le livre
'Les Enfants Héroïques'
par S. Coubé, 1917

Petite Taille et Grand Cœur

illustrations de la revue d'enfants - 'Zizi, Tueur de Boches'

 

Le Blondin d'Alsace

Écoutez, mes chers enfants, une histoire arrivée un peu après la guerre de 1870. L'Allemagne, qui venait de nous enlever l'Alsace et la Lorraine, s'efforçait d'étouffer le souvenir de la France dans le cœur de ces deux belles provinces et surtout dans l'âme des enfants.

Un jour, un inspecteur prussien en tournée arrive dans une école des environs de Strasbourg. Du haut de ses lunettes d'or, il jette un regard de triomphateur sur ces pauvres petits Alsaciens qu'il se flatte de gagner à la culture allemande. Il avise an garçonnet aux cheveux blonds et frisés, vêtu de deuil, et il l'interroge.

— Comment te nommes-tu?

— Jean Pehwab.

— Quel âge as-tu?

— Douze ans.

— Ton père?

— Mort pour la patrie!

— C'est bon! Je ne t'en demande pas tant... Voyons. Quelles sont les plus grandes nations de l'Europe?

— La France!

— La France! s'écrie le Teuton, rouge de colère. Apprends, petit polisson, que la première nation du monde, c'est l'Allemagne.

L'enfant, tout pâle, réplique:

— La France!

— Petit fou! Mais sais-tu seulement où elle est la France? Montre-la moi sur la carte.

Le petit Alsacien, ému, les joues empourprées, les yeux étincelants, s'avance, se campe fièrement devant l'inspecteur, écarte sa veste noire, et, se frappant la poitrine, s'écrie:

— La France? Tenez, elle est là... dans mon cœur!

La Belle France

Le sentiment qu'exprimait Jean Pehwab, c'est celui qui doit faire battre tous vos cœurs, mes chers enfants.

Il faut aimer la France. Elle est la plus merveilleuse des patries. Un étranger, le Hollandais Grotius l'appelait:

Le plus beau des royaumes après celui du Ciel.

Elle a tout pour elle, un sol fécond et inépuisable, les premières vignes du monde, un climat tempéré, également éloigné des glaces du pôle et des fournaises des tropiques, de puissantes montagnes et parmi elles le Mont-Blanc d'où elle voit toute l'Europe, y compris l'Allemagne, à ses pieds, trois mers qui la défendent et la bercent de leurs flots harmonieux.

Elle a une âme plus belle encore, âme généreuse et chevaleresque, qui s'attendrit devant toutes les souffrances, qui s'enthousiasme pour toutes les nobles causes, qui frémit contre toutes les infamies.

Cent fois elle a volé au secours des opprimés et châtié les oppresseurs. Et, quand elle ne pouvait arriver à temps, avec quelle douleur les peuples martyrs s'écriaient, comme la Pologne:

Ah! le Ciel est trop haut et la France est trop loin!

Elle a toujours été à l'avant-garde de la civilisation, et, quand elle promène son drapeau par le monde, elle rayonne partout autour d'elle les grandes idées de justice, de liberté et de fraternité humaine.

C'est la plus accueillante et la plus hospitalière des nations. Les étrangers aiment à reposer leurs yeux et leur âme devant ses horizons lumineux. Ils goûtent son charme, ils subissent l'ascendant de son esprit: bien souvent ils l'adoptent pour seconde patrie et le poète a pu dire:

Tout homme a deux pays, le sien et puis la France.

La Douce France

Mais, si notre patrie est pour tous les hommes « la belle France », elle est pour ses enfants « la douce France », c'est-à-dire la France bien-aimée. C'est leur mère. Ils lui donnent les noms les plus tendres, ils lui ont voué un amour passionné et dévoué jusqu'à la mort.

Ils ne permettent pas qu'on l'insulte ni qu'on l'attaque. Ils lui disent avec Déroulède:

France, veux-tu mon sang?
Il est à toi, ma France.
S'il te faut ma souffrance,
Souffrir sera ma loi,
S'il te faut ma mort, mort à moi!
Et vive toi, ma France!

Et si le canon gronde à la frontière, si la patrie les appelle, ils partent avec enthousiasme et vont combattre et mourir pour elle, heureux de pouvoir ajouter, par leur sacrifice, un fleuron à sa couronne. Et c'est encore leur pensée à tous qu'a exprimée le poète en disant:

En avant! Tant pis pour qui tombe
La mort n'est rien: vive la tombe,
Quand le pays en sort vivant!
En avant!

Lorsqu'ils meurent, c'est son image adorée qui passe une dernière fois encore devant leurs yeux dans la fièvre de leur dernier rêve: c'est son nom qui revient chanter dans leur cœur. Et ce sentiment ne date pas de nos jours. Il y a longtemps, bien longtemps, il y a plus de mille ans, sur le champ de bataille de Roncevaux, Roland et les preux de Charlemagne mouraient en murmurant: Doulce France!

Le Petit Don Quichotte

Mais des enfants sont-ils capables de ces grandes idées et de ces généreux sentiments? Eh! oui, dès que leur âme entr'ouvre ses ailes, elle vole spontanément de ce côté.

L'enfant a, en petit, tous les défauts et toutes les qualités de l'homme. Il a besoin d'être protégé, mais il a aussi l'instinct de protéger de plus faibles que lui.

Le petit garçon est né protecteur. Il se sent une obscure vocation de chevalier. Et, si l'égoïsme n'étouffe pas en lui ce germe de gentille chevalerie, il fera un jour de grandes choses.

En attendant de pouvoir pourfendre de vraies injustices, il s'attaque à des forteresses imaginaires. Don Quichotte en herbe, il rompt des lances contre les moulins à vent. Il aimerait — ne souriez pas — à défendre la veuve et l'orphelin, non par la parole, mais par l'épée.

La preuve? Écoutez. Un bébé de trois ans avait entendu dire que sa mère était veuve. Un jour il lui dit:

— Maman, qu'est-ce que c'est qu'une veuve?

— Mon chéri, c'est une pauvre femme qui n'a plus personne auprès d'elle pour la défendre.

Alors Bébé grimpe sur les genoux de sa mère et lui dit de sa voix la plus crâne en l'embrassant:

— Eh bien, maman, attends encore un peu, et, dans quelque temps, quand je serai grand, tu ne seras plus veuve!

Besoin d'aimer et de se dévouer: toute la grandeur humaine est là, en germe.

La Chanson Polonaise

L'enfant est sensible aux douleurs de sa patrie. La petite Jeanne de Domremy, à onze et douze ans, pleurait toutes les larmes de son cœur, quand ses voix lui contaient les calamités et la grande pitié de la France.

Il existe une vieille chanson polonaise du temps où la Pologne était ravagée par les Turcs. Les enfants la chantaient dans les villages couverts de neige, à la fête de Noël, autour de la crèche de l'Enfant Jésus, toute flamboyante de cierges.

« O petit enfant délicat, la Patrie, la Patrie, défends-la.
« Tu es l'agneau faible et fort, tu peux repousser le Turc perfide sous les fourches de la mort.
« O petit Enfant délicat, la Patrie, la Patrie, défends-la.
O sacrilège! O crime! La mort franchit le seuil de nos maisons.
Notre Patrie est victime, elle n'est plus qu'une dépouille.
Les ennemis la pillent et la massacrent.
O petit Enfant délicat, la Patrie, la Patrie, défends-la.

Sans doute cette chanson n'a pas été composée par des enfants: mais elle a été faite pour eux et, s'exhalant de leurs lèvres, elle disait bien le sentiment de leurs âmes endolories des souffrances de la patrie.

Le Régiment qui Passe

Le plus souvent ce n'est pas par des larmes et des élégies que se traduit le patriotisme des petits; c'est par l'enthousiasme de la défense nationale à laquelle ils rêvent de s'associer.

Nos bambins savent très bien que la guerre actuelle décidera du sort de la France, de sa vie et de sa mort, et ils ne pensent pas à autre chose.

