre des naufrageurs allemands. Car ces gens-là ne respectent quelaforce etne craignent que les coups.
Il est bien temps, aujourd'hui de crier à la piraterie, quand les sous-marins viennent couler les steamers, jusque dans l'embouchure de la Seine, en vue de Honfleur, et dans le canal d'Irlande à l'entrée de Liverpool. Il fallait pendre le capitaine de lEmden, au lieu de lui faire des grâces. N'oublions jamais que nous avons affaire à des êtres hors de l'humanité, et traitons-les comme des brigands. Voilà les Russes qui s'y décident, et qui poussent devant une cour martiale l'équipage d'un Zeppelin, qui a bombardé une ville ouverte. C'est fort bien. Quand on aura tué, jusqu'au dernier, les forbans qui composent cet équipage, outre qu'on aura accompli, à la face de l'Univers, un acte de justice, on aura sans doute ralenti le zèle destructeur de nos ennemis.
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Il vient de se produire un événement, de la plus haute importance, et qui aura sur la marche de la guerre des conséquences incalculables.
Les ministres des finances de France, d'Angleterre et de Russie se sont réunis à Paris pour examiner les questions financières que fait naître la guerre. Ils sont d'accord pour déclarer que les trois puissances sont résolues à unir leurs ressources financières, aussi bien que leurs ressources militaires, afin de poursuivre la guerre jusqu'à la victoire finale. Dans cette pensée, ils ont décidé de proposer à leurs gouvernements respectifs de prendre à leur charge, par portions égales, les avances faites ou à faire aux pays qui combattent actuellement avec eux, ou qui seraient disposés à entrer prochainement en campagne pour la cause commune.
Le montant de ces avances sera couvert tant par les ressources propres des trois puissances que par l'émission d'un emprunt à faire en temps opportun au nom des trois puissances. La question des rapports à établir entre les banques d'émission des trois pays a fait l'objet d'une entente particulière. Les ministres ont décidé de procéder de concert à tous les achats que leurs pays ont à faire chez les nations neutres. Ils ont pris les mesures financières nécessaires pour facilitera la Russie ses exportations et pour rétablir dans la mesure du possible la parité du change entre la Russie et les nations alliées. Ils ont décidé de se réunir à nouveau suivant que les circonstances l'exigeront. La prochaine conférence aura lieu à Londres.
Le bloc financier, constitué par les trois nations alliées, est la consécration de l'accord politique signé en septembre et par lequel la France, l'Angleterre et la Russie s'engageaient à ne pas faire de paix séparée. A compter d'aujourd'hui, l'une des parties contractantes le voulut-elle, la possibilité de se détourner de ses compagnes de guerre, pour s'accommoder avec l'ennemi, lui est retirée. Il faut, désormais, aller jusqu'au bout. C'était ce qu'il fallait établir clairement et résolument, aux yeux des gens sans énergie, qui sacrifieraient peut-être la sécurité de l'avenir, à la tranquillité du présent. Il ne s'agit plus de soupirer ni de gémir. Nous sommes engagés dans une aventure, dont nous ne pouvons sortir que par notre ruine ou l'écrasèment de l'adversaire. Une fois pour toutes, que ce soit bien compris. Tous ceux qui ne seraient pas pénétrés de cette conviction, doivent se l'imposera eux- mêmes, afin de l'imposer aux autres. Il est inutile d'insister sur l'influence que le nouvel engagement des trois nations alliées va exercer sur la politique des neutres. Ceux qui marcheront avec nous, peuvent tout attendre de notre amitié. Les autres, rien.
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Jamais le Quos vult perdere Jupiter dementat n'a semblé d'une application plus exacte que dans ce moment où le Kaiser paraît perdre décidément la tête. Cette mise en interdit des abords de l'Angleterre, sous prétexte de représailles. Cette zone militaire fictivement établie sur les côtes de la Grande-Bretagne, c'est de la pure folie, si c'est sérieux, et si ce n'est qu'un bluff, comme nous le croyons, c'est la plus grande maladresse qui pouvait être commise par nos ennemis.
