de la revue ‘Je Sais Tout’ No. 121 de 15 décembre 1915
'Hôpitaux Mixtes
et Hôpitaux Temporaires'

Evacuation des Blessés

deux peintures de Gervex

 

Les Hopitaux

Quand on songe qu'il y a des femmes qui ont des enfants, une maison, des intérêts et des affections,et que, depuis dix-sept mois, ces femmes ne sont venues chez elles que pour un seul repas dans la journée, que certaines d'entre elles n'ont pas pris un jour de congé, qu'elles ont tout accepté, la discipline, les besognes répugnantes et la terrible fatigue pour la femme de rester debout une grande partie de la journée; qu'elles n'ont recueilli de tant de dévouement que, parfois, d'un côté trop d'affection de leurs blessés, que, de l'autre, le sourire de ceux qui trouvent que ces dames de la Croix-Rouge font « du chichi », vraiment on a le droit d'admirer à la fois tant d'abnégation et de s'indigner de tant d'ingratitude.

En effet, en dehors de l'armée qui les admire et les respecte, les femmes des trois grandes sociétés de la Croix-Rouge, société de Secours aux blessés militaires, Femmes de France, Dames françaises, n'ont pas toujours trouvé auprès de la population civile la sympathie reconnaissante à laquelle elles avaient droit. On leur reprochait d'aller en auto militaire (Ah! que ce reproche stupide de voyager en auto réquisitionnée aura arrêté d'initiatives!), on leur reprochait leur élégance, leur urbanité, leur rondeur. Mais, outre que seuls les blessés soignés par elles auraient droit de critiquer leur façon d'agir, ce genre de reproche m'a toujours paru singulier chez des femmes qui, depuis le 2 août 1914. n'ont rien changé à leurs petite habitudes, à leur thé et qui n'ont supprimé le tango que faute de tangueurs!

Certes, il y a eu, autour des premiers blessés, bien des snobismes, bien des vanités enfantine, bien des ridicules. Mais, au bout de six mois, les belles blondes oisives et les brunes rêveuses qui n'étaient venues à l'hôpital temporaire que parce que l'uniforme de la Croix-Rouge leur seyai bien, ont déserté les salles de veilles. Ah! ce n'est pas une sinécure d'être infirmière. Aux heures où la bataille de l'Yser, où l'offensive de Carency et celle de Souain, encombraient les hôpitaux, il fallait un cœur solide, des bras musclés, une bonne volonté à toute épreuve pour résister.

Mme Yvonne Sarcey a dit fort justement ce qu'il convenait, à ce propos. Celles pour qui le métier d'infirmière était un jeu y ont renoncé au bout de six mois. Alors, les véritables infirmières se sont trouvées entre elles; et celles qui sont là depuis quinze ou dix-sept mois ont maintenant à la fois l'expérience et l'endurance nécessaires.

Les Hopitaux Mixtes

La plupart des villes de garnison de province ont un hôpital mixte, civil et militaire, administré par une commission civile pour les salles civiles. Dès le mois d'août 1914, la plupart des salles civiles furent réquisitionnées par l'autorité militaire. La salle d'opération fut mise aux mains des majors. D'ordinaire, on ne laissa pour la population civile, en vue de cas urgents, qu'une petite salle pour les hommes et qu'une petite salle pour les femmes.

Dans ces hôpitaux mixtes, on a laissé à leur tâche les infirmières religieuses ou laïques en leur adjoignant des infirmiers de la section afférente au corps d'armée. Depuis quelques mois, ces infirmiers font tous partie des services auxiliaires. Des majors appartenant à la réserve ou évacués du front assurent la direction du service. Des circulaires ont prévu que ces majors ne soient pas des médecins mobilisés appartenant à la région où ils exerçaient.

C'est eux qui ont été chargés de certaines opérations, non seulement sur les blessés, mais encore sur des hommes reconnus aptes au service armé par le conseil de revision de décembre 1914, qui visita les exemptés et réformés.

Ces opérations concernaient les ablations d'hernies et les paquets variqueux.