Ils se passionnent pour les récits militaires, pour les images et les gravures représentant des aéroplanes, des canons et des combats. « Est ce que nous gagnons? Est-ce que nous avançons? Combien a-t-on fait de prisonniers? A-t-on tué beaucoup de Boches? » Voilà les questions qu'ils ne cessent de poser à leurs parents et à leurs maîtres. N'est-ce pas vrai, mes chers amis?

Quand vous voyez un régiment qui passe, drapeau en tête, tambour battant, des éclairs brillent dans vos yeux, vous battez des mains, vous trépignez, et, si vos mamans ne vous en empêchent, vous vous mettez au pas, vous accompagnez vos grands frères et, vous voudriez les suivre jusqu'au feu.

Si l'on vous raconte un de ces beaux exploits, comme il s'en passe tous les jours au front, charges endiablées de nos poilus enlevant un village à la baïonnette, attaques des tranchées ennemies à la grenade, épouvante des Allemands levant les mains et criant: Kamarades! votre petite tète s'échauffe, vous huez les Boches, vous les embrochez, vous les massacrez en imagination. Il vous tarde d'être là-bas. Ah! quand vous y serez, ce qu'ils en prendront, ces drôles! ces bandits!

Je demandais un jour à un bambin quel âge il avait.

— J'ai dix ans.

— Encore dix ans, mon petit, et tu seras soldat.

— Oui, me répondit-il gravement, mais, malheureusement, la guerre sera finie!

On Joue à la Guerre

Oh! vous n'êtes pas des antimilitaristes, vous autres, vous n'êtes pas des pacifistes! Vous ignorez encore les solennelles billevesées à l'usage des pleutres et vous n'envoyez pas, via Kienthal, des baisers Lamourette aux casques pointus. Ignorez- les toujours. Gardez dans sa virginité l'honneur du patriotisme qui fleurit vos jeunes cœurs.

Marmots d'hier, vous rangiez en bataille vos soldats de plomb. Bambins d'aujourd'hui, vous jouez à la guerre. Vous creusez des tranchées. Vous vous glissez dans les boyaux jusqu'au poste d'écoute. Vous vous terrez dans les entonnoirs. Vous rampez jusqu'aux fils de fer barbelés. Vous visez à travers les créneaux. Vous lancez des grenades. Vous êtes sans pitié pour les lâches qui crient: Kamarade! Vous défendez Verdun. Vous vous avancez sur la Somme. Vous reprenez Strasbourg. Vous entrez, musique en tête, à Berlin. Vous châtiez Guillaume et vous plantez des clous dans Hindenburg, au bon endroit!

Il y a bien parfois un peu de tiraillement dans vos petites guerres. C'est que, pour écraser les Boches, il faut qu'il y ait des Boches, et que personne parmi vous ne veut faire le Boche ni marcher au pas de l'oie. Fi donc! le vilain oiseau!

Heureusement, il y a toujours parmi vous un costaud, un Hercule, qui, dans un discours en trois taloches, persuade aux plus faibles, aux moucherons, de se dévouer, de se laisser battre sous l'habit boche, pour que la France puisse cueillir le bouquet de la victoire.

Glorieux Trophées

Et c'est lui, bien entendu, le petit Français, qui est le vainqueur, c'est lui qui enlève les drapeaux et les canons de l'ennemi. Que n'a-t-il une cour des Invalides pour exposer ses trophées!

Le 18 septembre 1914 vingt gamins jouaient à la guerre au parc Monceau. D'un côté un corps d'armée de sept mioches représentait l'élément français: l'ennemi était figuré par les douze autres. Et ils étaient armés de manches à balai.

Après une bataille acharnée, où naturellement les Français eurent le dessus, le capitaine vainqueur harangua ses troupes: « Soyons fiers, mes enfants: ils étaient six fois plus nombreux que nous et nous leur avons pris trois bâtons! »

Le vainqueur de la Marne eût donné moins de précisions, mais c'est le même souffle qui anime ses proclamations. Notre petit Joffre ira loin.

Dans un joli article du Figaro, M. Emile Bergerat a finement noté l'esprit belliqueux des enfants de nos jours.

« Regardez-les, écoutez-les, mêlez-vous à eux, prenez-les sur vos genoux, provoquez leurs babils ou leurs chansons et vous verrez qu'ils n'ont pas attendu l'âge de raison pour raisonner. Ils ne jouent qu'à tuer!

« Leur seul jeu, vous entendez bien, le seul et unique, c'est le jeu au Boche, pas d'autre. Du matin au soir, quels que soient leur nombre, leur âge, leur sexe, leur intelligence, il n'y a plus pour eux que cette expression de la vie: en abattre « un ». Tout leur fait tranchée, baïonnette, avion et mitrailleuse. Ils sont en perpétuel exercice de carnage idéal. Zouaves, alpins, « poilus », dragons, sapeurs, artilleurs, ils bondissent, ou se terrent, jamais ne battent en retraite, défilent en vainqueurs dans les couloirs, ne reçoivent point d'éclats d'obus, et ne font pas de prisonniers. « Les prisonniers, c'est pour les barres! m'a déclaré l'un deux, avec un geste de grenadier de Raffet. »

Bravo! chers petits poilus en herbe, vous mériteriez presque que le bon généralissime, le grand-père de tous les poilus, le juge de toutes les bravoures, vous passe en revue et vous décerne la fourragère.

Tout cela, c'est la sève qui monte, qui bourgeonne et qui promet pour plus tard des fleurs d'héroïsme. Bonne petite graine de patriotes, gentils descendants de ces vieux Gaulois qui ne craignaient que la chute du ciel sur leurs casques, aimez bien la France: c'est votre chère maman, la grande, l'immortelle, dont l'autre, si douce et si tendre quand elle vient border vos lits le soir et scelle votre journée guerrière par un gros baiser, n'est que l'image: aimez-la bien, car c'est la plus belle des patries, et préparez-vous à la défendre un jour au prix de votre sang.

Les Gosses de Poulbot

Vous avez tous vu, mes chers amis, dans les revues et les journaux illustrés, des gravures signées Francesque Poulbot, qui représentent les gosses de nos jours. Vous ne comprenez peut-être pas bien ce qui nous amuse et nous passionne, nous, vos aînés, dans ces marmots à la tignasse ébouriffée qui font l'exercice avec un bâton en guise de fusil, qui écoutent, bouche bée, l'ordre du généralissime, lu par un capitaine de huit ans, ou discutent gravement, comme des sénateurs, sur le communiqué du jour. Vous comprendrez mieux plus tard ce qu'il y a de naturel, d'humour, de vérité pittoresque dans ces petits chefs-d'œuvre. Il faut être un peu vieux pour comprendre et pour aimer les jeunes.

Mais ce qu'il y a de plus intéressant c'est que, avec ses admirables coups de crayon, Poulbot a fixé pour toujours un type de notre époque, l'enfant de la grande guerre, ardemment patriote, l'âme tout entière tendue vers la pensée qui fait vivre et mourir aujourd'hui des millions d'hommes.

Raffet a immortalisé les grognards de l'Empire dans ses tableaux d'un lyrisme sublime. Poulbot a immortalisé les gosses de notre temps dans ses dessins d'un charme exquis.

Un des plus délicieux est celui ou deux mioches de cinq à six ans, le carton battant sur la hanche, discutent sur la situation économique de l'Allemagne. L'un deux, très animé, explique à l'autre, qui l'écoute haletant, ce que c'est que notre revanche et semble s'élever aux plus hautes considérations sur la Justice immanente. Au- dessous, cette simple légende:

— A leur tour de crever de faim, comme nous en 70!

Comme nous en 70! Pauvre petit microbe! En 70, c'était ton grand-père qui se battait, et toi tu n'étais qu'une possibilité, pas même un espoir. Mais ça ne fait rien, tu te souviens des douleurs de l'année terrible comme si tu avais mangé du rat pendant le siège de Paris.

C'est qu'en effet les générations se continuent: l'âme se survit et se prolonge: le mioche de Poulbot, le héros de Détaille et le grognard de Raffet, c'est tout un, c'est le même homme, c'est le Français qui ne connaît que la France, c'est la France immuable, éternelle!

