de la revue 'La Grande Guerre du XXième Siècle' No. 5 de juin 1915
'Les « Gosses » Héroïques'

Les Petits Français se Battent

une page de la revue 'le Bon Point'

 

Quatre Petis Braves

25 décembre 1914

Ils étaient six du même quartier, à Châteaubriant, six gâs bien décidés, mais deux d'entre eux — qui sait pourquoi? — n'avaient pu quitter le logis. Partir pour la guerre était leur rêve: ils y pensaient matin et soir, et leur complot, bien que machiné dans le plus grand secret, avait fini par percer. Peut-on garder un secret à treize ans? Le vieux papa à moustaches grises avait fait les gros yeux, et tes enfants s'étaient tus.

Un jour, pourtant, ils apprirent que de petits gâs comme eux étaient échappés de Perpignan pour aller aux armées. Ils n'y tinrent plus. Mais comment faire? Les Français refuseraient de les recevoir. Tant pis! ils iraient aux Anglais. Justement, Trubert, le plus grand (14 ans), savait un peu d'anglais, les trois autres l'apprendraient vite, et puis, des petits « boys », il y en a des dans l'armée anglaise!

Un beau matin, le mercredi 16 courant, ils partirent pour l'école. se rencontrèrent au rendez-vous habituel. On se consulta — C'est-y pour aujourd'hui?

— Ma foi, oui.

— As-tu des sous?

— Plein mes poches!

— On regarda Legouais:

— Tu n'as que des sabots?

— J' n'en aurai que plus chaud.

On partit, et Legouais dirigea la bande. C'était le plus petit, treize ans, bambin bien frêle et tout pâlot, mais les yeux brillants de flamme patriotique.

On alla vers la gare. « Les pauvres Boches! qu'est-ce qu'ils vont prendre!..... » Soudain, Tollard s'arrête:

— Hé! les gâs, attendez! papa est sous-chef à la gare, et il est de service aujourd'hui. Il va nous pincer.

— C'est vrai!

— Partons à pied, dit Legouais.

Ils firent vingt à vingt-cinq kilomètres, et à Treffieux sautèrent dans le train. A Blain, grande halte. Ils achètent un pain, le coupent en quatre, et chacun dévore son quart de boule.

— Que mangerons-nous ce soir?

— T'en fais pas, dit Lossois; on mangera du pain d'Anglais.

Après le repas, pour imiter sans doute les grands soldats, nos quatre bambins s'étendent sur le talus de la route, et les voilà à écrire de petites cartes qu'ils ont emportées dans leur sac d'écolier:

« Soyez tranquilles, cher papa et chère maman, nous allons partir avec les Anglais, mais nous reviendrons aussitôt après la guerre. Embrassez pour nous petite sœur. »

 

On repart. Il faut arriver à Nantes ce soir. C'est là qu'on verra les Anglais. On s'embarque de nouveau jusqu'à Doulon. Les fonds..... ne permettent pas d'aller plus loin. Nos petits gâs reprennent la route à pied; n'ont-ils pas appris à marcher au patronage, à Châteaubriant? Ils marchent, et personne ne se plaint. Ainsi faisaient leurs grands frères pourchassant les Prussiens au delà de la Marne.

A 5 heures, ils étaient à Nantes..... Plus d'Anglais..... Et puis, les pauvres petits sont fatigués et l'estomac les tiraille. Que faire? Manger d'abord.

— Allons voir M. l'abbé, dit Legouais.

M. l'abbé, vicaire à Châteaubriant, mobilisé depuis huit jours comme infirmier à la 11e section, est cantonné rue des Orphelins, à l'établissement des Sœurs de Saint- Joseph. On y va.

Arrivés devant le portail, ils risquent un œil à l'intérieur. Un sergent barbu sort du poste, jugulaire au menton. C'est un missionnaire de Jérusalem, rappelé de Palestine par décret de mobilisation. Avec sa longue barbe et ses yeux terribles, il ferait peur à tout autre qu'à Legouais.

— Sergent!

— Qu'est-ce qu'il y a, mon p'tit gâs?

— J'voudrais voir M. l'abbé.

— C'est-y moi? demande le sergent, c'est-y un abbé barbu?

— Non, sergent. C'est M. l'abbé Séché.

