de la revue 'La Grande Guerre du XXième Siècle' no. 2
'des Ambulances aux Hôpitaux Militaires'

Infirmières et Ambulanciers

 

Le Travail des Infirmiers dans une Gare d'Evacuation

8 décembre 1914

Lettre de M. M., infirmier aux gares de Saint-Dié et de Bruyères:

Une nuit que nous dormions bien tranquilles, un sous-officier arrive dans notre cantonnement.

— Les infirmiers, debout! Tout le monde à la gare! Il y a des blessés.

Je n'oublierai jamais cette première nuit passée à la gare, notre première rencontre avec des blessés, de vrais blessés revenant du front. Jugez de ma surprise quand je reconnais parmi eux le sergent S..., du 140e, blessé d'un éclat d'obus avant d'avoir tiré une seule cartouche, puis, le lendemain, le commandant P..., puis G..., l'instituteur mort au feu depuis, et des jeunes gens de Vienne. Mais on ne cause guère, car le travail abonde. Représentez-vous le vaste hall d'une gare de marchandises, long de 100 mètres sur une largeur de 20 mètres. La moitié de cette surface est occupée par des brancards, des matelas et des paillasses, où reposent les blessés graves, couchés; de l'autre côté, les blessés moins graves, assis sur des bancs; au milieu, la pharmacie et les tablés de pansements; dans un coin, les blessés et prisonniers allemands, gardés par deux sentinelles, baïonnette au canon. A l'extérieur, sur le quai, les dames de la Croix-Rouge, sous la direction de la générale Hervé, ont aménagé une cuisine où elles préparent, à l'intention des blessés, d'excellents potages, du café, du thé, des boissons rafraîchissantes.

L'emplacement de l'hôpital d'évacuation varie de 10 à 25 kilomètres en arrière de la ligne de feu. La gare hôpital d'évacuation est l'un des organismes les plus importants du service de santé en campagne. C'est là que s'opère la concentration et le triage de tous les évacués du front, pour une région plus ou moins déterminée, qui seront ensuite dispersés par les trains sanitaires dans les hôpitaux du Centre. C'est là qu'on peut examiner à loisir, loin des atteintes de la mitraille, tous les blessés qui viennent des formations d'avant, soit par automobiles, soit par voitures d'ambulance, soit même par charrettes lorraines, quand les véhicules confortables ne suffisent pas.

Les brancardiers-infirmiers de l'hôpital d'évacuation sont là pour les transporter des autos et voitures dans la salle de pansement, où des médecins, assistés de secrétaires, les examinent, établissent le diagnostic, si ce n'est fait déjà, et les marquent à la craie de signes conventionnels pendant que, de leur côté, d'autres majors ou pharmaciens examinent les pansements et refont ceux qui ont été mal faits ou défaits par les secousses des voitures. Puis les infirmiers, suivant la nature du diagnostic et les indications écrites à la craie sur la capote de chaque blessé, les inscrivent, les cataloguent et les divisent en blessés: couchés, assis, éclopés ou malades. Les couchés et les assis seront seuls évacués par train sanitaire et dirigés vers les hôpitaux de l'intérieur. Les éclopés seront envoyés dans un dépôt d'éclopés, ordinairement une caserne à proximité, où ils seront bien soignés, bien vite guéris et en état de reprendre les armes.

Quand les blessés reviennent du front, ils ont enduré pendant plusieurs jours toutes sortes de fatigues et de privations. Ils ont faim, ils ont soif. C'est encore le travail des infirmiers de leur apporter nourriture et Boissons et de leur rendre les services que réclame leur état. Ils causent volontiers et racontent leurs fail d'armes: le verbe « zigouiller » et l'épithète « sales Boches reviennent souvent dans leur conversation. Tout en accomplissant son travail, on les observe, on étudie ces divers tempéraments. Le uns sont admirables de patience et de résignation et supportent tous les heurts sans proférer la moindre plainte; d'autres, quoiqu peu blessés, ne cessent pas de gémir et poussent des cris avan même qu'on les touche. Question de tempérament, de sensibilité sans doute, mais aussi effet de la maladie, de la dépression nerveus résultant des fatigues et des dangers continuels qu'ils ont éprouvés

