- de la revue Journal de lUniversité des Annales', année scolaire 1914-1915 no. 4
- 'Une Journée de Chirurgie de Guerre'
- Conférence de M. le Docteur Raoul Baudet
- Chirurgien-Chef de l'Hôpital Saint-Louis et de l'Hôpital 123
- 3 mars 1915
Le Medecin en Guerre
Notes Biographiques
Le Docteur Raoul Baudet
Nous avons demandé à notre éminent ami le docteur Louis Moinson d'écrire quelques lignes biographiques sur le docteur Raoul Baudet, que nos abonnés ne connaissant pas encore, et que l'hôpital des Annales a l'honneur et le bonheur d'avoir comme chirurgien. M. Baudet, chirurgien en chef de l'hôpital Saint-Louis depuis 1912, a rendu et rend, pendant la guerre, les services les plus éclatants. Non saulement il soigne tous les blessés de Saint-Louis, et ceux des Annales, avec un dévouement rare, mais encore les blessés de l'hôpital complémentaire no 11, dans cet admirable établissement de la Villa Molière, dirigé par le docteur Goldmann et qui est célèbre pour son installation et l'ordonnance de ses salles d'opérations.
Le docteur Raoul Baudet est le type du parfait travailleur; on s'en rend compte en jetant les yeux sur la liste de ses travaux, tous d'un si puissant intérêt scientifique.
Depuis sa thèse inaugurale sur Le Mal perforant Buccal, il faut noter: La Tuberculose Primitive de la Rate (1897); La Vaso-Vési-culectomie (Revue Chirurgicale, 1906); L'Extirpation du Rectum Cancéreux par la Voie Périnéale (1897); un Traité sur les Hernies, en collaboration avec Rochard; un autre ' ayant pour titre: Etudes de Chirurgie Clinique et Opératoire (1907); toute une série d'articles dans Le Traité de Stomatologie de Gaillard et Nogué. Il faut mentionner tout spécialement ses publications sur La Chirurgie d'Urgence, parmi lesquelles les interventions sur le poumon et le cur tiennent le premier rang. Au Congrès de Chirurgie de 1909, il a publié neuf cas de plaies des poumons: huit guérisons; deux cas de plaies au cur: toutes les deux guéries.
Les blessures de guerre ont fourni au docteur Baudet de très nombreuses occasions d'exercer son dévouement et de mettre en pratique ses qualités de sang-froid et de prestigieuse habileté: ablation de projectiles de la colonne vertébrale; trépanations dans les traumatismes crâniens; extractions de balles et d'éclats d'obus logés dans la région cervicale, etc., etc.
L'examen de sa statistique fortifie amplement et explique l'admiration et l'estime qu'ont pour lui tous ses confrères.
Pour conclure, disons que deux mots suffiraient pour biographier le docteur Baudet: science et conscience. Mais, pour être tout à fait complet, il y aurait lieu d'en ajouter deux autres, lesquels, à mon sens, sont la marque du grand savant: modestie et douceur. Examinez-le auprès d'un de nos pauvres blessés: d'un mot, il le met en confiance, et c'est avec un soin quasi maternel qu'il l'interroge, l'ausculte, le palpe, et, s'il faut en' arriver à une intervention, comme il sait le remonter, le convaincre, le consoler d'avance!
Et avec quelle discrétion et quelles hésitations cet admirable chirurgien prend son bistouri! Que de braves soldats, rentrés dans leurs foyers, lors des retours triomphants, devront à Baudet leur intégrité anatomique!
Il est, en effet, antiinterventionniste. Mais il l'est d'une façon raisonnée et sait, au moment opportun, prendre la résolution grave et faire la part du feu. C'est un brave cur. Bienheureux ses malades!
Docteur Louis Moinson
La Conférence du Docteur Baudet
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs,
Je pourrais dire aussi: mères, surs, pères, vous qui avez, sans doute, un être cher sur le front et à qui chaque jour apporte une angoisse nouvelle, quelles tristes visions a dû évoquer en vous ce titre: « Une Journée de Chirurgie de Guerre. »
Une journée de chirurgie de guerre! Mais c'est le soldat, qui roule blessé au fond de la tranchée. C'est son corps que les brancardiers ramènent au poste de secours et à l'ambulance. Là, ce sont les pansements hâtifs, les opérations sommaires et forcément incomplètes. Puis, c'est l'évacuation forcée, dès le lendemain, vers la gare de triage, et les longs voyages dans les trains sanitaires. C'est, enfin, l'arrivée de ce pauvre soldat, amaigri et exténué, dans nos hôpitaux de l'arrière.
Mais ici, quel spectacle consolant pour vous! Maintenant, c'est l'hospitalisation définitive. C'est, dans les draps blancs, les longs sommeils réparateurs! Ce sont les soins dévoués de nos infirmières, « de ces femmes plus câlines encore que des mères », ainsi que l'a dit notre grand poète Jean Richepin. Ce sont les opérations bienfaisantes et conservatrices. C'est la convalescence. C'est la guérison.
Voilà les souvenirs que je veux surtout laisser dans vos esprits. Et si je me penche avec vous sur toutes les blessures de guerre, ce sera moins pour vous en étaler les horreurs, que pour vous montrer comment on les soigne et comment on arrive à les refermer.
Et m'adressant à vos curs, autant qu'à vos esprits, si j'osais une comparaison, je vous dirais: « Je viens à vous, comme fait le chirurgien consultant, appelé dans une famille, auprès d'un enfant grièvement blessé, qui réunit autour de lui les parents angoissés et qui sans leur dissimuler la gravité de la blessure, sait trouver, tout de suite, les paroles qui rassurent et les remèdes qui guérissent. » (Vifs applaudissements.)
Ainsi donc, une journée de chirurgie de guerre se présente à nous sous deux aspects, suivant qu'on la considère dans la zone des armées, ou bien dans les formations de l'arrière. C'est une journée en quelque sorte double.
Voyons, d'abord, celle qui se déroule sur le front et, principalement, au poste de secours et à l'ambulance.
Poste de Secours
Le personnel médical du régiment constitue, en temps de paix, l'infirmerie; en temps de guerre, il formera le poste de secours.
A sa tête est un major, secondé par six à neuf médecins et par une centaine d'infirmiers et de brancardiers.
Lorsque la bataille commence, le méde cin chef réunit autour de lui son personnel: il le divise en deux groupes. Le premier sera réparti à chacun des trois bataillons et le suivra dans ses évolutions; le second, plus nombreux, reste avec lui pour assurer le fonctionnement du poste de secours.
Ce poste se tient à quinze cents mètres environ de la ligne de feu. Mais il n'est pas fixe; il se déplace en avant ou en arrière, suivant les fluctuations de la bataille.
Quand il est près d'un village, il s'installe dans une des dernières maisons, non pas à l'entrée, mais à la sortie, pour que les blessés ne perdent pas de temps à le chercher; et s'il est en rase campagne, il se tient près d'un ruisseau, pour avoir de l'eau en abondance; en tout cas, le long d'une route, pour que les brancardiers qui descendent de la ligne de feu, ou ceux qui montent de l'ambulance, y accèdent facilement.
