- de la revue 'Le Noël' no. 1132 de 1 mars, 1917
- 'la Mort de Louvain'
- par Joseph Boubée
La Belgique Loyale, Héroïque et Malheureuse
les ruines de Louvain
Ce livre de bonne foi, éloquent à force de sincérité démonstrative, est plus qu'un réquisitoire contre l'amoralisme de l'Allemagne impérialiste, plus qu'un plaidoyer pour un peuple généreux, martyrisé et calomnié par ses bourreaux. C'est le témoignage spontané d'un Français qui a vu les barbares à l'uvre et jugé en connaissance de cause leurs méthodes d'invasion et leurs doctrines affichées. L'histoire trouvera, là les éléments essentiels de son verdict. (La Croix.)
Nos lectrices ne pourront lire sans émotion le chapitre que voici sur « la mort de Louvain ». Si nous le reproduisons, ce n'est certes pas pour attiser leur haine contre l'envahisseur (Dieu nous préserve de ce que nous nous infligions à nous-mêmes la honte de représailles) mais s'il est mal de haïr, il est bon, parfois, de se souvenir. Aux âmes généreuses mois trop promptes à l'oubli nous ne disons pas la pardon - nous présentons cet ouvrage: elles y trouveront à l'uvre, et dépeint par ses eeuvnes, le luthéranisme allemand.
La Mort de Louvain
Martyre de sa foi, ou victime seulement de la fureur guerrière de ses ennemis, la ville de Louvain a subi dans ses habitants et jusque dans ses pierres même un supplice dont les détails feront horreur aux générations futures. En s'inspirant des sources te plus autorisées, M. Raoul Narsy a raconté ce Supplice.
De son côté, un témoin oculaire, M. Hervé de Gruben, consigne ses souvenirs dans un petit livre qu'il intitule: les Allemands à Louvain. Là, on ne trouve évidemment pas, comme dans le livre de M. Raoul Narsy, un exposé d'ensemble avec l'étude des causes qui ont pu amener le massacre, la discussion des excuses alléguées par l'autorité allemande, la réfutation des mensonges officiels, etc. Vivant dans la ville martyre, occupé à donner ses soins aux victimes, M. Hervé de Gruben ne prétend que raconter ce qu'il a vu. C'est au centre même de l'action qu'il nous place; c'est de là qu'il nous fait voir la conduite des troupes allemandes. Dans l'hôpital Saint-Thomas, il se dévoua longtemps, avec Mgr Deploige, qui a écrit la préface de son volume, au soin des blessés et des mourants. Sans un mot de récrimination ni de haine, il dit leg transes des Louvanistes, leur silence terrifié des premiers jours, puis l'explosion soudaine des fureurs incendiaires. Et alors commence le triste défilé des blessés civils, qui est comme le tableau central de sa fresque.
Le 26 août, au lendemain de la fusillade qui avait servi de prétexte à l'incendie, tout le personnel de l'hôpital Saint-Thomas communie pieusement, des mains de Mgr Deploige. Un autel a été dressé dans la salle même des grands blessés. Le canon, qui gronde aux portes de la ville, « accompagne de sa basse formidable le tintement grêle de la sonnette ». Il n'est que 5 heures du matin, et déjà des fugitifs arrivent. Voici le chanoine Noël, professeur à l'Université, conduisant sa mère. Ils disent que, brusquement, la veille au soir, des soldats allemand* ont tiré contre leur maison. Puis Mme Gilson, femme d'un avocat de Liège, les ennemis ont emmené son mari en criant qu'ils allaient les fusiller. Puis deux médecins qui, malgré leur croix rouge, ont essuyé des coups de feu. La baronne de Dieudonné, dont le magnifique hôtel est en flammes, cherche un refuge pour ses petits enfants...
L'énumération se poursuit durant plusieurs pages. Et pourtant, ce n'est pas encore ce qu'il y a de plus tragique.. Femmes, vieillards, enfants, les premiers arrivés pouvaient du moins marcher. Voici ceux que l'on apporte: une pauvre servante qui, dans la cuisine de son maître, M. Noyons, a été blessée de trois coups de feu. Un infirme, jadis brillant avocat, M. van der Zypen, que l'on vient d'arracherà l'incendie. Atteint de paralysie générale, il était seul dans sa maison entourée déjà de flammes et toutes» les portes ouvertes. Etendu sur son lit, les yemx hagards, il délirait. Installé à l'hôpital, « il y mourut trois semaines après, sans avoir recouvré la raison ».
