- de la revue 'l'Illustration' No. 3779, 7 aout 1915
- 'le Retour Des Grands Blessés'
Echange de Grands Blessés
L'échange, entre la France et l'Allemagne, des grands blessés, qui avait été interrompu pendant quatre mois a repris le 10 juillet dernier. Le dernier train - de cette série - ramenant vers leurs foyers ces glorieux mutilés est arrivé samedi dernier à Paris, en gare de la Chapelle.
Selon la lettre écrite par l'un d'eux, ils ont trouvé ici « les égards qu'ils étaient en droit d'attendre ». Et quels égards seraient trop empressés pour payer leur admirable dévouement, la santé ou la validité qu'ils ont perdues, les souffrances d'une longue et dure captivité !
A la frontière, à Bellegarde, la gare était décorée comme pour une entrée triomphale. Au débarquement à Lyon, gare de l'échange en France, comme Constance, de l'autre côté, les honneurs militaires leur ont été rendus.
Les soins les plus empressés leur ont été prodigués, partout, par les Dames de la Croix-Rouge. A Paris, le chef de l'Etat lui-même tint à assister à l'arrivée du premier des convois et se rendit à !a Chapelle où, au cours d'un lunch réconfortant, il leur offrit le Champagne. Et la Marseillaise par laquelle les braves répondirent au toast du président de la République fut l'éclatante manifestation des sentiments qui les animent. Le dernier convoi, enfin, fut reçu par M. Louis Barthou, ancien président du Conseil, président du Comité des Mutilés de Paris, MM. Strauss, sénateur, les représentants de la Ville de Paris, et un déjeurer copieux, cordial, fut offert à ces vaillants qui revenaient, décorés de médailles, fleuris, du plus cruel des exils.
Mais déjà la réception que leur avait faite la Suisse hospitalière avait commencé de les réconforter.
Jamais on ne dira assez quelle gratitude nous devons à nos voisins, qui se sont vraiment montrés, pour nous, depuis le commencement de la grande guerre, le peuple frère.
D'abord, un admirable matériel de chemin de fer de longtemps aménagé, ingénieusement conçu, a grandement adouci pour les chers voyageurs les souffrances, la fatigue même de ce retour. Ce sont de simples wagons de troisième classe, encore en service jusqu'à ces derniers mois et que des dispositifs particuliers permettent de transformer rapidement en voitures sanitaires : deux larges portes, dans les parois latérales, laissent aux brancards un passage facile. La paroi qui, à l'intérieur, sépare les compartiments de fumeurs et de non fumeurs, peut s'enlever en un clin d'oeil, de même que les banquettes et les filets à bagages. A des consoles en fer disposées entre les portières viennent s'accrocher, par des bretelles, les brancards où sont étendus les blessés qui ne peuvent marcher.
C'étaient d'émouvants convois, qui, amenés des camps les plus lointains de l'Allemagne, centralisés à Constance, traversaient ainsi un pays affectueux que secouait la plus communicative émotion. Les uns étaient amputés d'un bras, d'une jambe, d'autres aveugles, ou paralysés, - quelques-uns déments. Certains souffraient encore, ne domptaient qu'à force d'énergie leur douleur, et offrant aux visiteurs dévoués, groupés autour de M. Beau, ambassadeur de France, qui les venaient saluer au passage, un visage souriant et débordant de foi et d'espérance. En vain, des récits mensongers de l'ennemi, propagés par des journaux odieux, avaient essayé de jeter dans ces âmes fortes le doute et le découragement.
Tout le long du trajet à travers la République amie, ils reçurent un inoubliable accueil. En vain, par un scrupule rigoureux d'éviter des manifestations contraires à la stricte neutralité, les autorités avaient-elles fait évacuer les gares, et décider que le voyage serait nocturne': les foules empressées à acclamer ces victimes d'une sainte cause se massaient, hors des stations, sur les talus de la voie, et, en maints endroits, à Fribourg, à Lausanne, par exemple, violaient doucement, mais obstinément, des consignes difficiles à garder, perçaient les barrages. Et comme, à Genève, les quais, les rues avoisinant la gare étaient mieux gardés, quand le train démarra, ce fut pour trouver, quelques mètres plus loin, une Coule dense qui jetait sous ses roues des fleurs aux cris de « Vive la France ! » Quant à dire quelles gâteries multiplièrent, autour de nos chers soldats, les Dames de la Croix-Rouge helvétique, les « Samaritains », ou membres des sociétés d'assistance, il faut y renoncer, faute de trouver les mots qui pourraient exprimer tant de chaleureuse bienfaisance.
Si quelque chose avait pu effacer de la mémoire des chers revenants le souvenir de ces démonstrations touchantes, c'est l'accueil qui leur était réservé à Lyon, empreint de la plus déférente bienveillance de la part des autorités, d'une fraternelle bonté de la part des populations et plus particulièrement des Dames de la Croix-Rouge. Tous les représentants des pouvoirs attendaient sur le quai l'arrivée du train.
Les clairons sonnaient aux champs, et tous ceux des rapatriés qui pouvaient se tenir debout se pressaient aux portières décorées de fleurs et de drapeaux, agitant des mouchoirs et des képis, en acclamant la France retrouvée. Et beaucoup, aux accents du clairon, aux vivats les saluant, ne pouvaient retenir leurs larmes.