— Et qu'est-ce que tu lui veux?

— Voilà. J'voudrais lui parler. Nous sommes partis pour aller a la guerre, mais nous n'avons plus d'sous. Il nous en donnera.

Le militaire considère un instant ce petit être chétif, maïs au regard ardent, fièrement campé devant lui.

— Tu parles d'aller à la guerre?

— Oui, sergent. On est parti quatre, ce matin, de Châteaubriant. Ont va rejoindre le front.

— Mais, mou pauvre petit, on ne voudra pas d'toù,...

— J’sais bien. C'est pourquoi nous roulons aller avec les Anglais..... On s'enrôlera comme « boy-scouts ».

Le sergent n'en revient pas..... Si petits encore et vouloir aller se battre!..... Il fait entrer nos jeunes guerriers au poste, les fait asseoir auprès du feu et se fait raconter tout le détail de leur folle équipée. C'était ravissant. Mais les pauvres petits avaient faim. On avertit Ie cuisinier, vieux clairon du 2e zouaves du nom de Doucet, et, pour la première fois qu'ils goûtaient à la soupe des soldats, ils la trouvèrent rudement bonne. Tandis qu'ils mangeaient de bel appétit, on fouilla dans leur sac: on y trouva une chemise, des mouchoirs, des cartes, des crayons, une glace et un petit bout de papier. C'était une chanson. Ils l'avaient composée ensemble plusieurs jours avant leur fugue. On y sent le souffle patriotique:

Ce sont de jeunes voyoucrates,
Marchant fièrement en savates,
Qui s'sont caltés un beau matin
Pour faire un' ballade à Louvain.
Ce sont des Caltelbriantais,
Ils partent sans rien dans leurs pochei
Rejoindr' leurs frèr's sénégalais
Qui combattent contre les Boches!
Ils sont jeun' et malgré l'enfance
Le courage remplit leurs cœurs,
Et pour venger le fier drapeau de France,
Ils marcheront auprès des trois couleurs.

REFRAIN

Ils sont partis gaiement,
Ces petits vagabonds,
Ils sont partis gaiement
Combattre les Teutons!

Pauvres petits! On leur fit comprendre que la faiblesse de leur âge, l'inquiétude surtout qui tourmentait leurs parents, étaient une raison plus que suffisante pour les empêcher d'aller plus loin. Ils finirent par se laisser convaincre, et M. l'abbé Séché se fit promettre qu'ils ne recommenceraient plus.

On chercha des lits. Il n'y en avait plus. Mais les petits soldats voulurent être militaires jusqu'au bout et demandèrent à coucher dans la paille. Il y avait justement de la place dans la chambre des sous-officiers. On les y conduisit. Détail touchant: ils se mirent à genoux au pied de leur couchette et récitèrent pieusement leur prière du soir. N'est-ce pas ainsi que font nos soldats, là-bas, devant les Boches, avant de s'allonger dans leurs tranchées? Ils s'enfonèrent dans la paille jusqu'au cou et s'endormirent.

Je ne sais s'ils rêvèrent la nuit de mitraille, d'exploits on de médaille militaire. Mais, pour cette fois, leur première campagne allait s'arrêter là.

Nos jeunes guerriers, la musette remplie de petits beurres et de chocolat (Sœur Marthe, économe de l'hospice, avait pensé à eux), furent reconduits le lendemain à la gare par le sergent barbu, et confiés au chef de train, qui les remit entre les mains de leurs parents, avertis la veille par télégramme.

C'était jeudi. Toute la gent écolière était sur pied, attendant à la gare nos quatre petits braves. Ils firent à leurs camarades une ovation enthousiaste et les reconduisirent chez eux, drapeau tricolore en tête.....

Ils sont retournés à l'école; mais dans cinquante ans d'ici, racontant à leurs mioches la guerre fameuse de 1914, chacun d'eux pourra dire: « J'n'avais qu'treize ans, mes petits gâs, mais j'y étais!..... »

Le Sergent du Poste de la Rue des Orphelins,

Lecteur de la « Croix. »

[Croix. ]

 

Hélène Payeur (15 ans)

26 octobre 1914

La jeune Hélène Payeur, dont le père, garde forestier des environs de Raon, est sous les drapeaux, s'est trouvée séparée de sa mère par la bataille et durant un mois est restée seule au milieu des bouleversements. Vous allez voir comment cette enfant de quinze ans et demi a protégé a sœur Rita, âgée de sept ans et demi, et son frère Robert, figé de cinq ans. Ecoutez et dites-moi si c'est simple et beau:

Maison forestière de Cénimont. par Sainte-Barbe.