C'était pourtant presque une charité des Allemands», que d'avoir laissé ce vieillard dans son domicile, au risque de l'y brûler vif. Ils agirent autrement envers M. Michotte, père de deux professeurs de l'Université, homme entre tous vénérable et âgé de quatre-vingts ans. Celui-ci était si malade, que sa femme avait obtenu, du major allemand von Manteuffel, un écrit défendant aux troupes impériales d'entrer dans sa maison. Car c'est ainsi qu'on réglementait, par des petits papiers, des affiches manuscrites, ou même de simples avis à la craie blanche tracés sur les portes, le pillage et l'incendie eux-mêmes. Mais ces réglementations, n'étaient pas toujours efficaces. Chez M. Michotte, des soldats venant de Liège pénétrèrent, fort excités et disant, suivant l'éternel refrain: « Vous aussi, vous avez tiré. » La vue du moribond ne les. désarma pas. Ils prirent le vieillard sur son matelas, qu'ils partaient par les quatre coins, et le posèrent en pleine rue. Les ambulanciers de Saint- Thomas vinrent chercher là ce malheureux. Transporté à l'hôpital, « il y mourut le lendemain, dans la cave où on l'avait descendu par crainte du bombardement. Il fut enterré dans le jardin ».
La liste continue. C'est le chimiste André, un vieillasd lui aussi, qui venait de donner à boire à quelques hommes quand une troupe passa. Voyant la porte entr'ouverte, un soldat jeta dans la maison une grenade à main qui blessa gravement le vieillard. C'est une dame âgée, habitant rue Léopold, qui a reçu une balle dans la jambe et qu'il faut amputer d'urgence.
Jamais ne s'effacera de mon souvenir la vision atroce de cette femme que j'ai transportée et à amputer. Une sueur froide mouillait les tempes, tes dents claquaient, les paupières étaient closes, Je visage était cireux comme celui d'une morte.
Dans cette seule journée du 26 août, plus de deux cents personnes avaient cherche un refuge à Saint-Thomas. Quand, le lendemain, l'ordre fut intimé à la population de quitter la ville sous prétexte qu'on allait la bombarder, il ne s'agissait, en réalité, que de laisser le champ libre au pillage et à la dévastation méthodiques.
ON put s'épargner la peine d'enfoncer les portes, les habitants expulsés ayant reçu l'ordre de les laisse ouvertes. Une fois dans la maison, on avait vite fait de briser à coups de crosse les panneaux des garde-robes et de fracturer avec la pointe des baïonnettes les tiroirs des secrétaires. Les coffres-forts étaient plus durs à percer, mais un outillage de cambrioleur peut en venir à bout. Le contenu des meubles était répandu sur le sol et chacun faisait son choix. Couverts d'argent, linge, uvres d'art, jouets d'enfants, instruments de précision, tableaux, tout était bon à prendre. Ce qun les pillards ne pouvaient emporter était déchiré, brisé, sali. Après, ils passaient par la cuisine et descendaient à la cave. Enfin, la panse et les mains pleines, ils portaient triomphalement à la gare le butin pris à l'ennemi. Que d'heureux les cadeaux allaient faire en Allemagne!
Et cela dura huit jours, comme l'incendie. Les dernières maisons furent allumées rue Marie-Thérèse, le mercredi 2 septembre. Le même jour, dang la soirée, des soldats allemands ivres traînaient encore à la gare de lourdes valises remplies d'objets qu'ils venaient de voler, rue Léopold.