Petites Boîtes, Bons Onguents

Vous êtes encore petits par la taille, mais vous ne devez pas l'être par le cœur. Le cœur d'un enfant doit être déjà grand. S'il ne l'est pas, il ne le sera jamais. Le cœur ne grandit guère. Il n'y a que ses horizons qui s'élargissent et lui permettent de déployer ses ailes. La valeur n'attend pas le nombre des années. Jeanne d'Arc n'avait que douze ans, quand ses Voix lui disaient: Va, fille au grand cœur!

Dans les petites boîtes sont les bons onguents. Ce mot s'est bien vérifié pour notre race. Elle a toujours eu des enfants qui ont été de vrais patriotes, de vrais héros. Dès leur bas âge, ils ne rêvaient que de se battre et de mourir pour leurs pays, et, pour beaucoup d'entre eux, ce rêve s'est réalisé. Il y en a eu dans la vieille France et il y en a dans la France de nos jours.

Oui, mes amis, quelques-uns de vos camarades de douze à quinze ans ont pu, pendant cette guerre, grâce à des circonstances exceptionnelles, s'engager, faire le coup de feu, battre de vrais Boches en chair et en os. Plusieurs ont reçu la croix de guerre, la médaille militaire, les galons de sous-officier et l'un d'eux, au moins, la croix de la Légion d'honneur. D'autres ont été blessés ou sont morts sur le champ de bataille. Un tout jeune a été massacré par des Allemands pour avoir fusillé leur officier, à la place d'un de nos soldats que cette brute lui ordonnait d'assassiner. Beaucoup, sommés par les bandits de donner des renseignements sur la marche de nos troupes, ont préféré mourir et ont été passés par les armes.

C'est cette galerie d'enfants héroïques que je ferai passer devant vous en commençant par ceux d'autrefois.

Pas de Robinsons!

Mais attention! Mon but n'est pas que, petits Robinsons des tranchées, vous partiez dès maintenant pour le front avec la musette et la bourguignotte, à l'insu de papa et de maman. Ces aventures-là ne peuvent être qu'exceptionnelles. Vous entrerez dans la carrière, quand vos aînés n'y seront plus. C'est le devoir que vous rappelle la Marseillaise. Chacun son tour. Pour le moment il y a encore, parmi vos papas et vos grands frères, assez de bons poilus qui se chargent de vous défendre.

Ce que je veux en vous racontant les belles histoires d'enfants de votre âge, c'est que vous preniez leurs généreux sentiments, que vous vous efforciez de fourbir votre âme, d'astiquer votre caractère, de polir votre esprit, pour devenir un jour de vrais soldats. Mais le moyen de vous préparer à cette tâche est de vous montrer aujourd'hui de bons écoliers à l'école, de bons enfants, dociles et tendres, au foyer paternel.

Il faut espérer que notre prochaine victoire sera si complète que la guerre deviendra impossible pour longtemps, dût votre humeur belliqueuse en être déçue. Mais, comme on ne peut jamais être sûr, il faut tenir votre poudre sèche au fond de vos cœurs, pour que, si un jour la patrie vous crie: « Aux armes », vous lui répondiez: « Présent! » et vous vous élanciez vers le Rhin en clamant: « Vive la France! »

 

 

Deuxième Partie : Les Enfants d'Aujourd'hui

T'es Trop Petit, Mon Ami!

illustrations de la revue d'enfants - 'Zizi, Tueur de Boches'

 

La Chanson du P'tit Grégoire.

Vous connaissez tous, mes chers amis, la jolie chanson du barde breton, Théodore Botrel, intitulée: Le p'tit Grégoire. C'est un gars de Cornouailles, âgé de seize ans qui veut s'engager, mais il est trop petit, haut comme « une huche à pain » et personne ne veut de lui.

Un maître d'équipage lui répond qu'il n'engage pas « les tout nouveau-nés ».

Tu n'as pas laide frimousse
Mais t'es mal bâti.
Pour faire un tout petit mousse,
T'es cor trop p'tit, mon ami I
T'es cor trop p'tit,
Dame oui!
Il espère être mieux reçu à Versailles:
Mais le bon roi Louis Seize
En riant lui dit:
Pour être garde française
T'es ben trop p'tit, mon ami!
T'es ben trop p'tit
Dame oui!

Mais bientôt la guerre éclate en Bretagne: le petit Grégoire se met à la suite de Jean chouan. Et voyez la malchance ou la chance, comme il vous plaira:

Les balles passaient nombreuses
Au-dessus de lui.
En sifflotant dédaigneuses;
II est trop p'tit, ce joli!
Il est trop p'tit.
Dame oui!

Cependant l'une d'elles, égarée, vient le frapper entre les deux yeux et le petit Grégoire monte au paradis. Mais voilà, c'est toujours sa taille!

Là saint Pierre qu'il dérange
Lui dit: Hors d'ici!
Il nous faut un grand archange.
T'es ben trop p'tit mon ami!
T'es ben trop p'tit,
Dame oui!

Oui, mais le bon Dieu n'est pas comme les hommes, il estime les enfants au cœur et non à la taille, et voici tout entier le dernier couplet qui le montre:

Mais en apprenant la chose
Jésus se fâcha,
Entr'ouvrit son manteau rosé
Pour qu'il s'y cachât,
Fit entrer ainsi Grégoire
Dans son Paradis,
En disant: Mon ciel de gloire,
En vérité, je le dis,
Est pour les petits, Dame oui!

Les Balles des Petits

Nous avons eu, durant cette guerre, beaucoup de petits Grégoires qui voulaient s'engager. La grande pitié de la patrie les empêchait de dormir, ainsi que la petite Jeanne de Domremy. C'était comme un coup de canon qui leur tonnait dans le cœur.

Ils savaient bien l'objection qu'on leur ferait: la ritournelle du petit chouan chantait agaçante dans leur cerveau: « T'es trop p'tit, mon ami! » Mais ils avaient une réponse toute prête: « Est-ce que les balles des petits font moins de mal que les autres? Est-ce qu'elles ne tuent pas leur Boche comme celles des grands? »

Mais il y a la maman qui va pleurer. Sans doute, mais il y a l'autre maman, la France qui pleure aussi et qui les appelle! Et voilà pourquoi, au lieu de dormir, ils font des rêves de guerre, Boches embrochés, France victorieuse, croix de guerre!

Nous verrons que quelques-uns ont pu, par des ruses d'apaches ou grâce à des circonstances particulières, tourner la loi et accomplir des prouesses. Mais en général leurs beaux arguments, et leurs touchantes prières et leurs jolis yeux suppliants échouaient devant le granit du bureau, de recrutement et les officiers incorruptibles refusaient, non sans cacher parfois une larme d'attendrissement, d'enrôler les gentils petits patriotes

« Pour Venger Papa et Maman ».

Le 18 février 1915, à Béziers, un petit réfugié de Maubeuge, Jean Delanoë, âgé de treize ans, recueilli par Mme Tronc, 2, rue d'Envedel, se présente à la caserne du 96e d'infanterie et demande le commandant de la place.

Introduit auprès des officiers, il fait connaître ainsi le but de sa visite:

— Papa et maman ont été tués par les Allemands. Je suis maintenant tout seul. Permettez-moi de les venger et prenez-moi comme soldat. Je connais l'exercice du fusil, je les abattrai facilement.

On comprend l'émotion qui gagna les assistants et de quels vivats les soldats présents reconduisirent le petit patriote, jusqu'au Comité des réfugiés, où on lui fit comprendre bien doucement qu'il était trop petit pour se rendre au front.

Le petit Henri Lacorre, de Limoges, n'a que neuf ans, mais il a des idées. Il en a une surtout qui lui semble infaillible pour la réussite de son grand projet. Il veut se battre et il s'adresse directement au président de la République, tout comme le petit Grégoire au roi Louis XVI. Il le supplie de l'admettre dans l'armée. Mais, las! voici la réponse qui vient briser ses jeunes ailes à peine déployées:

Le patriotique désir qu'a exprimé Henri Lacorre ne peut malheureusement se réaliser, la loi ne permet pas les engagements avant l'âge de dix-sept ans, mais c'est déjà servir la France que d'être un enfant sage et travailleur.