Monsieur,

Je m'empresse de répondre à votre lettre, que j'ai reçue avec plaisir. Je yous dirai que nous sommes tous à la maison forestière. Maman, dont nous avions été séparés dans la bataille du 25 août, est rentrée le 21 septembre; elle a été jusqu'à Fontenay. Quant â moi, je suis allée jusqu'à Sainte-Barbe avec elle, j'y suis restée un jour et une nuit, jusque quand les troupes allemandes sont arrivées.

Nous avions emmené notre plus beau linge et notre vache. Quand Sainte-Barbe fut tout en feu, ils ont brûlé notre vache et m'ont défendu de la sauver. Je suis restée seule avec Rita et Robert pendant une heure de temps, qui ne cessaient de pleurer. On ne s'entendait plus par le bruit des canons et des balles.

Je me suis sauvée à travers les champs et les balles. Les Allemands me disputaient, mais ils me laissèrent passer à cause des enfants. Je gagnai Baccarat à travers bois. Mais une bataille s'élève et je tombais sur mes jambes par la frayeur des balles. Je marchais toujours, malgré la défense des Allemands.

J'arrivai à La Chapelle quand une grande bataille éclata au-dessus de Thiaville, je passai tout de même. J'arrivai à la maison, qui était complètement pillée. Je me suis mise aussitôt à nettoyer pour pouvoir me loger. Je n'avais rien à manger, mais enfin les Prussiens sont venus faire leur cuisine chez nous et nous ont fait manger avec eux. Ils ont fait périr l'autre vache chez nous. C'était une peste, car notre vache était à l'écurie et un cheval dans le fossé au bord de la route. Il a fallu que je fasse enterrer tout cela en me plaignant aux officiers.

Ils ont pris tout notre seigle et notre blé qui n'était pas battu, et m'ont défendu de le rentrer. Ils ont pris tout notre linge pour leurs blessés, et nous n'avons plus rien à nous mettre. Rita et Robert marchent pieds nus. Ils ont arraché toutes nos pommes de terre, et je n'ai rien eu à dire.

J'étais en souci, car je n'avais plus rien et je ne savais pas où maman était. Tout est triste en ce moment pour nous, car il faut travailler et ne rien gagner. Il y a trois mois que nous ne touchons pas un sou. Enfin, s'il fallait tout vous dire, je n'en finirais pas.

Nous avons reçu des nouvelles de papa, il nous dit qu'il va bien; mais il ne nous dit pas où il est. Maman l'a vu à Gircourt, lorsqu'il partait pour le Nord.

Quant à la petite baraque de chasse, il ne reste que le fourneau; les fenêtres sont cassées et il y a beaucoup de tombes allemandes autour. Nous avons encore la nappe, mais heureusement que nous l'avions cachée au bois avec un plumon. La maison forestière de notre brigadier est brûlée, ainsi que celle de Miclo et celle de Marchal.

Notre petit chien est disparu, et nous ne savons pas quelle fin qu'il a pris.....

Petite fille courageuse, tranquille et charmante! Elle est digne des soldats qui, dans le même temps, couvraient le passage de la Moselle et parmi lesquels combattait son pire. Elle a dans les veines le sang de Lorraine. Quelle simplicité, quel accord harmonieux entre le sentiment et la raison! Quelle mesure dans l'imagination! En regard du brutal appétit des Barbares dans leur fange de Raon-l’Etape, comme elle rayonne, la pureté de cette jeune fille, mère de famille sur la montagne! Je salue cette évidente supériorité du cœur, qui, le jour où elle s'allie à la supériorité de l'intelligence, crée le génie français.

Et c'est cela que les Allemands veulent écraser pour plusieurs motifs parmi lesquels une effroyable jalousie,....

Maurice Barrés, de l’Académie française.

[Echo de Paris.]

 

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