Un coiffeur jadis exempté, et qu'une opération chirurgicale (ablation d'un paquet variqueux) rendait apte au service armé et envoyait au front me déclarait:

— Quelle chance! me voilà gaillard! Je pais courir tout comme un autre et l'on m'a fait, pour rien, une opération qui, dans le civil, m'aurait coûté au moins mille francs.

On opéra également, avant le départ pour les tranchées, un certain nombre « d'orteils en marteau » et « d'ongles incarnés ».

En septembre 1915, les docteurs Picot et Benoit, à l'hôpital du Collège, au Blanc (Indre), ont pratiqué une opération qui restera célèbre dans les annales chirurgicales.

Le soldat Louis Rochet, du 68e, avait été évacué du front pour appendicite. Il n'avait aucune blessure. L'intestin ouvert, on y trouvait un éclat d'obus,gros comme un œul de pigeon. Rochet contait que, pendant un bombardement allemand, lui et ses compagnons avaient mangé la soupe au milieu des éclats d'obus. Sans doute un morceau d'acier, provenant d'une marmite boche, avait-il pénétré dans la marmite du potage et, dans un pareil moment, Rochet n'y avait pas regardé de si près. Il s'était contenté de dire:

— Je crois que le cuistot n'a pas désossé le pot-au-feu aujourd'hui?

En réalité, les hôpitaux de l'arrière, après les premiers mois de guerre, ont eu peu d'amputations à faire et la mortalité y a été très réduite. Encore faut-il considérer que les décès y ont eu plus souvent pour cause des épidémies — vite enrayées — que des suites de blessures de guerre.

Nous avons eu peu de mortalité chez nos blessés à l'arrière.

Les Hopitaux Temporaires

C'est en septembre 1914 que les hôpitaux auxiliaires et temporaires s'organisèrent rapidement. Un certain nombre avaient commencé à vivre, surtout à Paris, au mois d'août, mais ce fut surtout après la bataille de la Marne qu'on s'aperçut de la nécessité de créer rapidement des locaux nouveaux. Grâce au concours des municipalités, à de nombreuses libéralités privées et à la forte organisation des trois sociétés de la Croix-Rouge française, ces hôpitaux furent installés en peu de temps et dans la plupart des cas dans des conditions excellentes. A côté des infirmières diplômées de la Croix-Rouge, de nombreux concours furent offerts et il n'est pas une petite ville de province qui n'ait plusieurs hôpitaux temporaires.

En réalité, dans ces organisations sanitaires formées pour la durée de la guerre, il y a lieu de distinguer les salles de repos et les infirmeries des gares, les hôpitaux auxiliaires et les stations de convalescents.

Tout le monde connaît les salles de repos et de garde des gares où veille un personne d'infirmiers et de dames. On y trouve, à toute heure du jour et de la nuit, les objets nécessaires au renouvellement des pansements, du lait, du bouillon, le matériel et le personnel nécessaires au transport des blessés, en un mot tout ce qu'il convient d'avoir en vue de soins urgents et de traitements provisoires. Les jours où doivent passer de grands trains sanitaires, les infirmières des gares sont avisées afin de pouvoir fournir des repas chauds et convenables aux blessés assis. Ces infirmeries n'ont jamais manqué de rien et les soldats blessés ou malades ainsi que les réfugiés ont trouvé auprès d'elles des secours rapides.

Une autre œuvre, la Croix-Verte, a pour but de venir en aide aux convalescents et aux hommes envoyés en permission, originaires des régions envahies, qui n'ont plus aucun parent pour les accueillir.

Les hôpitaux temporaires eurent quelque difficulté à s'organiser au début. Non, certes, que le personnel leur ait jamais fait défaut, mais on manquait de matériel. Les maires firent appel à la générosité de leurs administrés: l'un donna un lit et son sommier, un autre des couvertures, un autre des draps, celui-ci des cuvettes et celui-là la table. On vit des lits de tous les styles voisiner dans les salles. Qu'importait! La récolte fut abondante et ceux qui n'avaient pas de matériel à offrir offraient de l'argent. Il est vrai que, pendant les premiers mois, on eut à l'arrière grand'peine à se procurer du matériel neuf. Les magasins avaient été assaillis de demandes; les manufactures n'expédiaient plus. Le lit fer et cuivre, le plus commode pour les installations sanitaires, faisait prime.