On dissimule les voitures sanitaires autant qu'on le peut et, quoiqu'elles soient pleines d'objets de pansements, de médicaments, ou d'approvisionnements, on ne se hâte pas de les décharger, car les alertes sont fréquentes et, en une demi-heure, tout le poste, personnel, matériel et blessés, doit être prêt à partir.
Les bataillons sont déjà déployés et, derrière eux, à trois cents, quatre cents mètres, se tiennent les médecins ou les infirmiers qui leur sont affectés, abrités de la mitraille derrière un remblai, dans un chemin creux, un boqueteau.
C'est là, dans ces sortes de refuges, véritables nids pour blessés, que les soldats viennent se faire panser: c'est là qu'on leur applique le pansement individuel, que tout militaire porte avec soi, depuis le simple soldat jusqu'au-colonel. Ce pansement est fait de plusieurs feuilles de gaze et d'ouate stérilisées, cousues ensemble, et d'une bande, enfermées dans. une enveloppe de papier imperméable, facile à défaire, facile aussi à appliquer.
Quand l'accalmie se produit sur ce coin du champ de bataille, les blessés en profitent pour se défiler vers le poste de secours. Là, ils arrivent, tout le long de la journée, isolément, ou soutenus par des camarades plus valides, ou bien apportés par des brancardiers.
Aussitôt, on leur donne à boire, car la soif est une de leurs grandes souffrances et c'est la plus facile à apaiser. Ne vous imaginez pas que le travail chirurgical soit très varié, au poste de secours. Certains médecins, qui y sont affectés depuis le début de la guerre, n'ont jamais touché un bistouri. Les pansements y sont sommaires. Les plaies sont lavées à l'eau oxygénée et badigeonnées à la teinture d'iode, antiseptique aujourd'hui à la mode, et qui, du reste, mérite bien nos préférences.
Si la blessure saigne, on la comprime, en serrant fortement le pansement et en augmentant son épaisseur, pour ne pas que le sang puisse le traverser. L'hémorragie est-elle plus forte, on place un lien fortement constricteur à la racine du membre, un garrot.
Un membre est-il cassé, on le place dans un appareil qui l'immobilise. Ce sont des attelles en fil de fer; ce sont, surtout, des feuilles de zinc, très souples, que l'on taille comme un patron, en lui donnant la forme et les dimensions du membre qu'il doit maintenir.
Les blessés ayant été pansés, ayant bu, s'étant reposés, il devient prudent de les évacuer en lieu sûr. Tous ceux qui peuvent marcher se dirigent à pied vers l'ambulance; de son côté, l'ambulance envoie, vers le poste de secours, des voitures destinées à ramener ceux qui n'ont pu faire le trajet.
Mais il reste bien des soldats couchés encore sur le champ de bataille: ce sont tous les grands blessés, que leur faiblesse a cloués sur place et que la fusillade a empêché de secourir.
Maintenant, le soir est venu: la bataille s'est tue. Les brancardiers sortent du poste de secours pour relever tous ces corps dispersés. Aucune lumière ne les guide. Ils vont à tâtons vers les cris, vers les gémissements. Lugubre et courageuse besogne! (Applaudissements).
Heureux si, le lendemain, le régiment a recouvré tous ses blessés!
Mais combien la tâche du personnel médical, normale et régulière quand le régiment maintient ses positions, devient difficile et périlleuse quand il bat en retraite. Que de blessés oubliés ou abandonnés ! Que de médecins ou de brancardiers tués ou blessés en allant les relever sous le feu de l'ennemi!
Au poste de secours, ce sont les Allemands qui surgissent brusquement à trois cents mètres, et le criblent de balles, sans que le poste ait été prévenu de notre recul. Ce sont les voitures qu'on attelle hâtivement, les blessés que l'on charge et que l'on entasse sans trop d'égards pour leur blessure.
Voici l'extrait d'une lettre qui m'a été adressée par un de mes amis, médecin chef d'un poste de secours, dans un régiment qui se battait en Belgique et en Argonne:
« .. Il m'est arrivé de filer bien vite, car l'ennemi approchait. J'ai toujours eu la très grande chance de ne jamais laisser derrière moi un seul blessé. Mais, je puis te le certifier, il fallait se débrouiller. Je mettais les blessés qui ne pouvaient pas marcher dans mes voitures médicales, sur des fourgons vides.
sur des chevaux, sur des charrettes, que j'avais pris la précaution de réquisitionner d'avance. Les blessés étaient serrés, entassés. Ne crois pas qu'ils se plaignaient beaucoup de ce manque de confort. Ce n'était pas leur blessure, c'était la peur d'être abandonnés qui les faisait crier. « Emmenez-moi! Emmenez-moi! » Et ils retrouvaient des forces insoupçonnées pour s'accrocher à vous. » Plusieurs fois, j'ai failli être pris par les Boches, car le régiment reculait et on ne m'en avisait pas toujours. C'est ainsi qu'à Virton, j'ai perdu quatre médecins et trente quatre infirmiers et brancardiers, tués ou blessés. J'ai été obligé d'abandonner deux voitures médicales. Les Prussiens nous canardaient comme des lapins! »
Quelques semaines plus tard, ces retraites mouvementées étaient terminées: le régiment était victorieux et mon ami retrouvait, à Clermont-en-Argonne, ses deux voitures intactes. Il y trouvait aussi une glorieuse blessure. (Vifs applaudissements.)
Ambulance
C'est à partir du moment où le poste de secours commence à évacuer ses blessés que l'ambulance entre en action.
Il y a plusieurs ambulances par corps d'armée, mais celle dont le régiment dépend se tient à cinq ou six kilomètres en arrière de lui. Elle occupe un grand bâtiment, une école, une usine, un château, un château convient à merveille.
Elle est dirigée par un chirurgien de carrière, aidé de plusieurs médecins. Elle comporte un personnel d'infirmiers et de brancardiers nombreux: un matériel de couchage suffisant, une instrumentation chirurgicale très complète. C'est donc un véritable hôpital, mais c'est un hôpital mobile, qui, à chaque instant, doit évacuer tous ses malades, et qui, à chaque instant, doit se déplacer et suivre les mouvements du corps d'armée.
Dans les premiers mois de la guerre, ces déplacements étaient quotidiens: ils se faisaient même en reculant. Aujourd'hui, le sort des armes nous étant favorable, l'ambulance reste très longtemps sur place. Aussi, sa physionomie et son fonctionnement se sont-ils modifiés.
Examinons, d'abord, comment l'ambulance remplissait sa tâche, pendant les jours de retraite; nous verrons, ensuite, dans quelle mesure la victoire a pu la lui faciliter.
Pour cela, entrons à la salle d'opération, le soir, au moment où se presse la foule des blessés, et voyons quelles interventions on y pratique.
Celle qu'on fait le plus souvent, c'est le débridement des plaies, c'est leur nettoyage. Aussi simple, aussi humble qu'elle vous paraisse, apprenez son importance. Car c'est de cette première désinfection, faite avec plus ou moins de rigueur et de méthode que va dépendre l'avenir plus ou moins heureux du blessé.
Voici, par exemple, au bras ou à la cuisse, des chairs creusées par un éclat d'obus qui a entraîné des fragments de terre ou de boue et des débris de vêtements. Eh bien! il faut ouvrir ces plaies largement, en fouiller tous les recoins et tous les clapiers: il faut les étaler au grand jour. Il faut les débarrasser de tous les graviers, les brins de paille, les esquilles osseuses, les éclats d'obus, en un mot, de tous les corps étrangers qu'elle contient. Et c'est à ce prix seulement que toutes les grandes infections et que les suppurations interminables seront conjurées.