Un jour, il s'agissait de renouveler le pansement d'un blessé boche. Des infirmiers le soûlèrent sur son brancard et le déposent sur la table de pansement. Voilà le bonhomme qui se met à crier comme un putois et à gesticuler de toutes ses forces, malgré sa blessure. On lui parle allemand, on essaye de le convaincre; impossible de loucher à sa plaie. Finalement, on le repose à terre; il est aussitôt satisfait et il nous fait force gestes pour nous remercier. De quoi? De l'avoir laissé tranquille: il était, paraît-il, persuadé qu'on allait l'achever à coups de bistouri.

Le train sanitaire est prêt. Les majors commandent: « Les infirmiers aux brancards! » L'embarquement commence. D'abord les grands blessés, couchés sur leurs brancards, puis les petits blessés qu'on porte ou sur son dos ou en les soutenant de son épaule; cela dépend de la blessure. Tout ce monde s'achemine lentement et prend place dans les wagons aménagés pour cela. Les dames de la Croix-Rouge longent le train, font le tour des compartiments pour leur distribuer encore une fois pain, boisson, chocolat, bonbons. Pendant qu'on les accompagne ainsi au train sanitaire, ils ne manquent pas de vous poser des questions, toujours les mêmes, invariablement:

— Où sommes-nous évacués?

— Mon pauvre ami, je ne le sais pas plus que loi.

— Ne pourrait-on m'envoyer près de chez moi?

— Pour le moment, non; tu verras plus tard, en demandant, tu obtiendras peut-être.

Une fois, c'était un blessé allemand que j'accompagnais ainsi, en le soutenant par le bras. C'était encore au moment où on leur promettait une entrée triomphale à Paris. Fasciné sans doute par le mirage de la Ville-Lumière, il me demanda si on l'envoyait à Paris, s'il verrait la Seine.

— Oui, mon vieux, tu verras bientôt la Seine, et puis la Tour Eiffel, etc.

A quoi bon le détromper? Ça lui aurait fait de la peine.

Le 25 août, les Allemands sont aux portes de Saint-Dié. Nous évacuons tous les malades transportables à 18 kilomètres en arrière dans la petite ville de Bruyères. Pendant trois semaines, c'est dans cette gare, jour et nuit, le va-et-vient des voitures de toutes sortes amenant des blessés.

Enfin, le 12 septembre, nous arrive la bonne nouvelle que les Boches sont battus sur la Marne et qu'ils reculent du côté de Saint-Dié.

Le 16, nous repartons pour cette ville, que nous trouvons déserte. Tout le quartier de la Bolle est incendié: c'est là que nos alpins se sont battus! Partout des trous d'obus et des maisons en ruines. La gare de marchandises, notre ancien hôpital d'évacuation, était devenue, sous le régime dos Boches, par ordre de la « Commandature », une écurie pour chevaux. On la désinfecte autant que possible et on s'installe.

[Croix de l'Isère.]

 

Le Douloureux Voyage vers l'Ambulance

20 décembre 1914

Lettre d'un Infirmier du 4e Corps d'Armée:

Ce ne fut pas précisément une sinécure d'organiser au début, dans des conditions absolument satisfaisantes; les services d'infirmerie. Jamais je n'oublierai la vision de ces soldats se traînant péniblement sur les champs de bataille à la recherche d'un coin, d'un talus, d'un abri quelconque, de préférence à côté d'une mare ou d'un ruisseau, et qui, pour arriver plus vite, s'étaient peu à peu allégés de tout ce qui les gênait. Leurs chefs leur avaient recommandé de mettre, soit dans la pattelette du sac, soit dans la poche intérieure de leur capote, avec leurs paquets de pansements, le livret individuel qui porte leurs nom, prénoms et matricule, el sur un des feuillets duquel se trouve l'adresse de la famille ou de la personne à prévenir en cas de décès. Mais, bast! Dans leur marche vers l'abri momentané, le sac avait élé abandonné; quant à la capote, salie par la boue ou le sang, dégrafée en hâte pour permettre une respiration plus libre, elle n'avait pas retenu souvent dans sa poche le précieux livret. Alors, pour nous, les infirmiers, le travail était double, quand il n'était pas inutile.

