de la revue 'Le Pays de France' No. 249, 26 juillet 1919
'l'Héroique Défense de Liège'

Liège, Août 1914

combats à Liège

 

Liège, qui vient de recevoir la croix de la Légion d'honneur des mains du président de la République, fut le premier chant de la geste héroïque des Belges. Dans leur entreprise de rapine, les Allemands se heurtèrent d'abord à ses remparts. Et de ce premier choc du Droit et de la Force, naquit l'écho qui, répercuté pendant près de cinq années à travers le vaste monde, plane maintenant sur la ruine des empires de proie.

Liège commandait et bloquait les grandes lignes d'invasion allemande, par ses douze forts avec une garnison de 4.000 hommes, un périmètre d intervalles de 52 kilomètres, une défense mobile d'environ 25.000 hommes.

Pour passer par Liège, dès le matin du 4 août, étaient groupés 300.000 Allemands dont 130.000 avaient reçu mission d'enlever les forts.

Le 5, un parlementaire vint demander au général Léman, gouverneur de la place, libre passage pour les hordes du kaiser. Il se heurta naturellement à un refus catégorique. Aussitôt le flot des casques à pointe s'engouffre dans le secteur Meuse-Vestre et le bombardement des forts de la rive droite commence.

C'est vers dix heures, raconte un défenseur du fort de Boncelles, que le premier coup de canon fut tiré. En même temps les Allemands passaient I'Ourthe à Esneux. Un escadron du 2e lanciers belge se portait en vain à leur rencontre. Peu de ces braves échappèrent à la mort. Nous passâmes l'après-midi dans l'attente; les bois grouillaient de Boches. Un observateur signale qu'en trois colonnes profondes ils s'avancent vers Boncelles. Ah! quel coup de canardière! Par centaines nos obus sillonnaient leurs masses, mais, tenace, l'ennemi s'infiltrait quand même. Lorsque la mut descendit, les feux de nos projecteurs éclairèrent des buts mouvants, enchevêtrés en un pêle-mèle diabolique d'où fusaient des appels et des cris déchirants. Canons, fusils, mitrailleuses, tout donne. Les forts d'Embourg et de Flémalle appuient notre défense. Leurs shrapnells éclatent à nos proches alentours, et le ciel mêle, par surcroît, son tonnerre au nôtre. Le vieux bon dieu illemand arrose ses zélateurs d'un déluge qui les oblige à chercher un abri... devant nos mitrailleuses, jusqu au matin, devant Boncelles. les attaques redoublent. En vain le 1er chasseurs à pied. une compagnie du 14e de forteresse se font hacher sur place. Le commandant Gailendyn qui la commandait n'avait-il pas dit la veille: « Vous voyez cette tranchée? Nous nous y maintiendrons jusqu à la mort! » Ils s y maintinrent si bien que des bataillons entiers tombèrent sous leurs balle? Parmi les morts nos soldats relevèrent le corps du prince de Lippe-Detmond et trouvèrent dans les poches de soa dolman un rapport se terminant par ces mots: « Fort de Boncelles imprenable. »

Fait-il dessiner d'autres silhouetes de héros?

Entre Evegnée et Fléron, une compagnie du 14 de ligne occupe une tranchée. Ses hommes tirent comme au stand. Le capitaine Simonis a promis un cigare à chaque tireur qui « fera uns rosé ». et lui circule entre ses soldats. Et à chaque but atteint il donne le cigare promis. Ils brûlèrent ainsi leurs approvisionnements de cartouches, et comme les chefs délibéraient, un miracle se produisit: les Allemands demandèrent une suspension d'armes pour relever leurs blessés. La même nuit, dans le même secteur, une pièce d'artillerie avec quelques servants tint en échec plus de deux heures la 14e brigade allemande et tua le général von Wussow. le premier général boche victime d'une guerre voulue par le parti militaire de Berlin. Il fallut l'arrivée du général Ludendorff pour rétablir la situation au profit des armes allemandes près plus de trois heures d'efforts.

Nuit d'héroïsme! Entre Fléron et Evegnée, entre les forts de Liers et de Pontisse, partout les colonnes boches furent hachées par l'artillerie et sept fois le cimetière de Rhées fut repris par les Belges. Le combat engagé à une heure du matin prit fin à dix heures et demie seulement! - On nous avait dit que les soldats belges fuiraient et que les forts étaient en carton, nous savons que ce n'est pas vrai!

Ainsi se plaignaient les prisonniers.

Ce que l'agresseur en eut de ces désillusions! Voici encore un bel exemple de ce que peut la volonté contre la masse.

Dans la plaine de Rhées combattait le 1e de ligne, drapeau au tète et si en avant que, à l'aube, le lieutenant Noterman, sentant qu il allait être pris ou tué, enterra son drapeau. Au matin, il est fait prisonnier. Il se trouve dans un poste sanitaire allemand avec quelques Belges. Ils demandent à aller relever les blessés, on le leur accorde, ils le font. Mais le drapeau est -il toujours en sûreté? Noterman et ses soidats passent par là. Tout est bien. Personne ne les voit, il faut sauver le drapeau, le déterrer de fuir. Le travail commence quand, d'un chemin creux, à 150 mètres, débouche une compagnie allemande. Noterman, risquant tout, crie: Halte! et s'avance.

- Je n'ai, dit-il au commandant allemand, qu'un signe à faire pour que le fort avec lequel je suis en communication et pour que mes hommes ici cachés vous déciment. Rendez-vous!