Autre chose encore. Plusieurs blessés ont eu des hémorragies qui ont été arrêtées provisoirement par une compression très serrée ou par le garrot. Il s'agit, maintenant, de les arrêter définitivement. Il va falloir pour cela, au fond des chairs confuses, dont les rapports normaux ont été bouleversés, sans point de repère, sans fil conducteur, aller découvrir et lier l'artère qui s'est reprise à saigner.
Voici un membre broyé. Il ne tient plus que par un lambeau de chair qui a perdu toute chaleur. Il est inutile, il est dangereux de le conserver. Une amputation d'urgence s'impose.
Voilà quelles sont les opérations les plus courantes.
Mais, me direz*vous, toutes les grandes blessures de guerre, celles du crâne, du thorax et de l'abdomen, on ne les opère donc pas à l'ambulance, comme on le fait dans la pratique civile, dans les hôpitaux parisiens?
Actuellement, oui, on y vient. Autrefois, non. Dans ces ambulances, on n'a pas le temps. Dites-vous que, le soir, il y a 600 à 800 blessés, qui ont besoin d'être pansés; que chaque médecin a 80 pansements à faire; qu'il en fait 6 par heure, environ, et qu'il n'a pas trop de la nuit entière pour les terminer tous.
Or, s'il s'attarde à pratiquer deux ou trois grandes opérations, ce sera au détriment de 20 à 25 blessés, qu'il lui faudra laisser de côté. Et quand, les opérations étant finies, il voudra revenir à ses pansements, il seta trop tard. L'heure de l'évacuation aura sonné. Il lui faudra donc laisser partir 20 soldats dont la vie n'aurait couru aucun danger, si on les eût pansés immédiatement, et qui, ne l'étant pas, ou l'étant très mal, se trouvent ainsi exposés à des complications infectieuses graves, et la mort, la perte totale ou partielle d'un membre peuvent en être la conséquence.
Mais, objecterez-vous, on aura sauvé certainement deux ou trois malheureux, qui seraient morts fatalement si on ne les eût pas opérés.
Hélas! non, cette compensation est illusoire. Car les résultats de ces grandes opérations, qui sdnt si encourageants dans nos hôpitaux de l'Assistance publique, sont désastreux à l'ambulance. Je m'explique.
A Paris, un homme tombe-t-il, au cours d'une rixe ou après un suicide, blessé d'une balle dans la poitrine ou l'abdomen, il est immédiatement secouru et conduit à l'hôpital le plus proche. Là, l'interne de garde, jeune chirurgien de carrière, lui donne les premiers soins, prescrit le sérum et l'huile camphrée qui vont relever ses forces et le préparer à supporter une intervention. Le chirurgien de garde, appelé par téléphone, accourt aussitôt, et une heure, deux heures après l'accident, le malade est déjà sur la table d'opération. Opération faite sans retard, chirurgien continuellement entraîné à cette chirurgie d'urgence, aides expérimentés chirurgiens eux-mêmes, installation et instrumentation perfectionnées, tout contribue au succès de l'acte opératoire, qu'il s'agisse de suturer une plaie pénétrante de l'intestin, du poumon ou du cur. Et lorsque l'opération est terminée, la surveillance de l'interne qui passe la nuit à l'hôpital, celle d'une infirmière expérimentée qui veille auprès du malade, ajoutent encore aux chances de la guérison. Or, dans nos hôpitaux, la guérison de ces opérations est la règle.
Mais à l'ambulance, quelle différence! J'admets que les chirurgiens et les aides valent les précédents. Mais le blessé est dans un état de bien moindre résistance. Il est déjà exténué par la fatigue, par la soif, par la passion de la lutte, et ces causes de dépression s'ajoutent à la faiblesse déterminée par sa blessure. Puis, ce n'est pas deux heures après l'accident, c'est, quelquefois, après être resté quinze heures, vingt-quatre heures et plus, sans aucun secours sur le champ de bataille qu'il est porté à i'am-bulance. Voilà une perte de temps:rrépara-ble. Ne voyez-vous pas que toutes les chances d'insuccès sont réunies et nous laisserions de côté, sans pansements, une vingtaine de blessés qui ne demandent qu'à guérir, pour tenter, dans des conditions si défavorables, de telles opérations? Non, la raison, l'expérience, l'intérêt même du plus grand nombre s'y opposent.
La perspective de la retraite aussi le défend. A quoi bon, en effet, encombrer l'ambulance de malades qu'une opération grave rend intransportables, puisque, demain, il faudra partir et les abandonner.
Demain, en effet, le service de santé de la division mettra en commun tous ses grands malades. Elle les confiera à l'une des quatre ambulances, qui devra rester sur place, pour permettre aux trois autres de se replier plus facilement, sacrifiant son matériel et son personnel pour assurer, jusqu'au dernier moment, les soins des grands blessés et acceptant de tomber avec eux aux mains de l'ennemi.
Mais, aujourd'hui, les conditions de la lutte diffèrent. A la période de retraite, a succédé une période que j'appellerais de défensive victorieuse, en attendant mieux. Les soldats séjournent dans les tranchées face à l'ennemi, sans avancer beaucoup, mais sans reculer.
Nos ambulances, autrefois si mobiles, partagent maintenant cette stabilité. Installées presque toujours dans un château, elles améliorent journellement leur organisation et leur confort. Un service d'automobiles régulier leur permet de recevoir très rapidement du front les blessés graves. Ils peuvent les opérer assez tôt; et ils ont tout le temps de le faire sans négliger pour cela les autres malades. Ils disposent de chambres confortables pour les isoler, et ils peuvent leur continuer les soins sans être forcés de trop tôt les évacuer.
Aussi, ces ambulances sont-elles devenues réellement de véritables hôpitaux et la distinction que je faisais entre eux et les nôtres s'efface de plus en plus. Toutes les grandes opérations y deviennent possibles. Elles se font, du reste, de plus en plus nombreuses et les succès opératoires également.
Ce sont, surtout, les plaies du crâne, les grandes blessures des membres qui ont le plus profité de ces changements. Et nous verrons tout à l'heure, dans un chapitre spécial, à quelles interventions elles donnent lieu. Par contre, il ne semble pas que les blessés du thorax et de l'abdomen y soient plus fréquemment opérés. Sans doute, ils bénéficient du repos, de l'immobilisation, des traitements médicaux prolongés, toutes choses qui leur faisaient autrefois défaut. Mais on ne leur ouvre ni le ventre, ni la poitrine, pour essayer d'arrêter directement l'hémorragie d'une grosse artère ou de suturer une perforation de l'intestin. L'abstention opératoire continue à être la règle. Voyons-en les résultats.
Le docteur Kendirdjy, mon élève et ami, ancien chef de clinique à l'Hôtel-Dieu, a adressé à la Société de chirurgie, un important travail sur les plaies de poitrine et de l'abdomen, basé sur 1,650 blessés qu'il a observés. Ce travail, dont j'ai eu l'honneur d'être rapporteur, est donc un document officiel, dont nous avons le droit de nous servir.