Pour les salles, on utilisa tour à tour les écoles —, depuis, et dans la mesure du possible, on a dû évacuer les locaux scolaires, — les chapelles, les immeubles vacants. Ici, c'est le collège qui a donné ses classes, là c'est l'ancienne abbaye, des salles de musées, des salles de justice de paix, des immeubles de congrégations, des patronages, et souvent des châteaux mis gracieusement à la disposition des malades par leurs propriétaires; les monuments historiques, dans bien des chefs- lieux, ont pris une destination hospitalière. Les locaux sont comme le matériel hétérogènes et disparates; mais, partout, c'est le même sentiment et la même vie.

Ah! qui dira un jour ce qu'il s'est dépensé de dévouement et d'ingéniosité dans les hôpitaux temporaires, qui dira, avec le dévouement des infirmières occasionnelles, l'endurance des veilleurs (le notaire, le châtelain, le professeur, le percepteur) et quelle union de dévouement, quel faisceau d'énergie s'est manifesté là!

Il a fallu partout qu'un notable, un homme que sa santé ou son âge éloignait du front assume la charge de l'économat dans ces organisations de fortune, tienne les registres et contrôle la dépense; ce n'est pas la besogne petite. Tous ces hôpitaux sont tenus à une comptabilité minutieuse et ardue. L'Etat donne pour ses malades et blessés une somme variable suivant les régions et les maladies, mais qui, dans bien des cas, n'a pas été jugée suffisante; alors, ceux qui donnaient leur temps ont donné leur argent, sans rien dire, modestement.

Presque toujours l'un des organisateurs a dû faire l'avance de fortes sommes. Jamais les malades ne se sont aperçus d'aucun manque de crédits. Il faut voir comme ils sont soignés. Les meilleurs biftecks, les œufs les plus frais, la volaille la plus dodue, tout cela est pour eux. Les jours de marché, les acheteurs des hôpitaux rafflent ce qu'il y a de meilleur aux étalages.

Il y a eu une augmentation très sensible dans le coût de la vie en province comme à Paris; les malades n'en ont pas souffert: souvent, chez elle, l'infirmière réduisait sur le superflu de sa table; elle n'a jamais trouvé que les blessés pouvaient avoir trop. Les infirmières ont eu pour eux des attentions maternelles.

J'en ai vu une qui, avant la guerre, ne pouvait supporter sans migraines la fumée du tabac et qui, maintenant, va choisir dans les débits les cigares les plus savoureux et les cigarettes les plus fines pour ses poilus blessés, et qui reste près d'eux, des heures, dans un nuage de petun, épais à couper au couteau, « que Rosalie ne percerait pas », comme disait l'un d'eux.

Une Arrivée de Blessés

Depuis quatorze mois, j'ai peut-être assisté vingt fois à ce spectacle infiniment émouvant que constitue une arrivée de blessés revenant du front, dans une de ces petites villes de l'arrière, dont Henri de Régnier a dit:

Elle est sans souvenirs de sa vie immobile. Elle n'a ni grandeur, ni gloire, ni beauté: Elle n'est à jamais qu'une petite ville; Elle sera pareille à ce qu'elle a été.

Elle est semblable à ses autres sœurs de la plaine, A ses sœurs des plateaux, des landes et des prés; La mémoire en passant ne retient qu'avec peine Parmi tant d'autres noms, son humble nom français.

Hélas, à présent, elle a sa gloire, ses deuils, ses croix de guerre, ses mutilés témoignant de la part du sang qu'elle a versé dans l'urne de la victoire pour le rachat du sol envahi et pour la liberté du monde.