RAYMOND POINCARÉ.

« Tant pis si j'y reste ».

Le petit R. M..., d'Ivry-sur-Seine, a douze ans au mois de décembre 1914. Son père et son oncle sont partis. Il n'y tient plus. II part clandestinement, vêtu d'un tablier noir, d'un capuchon, et coiffé d'un chapeau mou. Et voici la lettre qu'il laisse en partant sur la table de sa mère:

Chère Maman et toute la famille,

Je pars pour le front, je veux combattre moi aussi; je veux arriver à voir mon oncle Louis. J'emporte mes deux paires de souliers, deux paires de bas, deux tabliers, une salopette et une serviette pour me laver. J'emporte aussi trois bons morceaux de pain, une poire et une pomme. J'ai pris le couteau blanc et mon capuchon.

Je t'écrirai tous les jours; fais-toi pas de mauvais sang, travaille avec courage.

Si j'y reste, tant pis, car il faut bien un jour mourir.

Dis au directeur que je reviendrai à l'école quand ce sera fini.., et à mes camarades une bonne poignée de main.

Ton fils,

R. M...

« Un Coup de Main à Sarrail ».

Au commencement d'août 1916, une sourde effervescence régnait au Faubourg Poissonnière: les gosses tenaient des conciliabules. Ils trouvaient que les opérations étaient bien lentes en Orient. Reprendre la Serbie, étrangler la Bulgarie, entraîner la Roumanie au passage, donner la main aux Russes, c'était un plan si simple! Comment n'y songeait-on pas en haut lieu?

Plusieurs résolurent d'aller là-bas activer l'offensive. Michon et Verbrègue, deux moucherons de douze ans, partirent les premiers, non sans avoir annoncé par une lettre à leurs parents qu'ils se rendaient en Russie et qu'ils comptaient de là gagner Salonique, afin de « donner un coup de main au général Sarrail ».

Mais, comme ils n'avaient probablement pas sur eux une bonne carte d'état-major, ils s'égarèrent du côté de Senlis, où la maréchaussée les retrouva le lendemain et leur fit réintégrer le Faubourg Poissonnière. Etonnez-vous maintenant si les choses ne vont pas plus vite en Orient!

Les Gars de Chateaubriand.

Les quatre petits braves de Chateaubriand, âgés de treize et de quatoze ans, n'ont pas été plus heureux. Dès le début de la guerre, ils ruminaient quelque chose. Après avoir conspiré, bien discuté tous les plans possibles, comprenant qu'on ne les recevrait pas dans l'armée française, ils décident de s'engager comme boys-scouts dans l'armée anglaise, où ils pourront faire le coup de feu. Justement, Trubert, l'aîné, quatorze ans, sait quelques mots d'anglais.

Un beau matin, le mercredi 16 décembre 1914, le projet est mûr. Legouais, qui a treize ans, mais que le suffrage universel a élu chef de la bande, à cause de ses capacités d'organisation, passe la revue. On a des sous, pas beaucoup! et, dans une humble musette, une chemise, des mouchoirs, des cartes postales, des crayons et une glace! Mais comme le papa à Tollard est sous-chef de gare et qu'il est de service, on ne peut songer à prendre le train. On décide d'aller à pied jusqu'à Treffieux.

Vingt-cinq kilomètres pour des petites jambes! c'est rude, mais on marchera avec son cœur. En route! Les quatre fils Aymon n'avaient pas plus fière allure quand ils partaient en guerre! Ah! ce qu'ils vont prendre, les Boches!

Et l'on chante pour se donner du courage. Il y a justement dans la bande un poète, qui a composé un chant de guerre. Rien de l'Académie, mais du souffle patriotique à revendre. Et comme elle sonne bien sur le grand chemin la nouvelle Marseillaise!

Ce sont de jeunes voyoucrates,
Marchant fièrement en savates
Qui s'sont caltés un beau matin
Pour faire un' ballade à Louvain.
Ce sont des Caltelbriantais,
Ils partent sans rien dans leurs poches
Rejoindr' leurs frèr's sénégalais
Qui combattent contre les Boches!
Ils sont jeun' et malgré l'enfance
Le courage remplit teurs cœurs,
Et pour venger le fier drapeau de France,
Ils marcheront auprès des trois couleurs.

REFRAIN

Ils sont partis gaiement,
Les petits vagabonds,
Ils sont partis gaiement
Combattre les Teutons!

A Treffieux, on saute dans le train. A Blain, grande halte. On s'ébroue, on achète un pain qu'on partage en quatre et chacun dévore son quart de boule.

— Que mangerons-nous ce soir, dit Trollard inquiet.

— T'en lais pas, répond Lossois; on mangera du pain anglais.

Puis assis sur un talus, comme des poilus, on écrit des cartes postales à ceux de l'arrière:

« Soyez tranquilles, cher papa et chère maman, nous allons partir avec les Anglais, mais nous reviendrons aussitôt après la guerre! »

On repart pour Doulon, car les fonds ne permettent pas de prendre les billets jusqu'à Nantes. A Doulon, on se remet en marche pour la grande ville. On y arrive à 5 heures.

Hélas! Les Anglais sont partis. Que faire?

Avec son esprit de décision, Legouais arrête qu'on va aller trouver M. l'abbé.

M. l'abbé! Vous savez bien, le bon vicaire de Chateaubriand, qui est infirmier à l'hospice des Sœurs de Saint-Joseph, rue des Orphelins...

Mais devant le portail se tient un sergent barbu, l'air féroce, jugulaire au menton, un ancien missionnaire de Jérusalem. Legouais s'avance et, rectifiant la position:

— Sergent! J'voudrais voir M. l'abbé.

— C'est-y moi, mon p'tit gâs. J'en suis un.

— Non, sergent, c'est l'abbé Séché. Nous sommes partis pour la guerre. Mais nous n'avons plus de sous. Il nous en donnera...

Le sergent, entendant parler de guerre, fait ses objections. Mais Legouais lui colle des réponses triomphales. Il a tout prévu... les Anglais..., les boys-scouts...

On fait entrer les petits au poste. Le cuisinier leur prépare une soupe fumante qu'ils trouvent rudement bonne et qui leur fait estimer d'autant plus le métier de soldat. Ils racontent leur odyssée et leurs projets. C'est ravissant. Tout leur sourit. Ils se voient déjà au front.

Hélas! La réalité fait bientôt place au rêve sous les espèces de M. l'abbé Séché. M. l'abbé leur explique que leurs parents vont mourir d'inquiétude, que leur âge ne permet pas tant d'héroïsme et, avec sa grande autorité, qui dépasse encore celle de Legouais, treize ans, les décide ou les force à retourner chez eux.

En attendant, comme il n'y a pas de lits, on leur donne de la bonne paille.

L'histoire ne dit pas si l'effondrement de leur grand projet les empêcha de dormir. On sait seulement que le lendemain ils avaient l'air bien reposés. Sœur Marthe bourra leur musette de petits-beurres et de chocolat et on les rembarqua.

Revenir à l'arrière et si vite c'était dur! Mais la gent écolière se porta à la gare et accueillit les petits gars comme s'ils avaient gagné à eux quatre la bataille de la Marne. Elle les accompagna drapeau en tête jusque chez eux. Depuis ce temps-là, ils ont l'auréole et l'on chante encore à Chateaubriand:

Ils sont partis gaiement Les petits vagabonds, Ils sont partis gaiement Combattre les Teutons!

« De quelle classe es-tu? »

Vous comprenez bien, mes chers amis, que chez nos alliés aussi, puisqu'ils partagent nos sentiments et luttent généreusement avec nous pour la même cause du droit et de l'humanité, il y a de braves enfants qui brûlent, comme vous, d'aller au feu. Je vous en citerai plusieurs. En voici un d'abord qui eut un peu plus de chance que nos petits de Chateaubriand.