Mon collègue a relevé trente-huit cas de plaies pénétrantes de poitrine. Or, aucun de ces cas n'a été opéré. Tous, cependant, ont guéri, sauf un, qui est mort de toute autre chose que de sa blessure.
Mais alors, toutes les plaies du thorax guérissent donc? Certes non. Le plus grand nombre, le très grand nombre succombe. Car ce sont elles, qui, après les plaies de la tête, causent le plus de morts sur le champ de bataille.
Mais les blessés qui résistent, ceux qui ne succombent pas immédiatement, guérissent, la plupart du temps, sans qu'on ait besoin d'intervenir. Que de soldats avons-nous vus, qui, la poitrine traversée de part en part, sont venus à pied, au poste de secours, et n'ont présenté d'autre accident, que quelques crachements de sang, vite réprimés! Alors, à quoi bon toucher à ces malades? Chez les uns, une grosse artère, l'aorte, les branches de l'artère pulmonaire, par exemple, a été coupée, la mort est immédiate, foudroyante, et toute tentative opératoire est impossible. Chez d'autres, une petite artériole, une petite veinule ont-elles été sectionnées, la petite plaie se referme spontanément, l'hémorragie s'a-rête toute seule et l'opération est inutile.
Ce n'est pas que ces blessés, qui échappent miraculeusement à la mort, soient, plus tard, à l'abri de tout accident. Mais, c'est nous, chirurgiens de l'arrière, qui traitons ces tardives compilations. D'après mon expérience, nous les observons une fois sur trois. Et ce sont, tantôt, de nouvelles hémorragies pulmonaires qu'il nous faut arrêter; tantôt, des abcès du poumon ou des pleurésies purulentes qu'il nous faut ouvrir et drainer.
Mais depuis que les blessés sont portés plus tôt à l'ambulance, depuis qu'ils y font un séjour prolongé et qu'ils reçoivent, immédiatement et longtemps, des soins médicaux, les complications tardives deviennent plus rares et les grands blessés du thorax guérissent mieux.
On ne peut pas en dire autant des plaies de l'abdomen.
Dès le début de la guerre, on s'était abstenu de les opérer. Cette abstention représentait une sorte de dogme pour les médecins militaires, dogme qui se justifiait quand l'ambulance était mobile et qui n'avait plus sa raison d'être quand elle est devenue fixe.
Le docteur Kendirdjy rapporte, dans son travail, quarante cas de plaies pénétrantes de l'abdomen, que, systématiquement, on sest abstenu d'opérer, confiant à la bonne nature le soin de tout arranger. Or, tous ces quarante malades sont morts: cent pour cent de mortalité, tel est le funèbre bilan. Le docteur Kendirdjy s'est ému, à juste raison, devant de pareils résultats. Il a modifié certains détails de son ambulance et, bien secondé par le service des automobiles, il a pu opérer quatre nouveaux soldats atteints de plaies pénétrantes de l'abdomen. Un de ses malades a guéri. Résultat très mince, direz-vous. Je le trouve, pour ma part, très encourageant, car si cette opération avait pu être appliquée de la même façon sur les quarante malades précédents, il y en aurait eu dix de sauvés.
Ainsi donc, nos victoires font plus que garantir notre territoire. Elles garantissent aussi la vie de nos soldats, puisqu'elles diminuent le nombre de nos blessés et qu'elles nous permettent de mieux les secourir, de mieux les opérer, de mieux les guérir. (Longs applaudissements.)
(Ici, M. Baudet fait défiler quelques projections dont on lira les explications plus loin.)
Hopitaux de l'Arrière
Les projections qui viennent de défiler sous vos yeux vous ont montré comment les soldats blessés étaient conduits par les trains sanitaires jusqu'à nous. Ils étaient, tout à l'heure, sur le front; les voici, maintenant, à l'arrière. Voyons comment ils y sont hospitalisés et traités.
L'installation et l'organisation des hôpitaux de l'arrière sont bien connues de la plupart d'entre vous.
Ce sont, d'abord, les hôpitaux militaires qui continuent à fonctionner en temps de guerre, comme ils le faisaient en temps de paix. A Paris, ce sont le Val-de-Grâce, Saint-Martin, Bégin.
Ce sont tous les hôpitaux civils, principalement ceux de l'Assistance publique, vénérables berceaux de notre chirurgie française.
Ce sont toutes les maisons de santé...
Ici encore, comme avant la guerre, les chirurgiens et tous leurs assistants restent les mêmes, l'installation chirurgicale est identique. Il n'y a de nouveau... que les blessés.
Mais, voici qu'une foule de nouveaux hôpitaux ont surgi. Ce sont tous les hôpitaux auxiliaires...
Au moment où la mobilisation générale précipitait tous nos soldats à la frontière, en arrière d'eux, une autre mobilisation s'organisait. C'était celle que notre Croix-Rouge avait préparée et que le dévouement et la charité de nos Françaises allaient réaliser.
En quelques jours, grands hôtels, vides de voyageurs; grands magasins, vides de clients, se transformaient en hôpitaux. Et vous avez assisté, mesdames, que dis-je, vous avez contribué à cette admirable métamorphose. Aussi, je crois inutile de vous décrire en détail ces installations sanitaires, puisque c'est grâce à votre labeur et à votre ingéniosité que nous avons pu voir, jusque dans les hôtels particuliers, les luxueux salons devenir de confortables dortoirs et les chambres à coucher d'élégantes salles d'opération.
Mais ce que je tiens à vous dire, c'est combien ces hôpitaux improvisés offrent au chirurgien un attrait et un charme nouveaux!
Ce n'est plus, comme dans nos hôpitaux habituels, dans la salle des malades, la froide et régulière alternance des lits, qui semblent fuir devant notre regard... C'est, au contraire, un groupement pittoresque et joyeux, que notre oeil caressé embrasse d'un seul coup.
Sans doute, ils abritent aussi bien des douleurs et bien des angoisses... Mais, ici, les douleurs s'apaisent vite et les angoisses se rassurent.
Et c'est, comme l'a dit M. le ministre Georges Trouillot, d'une façon si poétique et si touchante:
C'est comme un lait très doux, qui coule dans les [veines. On a vu s'envoler toutes les frayeurs vaines... Et c'est la renaissance après de longs émois.
Il semble, en effet, que, dans ces salles qu'animent la grâce recueillie et la bienfaisance, gentiment coquette, de nos infirmières, il y ait comme de la joie et comme des sourires qui volent autour de nos blessés. Il semble qu'une lumière plus douce mette sur tous ces visages plus de bonheur et plus de sérénité...
Certes, j'ai le culte de mon hôpital Saint-Louis, mais j'avoue ma faiblesse pour ces ambulances improvisées. Et je les aime, comme on aime son dernier enfant, le gracieux nouveau-né qu'on n'attendait plus. (Vifs applaudissements.)
Quittons la salle des malades et passons à la salle d'opération.
La plupart des blessés qui viennent d'arriver ont déjà subi un traitement. Mais que de retouches à faire!
A la tête, c'est une paralysie méconnue oU négligée, qu'il faut faire cesser, par une trépanation.
A la poitrine, une suppuration du poumon et de la plèvre, qu'il faut ouvrir.