Les neutres n'ont pas pris tranquillement, cette manifestation. Déjà très mécontents de là gêne que cette guerre, qui met en feu toute l'Europe, causait à leur commerce, ils ont accueilli avec des cris d'indignation le blocus dangereux que les Allemands prétendent effectuer. Ils ne savent pas, comme nous, à quel point ce blocus serait précaire. Ce n'est pas avec une dizaine de sous-marins, qu'il est possible de garder des centaines de lieues, d'une façon suivie et sérieuse. Tout ce que l'Allemagne peut espérer, c'est couler ou avarier quelques bateaux s'aventurant dans la Manche, ou le canal d'Irlande, comme tout récemment, sans prévenir, elle l'a fait en vue du Havre et de Liverpool.
Mais cela est déjà suffisamment grave pour mettre les neutres dans un état d'irritation qui se traduit par des remontrances, des plaintes et même des menaces. Si l'Allemagne avait voulu de propos délibéré, se mettre à dos tout l'Univers, elle n'aurait pas agi autrement. Ce qu'elle a décidé là est tellement absurde que c'en est incompréhensible. Elle n'espère pas qu'elle va, avec ses submersibles dontle rayon d'action est limité et relativement court, bloquer les côtes d'Angleterre. Alors à quoi rime sa déclaration? Elle croit peut-être gêner les envois de troupes et de matériel des Anglais sur le continent. Absurdité. Les Anglais n'ont qu'à aller débarquer à Brest, si Cherbourg est trop près de la menace allemande, et si Brest est encore trop près, à La Rochelle, ou à Bordeaux.
Nous poussons le raisonnement à l'extrême, pour montrer à quel point les Allemands sont impuissants pour une action maritime quelconque. Par contre les Américains, qui hésitaient encore dans leur choix entre les Impériaux et les alliés, sont désormais fixés. Leur presse jette des flammes. Elle parle de stupidité crasse. Nous n'aurions pas voulu, nous mêmes, aller si loin, mais nous convenons que le mécontentement des Américains est fondé. Et comme ils ne s'arrêtent pas, une fois partis, ils déclarent que s'il faut protéger leur marine marchande ils la feront convoyer par des navires de guerre. Et du coup, nous voilà revenus aux flottes de commerce, comme au temps de la compagnie des Indes, lorsque les corsaires français faisaient la course. Mais au moins c'était sur les flots, sous le ciel, que les batailles se livraient. Et, pendant que les navires de guerre étaient aux prises, les bateaux marchands faisaient force de voiles pour gagner le port.
L'embuscade sournoise du sous-marin, tapi sous l'eau, comme une bête de proie qui guette est tout à fait vilaine. C'est une façon de coup du père François qui déshonore la guerre. Il faudra voir, et ce sera un desnombreux enseignements de cette campagne, ce que donneront les sous-marins, contre les gros navires. On sait que, longtemps, en France, la lutte a été vive, entre les partisans des cuirassés et les partisans de ce qu'on appelait dédaigneusement de la poussière navale. L'amiral Aube tenait pour les torpilleurs, et les contre torpilleurs. Il n'était pas encore question des submersibles. Les gros navires avaient fini par triompher. Toutes les nations avaient suivi l'exemple de l'Angleterre qui n'avait pas cessé de construire des navires de plus en plus puissants. Le dreadnought avait été sa dernière création. Et tous les peuples avaient marché, dans cette voie, construisant même des super-dread- noughts. Eh bien! s'il suffit d'un submersible de six cent tonneaux et d'une torpille, pour détruire un croiseur comme le Crécy ou le Hogue, ou un cuirassé, comme lIndomptable, alors la question est à poser de nouveau et d'une façon bien angoissante. Un mastodonte de la mer, qui a coûté cinquante millions, coule en un quart d'heure, assassiné par un minuscule ennemi qui lui tire dans le ventre, quand il passe devant lui. Alors?