Il avait treize ans. Il était Italien, s'appelait Margutti et habitait Gagliano. Dès les premiers jours de la guerre italienne, il avait noué des rapports d'amitié avec deux soldats automobilistes qui faisaient journellement le voyage de Capporetto à Cividale. Ayant obtenu la permission de monter sur le camion de ses amis, il courut, dès son arrivée au front, à une tranchée où il s'installa. Accueilli joyeusement par les soldats qui le gardèrent avec eux, notre petit homme se comporta bravement, et ses camarades le promurent caporal à l'unanimité pour mérite de guerre.

L'enfant, fier de sa promotion, réussit à endosser des effets militaires, où il cousit ses galons. Il passa plusieurs jours dans les tranchées, faisant le coup de feu contre les Autrichiens. Mais, un beau matin, le capitaine, inspectant les positions tenues par ses hommes, trouva, appuyé à une meurtrière, le soldat minuscule qui, vaillant, les yeux bien ouverts, faisait bonne garde. L'officier, surpris, l'interrogea:

— Que fais-tu ici?

— Je combats.

— Mais de quelle classe es-tu?

— Troisième élémentaire; mais j'ai été promu caporal.

A ces mots, l'officier éclata de rire, puis, ému, pris dans ses bras le petit soldat et l'embrassa longuement.

L'enfant fut renvoyé à ses parents qui le recherchaient anxieusement depuis quinze jours et dut rentrer tristement en troisième élémentaire.

 

pages d'une revue pour enfants, 'le Bon Point'

 

II : Les Mascottes

Qu'est-ce qu'une Mascotte?

Vous savez, mes enfants, que la mascotte est un talisman, un fétiche, un objet qui est censé porter chance ou bonheur à ceux qui le possèdent. Or, dans cette guerre étrange, des soldats se sont plu à emporter et à garder avec eux des mascottes de tout genre.

Nos amis les Anglais s'en font une spécialité. Ils sont légèrement superstitieux. Ils ont le culte du fétiche, du porte-veine. Chacune de leurs unités a sa mascotte, chien, chat, chèvre, perroquet, qui la suit dans les tranchées. Tel bataillon des Royal Fusiliers a un caniche savant qui se présente comme un vieux briscard. La gazelle d’une Scottish Rifles conduit le défilé des Highlanders, grave, solennelle, cadençant son pas au rythme des cornemuses, devant le tambour-major.

Une mascotte peut être un être humain. Une opérette célèbre nous montre une gardeuse de dindons, Bettina, qui porte chance à ses maîtres.

Mais c'est une idée plus jolie et plus haute qui a fait adopter des bambins. Tous les peuples ont vu dans l'innocence d'un petit enfant un paratonnerre contre la colère divine. C'est le sens de cette croyance populaire, d'après laquelle la foudre ne frappe pas les arbres où il y a des nids chanteurs.

Le grand navigateur portugais, Albuquerque, le conquérant de l'Inde, assailli par une effroyable tempête, prit un bébé entre ses bras et l'éleva vers le ciel en faisant cette prière: « Seigneur, nous sommes pécheurs, mais lui est innocent. A cause de lui, épargnez-nous. » Et la tempête, dit-on, s'apaisa.

En prenant des bambins pour mascottes, les soldats obéissent à ce même sentiment, comme aussi à la bonté de leur cœur.

Car ce sont d'ordinaire de pauvres orphelins que l'on trouve dans les ruines des villages dévastés par la guerre. Au lieu de les confier, comme on le fait pour la plupart, à des familles charitables déjà lourdement chargées, un régiment ou un bataillon les adopte et les entoure d'une tendresse paternelle à laquelle les bambins répondent de leur mieux.

Ce ne sont pas de vrais soldats. Ils n'ont souvent qu'un fusil de bois et des galons pour rire. Mais ils ont plus de chance que les petits Grégoires condamnés à ronger leur frein près des jupons de leurs mamans. Eux ils sont au front! Il en est qui rendent de réels services à leurs protecteurs et deviennent pour eux de vaillants petits camarades.

l'Ami des Tommies

Emile Vanloot avait neuf ans au début de la guerre. Il habitait à N... où ses parents étaient cabaretiers.

Quand, après le tragique passage des Allemands, les braves Tommies débouchèrent un beau matin dans son village, il ne se tint pas de joie: il avait une envie folle de leur sauter au cou. Il leur servit à manger et à boire et leur rendit avec empressement mille petits services.

Un sergent-major le prit en amitié et lui accorda ce qu'il désirait le plus au monde. Le lendemain matin, quand le lieutenant passa l'inspection de ses hommes, il vit à leur gauche le petit Emile, raide au garde-à-vous, très crâne, et qui l'accueillit avec un salut réglementaire des mieux réussis.

— All right! fit l'officier avec un sourire. Et renouvelant le geste de Saint Martin, il lui tendit sa capote, en lui disant: « Taille-toi là-dedans un uniforme et, si tu veux rester avec nous, tu seras notre mascotte. »

Un tailleur lui fit un habit impeccable. Les Tommies le baptisèrent Jimmy et dès le premier soir il partait avec les téléphonistes pour les tranchées. Il se fit bien vite au bruit du canon et se rendit très utile à ses grands amis.

Hélas! le village étant furieusement bombardé, les parents d'Emile se réfugièrent un peu à l'arrière à M... et l'enfant, pleurant à chaudes larmes sa gloire passée, dut les suivre.

Il n'eut pas à s'en repentir. Les Canadiens l'adoptèrent. Il monta en grade, s'attribuant d'autorité les fonctions et les galons de ses parrains successifs, tour à tour maréchal ferrant, caporal, sergent.

Un incident malheureux faillit interrompre sa carrière. Pendant une revue, au moment le plus solennel, Jimmy parut sur le terrain avec un uniforme flambant neuf et produisit une telle sensation que plusieurs hommes tournèrent involontairement la tête de son côté. Par malheur, l'officier qui commandait était ce matin-là un peu nerveux. Il ordonna au petit homme de quitter son uniforme.

Cette dégradation militaire fut pour lui un écroulement. Heureusement, une relève s'étant produite, le nouveau commandant rétablit Jimmy dans ses dignités. Il faut voir avec quelle gravité il se promène un stick à la main et répond aux saluts par un petit signe protecteur en portant le bout des doigts à sa jolie casquette plate, don de ses bons amis les Tommies.

Mais il remplit bien son rôle de porte-bonheur. Il suit les soldats dans les marches sans craindre la fatigue, leur sert du thé chaud et de la bière fraîche et se multiplie pour leur être agréable. Et puis il a appris l'anglais et c'est le benjamin des interprètes entre les deux armées alliées.

Je n'oserais pas dire que Jimmy est un enfant héroïque. Mais il en a l'étoffe et c'est assurément un bon petit patriote.

Félicité par Georges V

Le régiment de Northampton a aussi sa mascotte. C'est un petit Belge Joseph Lefèvre, âgé de douze ans, dont la mère fut, dit-on, tuée par les Allemands, tandis que son père blessé était emmené prisonnier en Allemagne. Il a été nommé caporal pour la parade.

Quand le roi Georges V vint, vers le 15 août 1916, visiter le front de la Somme, le petit Lefèvre lui fut présenté.

— Tu aimes le métier de soldat? lui dit le roi.

— Oh! oui, monsieur, s'écrie l'enfant avec enthousiasme. Je voudrais bien descendre des Boches!

— C'est bien, mon ami, te voilà déjà caporal. Nous ferons de toi un général.

« Ils ont eu peur, savez-vous! »

Le caporal Gérard n'a pas tout à fait cinq ans. Il en avait à peine quatre, quand on le trouva sur les bords de l'Yser. Ses parents avaient disparu dans la tourmente. Le pauvre gosse ne savait qu'une chose c'est qu'il s'appelait Gérard. Nom de famille ou nom de baptême? Il l'ignorait.

Les soldats belges l'adoptèrent, lui donnèrent un petit fusil et un uniforme, sur lequel le commandant fît coudre les galons de caporal. Il fait le bonheur de ses papas adoptifs par sa gaieté irrésistible et son toupet infernal. C'est le boute-en-train de son détachement.