Aux membres, des gangrènes ou des infections graves, qu'il faut enrayer: des os brisés, dont il faut diriger la consolidation; des nerfs coupés, qu'il faut recoudre. C'est, enfin, la longue série des corps étrangers qu'il faut extraire.
Ne vous attendez pas, cependant, à ce que je vous fasse, en détail, la description de toutes ces opérations. Je préfère, dans cet aperçu général, sur la chirurgie de l'arrière, m'en tenir à quelques tableaux très courts mais bien choisis. Aussi vais-je, maintenant, vous exposer, dans quatre chapitres successifs, 1° les gelures, 2° les infections générales graves, 3° les amputations, 4° les trépanations.
Les Gelures
En cette saison, les gelures sont vraiment un sujet d'actualité.
Mais ce ne sont pas des gelures, en général, que je veux parler: c'est d'une forme bien spéciale, qu'on a appelée gelures ou froidures des tranchées.
En les désignant ainsi, on a voulu les distinguer des autres accidents provoqués par des froids très rigoureux, accidents qui siègent aux mains et au visage, aussi bien qu'aux pieds.
Les gelures que nous observons ne frappent que les pieds. Et, c'est après un séjour prolongé dans la neige, dans la boue ou l'eau glacées, qui montent jusqu'aux chevilles, jusqu'aux genoux, qu'elles se déclarent.
Mais est-ce bien l'eau et la boue qui sont responsables? N'est-ce pas le soulier qui se racornit en séchant et qui étrangle les chairs progressivement? Important problème, qui a suscité, à l'Académie, de doctes discussions et que les journaux ont exposé gravement à leurs lecteurs. Aussi, tout le monde peut-il avoir son opinion faite sur ce sujet et je m'excuse d'avance, si la mienne n'est pas conforme à la vôtre.
Je crois à l'action de l'eau glacée, de la neige, de la boue. Je suis pour le froid, contre le cuir trop rétréci et le lacet trop serré. Si la chaussure joue un rôle, ce ne peUt être qu'un rôle adjuvant.
Nous l'avons bien vu pendant les hivers rigoureux de 1891 à 1893. J'étais alors interne à l'Hôtel-Dieu. Nous recevions, tous les jours, de nombreux malades dont les pieds étaient gelés et qui inspirèrent, alors, les savantes leçons de mon maître, le professeur Duplay.
C'étaient les mêmes accidents que ceux d'aujourd'hui. Mais les tranchées n'en étaient pas la cause: c'étaient la boue des rues et l'eau glacée du ruisseau... Les victimes n'étaient pas des soldats robustes, aux souliers bien ajustés. C'étaient des miséreux, des gueux, dont les chaussures, flasques, larges et trouées, semblaient décliner d'avance toute responsabilité.
Comme les brûlures, les froidures ont des degrés. C'est, d'abord, un gonflement violacé de la peau; ce sont, ensuite, des phlyctènes roussâtres qui apparaissent. Tout peut s'arrêter là et rentrer dans l'ordre. Mais, au troisième degré, c'est la gangrène. Gangrène d'abord limitée, gangrène d'abord très superficielle. Puis, gangrène massive, gangrène totale. Et alors tous les orteils, la moitié du pied, le pied tout entier peuvent tomber.
Aussi, pour prévenir ces graves accidents, convient-il, dès le début, de prescrire aux soldats certaines précautions: les faire déchausser, dans les tranchées, au moins deux fois par jour, ce qui est, jusqu'ici, rigoureusement défendu; leur faire sécher les pieds; les leur faire frictionner avec de l'alcool ou toute autre lotion excitante; les ranimer et leur rendre leur mobilité par des massages. Puis, lorsque le pied a retrouvé sa chaleur, que l'engourdissement a cessé, recouvrez-les avec un corps gras: la vaseline, le vulgaire suif, sont d'excellents préservatifs contre l'humidité et le froid.
Lorsque la gangrène s'est déclarée, faut-il amputer de suite, faut-il attendre?
Il faut attendre. Vous ne pouvez mesurer ni l'étendue de la gangrène, ni sa profondeur. Vous vous exposez, en coupant trop tôt, à couper trop ou pas assez.
Mais lorsque la gangrène a frappé en masse tout un pied, et que la séparation entre le vif et le mort se marque par un sillon rouge et suppurant, il est inutile d'attendre plus. La gangrène est là, certaine, inévitable. Hâtez son uvre par une amputation. Vous gagnerez du temps et préviendrez peut-être beaucoup de complications.
Voici un curieux exemple de ces gangrènes massives.
Tiendo Dalogué est un vaillant Sénégalais qui, cet hiver, a séjourné dans les tranchées. Depuis quelques jours, il s'étonne que ses pieds soient douloureux et engourdis, mais il reste à son poste. Les douleurs augmentent, les chairs gonflent, des phlyctènes apparaissent, la marche est pénible. Tiendo continue à se battre.
Bientôt, la gangrène apparaît. Les orteils se dessèchent et ne remuent plus... Ces jours-là, les Allemands ne cessent de nous attaquer.
Il y a bon, dit Tiendo, qui oublie ses douleurs, ignore ses gelures, et charge avec les camarades.
Mais, au bout d'un mois, un mois, vous entendez? il tombe, vaincu non pas par la souffrance, mais par la paralysie. Ses pieds refusent de le porter. On l'enlève de force et on le conduit dans notre hôpital.
Les deux pieds sont gangrenés. Le gauche, à moitié; le droit, jusqu'à la jambe. Les chairs, mortes et suppurantes, commencent à se détacher.
Je m'apprête à les couper. Tiendo refuse. Couper les pieds! mais, dans son pays, c'est la marque infamante qu'on inflige aux lâches qui ont fui devant l'ennemi!
J'attends. Mais, cinq jours plus tard, Tiendo comprend que le sacrifice est inévitable. Lui-même le réclame. Et les deux pieds tombent sous le couteau.
Et voilà donc, mutilé à jamais, cet humble soldat, digne de l'antique, qui fut aussi stoïque devant le froid, que Mucius Scae-vola devant le brasier, héros à qui Bara-tier eût certainement consacré une page dans son livre de L'Epopée Africaine. (Longs applaudissements.)
Les Infections Graves Tétanos Gangrène Gazeuse
Le plus dangereux ennemi pour une plaie, c'est l'infection, c'est le microbe.
Il pénètre, avec la baïonnette ou la balle: mais surtout, avec les obus. Certains obus, en effet, ne volent en éclats, qu'après avoir touché le sol. Ils soulèvent, comme en une véritable gerbe, des fragments de terre ou de gazon, qu'ils entraînent avec eux dans nos chairs. Or, tous les corps étrangers sont des porteurs de germes très virulants. Certains sols cultivés, engraissés au fumier de cheval, sont particulièrement dangereux, car ils renferment en abondance le bacille du tétanos et le vibrion de la gangrène gazeuse. Et dans les chairs contuses, infiltrées de sang, d'éclats d'obus, les microbes trouvent un terrain merveilleux pour se développer et pour préparer la mort.
Et cependant, combien il serait facile de les déloger! Il suffirait de pratiquer tout de suite, dès le premier pansement, ces larges débridements, dont j'ai déjà parlé, ces nettoyages rigoureux, ces drainages, et ces canalisations de liquides infectés.