C'est un quai de gare, gris, étroit, exposé aux courants d'air, qui a vu tant d'enthousiasme et de douleurs depuis quinze mois! Ce soir, il y a là le commandant d'armes, le sous-préfet, le maire, les médecins-majôrs. On attend.

— Aurons-nous de grands blessés?

— Y en aura-t-il de chez nous?

— D'où viennent-ils?

Dehors, bien en ligne, il y a déjà les autos militaires et les autos des quelques notables qui n'ont pas été réquisitionnées; il y a les omnibus de l'hôtel du Centre et celui du Cheval vert; il y a la voiture du camionneur et la Bébé-Peugeot de l'huissier; il y a quelquefois des paniers traînés par un double poney et même un ou deux petits attelages à âne. On a tout demandé, et tout ce qui était véhicules s'est offert.

Le train entre en gare, couvert de poussière, haletant. Ou le regarde avec envie. Lui, il a entendu la canonnade. Le chef du convoi accourt. Combien de blessés?

— Cent vingt.

— Mais on en a annoncé cent-cinquante.

— Nous en avons laissé en route.

Les médecins du train sanitaire font descendre en cours de route, aux arrêts indiqués, les plus blessés ou les plus fatigués.

Ces messieurs sont déçus. Ils avaient préparé du dévouement et du réconfort pour cent cinquante! On envoie toujours moins de blessés qu'on n'en annonce.

On s'avance vers les wagons. On court d'abord aux blessés couchés et c'est toujours le même mélange d'âmes, de visages, d'âges et de races.

Dans leurs vestes olivâtres, sous les turbans souillés, voici d'âpres figures de marocains ou d'arabes. Je me souviens d'un tirailleur sénégalais qui avait reçu deux éclats d'obus dans les reins et qui, porté en civière, croisait des officiers. Par deux fois, il essaya de se soulever pour saluer et, comme il n'y parvenait pas, il pleurait de rage.

— Je sais qui faut salué... J'y puis pas... Excuse...

La longueur et les secousses du voyage, la fièvre, la lassitude, les pansements déjà anciens ont donné aux faces la même impression d'accablement. Seuls, ceux qui ne sont qu'atteints à la main ou au bras ont gardé le sourire, donnent des détails sur la bataille, demandent ce que dit le communiqué et fument des cigarettes.

L'étiquette de leur vareuse indique le genre de blessures et donne les détails nécessaires pour un classement hâtif. Les plus grièvement atteints sont hissés en auto, les autres prennent les voitures plus lentes et tout le convoi s'achemine vers la ville et ses hôpitaux temporaires.

Ces dames attendent là. Veilleurs et infirmiers aident au transport des blessés, on les réunit, on les numérote, on les lave dans les salles communes et puis, aussitôt, c'est le traditionnel:

— Déshabillez-vous!

Lavé, nettoyé à l'alcool, par des femmes et des jeunes filles qui sont devenus des infirmières émérites, couché dans des draps frais et qui sentent bon la lessive, le blessé va retrouver un peu de repos et de bien-être.

Le repas chaud suit la toilette.

Ah! le métier d'infirmière n'est plus une fiction ni un jeu. Il ne s'agit plus de parader en blouse blanche à Croix de Genève. Voici les plaies qui suppurent, le blessé qui s'est oublié dans ses vêtements, voici la barbe inculte où les petites bêtes pullulent, voici des hommes qui sentent la sueur, la crasse, la boue des tranchées, le sang craché; aucune n'hésite, aucune ne murmure.

Je regardais, ces jours derniers, une jeune infirmière, qui, avant la guerre, était une de nos comédiennes les plus adulées, une jeune femme élégante et fine. Elle rasait un soldat retrouvé dans des tranchées reprises, couvert de vermine et de sang coagulé. Maniant, tour à tour, l'éponge d'eau tiède et le rasoir, penchée sur cet être douloureux, que le moindre mouvement un peu brusque faisait hurler de douleur, elle était admirable. Et l'homme faisait, on le voyait, un immense effort pour supporter l'opération sans trop crier. Il revenait de Souchez où il était entré un des premiers.