Monté sur une table, il leur chante la Brabançonne et Tipperary et des chansons flamandes. Avec lui le cafard est impossible.

Il voit un jour une canonnière anglaise descendre le cours d'eau. Il lui lance un vigoureux halte-là, hélas! sans résultat.

— Halte-là, ou je fais feu!

L'enfant met une capsule dans son fusil et tire. Les Anglais se tordent: mais le caporal Gérard, se tournant vers le commandant, lui dit:

— Ils ont eu peur, savez-vous?

Il y a là une vieille bonne femme: elle n'a pu se résigner à quitter ce lieu de désolation où s'est écoulée sa vie. Bien qu'elle ait tout perdu, elle a recueilli et nourri le pauvre orphelin avant l'arrivée des Belges. L'enfant n'a pas oublié et, les jours de solde il lui porte les sous que le commandant lui donne. Brave petit cœur!

 

pages d'une revue pour enfants, 'le Bon Point'

 

III : Les Petits Auxiliaires

Muletier aux Mitrailleuses

Voici maintenant des enfants qui se rapprochent plus des vrais soldats. Ce sont ceux qui, sans faire le coup de feu, ont rendu de vrais services, parfois des services de premier ordre a l'armée.

L'hôpital Lescure, d'Issoire, abrite un jeune blessé de quinze ans et demi, Edouard Janin, né à Faverges, le 2 août 1899.

Voulant rejoindre son frère déjà sur la ligne de feu, il partit, au début d'octobre, à l'insu de ses parents, et le rejoignit à Troyes. Il suivit le régiment et devint ainsi muletier aux mitrailleuses. Dans les tranchées, il excitait la curiosité des « poilus » et se faisait remarquer par son adresse dans le ravitaillement des munitions.

Après plus de trois mois en première ligne de feu, le gamin, qui n'avait pas été blessé, eut le bras droit fracturé par un mulet. Maîtrisant sa monture pendant un parcours de plus de 4 kilomètres, il ne quitta son service, malgré sa souffrance, qu'après avoir accompli sa mission.

Le Petit Sauveteur

Dès le début de la guerre, le jeune Emile Degaudez, âgé de seize ans, de Bourg-et- Comin (Aisne), réquisitionné comme conducteur, suivit pendant quinze jours les troupes françaises. Le 20 septembre, à l'attaque du fort de B..., alors qu'il se reposait avec un groupe de soldats, un gros obus allemand éclate dans la cour d'une ferme, tuant un homme, en blessant neuf, plus le jeune Degaudez et un enfant de sept ans.

Alors que tous cherchaient un abri contre les obus, ensanglanté, le bras troué par un éclat, le courageux enfant enlève son petit camarade, qui a le crâne défoncé, et le porte sous la mitraille au poste de secours, situé à cent mètres de là. Le soir même, le pauvre petit de sept ans mourait. Quand à Degaudez, il ne proféra pas une plainte pendant qu'on le pansait.

Sous un Ouragan de Feu

Un peu avant la bataille de la Marne, le village de Neuilly-en-Thelle (Oise) dut être évacué. Un régiment d'infanterie passa par là. Le petit André Guédé, douze ans, dit à sa mère: « Je veux suivre les soldats », et, sans attendre sa permission, suivit le régiment. Le sous-lieutenant Grivelet le prit sous sa protection.

André s'attacha à lui et, durant les trois jours du combat de Bouillancy, resta constamment à ses côtés sous un effroyable ouragan de mitraille.

Le troisième jour, l'officier fut grièvement blessé. L'enfant l'aida sous le feu à gagner l'ambulance, portant son sabre, son revolver, ses cartes,sa musette avec, en plus, le casque d'un officier prussien. Puis, pendant trois heures, il courut derrière la voiture qui portait son protecteur à la gare d'évacuation. Il se glissa dans le train des blessés et arriva avec son officier le 10 septembre à l'hôpital de Riva-Bella (Calvados).

Pendant ce temps sa pauvre mère le cherchait et, par l'Echo de Paris du 15 septembre, demandait de ses nouvelles. Une lettre de M. Fernand Engerand, député du Calvados, publiée le 19 par ce même journal, lui apprit que son fils était toujours vivant et s'était bravement conduit au feu.

« Le Pinard et la Gniole. »

André Durand, né à Nice le 21 janvier 1900, est employé dans une banque de cette ville. Un beau jour de janvier 1916, il lui prend l'idée d'aller au front étrenner ses seize ans. Il se faufile parmi des soldats du 163e et les accompagne jusqu'aux tranchées de l'Argonne. Le colonel le renvoie à l'arrière dans une ferme où sont installées les cuisines. Sans broncher, sous les plus violents bombardements, André va remplir d'eau les seaux des escouades, par la route longue et dangereuse qui mène à l'unique source de la région. C'est l'enfant du régiment et tous les soldats le bénissent.

Un matin, sur un ordre venu de la maison paternelle, la prévôté l'embarque pour Nice. A Is-sur-Tille, il s'évade du wagon et tombe sur un détachement du 157e de ligne qui l'emmène en Woëvre. Là, Durand distribue « le jus » dans les tranchées en dépit de la mitraille, porte les ordres et nettoie les armes des combattants.

Nouveau rappel venu de Nice, nouvel embarquement, nouvelle évasion. Cette fois c'est à Dijon que Durand se joint à des chasseurs alpins du 23e bataillon et arrive avec eux dans les Vosges à Lingekopf.

Le capitaine de la compagnie lui ayant défendu de combattre dans les tranchées, il sert les soldats et leur distribue le « pinard » et la « gniole ». La nuit, il s'époumonne à chanter la Marseillaise à la barbe des Allemands.

Vers la fin d'avril un général, passant la revue du 23e chasseurs en repos à F..., aperçoit l'enfant coiffé du béret et vêtu de la capote grise. S'étant fait raconter son odyssée, il lui tapote paternellement les joues et, tout en le félicitant, lui annonce qu'il va l'expédier militairement à sa famille.

En quittant le village de F., André se retourna une dernière fois, salua les toits d'ardoises, les belles sapinières baignées de soleil et pleura.

Le Tringlot de Douze Ans

Il a douze ans au mois d'août 1914. Sa mère est morte il y a quelque temps. Son père est parti pour l'armée. Que va-t-il faire sur la terre, seul dans son village de Giromagny! Il se sonde et, ne se trouvant pas la vocation de la solitude, il part à la recherche de son père.

Les soldats du 7e escadron du train des équipages auxquels il veut se joindre le repoussent doucement. Il s'entête à les suivre. Voyons, on ne peut empêcher un petite de rejoindre son papa! Les tringlots se rendent à ce raisonnement et surtout aux larmes qui l'arrosent. Ils adoptent le mioche, ils lui font confectionner un uniforme, l'arment d'une carabine et ils sont enchantés de lui.

C'est un vrai tringlot, notre petit lascar! Il n'est pas seulement dévoué, il est débrouillard et sait conduire un fourgon aussi bien que nous. Il est courageux, notre petit lapin! Il ne tremble jamais devant le salut de la mitraille. Il a un jour très proprement tiré sur des uhlans.

La police a voulu un jour le ramener à Giromagny! Ah! mais halte-là! Je suis tringlot, et tringlot je resterai tant qu'il y aura un Boche en France, vous entendez! La police a entendu et s'est inclinée devant cet argument péremptoire et le petit air encore plus péremptoire dont il était débité. Et le tringlot de douze ans a continué à travailler contre le Boche.

l’Eclaireur de Liège

Dans les premiers jours d'août 1914, un boy de Liège à bicyclette, portait une dépêche à un avant-poste. Au détour d'un chemin, il aperçoit un énorme uhlan qui vient à sa rencontre. Il saute à bas de sa machine, fait derrière lui un geste comme pour arrêter un groupe de camarades, puis s'adressantau gros Teuton, il lui crie en allemand:

— Rendez-vous ou vous êtes mort!

Le uhlan jette ses armes, descend de cheval et hurle:

— Nicht Kapout!