C'est la tâche la plus importante et la plus pressante de l'ambulance, et si elle y faillit, rien n'arrêtera désormais l'invasion microbienne.
C'est ce qui se produit dans les cas de tétanos et de gangrène gazeuse. Nous les avons vus se manifester, avec une fréquence navrante, pendant les deux premiers mois de la guerre. La retraite quotidienne de nos armées paralysait l'action des chirurgiens d'ambulances, et c'était nous, chirurgiens de l'arrière, qui, le troisième, le cinquième jour, quelquefois plus tard, procédions aux premiers nettoyages des grands blessés. Mais, il était trop tard, et le tétanos ou la septicémie gazeuse nous prenaient de vitesse.
Le tableau du tétanos vous est certainement connu. Vous avez vu ces malades, qui, deux jours, cinq jours après leur blessure, éprouvent brusquement un serrement douloureux des mâchoires. Leur nuque se raidit; leur tronc s'incurve en arrière; puis, par instants, leurs membres sont animés de secousses brèves, rapides et si fortes, qu'elles agitent et font vibrer le lit du blessé.
C'est le microbe, découvert par Nicolaïer, le bacille de Nicolaïer (tel est son nom), qui provoque le tétanos. C'est un petit bâtonnet, renflé en bouie à l'une de ses extrémités. Aussi le compare-t-on à une épingle, à une virgule, à une baguette de tambour. Il vit dans la vase des marais. Il habite aussi lintestin du cheval: il en sort avec ses déjections. C'est pour cela que les terrains de culture, la terre des jardins sont si dangereux ; ainsi s'explique l'expression, origine équine du tétanos.
Lorsqu'il a pénétré dans une plaie, il s'y multiplie sans en sortir, sans se disséminer dans le sang. Il vit et meurt sur place. Il a, du reste, cela de commun avec un autre bacille, « redouté des mères à genoux », le bacille de la diphtérie, celui de l'angine couenneuse et du croup. Ce n'est donc pas par lui-même qu'il tue, mais par les poisons qu'il fabrique.
C'est sa toxine, qui passe dans le sang et remonte jusqu'au cerveau, qu'il excite d'abord et qu'il paralyse définitivement.
Or, quand ce poison a pénétré dans l'intérieur des éléments nerveux, dans l'intérieur des cellules cérébrales, rien ne peut l'en déloger.
Notre illustre Roux, directeur de l'Institut Pasteur, avait cru, sur la foi d'expériences pourtant bien conduites, que le sérum antitétanique, injecté directement dans les centres nerveux, pourrait en chasser la toxine ou la neutraliser, et que ce sérum, bien connu de vous tous, comme le remède préventif du tétanos, pourrait aussi devenir son remède curateur. En effet, ce fut une des grandes émotions de ma carrière, lorsqu'en 1896, étant interne de M. le professeur Quénu,. je vis mon maître, en présence de Roux et des savants de l'Institut Pasteur, pratiquer, chez un tétanique, une double trépanation et injecter directement dans le cerveau quelques centimètres cubes de ce sérum.
Et puis, quelle autre émotion encore, quand le malade fut guéri! Quand nous crûmes que le tétanos était définitivement vaincu!
Hélas! notre joie fut de courte durée. Le malade, guéri peut-être par l'injection, eût sans doute guéri par toute autre médication. Ces mêmes injections cérébrales, répétées, depuis, sur d'autres tétaniques, échouèrent.
Il n'y a donc pas de remède curateur, de remède spécifique. Il n'y a de vraiment actif que le remède préventif, le sérum antitétanique. Tous les autres, que vous entendez prôner, amputations, injections d'acide phénique, chloral, etc., ne guérissent que les cas de tétanos bénin; mais le tétanos aigu, le tétanos à marche rapide, à part quelques cas inexplicables, rien ne l'arrête.
C'est au moment même où le soldat vient d'être blessé, qu'il faut injecter, sous la peau du ventre, les dix centimètres cubes de sérum antitétanique. Si vous la faites deux jours, trois jours après, c'est trop tard. Au début de la guerre, bien des oublis, bien des erreurs ont été commis. Ils ne se renouvellent plus. Tous les soldats blessés par une balle de shrapnel, ou par un éclat d'obus, c'est-à-dire par tous les projectiles qui ont pu toucher le sol, sont immédiatement vaccinés. Aussi, le tétanos disparaît-il de nos ambulances, comme nous l'avions déjà fait disparaître dans nos hôpitaux civils.
Par contre, aucun sérum préventif ne peut empêcher l'explosion de la septicémie gangreneuse ou gangrène gazeuse.
Son bacille, comme celui du tétanos, vît dans la terre; mais ce microbe n'est pas toujours le même, autrefois on n'incriminait que le vibrion septique de Pasteur; aujourd'hui, on reconnaît que le bacillus perfrin-gens produit aussi les mêmes désastres.
Tous les deux, comme le bacille du tétanos fuient l'air et la lumière. C'est qu'en effet l'oxygène les tue. C'est pour cela qu'ils se développent dans les plaies très étroites, celles qui succèdent à une simple piqûre. Et s'ils arrivent à germer dans les plaies larges, c'est qu'ils ont pu s'abriter au fond de tortueux clapiers, où l'air n'a pu pénétrer.
C'est ce qui vous explique pourquoi nous pratiquons de larges débridements et que nous faisons de grands lavages à l'eau oxygénée.
Le microbe ne tue pas par ses poisons, comme le bacille de Nicolaïer. Il tue par lui- même. Il se précipite dans le sang, il y pullule. Il détruit les globules... II crée cet état morbide, que nous appelons la septicémie.
Déjà, quelques heures après la blessure, le membre blessé gonfle brusquement.- Aussi, le malade croit-il que son pansement est trop serré.
La peau, d'abord luisante et livide, se marbre de taches brunes qui, en se réunissant, produisent une teinte uniforme, caractéristique, couleur feuille morte, ou bronze florentin.
Palpez le membre, il crépite sous votre doigt; vous sentez des bulles gazeuses courir sous la peau. Elles sont, parfois, si nombreuses, que votre oreille perçoit comme une sorte de bouillonnement.
Au bout de quarante-huit heures, la gangrène apparaît. Les chairs se décomposent et tombent en larges lambeaux. La septicémie gazeuse est devenue de la septicémie gangreneuse. Puis, la fièvre monte, la respiration s'embarrasse, et le malade meurt, mais avec toute sa connaissance, conservant jusqu'à la dernière minute une quiétude et un calme effrayants.
Sans doute, il y a des gangrènes gazeuses qui ont une marche moins rapide et que l'on arrête par des cautérisations profondes, et par des débridements étendus, mais la grande septicémie tue malgré tous les traitements. Seule, l'amputation faite à la première heure, aussitôt que les bulles gazeuses se montrent, sauve quelques malades.
Son nom, son existence même ont surpris beaucoup d'entre vous. Et cependant, chirurgiens civils ou militaires, nous l'avons combattue de tout temps.
A l'hôpital, chez les terrassiers, écrasés dans un éboulement ; les employés de chemin de fer, broyés sous un wagon; le paysan, pris dans l'engrenage d'une machine agricole.
Pendant les guerres du premier Empire, ou de Crimée, quelles hécatombes n'a-t-elle pas faites!