Les lieutenants osent protester. Le commandant boche les soumet: je suis seul maître! les faisceaux! »

Noterman continue, éloigne la troupe de ses armes, et - lisez ceci qui n est que vérité contrôlée - lui, qui sait l'ennemi proche, qui ignore où il y a encore des Belges, pendant deux heures réussit à maintenir ses prisonniers, jusqu'à ce qu'enfin - hasard heureux - une colonne belge, le reste de la 11e brigade, commandée par le glorieux général Bertrand, passe par là. Il lui remet ses prisonniers, va déterrer son drapeau et, l'emportant fièrement, court dire au commandant allemand comment il s'est loué de lui.

Le 6 au matin, les débris de la défense mobile devaient passer sur la rive gauche de la Meuse. Le général Léman, qui n'était plus en sûreté à Liège, lui donnait l'ordre de retraite. Les forts seuls pouvaient, comme forts d'arrêt, continuer la défense.

Cependant, certains éléments, oubliés peut-être par l'ordre de retraite, se maintinrent sur leurs positions jusqu'à ce que, le 13, les forts de Chaude-fontaine et d'Embourg soient tombés. N'ayant plus rien à défendre, ils quittèrent le terrain pour arriver, après mille ruses et escarmouches, à se glisser entre les colonnes ennemies et rejoindre Namur.

Donc, et à partir du 6, les forts isolés, sans direction d'ensemble, chacun se tirant d'affaire par sa propre initiative, continuèrent la lutte.

Quarante-huit mille Allemands furent tués sous Liège. De quelles puissances tormidables disposaient donc les Belges? D'une seule: l'amour de la liberté.

De chacun de ces forts je voudrais raconter le sacrifice, citer tous les défenseurs. Je ne le puis ici. mais voici ce qui se passait dans l'un d'eux: Loncin.

Survivants de Loncin m'ont dit, et chacun répétait les mêmes mots tant ils avaient été bien ancrés en eux:

- Nous savions, dès le temps de paix, que le sort de la patrie pouvait dépendre de la résistance à outrance d'un seul fort de Liège. Nous avions juré à notre commandant de rejoindre le fort avant l'ordre de rappel et de sacrifier notre existence à la défense du pays.

C'est à Loncin que s installe, le 6 le général Léman, y laissant toute l'autorité au commandant du fort et s'y considérant seulement comme un hôte.

C'est de Loncin que le commandant du fort envoie, le 6, à tous les ouvrages de la place un ordre signé du général Léman rappelant le devoir de résister à outrance et promettant l'intervention proche des alliés.

Là comme ailleurs, le 6, un parlementaire, suivi de magistrats civils belges, vint demander la reddition et reçut du commandant cette réponse: Le fort de Loncin résistera jusqu'au dernier homme. »

- Le 15, raconte un des défenseurs, ça tombait de partout, du village de Loncin. de Liège, d'Ans, d'Hollens, par douze et quinze obus à la fois. A partir de 10 heures, la lumière et la ventilation n'existaient plus. Faute d'éclairage on ne pouvait plus tirer. La fumée empuantissait l'atmosphère; à chaque instant le béton tombait en fine poussière, les phares à acétylène s éteignaient. On respirait à travers ses vêtements.

» Et cependant, à midi, nous avions déblayé les abris, rétabli la lumière et la ventilation: nos canons recommençaient à tirer.

Le commandant Naessens nous stimulait, nous promettait qu'enfin nous allions être attaqués. A ces paroles, nous avions hurlé de joie: « Les voir enfin de près! » Le général Léman lui avait promis : « Tous les défenseurs de Loncin seront décorés et auront une récompense spéciale. Ce qui nous importait, c'était de bien recevoir l'ennemi. Vers 17 heures une flamme immense jaillit. Le fort sautait. Le commandant Naessens fut dégagé, brûlé atrocement; il avait été lancé sur les obus et la flamme arrivait à lui quand le canonnier Thérent et je ne sais plus quel autre brave parvinrent à le sauver.

Les premiers Belges qui sortirent des ruines, blessés et désarmés, virent les Allemands aux abords du fort et essuyèrent des coups de feu. Dans les ruines, la lutte continuait. Un médecin belge ma raconté:

- Au fond d'une sorte de grotte il restait une poignée de blessés, brûlés sans apparence humaine, qui tiraient sur tout arrivant. Ces démons de leurs bouches saignantes hurlaient: « Vive la Belgique! » Ils ont abattu le premier Allemand qui plantait un drapeau sur Loncin.

» Environ 350 Belges sont morts là. Parmi les blessés, 78 étaient brûlés ou encastrés dans les blocs de béton. Les médecins allemands nous dirent: « II n'y a qu'une chose à faire, c'est de leur couper la gorge, mais c'est vous, médecins belges, à le faire. » Nous avons injecté de la morphine à ces malheureux. Ils se sont ainsi éteints sans souffrances.

A l'hôpital j'ai vu une mère de soldat au chevet du commandant Naessens. Cette mère belge venait soigner son fils, mais elle demandait d'abord: « A-t-il été brave? »

Comme cet enfant, la Belgique a été brave. Pendant plus de quatre années elle a subi la présence de ses tourmenteurs. Mais à présent les carillons de la victoire tintent aux beffrois reconquis. La prophétie du roi se vérifie: « Soldats, vous triompherez car vous êtes la force mise au service du droit! »

 

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