- de la revue La Grande Guerre du XXième Siècle no. 2
- 'Les « Gosses » Héroïques'
Les Petits Français se Battent
une page de la revue 'le Bon Point' (suite en bas)
Un Enfant de Treize Ans Sauve un Capitaine et 20 Hommes
10 octobre 1914
Encore un brave gamin, que le jeune André L..., de Nancy, dont le Journal de la Meurthe nous narre la belle odyssée. Dès les premiers jours de la guerre, il s'attachait aux pas des soldais français; il part et repart tantôt avec les artilleurs, tantôt avec les fantassins; tous les soldats sont frères du moment qu'ils sont Français. Il finit cependant par avoir un faible pour le 156e de ligne, qui sans doute! en avait un pareil pour lui.
Maintenant, il revient à peu près tous les jours pour..... sa mère seulement, il rentre à n'importe quelle heure de la nuit, selon les besoins du service.
Au soir du bombardement de Nancy, il était cependant déjà rentré, quand, tout à coup, il entend une bombe éclater en brisant le toit sous lequel il s'abrite au troisième étage. C'était pour lui comme pour tous les autres habitants une invitation pressante a descendre dans les sous-sols. Mais à peine s'y est-il, rendu avec sa mère et sa petite sur, que l'un gémit sur son argent laissé dans l'armoire, l'autre tremble pour un objet précieux glissé dans la commode. André n'a pas plutôt entendu ces doléances qu'il grimpe comme un écureuil les durs escaliers des différents étages et rapporte à chacun la paix et la joie. Son bon cur avait parlé plus haut et plus fort que le canon toujours aboyeur.
Ce n'était ni la première ni la dernière fois. Pendant ces deux mois de guerre, chaque jour il se donne et s'expose. Un jour, toutefois, il fallut bien s'arrêter. Depuis l'avant-dernier lundi de septembre, André n'avait pas reparu. De plus en plus, sa mère le recommande à la Sainte Vierge qu'il aime bien et qui le lui gardera; quand, vers la fin du mois, elle voit entrer chez elle un bravé employé de chemin de fer qui demeure dans le quartier et qui lui apporte des nouvelles de son fils.
Il l'avait vu à une gare d'embarquement des blessés, vêtu d'une veste de soldat et coiffé d'un képi. Bien qu'il eût mal au pied, l'administration ne croyait pas pouvoir l'admettre à la gratuité du voyage en compagnie des blessés officiels. Mais ceux-ci, d'une voix; unanime dans son compartiment, réclamèrent vivement:
Si! Si! Il viendra avec nous! C'est à lui que nous devons nous-mêmes d'avoir pu revenir jusqu'ici et nous ne partirons sans lui: il nous a sauvés.
Et ils expliquèrent comment. La cause était gagnée.
D'où donc est-il, le conscrit? demande alors un employé du train.
Il est de Nancy.
Tu es de Nancy! De quelle rue?
Rue Notre-Dame.
C'est bien, mon petit, je donnerai de tes nouvelles à tes parents, sois tranquille, j'irai moi-même les voir.
Quelques jours après, la mère recevait, en franchise de guerre, une carte postale écrite au crayon en cours de route pour Lyon.
Je suis un peu blessé au pied, en sauvant un capitaine et une vingtaine de soldats. Nous allons dans le Midi. Je t'écrirai encore.
Ton fils, André L...
C'était à la bataille de Thiaucourt. André avait déjà ramené de la ligne de feu à l'ambulance les hommes dont il parle. Il les voiturait sur une brouette abandonnée qu'il sut découvrir à propos.
Les blessés devenaient sans doute plus nombreux, car il venait d'en charger trois à la fois sur son petit véhicule, quand, tout à coup, sur le côté, une bombe siffle, tombe et craque, broyant tous; ses chers blessés, déchirant sa chaussure et le blessant au pied.
Ce fut à son tour d'être relevé sur le champ de bataille.
Il veut du reste « recommencer » bientôt. Pour consoler sa mère du présent, déjà même de l'avenir qu'il rêve encore plus beau,. André ajoute comme un post- scriptum, du côté illustré de sa carte postale: « J'aurai la médaille! » Ne l'a-t-il pas bien méritée?
[Excelsior]
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Le Caporal Joseph Lauzonne (16 ans)
30 octobre 1914
Le jeune Joseph Lauzonne, âgé de seize ans, originaire du département de l'Hérault, vient de se signaler brillamment et tout à fait malgré lui à l'attention publique. Joseph Lauzonne avait réussi à s'engager dans un régiment d'infanterie, sans avouer son âge, bien entendu, et s'était conduit avec tant de vaillance sur plusieurs champs de bataille qu'il avait été nommé caporal. Tout récemment même il s'était vu proposer pour le grade de sergent.