Le boy-scout le rassure en lui offrant du chocolat, et le mène avec le cheval, chargé de sa bicyclette et des armes du vaincu, d'abord à l'avant-poste, puis à Liège. Là il le conduit par le chemin des écoliers à travers toute la ville. Je vous laisse à penser le succès qu'eut ce petit homme menant ce géant. C'était le premier prisonnier ennemi.

Un Caporal de Huit Ans

Il a huit ans, il est caporal et il a bien gagné son galon.

Lors de la retraite serbe (décembre 1915), tandis que les Autrichiens et les Bulgares poursuivaient jusqu'en Albanie les restes de l'armée serbe, le sous-officier Stanimilovitch, veuf depuis quelques mois, obtint d'emmener avec lui son fils âgé de huit ans. Huit jours après, il tombait frappé par une bombe d'un avion autrichien. Le régiment adopta le petit Milivoïe.

A la suite d'un combat sanglant où une colonne d'avant-garde avait surpris les derrières de l'armée serbe alors sans munitions, le commandant serbe fut tué et, comme il était déjà onze heures du soir, le calme étant revenu, on sut que le dit commandant portait sur lui le plan de la retraite.

Il fallait à tout prix empêcher l'ennemi de saisir ce document précieux. On délibéra; deux hommes d'énergie se dévouèrent pour aller sur le champ de bataille reconnaître le corps du commandant et lui reprendre le plan.

Mais le petit Milivoïe, ayant compris du premier coup de quoi il s'agissait, partit immédiatement au péril de sa vie; en rampant comme un lézard, il retrouva lui-même le corps du commandant, enleva ses papiers et les rapporta toujours rampant au camp.

Le fait a été certifié par un officier serbe Constantin Ivanovitch à la mission française des orphelins de la guerre. Il atteste une présence d'esprit et une bravoure admirables. C'est à la suite de cet exploit que le petit héros fut fait caporal. Dirigé en France, adopté par l'Association nationale des Orphelins de la guerre, il a été admis le 8 février 1916 à la colonie d'Etretat.

Les Petits Stanislas

Secourir les soldats mourant de soif dans les tranchées, leur porter de l'eau à plusieurs reprises sous un bombardement intense, au risque d'être cent fois écrasé, c'est un acte vraiment admirable de dévouement patriotique. La lettre suivante d'un officier de la garde russe, publiée dans Polonia par M. Wenceslas Gasiorowski, nous montre avec quel héroïsme les petits Polonais s'acquittent de ce devoir.

Nous sommes couchés dans les tranchées. Vers 10 heures du matin, le soleil est si ardent qu'il nous suffoque. La lutte acharnée bat son plein. Le sort de la bataille se balance. Des gouttes de sueur tombent de nos fronts et inondent nos yeux. Il nous est impossible de les essuyer. Nos lèvres sont tellement brûlantes et sèches qu'on donnerait tout au monde pour une gorgée d'eau. Mais il n'y a pas d'eau aux alentours et nous ne pouvons aller au loin en chercher. La pluie des obus est si drue que gare à celui qui oserait se lever dans la tranchée. Des volontaires s'offrent pour chercher de l'eau, ils me prient, ils m'implorent de les laisser partir. Je suis forcé de leur défendre de bouger et de les gronder même pour leur courage.

Et dans ce moment d'infernale détresse, j'entends une petite voix flûtée m'appelant en polonais:

— Monsieur l'officier! monsieur l'officier! Peut-on entrer chez vous dans les caveaux?

Je me retourne effrayé. Ce sont les enfants du village d'à côté. Nu-pieds et le museau barbouillé, ils lancent des œillades curieuses dans l'intérieur des tranchées.

— Venez vite vous coucher, petits malheureux!

Toute une bande de petits Stanislas se glissent parmi nous, chacun chargé d'un broc d'eau.

— Qu'est-ce que c'est que ça? (Je continue à faire la grosse voix.)

— Nous vous apportons à boire.

— D'où êtes-vous? D'où venez-vous?

— Nous sommes du village à côté. Mais ne nous renvoyez pas, monsieur l'officier.

Les soldats sont aux cieux. Chacun s'empresse de montrer à ces petits héros et amis sa gratitude. Les enfants d'un coup envahissent tout le coin des tranchées, fraternisant avec les soldats.

— Quel fusil avez-vous? C'est comme ça que vous tirez? Hier, nous avons vu des canons allemands! Comme ils sont grands! Douze chevaux traînaient chacun d'eux! Voilà un casque à pointe! Plus à gauche!

En l'espace de quelques instants, il n'y a plus une goutte d'eau.

— Vous avez tout bu déjà! Attendez, on vous en apportera d'autre! Allons, les frères.

— Mais vous êtes fous, mes enfants! Vous entendez comme ça craque. Ce sont les obus.

— Oh! c'est rien. Ils ne nous feront pas de mal.

Ils attrapent chacun leur broc, se chargent des gamelles des soldats et, profitant de chaque accident du terrain, se faufilent et disparaissent pour revenir aussitôt après chargés du nectar salutaire.

Mais comment peut-on récompenser ces petits héros? En leur offrant de l'argent? Ils n'en acceptent pas.

— Gardez-le, vous en avez besoin; nous, nous sommes chez maman. Et puis, elle serait fâchée, elle nous demanderait où nous l'avons pris.

Ils ont raison. Et d'ailleurs que vaut l'argent? Un aussi grand service doit être récompensé par un service égal — il faut donner sa vie pour eux, pour que leur patrie malheureuse, dévastée et démembrée, puisse enfin ressusciter.

 

pages d'une revue pour enfants, 'le Bon Point'

 

IV : Les Petits Combattants

Le Prince Léopold

Voici enfin de vrais soldats. Mais à tout seigneur, tout honneur! Il est juste de rendre hommage au plus illustre de nos petits alliés. Il est belge, il a treize ans, il s'appelle Léopold et il est le fils aîné de Sa Majesté le roi Albert.

Il a été enrôlé comme simple soldat au 2e de ligne, ce qui a provoqué l'enthousiasme patriotique de tous les soldats de son pays. Il a dû recourir aux caresses et aux prières les plus instantes pour obtenir de son père d'endosser la capote noire, de prendre le fusil et de passer par le rang. Le roi confia son fils au régiment par des paroles émouvantes et assista au défilé des soldats. Et le petit prince s'efforçait d'allonger le pas à la longueur du pas de ses aînés.

Cher petit prince, il faudra encore quelques enjambées pour aller jusqu'à Bruxelles, mais tu y rentreras. La route est longue, elle sera dure, mais rien ne résiste aux grands cœurs.

Le Petit Mousse

Après le petit prince, le petit mousse. Celui-ci est né à Granville, il s'appelle Eugène Horel, et il a déjà bourlingué au large quand éclate la guerre. Il a quinze ans et il est poursuivi par l'idée fixe d'aller voir les Boches. Lorsque le 8 octobre 1914 sonnent ses seize ans, il décide de profiter du premier départ de soldats. Le 25 octobre, il se glisse parmi eux à la gare de Granville et arrive le 28 au front où l'on ferme les yeux sur la jeunesse de son minois.

Là il prend part pendant cinq mois à toutes les actions. Quand on demande des volontaires pour un coup de main dangereux, il est des premiers à s'offrir. Il prend part à la sanglante affaire de Souain. Il frôle vingt fois la mort.

Mais on le réclame à Granville et on obtient d'autorité qu'il revienne prendre sa place parmi les mousses. II s'en console par l'espoir qu'on lui donne d'aller aux Dardanelles. Après les Boches, les Turcs. Il en aura de tout poil et de toute plume sur son carnet.

En attendant il peut montrer fièrement un certificat de présence au corps à la 17e compagnie du 202e régiment d'infanterie:

« Le sous-lieutenant Postel, commandant la 17e certifie que le mousse Horel Eugène, né à Granville, le 8 octobre 1898, a été présent à sa compagnie du 28 octobre 1914 au 20 mars 1915. C'est un brave garçon qui s'est conduit comme un soldat brave, donnant plusieurs fois à ses aînés l'exemple du devoir et du courage. Toujours au front sans une seule minute d'absence. Je n'ai eu qu'à m'en louer. »

Mieux que Salamine et Marathon

Un jeune lycéen de Nice, Fernand Meffre, est heureux. Boy-scout débrouillard, voilà trois ans qu'il passe ses vacances scolaires au front, où il se fait agréer à divers titres.