Recueillons enfin, avant de quitter ce spectacle de tristesse et d'horreur, le témoignage d'un neutre. Celui-ci est un prêtre paraguayen, M. Manuel Gamarra, qui se trouvait comme étudiant à Louvain, au mois d'août 1914. Le dramatique récit de ce qu'il eut à souffrir, publié d'abord dans des journaux siid-américains, est ainsi reproduit dans l'album de M. Henri Davignon:
... L'incendie commença à 7 h. 1/2 du soir, le 25 août. Pendant que la ville brûlait de toutes parts, les Allemands fusillaient les malheureux qui fuyaient de leurs logisi en flammes. Ce fut une nuit d'une horreur inimaginable. La plupart des habitants réussirent néanmoins à s'échapper par les cours et les jardins. C'est ce que je fis moi-même quand, vers minuit, commencèrent à flamber les maisons voisines de celle que j'habitais, rue Juste-Lipse.
Le lendemain matin, je fus fait prisonnier et emmené à la gare vers 10 heures.
Avec moi se trouvait un Espagnol, le P. Catala, vice-consul d'Espagne depuis peu et supérieur d'un collège rue de la Station, qui fut incendié malgré le drapeau espagnol placé au-dessus de sa porte. Ce premier groupe de prisonniers, au nombre de soixante-dix à quatre-vingts, renfermait des personnes très distinguées, avocats, médecins, etc. Nous étions cinq étrangers: le P. Catala, trois jeunes gens espagnols et moi. On nous mit en files de quatre, encadrées par des soldats qui nous insultaient et nous brutalisaient. A l'entrée de la rue de la Station. il y avait un cadavre en partie carbonisé; dans les corridors de la gare gisaient quinze ou vingt cadavres de civils fusillés. Et la ville, surtout dans ce quartier, était enveloppée de fumée et de flammes. Jours de terreur indescriptible!
Je tenais à la main mon passeport, prouvant ma condition d'étranger. Je cherchais à me sauver, par quelque moyen, de la mort, que je sentais menaçante; car les Allemands, officiers et soldats, n'étaient plus en ce moment des hommes, mais des bêtes féroces. Dieu seul, par un miracle, pouvait nous sauver. On ne voulait rien savoir de mon passeport. Chaque fois que j'essayais dfa prouver mon innocence et ma nationalité américaine, les officiers me menaçaient et me frappaient. Quand je vis que tout était inutile, je me résignai et me préparai à la mort. Mes compagnons firent de même...
Vers 11 heures, on nous mit en marche vers Malines, dans les environs de laquelle se battaient Belges et Allemands. A droite et à gauche de la route, tout était en flammes. A Hénent, cinq kilomètres de Louvain, je vis dans un coin de mur le cadavre d'une fillette de douze à treize ans, brûlée vive. On nous maltraita terriblement tout le long du chemin. On nous faisait courir, nous arrêter, aller pas à pas, sous les coups de sabre, de crosse ou de lance. Nous recevions des coups de pied et des crachats. Et quelles injures, ô mon Dieu! Je soutenais un vieillard ma- lade, qui se traînait à mon bras pour échapper à la mort, car on l'eût percé d'une baïonnette ou d'une balle s'il se fût arrêté. Et tous, nous nous regardions de temps en temps, stupéfaits de tant de barbarie. Enfin, nous arrivâmes à un champ, à neuf ou dix kilomètres de Louvain. On fit halte et un officier nous dit qu'on allait nous fusiller. Lui ayant répété que j'étais Sud-Américain, ainsi qu'en témoignait mon passeport, il s'écria, les yeux flamboyants, que c'est moi qui serais fusillé le premier, « parce que j'avais tenu cachés dans mon église des fusils, des mitrailleuses et autres armes »; et il m'ordonna de me taire. Puis on nous attacha Jes mains derrière le dos avec nos propres mouchoirs. Les soldats se rangèrent et l'on fit tous les apprêts de l'exécution, nous laissant .ainsi pendant un quart d'heure dans les affres de la mort.
On nous répartit ensuite par groupes, toujours cmmenotlés, devant les soldats déployés en tirailleurs, et l'on nous fit marcher ainsi dans les champs, de village en village, vers les lignes belges.
... A la tombée de la nuit, nous arrivâmes à Cam-penhout, où nous passâmes la nuit enfermés dans l'église, pendant qu'on se battait autour de nous. Le lendemain, le P. Catala, les trois jeunes Espagnols et moi fûmes mis en liberté. Quant aux autres prisonniers, tous Belges, ils continuèrent toujours devant les tirailleurs jusqu'à Malines, où on les libéra enfin.