— Est-ce que je vous fais mal? Excusez-moi. Ça va être vite fini! Encore un peu, encore un peu, mon vieux!... Allons vous êtes un brave, vous allez voir comme vous allez être beau!...

Et une grande joie la prît quelques jours après. Son blessé le plus sale, le plus atteint, était à présent le plus beau, le mieux portant. Elle lui a acheté sa croix, elle le comble de cadeaux. On a raillé souvent, sottement, cette émulation des infirmières, cette façon qu'elles ont de choisir leurs blessés, de vouloir qu'ils soient les mieux traités, les plus héroïques. Chacune d'elle, maman ou jeune fille, adopte ses préférés. Pourquoi ne pas applaudir à ces affections chastes, à ces élections d'amitié qui, pour les blessés, créent à chacun d'eux une atmosphère de tendresse et adoucit un instant la double vision d'hier et de demain. Ah! ces bruits dérobes autour des lits de blessés, comme ils font comprendre, même au plus frustes, que c'est pour elles qu'on se bat, pour elles, les gardiennes de la race, pour elles, les Françaises, les plus beaux sourires du monde et les cœurs les plus loyaux. Non, ces légitimes coquetteries, il faut les excuser, elles sont encore le meilleur encouragement du guerrier.

Mots De Blessés

Mais il n'y a pas que les blessés ordinaires à consoler, il y a les amputés qu'il faut entourer de soins au lendemain des opérations et desquels il faut éloigner « le cafard », la hantise de la vie gâchée, de l'existence perdue. En ces circonstances, que de tact et de finesse sont nécessaires!

On connaît la réponse célèbre du capitaine auquel on vient de couper les deux jambes et qu'une infirmière maladroite essaie de consoler:

— C'est bien beau d'être un héros, capitaine!

— Oui, on est un héros pendant un an, et le reste de la vie, on est un cul-de-jatte!

 

J'ai vu un amputé de la jambe droite se réveiller sur la table d'opération:

— Eh bien, quand commencez-vous?

— C'est fini!

— Pas possible?

— Si. Voyez!

— Ah! Et le communiqué de ce matin, qu'est-ce qu'il dit?

— On a pris Metzeral.

— Alors tout va bien!

Un bel adolescent, qui venait de subir l'ablation du pied droit, disait à son infirmière:

— Eh bien! vous savez, ça ne m'empêchera pas de séduire. Au contraire, je boîterai un peu comme lord Byron!

Le soldat le plus gai que j'ai connu avait perdu son bras gauche, à Carency. Il racontait, en descendant du train:

— Un obus m'emporte le bras! Je le ramasse avec l'autre et je m'en retourne vers l'ambulance. Je perdais mon sang et le bras me pesait. Alors, je me suis dit: « Eh! que tu es niais de te charger de ça. Ça ne peut plus jamais te servir. » Alors, je l'ai jeté!...

Un grand blessé échangé qui revenait d'Allemagne et qui n'y voit pas, hélas! à deux pas, me disait en riant, d'un rire qui nous navrait tous:

— Les boches, je les ai tous roulés. J'ai fait l'aveugle!...

Les Stations de Convalescents

Dans des châteaux, des villas, dans des mairies, des salles d'asiles, etc., des locaux qui ont été visités et agréés par l'autorité militaire, des municipalités et des particuliers ont installé des asiles de convalescents. Au début, ces groupements pouvaient être de cinq, aujourd'hui ils sont au moins de vingt hommes, dont un gradé. Un règlement assez ferme interdit à ces convalescents d'entrer au cabaret et les déplacements trop longs; les habitants de là localité ne doivent pas les inviter à manger ou à boire. Ils doivent se réunir à heures fixes pour les repas, les soins de toilette ou ceux que nécessitent leur état de santé. La plus grande propreté est exigée d'eux. Ils vivent ainsi au plein air pendant un mois ou deux, jusqu'à leur entier rétablissement.