On avait déjà eu l'émotion d'assister de loin à la bataille, car les tranchées ne sont pas toujours à deux ou trois kilomètres de l'ambulance; nous sommes souvent obligés de nous approcher de ces tranchées le plus possible. Souvent, les obus de l'artillerie allemande faisaient dans nos propres rangs des coupes sombres, mais tout de même la fusillade finissait par être moins vive; les mitrailleuses s'arrêtaient, les canons aussi.

Alors commençait notre besogne.

Les brancardiers arrivaient avec quelquefois deux ou trois blessés sur leurs civières. Triste procession! Cortège douloureux! Derrière les brancardiers, clopin-clopant, se servant de leurs fusils ou d'un bâton pour aider leur marche, venaient les autres blessés. Ceux-là, moins dangereusement atteints que les autres, avaient la force de sourire à ceux que les cacolets et les voiturettes à bras nous apportaient. Le premier pansement avait été fait par les brancardiers ou par les aides-majors dans des conditions sommaires et le plus près possible de la ligne de-feu, mais ici, à l'ambulance, pendant que se faisait le second pansement, les formalités administratives commençaient. Le blessé avait à donner son nom, le lieu, la date de sa naissance, le domicile et l'adresse de ses parents. Tu vois d'ici la gaieté de la besogne; pendant qu'on charcutait le malheureux, le nom de sa mère, de sa femme, administrativement évoqués, amenait toujours à la bouche du blessé des cris de douleur encore plus émotionnants. Pour ceux qui avaient conservé leur livret, l'interrogatoire était supprimé d'office, mais pour les autres! Combien pénible fut notre lâche! Une fois identifié, le blessé était conduit dans une des sections de l'ambulance, porteur d'une fiche qui donnait la nature et ia gravité de sa blessure et indiquait les soins nécessaires.

Souvent, des blessés allemands, belges ou anglais, étaient conduits dans notre ambulance en même temps que des soldats français; on prenait pour eux les mêmes précautions administratives et les mêmes soins que pour les autres. Seuls les yeux des Allemands étaient quelquefois remplis d'une terreur secrète: leurs chefs leur avaient dit que, faits prisonniers par les Français, ils seraient ou égorgés, ou brûlés vifs, après qu'on leur aurait crevé les yeux. Aussi, quels regarda de satisfaction béate lorsqu'ils se voyaient soignés tout comme les nôtres!

Un moment douloureux aussi était lorsqu'il fallait transporter les blessés de leur coin d'ambulance jusqu'aux automobiles d'évacuation qui, trois à quatre fois par jour, venaient les prendre pour les transporter vers les trains sanitaires, et par là vers les hôpitaux de l'intérieur Un blessé en effet, lorsqu'il a pris l'habitude d'un coin quelconque, qui peu à peu est devenu le témoin de son mal, ne quitte pas facilement cet endroit; et il y a, en outre, la souffrance prolongée pendant le transport, souffrance si vive que nous sommes souvent obligés de garder à l'ambulance ceux qui sont le plus grièvement blessés. Pour ceux-là alors, nous réservons une tendresse plus grande; il nous arrive même d'avoir de temps à autre quelqu'une de ces trouvailles comme savent en avoir les mères les femmes ou les sœurs.

[Temps.]

 

petite histoire illustrée de la revue 'le Bon Point'

 

Sœur Gabrielle

12 novembre 1914

Récit fait à un journaliste par la Sœur Gabrielle (Mlle Marie Rosnet), supérieure de l'hôpital de Clermont-en-Argonne:

Depuis le premier jour des hostilités — me dit-elle en retraçant les douloureux épisodes de son intervention, — j'avais en traitement une centaine de blessés et de contagieux. Le 3 septembre, dans la nuit, les Allemands étant signalés, nos blessés furent embarqués dans des trains sanitaires. Les grands blessés furent enlevés le lendemain par des voitures d'ambulance. Je reçus alors l'ordre de partir pour Bar-le- Duc. Je répondis: « J'ai quarante vieillards et des infirmes dont j'ai la responsabilité. Les emmenons-nous? —Non. — Dans ces conditions, mon devoir est tout tracé: je ne les abandonnerai pas. » Et je restai là.