Les autres habitants de Louvain n'ont pas été mieux traités. Beaucoup furent emmenés prisonnière dans l'intérieur de l'Allemagne (à Munsterlager): plusieurs milliers furent traînés jusqu'à Tirlémont: des milliers d'autres passèrent toute une semaine dans les bois, nourris seulement des pommes de terre qu'ils arrachaient dans les champ. Louvain resta vide de ses habitants pendant les 27, 28 et 29 août, et les Allemands en profitèrent pour piller méthodiquement, maison par maison, ce qui n'avait pas élé incendié. De sorte que les familles qui rentrèrent ensuite, dont les logis étaient encore debout, n'y trouvèrent plus que les murs.
Ce que les. Allemands ont fait à Louvain et dan? toute la Belgique est inqualifiable.
On a multiplié les enquêtes sur les causes immédiates de la tragédie. Les Allemands étaient entrés le 19 août dans Louvain, que les troupes belges ne leur disputaient pas. Ce n'est qu'après six jours d'occupation, soit le 25 août, vers 18 heures, qu'ils livrèrent la vieille cité universitaire au pillage et à l'incendie.
Il est actuellement bien établi qu'il y eut, ce soir-là, un moment d'effroyable panique parmi les troupes de la garnison. On entendait depuis le matin les grondements du canon dans la direction de Malines. C'étaient les soldats belges qui luttaient contre les Allemands et qui, vers la fin du jour, les repoussèrent. Or, tandis que ces troupes battant en retraite pénétraient un peu confusément dans Louvain, d'autres troupes allemandes y arrivaient en sens inverse, venant de Liège. Entre les deux armées, ainsi destinées à se heurter, il y avait en outre la garnison de la ville, affolée par la canonnade et par les nouvelles les plus contradictoires.
Alertés par leurs chefs, ces soldais de la garnison se dirigèrent vers la gare et y rencontrèrent les troupes venant de Malines. Le choc était presque inévitable. Il se produisit. Des coups de fusil partirent. Immédiatement, malgré la terreur dont la population n'avait pas pu cacher les signes, malgré le manque d'armes chez les habitants, malgré toutes les apparences et contre toute justice, le cri fatidique retentit une fois de plus parmi les soldats impériaux: « Les civils ont tiré! »
Ce fut le carnage. Le bombardement, violemment mené jusqu'à 10 heures du soir, détruisit une partie de la ville. Mais il y avait danger à le continuer, à cause de la présence des Allemands eux-mêmes. Et puis, il fallait aller vite et peut-être épargner les munitions. Alors, on eut recours à un moyen moins noble mais plus sommaire. Ecoutons la Commission officielle:
... Les Allemands mirent le feu à la ville. Là où l'incendie n'avait pas pris, les soldats allemands pénétraient dans les habitations et jetaient des grenades incendiaires dont certains semblent pourvus. La plus grande partie de la ville de Louvain, spécialement les quartiers de la ville haute, comprenant les bâtiments modernes, la cathédrale Saint-Pierre, les Halles universitaires, avec toute la bibliothèque de l'Université, ses manuscrits, ses collections, le théâtre communal, étaient, dès ce moment, la proie des flammes.
... De nombreux cadavres de civils jonchaient les rues et les places. Sur la seule route de Tirlemont à Louvain, un témoin en a compté plus de cinquante. Sur le seuil des habitations, se trouvaient des cadavres carbonisés d'habitants qui, surpris dans leurs caves par l'incendie, avaient voulu s'échapper et étaient tombés dans le brasier. Les faubourgs de Louvain ont subi le même sort. On peut affirmer que toute la région située entre Louvain et Malines, et la plupart dos faubourgs de Louvain, sont presque anéantis.