Une œuvre d'assistance aux convalescents, fondée par la comtesse Grerfulhe, dirigée par M Maurice Bernard, aidé de M. Pierre Decourcelle, a suscité des initiatives fécondes et multiplié des stations de convalescence aux quatre coins de la France. Nous croyons utile de donner ici une partie du programme signé de M Maurice Bernard:

« Rappelons d'abord que nos formations par groupements de vingt convalescents au minimum ont pour objet de recueillir les blessés ou les malades qui ont besoin d'un temps de convalescence assez prolongé; elle ne sont pas faites pour admettre les blessés légers, pendant les quelques jours dont ils peuvent avoir besoin après une rapide guérison, et avant de retourner au corps.

« Notre organisation n'est point faite pour donner aux hommes guéris un asile de passage, mais pour produire, chez le soldat, la reconstitution progressive des forces épuisées.

« Ceci étant posé, le régime nouveau prescrit par le ministre de la Guerre, tout en confirmant bien le but de notre Œuvre, en précise nettement les attributions.

« On peut le résumer en deux idées très nettes:

« 1 Dorénavant, il est interdit aux médecins des hôpitaux militaires comme à ceux qui dirigent les hôpitaux de la Croix-Rouge d'accorder une permission ou un congé de convalescence.

« 2 Tous les militaires, sans exception, qui sortent des hôpitaux, devront passer par les Dépôts militaires de convalescents, organisés dans chaque région.

« Ces Dépôts militaires ont pour objet de faire le tri des soldats, qui seront divisés, après examen sérieux, en quatre catégories:

« a) Ceux qui sont susceptibles de reprendre leur service seront dirigés immédiatement sur le dépôt de leur régiment.

« b) On conservera pendant un certain temps les soldats ayant besoin de repos ou de soins peu prolongés.

« c) Ceux dont l'indisponibilité paraît devoir être de longue durée recevront, après examen d'une commission, un congé de convalescence.

« d) Ceux qui semblent, à la suite de leur blessure, ne plus pouvoir reprendre leur service seront proposés pour la réforme ou la retraite.

« Ces deux dernières catégories constituent, à vrai dire, et dans le sens de notre Œuvre, les Convalescents.

« Donc, les soldats dont l'indisponibilité sera de longue durée ainsi que les mutilés et les infirmes « seront dirigés, par les soins de l'autorité militaire, sur les Etablissements créés par l’Assistance aux Convalescents ».

« Tels sont, nettement précisés, la place et le but qui nous sont attribués par la décision ministérielle.

« Il n'échappera à personne que l'Assistance aux Convalescents militaires devient ainsi une sorte de formation sanitaire de troisième ligne, destinée à apporter le réconfort définitif à ceux qui pourront reprendre leur service, et à offrir le soulagement familial à ceux que la guerre aura rendus infirmes. Son importance et son utilité s'accroissent encore du fait qu'une partie de la France, occupée par les troupes ou évacuée par les habitants, ne peut actuellement être utilisée.

« Mais notre destination, qui dépend ainsi étroitement des événements de guerre, doit être envisagée comme un mécanisme qui ne sera appelé à fonctionner méthodiquement qu'après le séjour des blessés dans les hôpitaux, et après leur passage dans les Dépôts militaires de Convalescents, qui auront à désigner ceux qu'on enverra ensuite dans nos formations.

« Il s'ensuit que toutes les bonnes volontés qui ont répondu à notre appel, et dont le concours nous est précieux, sont assurées d'avoir maintenant leur place marquée dans l'organisation sanitaire de notre armée.

« Il s'ensuit également que le meilleur emploi de nos formations devant se produire au moment déterminé par les instructions ministérielles, chacun devra refréner son désir généreux de recevoir immédiatement des convalescents, et attendre avec patience, pour chaque installation préparée, l'heure où notre rôle doit commencer.

« En ce qui concerne l'allocation de 1 franc par homme et par jour, elle sera payable mensuellement avec un versement d'avance des 2/5, si on en fait la demande.

« Sur un certificat dressé par le maire, indiquant le nombre de jours et d'hommes hospitalisés, un mandat de paiement sera ordonnancé par le directeur du service de santé de la région.