A midi, la bataille commença autour de Clermont. On se battit avec acharnement à Auzéville, à Aubreville, à Brabant et dans les environs. Quelques obus tombèrent sur Clermont. Un projectile creva les conduites d'eau de l'hôpital. Je fis descendre tout mon monde dans les caves et l'on attendit la fin de la bataille.

Vers 7 heures, le feu cessa de part et d'autre; néanmoins, nous restâmes où nous étions, sans lumière, et nous y passâmes la nuit. Vers 2 heures du matin, on entendit arriver l'infanterie allemande. Les bottes martelaient le sol; on ne pouvait se méprendre. Bientôt, au clair de la lune, je vis par un soupirail des casques à pointe.

A 4 heures du matin, l'artillerie et la cavalerie arrivèrent à leur tour. Enfin, à 5 heures, un formidable coup de crosse de fusil ébranla la porte extérieure de l'hôtel. Il fut suivi d'un deuxième qui défonça Ies vantaux. Trois officiers entrèrent, revolver au poing. Les pannes hospitalisés croyaient leur dernière heure venue. Je les exhortai au calme et je montai à la rencontre des Allemands. Je me trouvai en face d'eux dans le vestibule. Je leur dis simplement: « Vous êtes ici dans une maison consacrée à la souffrance. Vous n'entrerez pas plus avant. » Et je me plaçai en travers du passage.

Les officiers se concertèrent rapidement, et l'un d'eux, qui parlait, fort bien le français, me répondit:

— Nous ne ferons de mal à personne. Laissez-nous visiter la maison.

J'y consentis, à la condition formelle que l'engagement serait tenu.

— Où est le maire? demandèrent-ils.

— Il n'est plus ici, répondis-je, mais je le remplacerai.

Ils proférèrent des injures à l'égard du maire et déclarèrent que son absence lui coûterait cher.

Le lendemain, à 9 heures du matin, les Allemands mirent le feu à la maison de M. Nicolas, horloger. L'incendie se propagea rapidement et ne tarda pas à menacer l'hôpital.

Je me rendis en hâte à l'état-major et dis au général:

— Vos officiers m'avaient donné leur parole que l'hôpital serait épargné; ils l'ont reniée. Jamais un officier français n'agirait de la sorte.

II eut un mouvement de colère tel que je pensai payer de ma vie ce que je venais de dire. Pourtant il se radoucit quand je lui exposai que la situation de l'hôpital obstruerait la rue latérale et barrerait ainsi la route de Bar-le-Duc, dont elle est le prolongement. Il donna immédiatement des ordres. Un quart d'heure après, une auto du génie amenait un détachement de sapeurs avec une pompe. L'hôpital seul fut préservé. Toute la ville fut réduite en cendres.

Le lendemain, nouvelle alarme. Un coup de feu avait été tiré la nuit dans la montagne contre une sentinelle, qui avait eu un doigt écorché. Le général vint me trouver et m'annonça que toute la population allait être fusillée, vieillards, femmes et enfants. Je lui représentai la cruauté de ses intentions et lui dis:

— Si vous estimez qu'il faut une vie humaine pour compenser la blessure de votre soldat, prenez la mienne, mais ne massacrez pas une foule d'innocents.

Que se passa-t-il dans sa conscience? Je l'ignore. Toujours est-il qu’après m'avoir laissée dans l'attente du peloton d'exécution pendant vingt-quatre heures, il renonça à ses projets. Rien entendu, je n’avais pas dit un mot de tout cela à mes hospitalisés, dont les angoisses étaient déjà assez pénibles.

Deux jours après, nous étions délivrés des Allemands, qui couraient à la bataille de la Marne, mais il ne restait de Clermont que ce que vous pouvez voir.

[Petit Parisien.]