Pans de murs calcinés, pauvres maisons détruites, avec leurs portes béantes, leurs toits effondrés, leurs chambres pillées et dévastées. Humbles foyers de paysans ou d'ouvriers belges, avec la courette ou le jardinet qui évoque l'image des gros enfants blonds. Puis, châteaux seigneuriaux dans leur ceinture humide de douves, au milieu de leur parc intact et silencieux. Ils dressent encore des murailles épaisses et montrent, comme une blessure saignante, leur flanc ouvert sur des restes de lambris dorés ou de plafonds à moulures. Eglises au clocher espagnol, décapitées et éventrées. Usines aux charpentes de fer que la violence des flammes a tordues. Et, au milieu de tout cela, Louvain elle-même, la ville des laboratoires et des travaux calmes, L'Alma Mater aux sages pédagogies et aux bruyantes fêtes estudiantines, Louvain ne montrant plus que des amoncellements innombrables de décombres, sans que l'on puisse même parfois reconnaître, dans le fouillis des. briques, des plâtras et des poutres calcinées, ce qui fut un édifice et ce qui fut une rue...
Certes, les photographies qu'on met sous nos yeux sont saisissantes. Il y a des documents terribles, dans la brochure de M. Raoul Narsy, dans les Rapports de la Commission officielle et aussi dans le livre de M. Henri Davignon. Mais on a raison de dire que la photographie idéalise tout. Çeulement, bien loin d'idéaliser dans l'hor- rible et d'exagérer le côté hideux des réalités, tout ce que l'on peut photographier de Louvain et de ses environs ne donne, je puis l'affirmer, qu'une idée bien faible de l'impression ressentie devant un seul coin, vu au passage, dans ce cimetière et ces .effondrements.
L'incendie Continua plusieurs jours de suite.
Un témoin qui quitta la ville le 30 août a écrit:
Un peu au delà du collège américain... la ville est «ntièrement détruite, à l'exception de l'hôtel de ville et de la gare. Aujourd'hui, d'ailleurs, l'incendie continuait; et les Allemands, loin de prendre des mesures pour l'arrêter, paraissent entretenir le feu en y jetant de la paille, comme je l'ai constaté dans la rue joignant l'hôtel de ville. La cathédrale, le théâtre sont détruits et effondrés, de même que la bibliothèque; la ville présente, en somme, l'aspect d'une vieille cité en ruines, au milieu de laquelle circulent seulement des soldats ivres, portant des bouteilles de vin et de liqueurs, les officiers eux-mêmes étant installés dans des fauteuils autour des tables et buvant comme leurs hommes.
Dans les rues pourrissent au soleil des chevaux tués, déjà complètement enflés; et l'odeur de l'incendie et de la pourriture est telle, que cette odeur -m'a poursuivi longtemps.
... Et nous aussi, nous tous qui, de près ou de loin, avons assisté à cette agonie d'une nation, l'odeur de ses cadavres et la fumée de ses ruines nous poursuivent comme l'obsession d'un cauchemar.
Nous n'avons pas énuméré tous les traits de cette passdon douloureuse. Nous n'avons rien dit, en particulier, des exactions financières, des lourds impôts de guerre, aussi injustes dans leur principe que démesurés dans leur application. Ils suffiraient pourtant, ces impôts monstrueux, à rendre exsangue une nation, même plus florissante que n'était la riche, mais petite Belgique.
Chaque ville a dû payer sa contribution spéciale, sous la menace d'un bombardement brutal: Namur, par exemple, fut condamnée à payer 50 millions, réduits ensuite à 35, contre versement immédiat d'un million. Tournai, ville de quarante mille âmes à peine, dut fournir, dans l'espace de quelques heures, 2 millions en espèces. Le pays entier fut ensuite solidairement grevé d'un impôt de 480 millions, payables à raison de 40 millions par mois durant un an; cette lourde charge vient, nous disent les journaux, d'être renouvelée, c'est-à-dire rendue définitive et exigible chaque mois, jusqu'à nouvel ordre, bien qu'elle représente vingt fois le montant des taxes et contributions perçues, en temps de paix et de prospérité, dans l'ensemble de la nation.
Mais les ruines matérielles finissent par se réparer.
Ce qui ne se répare pas, ce sont les vies immolées, les foyers dévastés. Ce qui crie vengeance au ciel, ce sont les femmes et les petits enfants massacrés. Inutile de recourir aux effroyables légendes de mains coupées et d'yeux crevés. La réalité sanglante est là, qui suffit à imprimer au front de ces armées, si fières de leur force redoutable, un stigmate d'ignominie, devant lequel les siècles futurs reculeront avec horreur.
Joseph Bobbée