« Ce mandat sera payé à la caisse du percepteur des contributions directes. »

Les Convalescents Belges à Fontgombault

C'est à Fontgombault, dans une vieille abbaye qui est un monument historique des plus curieux et des mieux restaures — elle appartient a M. Bonjean, le magistrat et le philantrope parisien bien connu — que le gouvernement belge a installé une de ses plus importantes stations de convalescents. Au bord de la Creuse et dans un étranglement de la vallée, entre le Blanc et Tournon-Saint-Martin, à côté d'une boutonnerie coopérative où l'on retrouvait une partie des grévistes de Méru, s'élève l'ancienne abbaye dont le Kirsch fut célèbre longtemps. Des premiers ermites du XIe siècle jusqu'aux convalescents belges d'aujourd'hui, le monastère a subi bien des vicissitudes.

Les restaurations et réparations faites par M. Bonjean ont admirablement prédisposé le monastère à sa nouvelle destination. En effet, de vastes lavabos, des salles d'infirmerie, des dortoirs aérés et vastes, l'eau, l'électricité, la cité-jardin, les salles de fêtes, les cours, les cuisines, tout s'y trouve. Une installation de bains-douches a complété l'aménagement.

Au début de la guerre, on avait logé à l'abbaye tout un bataillon de prisonniers boches. Le local était vraiment trop beau pour de pareils oiseaux et, d'ailleurs, il ne se prêtait peut-être pas à une surveillance de tous les instants.

On les avait placés dans l'admirable chapelle aux stalles sculpées et aux hauts vitraux; on avait protégé par des planches les sculptures. Aujourd'hui les chasseurs poméraniens et les fantassins hanovriens ont laissé la place à des blessés belges des batailles de l'Yser et à ces malades atteints de bronchites graves, contractées dans les boues des tranchées, devant Ypres.

Cinq cents soldats sont là, soignés par cinq médecins-majors sous la direction du médecin principal Glaudot, de la 1re division de l'armée royale.

— Ici, nous avons surtout pour but de rétablir des anémiés, de faire de la suralimentation pour des hommes très affaiblis.

Un des majors me montre le régime des convalescents.

Par jour: 2 ou 3 œufs ou 2 œufs et une demi boîte de sardines; 2 ou 3 bols de riz au lait; 700 grammes de viande; 800 grammes à 1 kilo de pain; 1 bouillon; 1 kilogramme de légumes; 1 à 3 litres de lait; 1/2 litre de bordeaux vieux.

— Vous le voyez, lorsque l'estomac est bon, l'homme est vite restauré et va rapidement reprendre sa place au front.

Dans le vaste réfectoire où jadis les moines silencieusement mangeaient, ceux que le grand Verhaeren appelle:

Ceux dont l'esprit, sur les textes préceptoraux, S'épand comme un reflet de lumière inclinée.

à présent, les gas flamands et wallons d'Ypres et d'Anvers et de Charleroi jouent des mâchoires avec beaucoup d'entrain. D'autres sont installés dans la chapelle même. Des lits sont alignés dans le chœur, au long de l'autel.

Après le déjeuner, ils vont faire un somme de quelques heures, puis se promener à travers champs, péchant, rêvant, musant. Dans les jardins et les cours, des jeux de croquet, de teams et de tonneau sont installés.

Un prêtre, décoré de la croix de guerre, la soutane relevée, joue avec les soldats comme un enfant.

Ce que j'ai admiré le plus, c'est la sérénité, le calme et la force d'âmes de ces hommes qui, presque tous, ont leurs maisons occupées ou détruites par les Allemands, qui, la plupart, sont sans nouvelles de leurs familles, et qui, presque tous, ont vu de près les terribles atrocités de Louvain et Termonde.

La phrase qui revient le plus souvent dans leur conversation est celle-ci:

— Quand les Boches auront fui de chez nous.

Ah! ils ne sont pas pessimistes, ceux-là qui ont tout perdu et qui ont tout à reconquérir.

 

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