Hélas! le brave garçon devra attendre encore un peu pour porter un nouveau galon. Ses parents, qu'il n'avait point mis dans la confidence de sa fugue héroïque, et dont on devine les angoisses, l'ont fait rechercher, et leur surprise a été vive de le retrouver sur le front. Ils n'ont pas permis au glorieux petit soldat de continuer une carrière si bien commencée. Mais il est à prévoir qu'ils ont déjà pardonné d'avoir abandonné, sans prévenir personne, le foyer; où il était entouré de tendresse.
[Temps]
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Le Sergent Edouard Martel (13 ans)
21 novembre 1914
Edouard Martel, né le 16 juillet 1901, à Malzéville, près de Nancy, avait tout juste treize ans quand la guerre fut déclarée: il compte aujourd'hui trois mois de campagne et porte sur les manches les galons de sergent. C'est certainement le plus jeune soldat et le plus jeune sous-officier de l'armée.
Comme son père malade, comme ses quatre frères, le petit Marcel avait ses voisins les Boches en horreur et il se réjouissait lorsque, la mobilisation étant déclarée, il vit nos troupes traverser le village de Malzéville pour courir à la revanche. Il aurait voulu coopérer, lui aussi, à la défense nationale. Un jour c'était le 10 août, il n'y tint plus et, ayant rapidement prévenu sa famille, il emboîta le pas aux sapeurs du 6e génie. Ce fut en vain que ceux-ci lui conscillèrent de rentrer au logis; devant le refus obstiné de l'enfant, ils se virent bien obligés de l'adopter.
Et Edouard Martel suit partout le 6e génie; il partage avec les soldats la gamelle de rata et, comme eux, dort dans les tranchées qu'il creuse. Le gamin n'a pas peur, ses compagnons sont fiers de lui et, un soir, solennellement, on le nomme « premier jus » Soldat de première classe! Quelle joie pour l'enfant, qui coud les galons rouges sur la veste trop grande qu'un soldat lui a donnée! Cet avancement rapide lui a été accordé comme récompense à son dévouement et à son initiative: ses cent trente centimètres de taille lui permettent de se glisser partout et, comme il ne pèse que trente-sept kilos, il peut s'avancer sur les petites planches qui serviront à jeter un pont.
Mais les Allemands ne sont pas loin; Marlel veut être armé: on lui donne une carabine et, à partir de ce moment, il va faire le coup de feu comme un homme.
Avec un calme que les obus ne peuvent troubler, il se blottit dans les tranchées, vise tranquillement les casques à pointe et, quand il a abattu un Boche, il le signale à ses camarades:
Encore un! Encore un! Ça fait deux!
Il fait avec son régiment la retraite de la Meuse jusqu'à la Marne. Sur les hords de la rivière, un jour, il protège, sa carabine à la main, les soldats qui, hâtivement, se préparent de nouvelles tranchées et, quand la section les a occupées, il s'en va, seul, chercher des munitions. Vingt fois il risque de se faire tuer, mais rien ne l'arrête: les cartouches ne manqueront pas. Le capitaine Bédos le félicite et lui annonce qu'il le nomme sergent. Cette bonne nouvelle enthousiasme le petit sous- officier; elle ne réjouit pas moins ses compagnons, qui le choyent un peu plus encore. Le colonel Durieu entend parler du « gosse », il veut le voir et le féliciter, puis, devant toute la compagnie, il l'embrasse.
Le 20 octobre, le 6 génie se trouve à Y...; la bataille fait rage. Le petit sergent est au comble de la joie: il en est arrivé à aimer le danger, et son insouciance et son ardeur émerveillent les hommes.
Hélas! le petit tombe malade. Atteint de l'appendicite, il en est opéré le 27 octobre et six jours plus tard il est évacué à Dunkerque.
Portant toujours sa veste galonnée et son bonnet de police campé sur l'oreille, on l'admet à l'hôpital anglais de la duchesse de Sutherland, à l'hôtel Belle-Vue, à Malo- les-Bains.
Rapidement guéri, il prolonge sa convalescence, car il est utile à quelqu'un. Il y a là, dans le même hôpital, un adjudant de Sénégalais qui a les deux bras déchirés par les éclats d'obus: c'est le petit sergent qui le soigne; il le lave, le mouche, le fait manger et lui roule ses cigarettes.
La duchesse de Sutherland vient le féliciter et le gamin ne comprend pas pourquoi on le charge de compliments: il n'a rien fait que de très naturel.
[Journal]
une page de la revue 'le Bon Point'