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Après la journée du petit drapeau Belge, qui avait produit des millions, nous venons d'avoir la journée du 75, dont le succès n'a pas été moindre. C'est pour l'uvre du Soldat au front, que la vente de la médaille, représentant le canon, symbole de la victoire, était faite. Des jeunes filles et des jeunes garçons, portant, sur des éventaires, les médailles ornées d'un ruban tricolore, une tirelire en fer blanc, à la main, ont parcouru les quartiers de Paris. En échange de l'insigne, le passant donnait ce que ses moyens lui permettaient de verser dans la tirelire. On ne regardait pas le prix payé. Les riches ont donné beaucoup. Les pauvres encore plus qu'ils ne pouvaient. Et tout s'est confondu dans la masse patriotique des offrandes. Peuple de Paris, si généreux, si bienveillant et si fier, qui t'arrêtes au bord des trottoirs pour regarder passer tes soldats qui défilent, qui vas aux Invalides examiner gravement les trophées de guerre, reste confiant, reste ferme, sois digne de toi- même, pour supporter la dure épreuve, et tu es sûr de la victoire.
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Lorsque le ministre de la guerre, qui était Gambetta, demanda, il y a quarante-quatre ans, au général Chanzy, au moment de conclure la paix, s'il croyait possible la continuation de la lutte, l'homme de guerre qui avait sauvé l'honneur militaire de la France à Vendôme, à Marchenoir, et au Mans en résistant, avec des bandes de mobilisés aux vieilles troupes de Mecklembourg et de Frédéric-Charles, les larmes aux yeux répondit: Non.
Et cependant, nommé député, et ayant à voter la conclusion de la paix, il ne pût s'y résoudre, et vota contre. Etrange contradiction, à quelques semaines de distance. Bien compréhensible cependant, si l'on pense à tout ce qu'elle signifiait de renoncement amer, pour le brave soldat qui venait de lutter pied à pied pour défendre notre drapeau, pendant quatre mois, et qui avait pu, à certains moments espérer la victoire.
Qu'était-ce que Chanzy, le jour où M. de Freycinet lui donna à commander un corps dans l'armée du général d'Aurelles de Paladine? II arrivait d'Algérie où il avait longtemps servi. Il avait cinquante ans, et dès les premiers mouvements de ses troupes, à Loigny, montra les plus remarquables qualités de commandement. Comment un homme de cette valeur avâit-il été laissé de côté? On le disait républicain. Mais ce n'était pas une raison suffisante, puisque le général Trochu, qui toute sa vie avait fait de l'opposition, avait obtenu les trois étoiles à quarante-deux ans. La fatalité avait voulu que Chanzy fut écarté, au moment où il aurait pu rendre les plus importants services. Un homme tel que lui, au début des hostilités, en 1870, à la tête d'un corps d'armée, et le sort de la guerre pouvait être changé. La chance que nous avons eue, dans notre guerre actuelle, ce fut de trouver, à la tête de nos troupes, des officiers de première valeur, commandés par un chef, qui est aussi prudent que résolu. La guerre de 1870 commença, aux deux extrémités de notre ligne, à Forbach, et à Reischoffen, par deux batailles de Charleroi. Bazaine eut l'occasion de livrer sa bataille de la Marne, à Gravelotte. Il la perdit, de son plein gré, parce qu'il ne voulut pas percer sur Châlons, comme il en avait pris l'engagement. Mettez un Chanzy, à la place de Bazaine, à la tête de l'armée de Metz, et tout change. Il bat les Prussiens à Gravelotte, il gagne Verdun, et rejoint Mac-Mahon en avant de Paris.
Ces idées anciennes, tant de fois ruminées, pendant quarante-quatre ans, me reviennent comme des fantômes évoqués par la présence des Allemands sur notre territoire. Et je constate encore ceci que si, après Sedan, au lieu de faire avec des mobilisés la guerre de mouvements et de masses, nous avions remué de la terre, creusé des lignes de tranchées et abrité nos recrues derrière des épaulements nous aurions pu user très facilement l'armée allemande. Nous faisons, aujourd'hui, la guerre que nous ne voudrions pas faire, avec les excellentes troupes que nous possédons. Et nous n'avons pas fait, autrefois, la guerre qui aurait pu nous sauver. Mais il fallait y penser, autrefois. Et personne dans une campagne défensive n'a eu cette idée si simple.