Il y a soixante ans, après la bataille de l'Aima et la prise de Sébastopol sur les Russes, « que les temps sont changés! », Salleron, chirurgien-major de l'hôpital de Dolma-Bagtché, voyait, en un seul jour, soixante-cinq amputés mourir de gangrène gazeuse. C'est qu'en effet, cette infection compliquait aussi bien les plaies opératoires que les plaies de guerre.
C'est ce que l'on vit aussi en 1870. A cette époque, le tétanos et la septicémie gazeuse décimaient nos blessés. Et quand ce n'était pas l'obus allemand, c'était le bistouri du chirurgien qui lui ouvrait les portes.
Plus heureux aujourd'hui, nos soldats, en culbutant sur la Marne nos ennemis, ont permis désormais aux médecins militaires d'appliquer aux blessés des soins plus méticuleux et de les mettre à l'abri de ces redoutables infections.
C'est ainsi qu'aujourd'hui, la victoire est funeste à tous nos envahisseurs, quels qu'ils soient. Et bacilles du tétanos ou vibrions septiques, Prussiens ou Bavarois, nous leur barrons la route. (Longs applaudissements.)
Amputations
Il n'y a pas de spectacle plus impressionnant qu'une amputation, c'est-à-dire la section, faite de propos délibéré, d'un bras, d'une jambe, d'une cuisse. Pour certain public, c'est l'opération dramatique par excellence. Dès le début de la guerre, on nous abordait en nous disant:
Faites-vous beaucoup d'amputations? Docteur, je voudrais voir une amputation!
C'est, en effet, une forte émotion pour le spectateur, de voir tomber en quelques secondes, comme sous le déclic de la guillotine, le quart, la cinquième partie d'un être humain. C'est une émotion différente, mais aussi pénible pour le chirurgien, d'être l'acteur de ce drame, l'auteur de cette mutilation forcée, qui, d'un seul coup, supprime tout un organe, toute une fonction. Il n'y a là, du reste, rien de triomphant pour notre amour-propre. C'est l'aveu implicite de notre impuissance à guérir le mal; c'est l'aveu de notre défaite.
Aussi, ne faut-il amputer qu'à la dernière extrémité.
L'indication par excellence, c'est celle qui s'applique à un membre gangrené, par conséquent à un membre déjà mort. Comme il n'est plus en notre pouvoir de lui rendre la vie, supprimons-le.
C'est ce qui se produit, lorsqu'une balle emporte et déchire l'artère principale du membre qu'elle est chargée de nourrir. Voici un exemple:
Le sergent D... a eu la cuisse droite traversée par un éclat d'obus. Aussitôt, une forte hémorragie se déclare; le blessé tombe en défaillance, mais revient à lui. Il rentre à notre hôpital. Sa cuisse est volumineuse et tendue. Le pied est déjà froid et insensible. Il est certain que l'artère fémorale a été coupée.
J'incise en pleine cuisse. Le sang jaillit avec une telle force que les assistants s'écartent. Vite, j'enfonce mes doigts au fond de la plaie, j'écrase l'artère. Le sang s'arrête. Puis, prudemment, lentement, j'insinue une longue pince et je saisis le vaisseau. Toute crainte d'hémorragie est désormais conjurée.
Mais, le lendemain, la gangrène, qui avait commencé, progresse. Il est évident que le membre inférieur droit a cessé de vivre jusqu'au genou. J'en ai sous les yeux l'irréfutable preuve. Je puis, en toute conscience, proposer et pratiquer l'amputation.
Voici une nouvelle indication:
Il s'agit d'un malade dont le poignet a été fracassé par un obus. Déjà, une septicémie gazeuse commence à se déclarer... Ce n'est plus seulement le membre supérieur qui est menacé de mort: c'est tout l'organisme, c'est l'être tout entier. Il n'y a qu'une seule chance de le sauver, c'est d'amputer.
Mais à part ces cas acceptés par tout le monde, tant qu'un membre est vivant, tant que la vie du malade n'est pas menacée, je condamne et je réprouve toute amputation. (Longs applaudissements.)
Voici comment on l'évite. J'ai déjà parlé de ces malades dont les membres ont été broyés par un obus, et qui, négligés pendant les premiers jours, nous arrivent fiévreux, le teint pâle et terreux, leur plaie recouverte d'une abondante suppuration.
Allons-nous, effrayés de ce triste tableau, faire cesser le mal, en supprimant le membre? Nous avons un autre devoir. Il faut endormir le malade. Il faut, comme je l'ai déjà dit, et comme cela aurait dû être fait, débrider largement les plaies, les nettoyer, les désinfecter, les laisser ouvertes.
Il faut, tous les jours, deux fois, trois fois par jour, si c'est nécessaire, renouveler les pansements; il faut les faire longs, méticuleux, méthodiques, et, si le résultat tarde à se montrer favorable, il faut reprendre le bistouri, et pratiquer de nouvelles retouches.
Il ne faut pas, pendant toute cette période d'attente, confier notre tâche à un aide, quelle que soit notre confiance en lui. C'est notre devoir de conserver toute l'initiative du traitement, puisque c'est à nous qu'appartient toute la responsabilité. Je sais bien que nous aurons une longue lutte à soutenir.
Contre le mal, qui malgré tous nos pansements, malgré nos opérations répétées, résiste et repart quelquefois, avec une nouvelle violence.
Contre nos aides, dont la confiance baisse et dont les doutes ébranlent momentanément notre assurance.
Contre le malade, à qui chaque nouveau pansement rappelle les précédentes souffrances, et qui nous supplie de ne plus le toucher.
Contre nous-même, enfin, inquiet du mal qui se prolonge, et du malade qui s'affaiblit.
Il faut tenir bon, contre tout, contre tous, contre nous-même. La guérison du malade est à ce prix, et c'est à ce prix que l'amputation sera évitée. (Longs applaudissements.)
Plaies de Tête
Nous avons vu que les plaies de tête étaient la cause de mort la plus fréquente sur le champ de bataille. Mais, toutes les plaies de tête ne tuent pas: quelques-unes, même, n'entraînent aucun accident.
Les plaies qui tuent sont d'abord celles qui déterminent une vaste perte de substance du crâne et du cerveau, celles que produisent les gros éclats d'obus. La mort, dans ce cas, est instantanée. Il faut avoir une tête exceptionnelle pour résister. J'ai soigné un Allemand, au début de la guerre, dont un tiers de la boîte crânienne avait sauté, dont un quart du cerveau s'était effrité peu à peu dans le pansement. Il vécut cependant une quinzaine de jours.
Certaines balles de fusil, tirées de très près, en pénétrant dans le crâne, ne font qu'un tout petit orifice; mais, en sortant, elles font voler en éclats le couvercle crânien et le cerveau est réduit en bouillie.
Mais il y a de très petites plaies du cerveau qui tuent immédiatement, lorsqu'elles siègent sur certains points très précis et très vulnérables, le bulbe par exemple, c'est-à-dire le point de jonction entre le cerveau et la moelle, derrière la nuque, région si importante pour la vie qu'on l'a nommée, à juste titre, le nud vital.
Enfin, une dernière cause de mort rapide, c'est l'hémorragie. Il suffit qu'un gros vaisseau cérébral ait été sectionné pour que le sang épanché comprime progressivement le cerveau, l'étouffé en quelque sorte et en fasse cesser le fonctionnement.