 

petite histoire illustrée de la revue 'le Bon Point' (suite)

 

Lettre d'un Soldat Soigné par Sœur Gabrielle

Vichy, le 10 novembre 1914

MONSIEUR LE DIRECTEUR,

J'ai été très heureux et agréablement surpris en lisant dans votre numéro de ce matin votre article sur le dévouement d'une religieuse à Clermont-on-Argonne. Permettez-moi d'apporter mon témoignage à la véridique histoire que vous avez relatée et que nul mieux que moi ne peut affirmer, car j'en ai été le témoin.

Voici dans quelles circonstances j'ai fait la connaissance de cette religieuse dévouée entre toutes.

Je suis soldat au ...e d'infanterie. Le 6 septembre au matin, mon régiment avait pris la direction de Clermont-en-Argonne. A six kilomètres de cette petite ville, notre artillerie anéantit complètement un convoi de 300 voitures ou caissons ennemis.

C'est le lendemain, 7 septembre, que j'ai été blessé. Dès 3 heures du matin, les balles et les obus pleuvaient autour de nous, et je fus atteint par un éclat d'obus dans la région de la colonne vertébrale et par une balle au pied. Dans l'impossibilité de marcher, je restai deux jours sur le terrain, faisant moi-même mon pansement et environné de morts et de blessés.

Le troisième jour, c'est-à-dire le 9 septembre, des infirmiers allemands m'ont ramassé et je suis resté prisonnier des Allemands pendant six jours. D'abord transporté à Jubécourt, je fus évacué sur Auzeville et enfin sur Clerrnont-en- Argonne, où j'arrivai le 13 septembre au soir.

C'est là que j'ai eu le bonheur d'être soigné par la Sœur Gabrielle, dont vous avez parlé. Ah! Monsieur le directeur, voilà une religieuse qui n'a pas peur de parler aux Allemands et qui sait tenir tète aux officiers! Ainsi, ces derniers voulaient qu'elle soigne les blessés allemands en premier et qu'elle loge trois d'entre eux. Si vous aviez vu avec quelle énergie elle a refusé! Ni prières ni menaces n'ont pu la faire changer d'idée.

Peu de temps après, les Boches sont partis, laissant blessés, prisonniers et munitions. Vous dire quelle fut notre joie quand nous avons revu les. chasseurs à cheval serait impossible. Nous étions tous tellement heureux que nous 'n'avons pu retenir nos larmes.

Je voudrais bien, quand je serai rétabli, retourner à Clermont-cn-Argonne remercier des bons soins qu'elle nous a donnés la bonne Sœur Gabrielle; mais de la petile ville il ne reste pas grand'chose : tout a été incendié, dévasté ou pillé par les Allemands.

Enfin, en terminant, je veux vous citer un trait significatif de la dureté avec laquelle les officiers allemands traitent leurs soldats.

Le 13 septembre au soir, au moment où j'arrivais à l'ambulance de la Sœur Gabrielle, je vis un officier faire une observation à un soldat; le soldat restait impassible devant son supérieur, quand celui-ci, levant la main, gifla à plusieurs reprises son subordonné, dont le casque tomba. Au moment où le soldat se baissait pour ramasser son couvre-chef, il reçut encore un coup de pied qui le fit rouler à terre. Cédant à un mouvement d'impatience bien compréhensible, il eut, en se relevant, un geste de menace. Immédiatement arrêté, il fut emmené je ne sais où, mais rien qu'au regard lancé par l'officier, je vous affirme que je préférais ma place à la sienne. Quelle différence entre nos chefs et les leurs!

Recevez, etc.

[Journal des Débats (26 nov. 1914) citant le Mémorial de la Loire.]

Pour son admirable dévouement, Sœur Gabrielle a été citée à l'ordre de l'armée dans les termes suivants:

Mlle ROSNET (MARIE), Sœur de l'Ordre de Saint-Vincent de Paul, supérieure de l'hospice de Clermont-en-Argonne:

Demeurée seule dans le village, a fait preuve, pendant l'occupation, d'une énergie et d'un sang-froid au-dessus de tout éloge. Ayant reçu de l'ennemi la promesse qu'il respecterait la ville en échange des soins donnés par les Sœurs à ses blessés, elle a protesté auprès du commandant allemand contre l'incendie de la ville, en lui faisant observer que la parole d'un offeier allemand ne vaut pas celle d'un officier français, et a ainsi obtenu l'envoi d'une compagnie de sapeurs qui a combattu le feu; a prodigué aux blessés, tant allemands que français, les soins les plus dévoués.

