de la revue ‘La Guerre des Nations', no. 8
'la Guerre sur l’Yser'
Dessins d'après nature de James Thiriar

Dessinée par les Combattants

dessins de James Thiriar

 

On entend le sourd grondement des batteries allemandes. Pour en découvrir la position, les avions des Alliés passent sous les nuages gris et leur tâche n'est pas aisée, car les Allemands savent mille tours et ruses pour cacher leurs canons: les voici sous des abris couverts de paille et d'herbe; d'autres fois, ils les abritent sous des étables à bestiaux. En certains lieux, les canons sont cachés sous les décombres d'églises en ruines.

Les avions des Alliés ont quitté leur nid à l'aurore, une aurore gris d'argent sur un ciel délavé, et ils se sont élevés dans les airs. Les cloches des églises sonnaient, et répandaient sur la plate campagne leur appel dominical quand les avions revinrent à leur point de départ. Les positions de l'artillerie allemande avaient été repérées.

Des fils téléphoniques courent en désordre, pendus, semblerait-il, au hasard; et ils s'accrochent à des troncs d'arbres; plus loin, à la gouttière d'une toiture en ruine, ou bien aux ronces de la haie dont se protègent les jardins; par ces fils, les états-majors Alliés apprennent la position des canons allemands dissimulés dans les dunes sablonneuses ou derrière les digues, ou bien sous des tas de betteraves dans les champs. Et voici que, pour répondre à l'artillerie allemande, le son plus clair des canons français se mêle au chant des cloches tintinabulant dans la campagne.

Les obus passent avec des gloussements de poules qui appellent leurs poussins. On dirait d'un oiseau qui a brusquement pris son vol de la place où une lueur a éclaté. Comptez, trois, quatre, cinq: le bruissement se change en une plainte, puis s'étire et s'affaiblit, puis se tait- Mais continuez à compter jusqu'à dix, ou onze, ou douze, et dans l'éloignement vous entendrez un bruit sourd: l'obus est tombé à cinq, six ou dix kilomètres, dans les rangs ennemis. Les artilleurs ne peuvent se rendre directement compte de l'effet de leur tir, mais leurs obervateurs, placés en des postes abris, les en instruiront.

Cependant les canons Allemands ne laissent pas ceux des Alliés sans réponse. Le vent apporte leur sourd bourdonnement et, à la qualité du son, un expert reconnaîtrait le poids des projectiles qui sont lancés. Les obus tombent dans les champs où ils font gicler le sable autour d'eux comme de l'eau. Des flocons de nuages noirs se mêlent à la boue qui jaillit, fumée révélatrice des explosifs allemands: et la terre retombe, le vent a balayé vers l'est les petits flocons de nuages noirs: un grand trou dans la campagne est seul à rappeler la chute du projectile ennemi.

Déjà, les habitants de ces campagnes flamandes, vieillards, femmes et enfants, semblent avoir été bercés, dès leur enfance, au son lourd et sourd de cette artillerie; ils vont à l'église et vaquent à leurs besognes coutumières, au sifflement des balles et des obus.

De la route principale d'un village, qui a été pris et repris par les armées adverses, et dont plusieurs maisons se sont écroulées sous les coups de l'artillerie, part un petit chemin boueux, bordé de fossés; il s'en va au loin dans la campagne plate et détrempée. De l'église mystique subsistent les murs en pierre jaune, marqués de shrapnels comme un visage grêlé de petite vérole: entre ces murs désolés, des amas de pierres, d'ardoises et de verre brisé.

Sur la route boueuse s'avance une bonne vieille femme, de noir vêtue; un gros marmot de trois ou quatre ans, rosé et joufflu, trotte à ses côtés. L'enfant aussi est vêtu de noir, veste, ceinture et pantalon, et au premier coup d'œil on voit qu'il a mis ses plus beaux atours. Les projectiles des deux armées passent au dessus de leurs têtes, en se croisant. La vieille ne songe pas à lever la tête. Les yeux fixés au sol elle n'a d'attention qu'aux flaques d'eau de la route qu'elle évite avec soin; mais l'enfant l'éclaboussé en y mettant gaiement les pieds. Les petits doigts du gamin se serrent à sa jupe, mais sa petite figure ne donne pas le moindre signe de frayeur. On ne voit qu'eux deux, avançant, insouciants, sur la route où le jour reflète dans l'eau des ornières et des flaques de boue. Les shrapnels traversent l'air, sifflant ou geignant. On dirait que, pour la vieille et pour le petit, ce ne sont que des vols d'oiseaux. L'enfant même ne prête plus attention. Et des fumées blanches, à l'horizon, plat et arrondi comme celui de la mer, à l'horizon où le jour s'éclaire, montent derrière un clocher pointu.

Nous empruntons à l'un des correspondants du Daily Mail, M. Basil Clark, les principaux éléments de ce tableau des plaines flamandes où se livrent en ce moment de si terribles combats. Un soldat Canadien, un de ces Canadiens qui viennent de se couvrir de gloire dans le pays d'Ypres, envoie de son côté au Times, une description de la dernière bataille, que l'on pourra appeler dans l'histoire: la bataille des Fumées (22-23 avril).

« II était quatre heures après-midi, quand nous apprenons que nos Alliés français se retirent, sur la gauche de la division canadienne, par la route d'Ypres

à Langemark. Le vent très violent, soufflant du nord-est, avait apporté sur les tranchées françaises une fumée épaisse et suffocante, qui venait des lignes allemandes. Elle était chargée de gaz empoisonnés. Cette fumée lourde s'avançait et semblait rouler à terre, elle formait devant nous comme un mur, de couleur verdâtre, d'environ 1 m. 20 de hauteur. Elle s'élevait peu à peu et obscurcissait l'horizon. Nous ne pouvions plus viser et notre tir devenait inefficace ».

Ruse de guerre, interdite par les conventions internationales et qui ne servit pas aux Allemands. La nuit venue, un large clair de lune répandait sa nappe d'argent sur un champ de bataille où les cadavres allemands gisaient en majorité.

Un de nos collaborateurs, qui prit part à l'action, nous écrit les lignes suivantes que nous recevons au moment de mettre sous presse: « Ce fut une tuerie de quatre jours. Quand l'attaque se déclancha, notre commandant s'est écrié: « C'est la mort sans phrase ». Mais on avança avec courage. Nos progrès continuent, dit le communiqué. Les Allemands ont des pertes effroyables et les prisonniers que nous avons faits étaient très démoralisés ».

 

Dessins d'après nature de James Thiriar

 

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