Mais beaucoup de blessures cérébrales ne compromettent nullement la vie du blessé, du moins immédiatement. Ce sont celles qui intéressent les zones neutres, certaines régions de l'extrémité antérieure ou postérieure du cerveau. Bien mieux, elles ne se révèlent par aucun trouble ni de l'intelligence ni du mouvement, et après une phase d'étourdissement, le blessé peut marcher et se diriger tout seul vers l'ambulance.
En général, les blessures restent rarement silencieuses. Elles déterminent des paralysies limitées à un côté du corps, au côté opposé à celui de la blessure: paralysies de la face, du bras ou de la jambe.
Ajoutez-y la paralysie de la parole. Le malade comprend ce qu'on lui dit, sait parfaitement ce qu'il veut dire, mais ne peut arriver à l'exprimer en parlant. C'est l'aphasie.
Il est d'autres accidents un peu plus tardifs, mais beaucoup plus graves. Je veux parler de la méningite et de l'abcès cérébral.
La plaie cérébrale a été souillée par les cheveux, par des débris du képi, par de la terre, entraînés par le projectile. L'infection, dans ce cas, se produit assez vite et détermine tantôt une suppuration limitée, un abcès cérébral, ou bien une suppuration généralisée, une méningite, méningite dont vous connaissez la fatale terminaison.
Or, les paralysies, nous pouvons les guérir, les infections cérébrales, nous pouvons les prévenir par la trépanation. Voici ce que l'on doit faire.
Il faut, sitôt que l'accident s'est produit, inciser largement le cuir chevelu pour découvrir le trou osseux creusé par le projectile.
Cet orifice a des bords irréguliers, anguleux, des fissures, comme celles qui se produisent sur une vitre brisée. Il faut abra-ser toutes ces dents, tous ces festons et créer une large brèche, mais lisse et régulière.
Il faut exposer largement le foyer cérébral contus et transformé en une bouillie sanguinolente, il faut le débarrasser de tous les corps étrangers et de toutes les esquilles qu'il contient.
Un tel nettoyage, fait assez tôt, non seulement conjure la suppuration et écarte la méningite, mais il facilite la réparation, la cicatrisation du centre cérébral déchiré. Les parties encore saines reprennent leur action, momentanément suspendue et il n'est pas rare de voir la paralysie s'améliorer ou guérir.
Un exemple heureux vous précisera mieux les résultats de cette opération.
X... a été blessé par une balle au côté gauche de la tête et a présenté, presque aussitôt, une paralysie des membres supérieur et inférieur droits.
A son entrée à l'ambulance, il eut la chance d'être opéré de suite par un de mes collègues des hôpitaux, qui nettoya sa blessure et retira deux ou trois esquilles et le projectile.
Néanmoins, quand le blessé entra dans mon service de Saint-Louis, il était incomplètement guéri. La paralysie persistait et, depuis quelques jours, il présentait de très forts accès de fièvre...; la méningite paraissait imminente.
Je lui fis une seconde opération, plus large, plus minutieuse. Je pus retirer onze petites esquilles osseuses, minuscules, incluses encore dans la matière cérébrale. Ce supplément de toilette fit cesser la fièvre et la paralysie.
De telles opérations, ainsi conduites, ne sont pas des trépanations. C'est qu'en effet, nous avons renoncé aux petites ouvertures, faites par le trépan; nous creusons de larges brèches, avec des ciseaux à os, des pinces gouges, qui mordent le crâne et l'emportent morceau par' morceau.
Le trou foré par le trépan est vraiment trop étroit et, pour arriver exactement sur la lésion cérébrale, il faut s'y reprendre à plusieurs fois, et on l'évite, en faisant, d'un seul coup, ce que nous appelons: la cra-niectomie.
L'histoire raconte qu'un chirurgien anglais, Chadborn, ayant à traiter un soldat blessé d'un coup de feu et paralysé après sa blessure, fut obligé d'appliquer vingt-sept fois la couronne de trépan, avant de découvrir le caillot sanguin qui comprimait le cerveau. Mais après la vingt-septième trépanation, l'obstination du chirurgien et le courage du blessé étaient récompensés. La paralysie était guérie, le malade était sauvé, et ce malade était Philippe de Nassau.
(Ici, M. Baudet fait encore défiler quelques projections de radiographie et donne les explications qu'on lira aux pages suivantes.)
Après vous avoir parlé si longtemps des blessures de guerre et des blessés, il serait injuste de ne pas dire un mot des médecins, non pas des médecins qui sont à l'arrière, mais de ceux qui sont sur le front.
Dans cette meurtrière et glorieuse campagne, où les actes de bravoure ont été si éclatants, mais si nombreux, qu'ils s'effacent en quelque sorte les uns les autres, les chirurgiens de nos armées ont su faire leur devoir, avec leur abnégation habituelle; mais ils l'ont fait aussi courageusement: en soldats. Soit en allant ramasser les blessés sur la ligne de feu, soit en continuant à les soigner au poste de secours, malgré les obus; soit en restant volontairement prisonniers avec eux, à l'ambulance, ils n'ont pas craint de s'exposer aux mêmes blessures. Leurs noms sont inscrits au Livre de nos armées. Voici quelques citations:
« Clunet (Pierre), major de 2e classe, a fait preuve de courage et de sang-froid, en allant, le 29 décembre, avec une équipe de brancardiers, ramasser, à 50 mètres des tranchées ennemies, le corps d'un officier et de deux soldats tués. A réussi, malgré un clair de lune gênant et dangereux, à ramener son détachement, sans perdre un seul homme. »
« Romieu, major de 2e classe. Brillante conduite du 14 au 28 août. Le 3 septembre, apprenant que son chef de corps venait d'être grièvement blessé, est venu au galop de son cheval sur la ligne de feu, sans s'inquiéter de la mitraille qui faisait rage, pour essayer de l'arracher à la mort. »
« Lutaud, major de 2e classe de réserve. Dans la journée du 8 octobre, a fait preuve d'un grand dévouement et d'un grand courage. A pansé les blessés sur la ligne de feu et n'a abandonné son poste de secours, en flammes, en emmenant tous ses blessés, que lorsque le feu, provoqué par le bombardement, eut rendu la position absolument intenable. »
C'est encore Patris de Broé, qui « fait preuve d'une activité et d'un mépris du danger exceptionnels dans l'organisation et la direction du service de l'ambulance, et qui a eu successivement ses deux chevaux tués sous lui ».
Il y a ainsi cent cinquante-cinq citations. Mais tous les morts n'ont pas été glorifiés, toutes les blessures n'ont pas été récompensées. Car, sur six mille cinq cents médecins qui sont au front, plus de cent sont morts, sept cents ont été grièvement blessés et treize cents en tout, c'est-à-dire le cinquième, ont été mis hors de combat.
Avec tous les actes de générosité et de dévouement des femmes françaises, tant de bravoure ou d'héroïsme chez nos blessés et nos médecins sont bien faits pour adoucir toutes les tristesses qu'évoque une journée de chirurgie de guerre.
Je dis: adoucir seulement, car, pour nous les faire oublier, il n'y a qu'une seule chose: la victoire. (Longs applaudissements et nombreux rappels.)
Docteur Baudet