 

Une Visite Emouvante aux Hôpitaux de Lourdes

19 septembre 1914

M. Louis Barthou, guidé par le comte de Beauchamp, visitait longuement ceux que des blessures; presque toujours légères, retenaient encore dans les différents hôpitaux. Il accomplit cette visite avec infiniment de tact et de bonté, s'inquietant de chacun, de ses blessures, de sa famille, lui disant ce qui convenait à son état d'esprit.

Un sergent, qui l'ignore, lui répond sans façon:

— Oui, nous avons bien travaillé. Au commencement, pas moyen de rien faire de bon avec cette nullité de X... — et il lui nomme une des sommités militaires qu'avait poussée en avant la politique, à défaut de capacités notoires, — mais maintenant que nous avons le général M... (un brillant colonial), on y va avec plaisir.

M. le ministre de répondre avec discrétion:

n Mon ami, je n'ai pas connu votre ancien chef, mais je connais bien le nouveau, et vous avez raison de croire en lui. n n Un rude paysan est là, tout enfiévré encore.

— Quand avez-vous été blessé?

— A 8 heures, Monsieur le ministre.

— Et quand avez-vous été relevé?

— A 5 heures du soir, Monsieur le ministre.

n Et qu'avez-vous fait sur le champ de bataille pendant ce temps? n n — Je priais, Monsieur le ministre.

M. le ministre s'incline légèrement, et, grave, lui répond:

— C'est très bien, mon ami.

Un sergent l'a reconnu, et, joyeux de le voir venir à lui, oubliant ses souffrances pour ne penser qu'à la patrie sauvée par notre double contingent de 1913, ce soldat salue un des protagonistes principaux de la loi de trois ans.

—. Monsieur le ministre, si nous avons l'orgueil d'être encore Français, c'est à vous que nous le devons.

— Vous exagérez, mon ami, répond M. Barthou en dissimulant mal son émotion; il y en avait d'autres avec moi.

Et pendant que ce visiteur attentionné s'en va aux hôpitaux de la ville voisine, les groupes de blessés continuent à causer dans la cour de l'hôpital.

Un capitaine du 96e d'infanterie, froid, à l'altitude martiale, s'émeut encore de nous émouvoir:

— L'affaire était chaude, et, malgré ma blessure, je tenais bon, à la tête de ma compagnie; mais la douleur fut la plus forte, je tombai. Un blessé me vit, se traîna jusqu'à moi, et, sous la pluie de mitraille, étendant les bras, me couvrit de son corps pour me protéger. Je voulus l'écarter: « Non, mon capitaine, je vous en prie, il faut vous conserver. » Rien n'y fit, il resta là, sous la grêle de fer et de plomb. Un flot tiède me coula sur la nuque, j'y portai la main, que je retirai pleine de sang. Tiens, dis-je, je suis blessé là? « Non, capitaine, fit le petit soldat, ce n'est que moi qui ai l'épaule traversée. Ne bougez pas, ce n'est rien. » II me protégea par force jusqu'au bout. Et quand l'ennemi fut parti, nous nous assîmes côte à côte, nous pansant l'un et l’ autre. Je lui demandai son nom. C'était un séminariste.....

Le capitaine a fini, et nul ne s'étonne du geste, anonyme aujourd'hui, qui se trouve déjà un exemple magnifique pour les soldats qui écoutent, avant qu'il soit demain une joie pour quelque vieil évêque fier de son fils spirituel.

Nous vivons de mots simples, de pensées profondes et de récits héroïques, parce que, sous le choc, mille étincelles saintes ont jailli parmi nos rangs. Nos soldats ont toujours le feu sacré. Ils savent, sous la menace, l'alimenter à la source vraie de toute grandeur d'âme.

Abbé Joseph B.

[Croix]

Back to French Articles
Back to Index