Il est successivement attaché comme secrétaire aux escadrons du train, vaguemestre au groupe monté mixte de l'Afrique occidentale française, agent de liaison d'artillerie aux 6e et 46e bataillons de chasseurs. Il prend part à l'offensive de Champagne, est promu chasseur de première classe honoraire au 46e bataillon et cité à l'ordre du jour pour son dévouement et son mépris du danger.

Après ses deux mois de campagne annuelle, il revient régulièrement se plonger dans ses livres: mais je doute que les batailles de Salamine et de Marathon aient autant d'intérêt pour lui que ses souvenirs de Champagne. Ah! mes amis, si les Grecs et les Romains avaient eu des poilus, des poilus de France, devant eux!

Joseph Lauzonne, du département de l'Hérault, préfère lui aussi les temps modernes à l'antiquité. Il a seize ans, mais il se vieillit un peu et, sans mettre ses parents au courant de sa fugue, se fait agréer au front. II se bat avec tant de vaillance sur plusieurs champs de bataille qu'il est nommé caporal et bientôt après proposé pour le grade de sergent. Mais l'autorité paternelle intervient ici encore et le brave sous-officier est obligé à son grand regret de réintégrer le foyer.

« J'ai Tué Deux Boches »

Encore un boy-scout. C'est Lucien Marzin, de Morlaix, le cinquième garçon d'une famille de huit enfants. Quatre de ses frères sont au feu.

Le père leur a dit en partant: Faites votre devoir!

Et lui, le gosse, est-ce qu'il ne doit pas faire le sien? Il a quinze ans, mais qu'à cela ne tienne. Il fait signer à papa un papier l'autorisant à servir dans un hôpital pour la durée de la guerre. Dans la pensée paternelle, ce ne peut être que l'hôpital temporaire no 40 du Sao-Ben, à deux pas de la maison: mais le petit malin a une autre idée.

Muni de cette pièce, il se fait agréer à titre d'infirmier dans un détachement qui part pour le front. Le 26 septembre, il annonce à sa famille que, vu le travail plus pressant, il ne rentrera pas le soir et passera la nuit à l'hôpital.

Oui, mais c'est un hôpital mobile, un de ceux de l'Argonne qu'il va rallier, espérant bien de temps en temps faire connaissance avec la tranchée. Et voici la jolie lettre que ses parents désolés, mais tout de même très fiers, reçoivent bientôt:

Mes chers parents,

Vous m'excuserez de ne pas vous avoir écrit plus tôt. Je n'ai pas eu beaucoup de temps. J'ai été les premiers jours dans les tranchées. J'ai fait le coup de feu comme les autres. Un jour, j'ai surpris deux Boches derrière un arbre, en train de manipuler des bombes. Je les ai tués à bout portant. J'ai été blessé par un éclat d'obus. Ce n'était rien et je suis resté ici.

Les soldats se portent très bien. Le moral des troupes est excellent.

J'ai des jumelles et un poignard de Boche.

Pour m'écrire, vous n'aurez qu'à mettre l'adresse: Boy-scout ambulancier au ... d'infanterie ... corps, 3e compagnie*.

Du Lac Bleu à la Tranchée

Pierre Songeon, quinze ans, est un petit poilu savoyard. Sur les bords de son joli lac d'Annecy, si bleu, il rêvait de la guerre. Étant allé le 29 novembre 1914 à la gare, il voit partir des chasseurs alpins. La tentation est trop forte: il s'embarque avec eux.

Les chasseurs l'adoptent, et le voilà parti pour le Nord. Songeon se rend utile par des commissions, en aidant aux corvées, en faisant la soupe. Les chefs l'encouragent, lui font faire l'exercice, et bientôt il revêt l'uniforme de chasseur et reçoit l'équipement complet. Il prend part aux combats d'Ypres et d'Arras et à la fameuse attaque du 27 décembre, où la compagnie à laquelle il appartient prend quatre cents mètres de tranchées et mérite, pour ce haut fait d'armes, d'être citée à l'ordre du jour.

Mais, au bout de trois mois, le commandant le fait appeler et lui apprend que ses parents le réclament à Annecy, sur les bords du joli lac si bleu. Douleur du petit chasseur! Ah! ces parents! Tous les mêmes! Tendresse incorrigible!

« Pour Faire Honte aux Embusqués »

En voici quatre, quatre petits Bretons comme ceux de Chateaubriand, mais un peu plus âgés: l'aîné a dix-sept ans, le plus jeune quinze. Eux aussi ils se sont « caltés » un beau matin, mais ils ont eu plus de chance. Par des manœuvres astucieuses, ils sont arrivés à se procurer capote, képi, sac, fusil, et ils ont descendu des Boches.

Mais voilà, ils ont eux aussi le malheur d'avoir des parents vigilants et qui ont crié si fort que les quatre petits poilus ont dû réintégrer le domicile paternel, après une mercuriale attendrie et souriante de leur commandant.

Et voici qu'après avoir tenu tête aux ennemis ils tiennent tête à ceux qui leur reprochent leur escapade.

— Vous étiez trop petits!

— Quand un Boche attrape un pruneau, est-ce qu'il demande si ça vient d'un homme ou d'un enfant?

— Moi, dit l'un, j'en ai descendu deux à la file.

— En es-tu bien sûr?

— J'étais assez près d'eux pour les voir. Des balles de shrapnell ont troué ma capote, tenez!

Et il montre les trous glorieux.

— Mais enfin, quel sentiment vous a poussés? Et le plus jeune, son képi en bataille sur l'oreille, se redresse comme un jeune coq et lance ce joli cocorico:

— C'est pour faire honte aux embusqués.

l'Air Crâne et Doux

Si vous prenez la collection d’Excelsior, vous verrez sur le no du 30 décembre 1914 une gravure occupant toute la première page. C'est un groupe de soldats et, devant eux, bien campé avec son fusil au bras droit, le jeune Charles Méré, engagé volontaire de quatorze ans. La note qui est au bas indique que ce brave gosse a prit part à plusieurs engagements et que sa brillante conduite lui a valu récemment les félicitations du colonel devant le régiment. Souriant, montrant ses dents blanches, avec ses godillots et son ample capote, il a l'air très crâne et si doux, le petit poilu. Mais il faut voir surtout les bonnes figures de ses aînés qui le regardent d'un air attendri comme autant de papas et de protecteurs.

 

de la revue d'enfants - 'Un Poilu de 12 Ans'

 

Le Plus Jeune Hussard de France

Sous ce titre d’Excelsior du 5 octobre 1914 a donné le récit suivant:

C'est à Saumur, au quartier de cavalerie, que l'enfant gâté du 3e hussards se remet des fatigues de sa première campagne, Bien campé, solide et musclé pour ses quatorze ans, avec des yeux actifs dans sa figure brune, le petit soldat se redresse dans son charmant uniforme pour conter son odyssée.

Ainsi que le Petit Poucet, Albert Schuffrenkes est né d'un bûcheron et d'une bûcheronne et compte huit frères et sœurs. Bien qu'il ne fût que le cinquième de la bande, il lui fallait se « débrouiller », et comme sa forêt de Rougemont (territoire de Belfort) n'avait plus de secrets pour lui, il lâcha son apprentissage de tisserand pour devenir coureur des bois et guide particulier des détachements du 42e d'infanterie qui venait d'apparaître.

C'était aux premiers jours de la guerre. Le guide volontaire montra tout de suite un goût si vif pour le métier militaire, qu'il participa à l'affaire de Mulhouse. C'est là que, à l'aise dans l'uniforme un peu vaste qu'on lui avait déniché pour la circonstance, il reçut le baptême du feu.

Il en demeura ébloui, si bien que ses amis les lignards le virent disparaître un jour: « On ne voyait plus assez de Prussiens », explique-t-il. Des artilleurs l'accueillirent vers la fin d'août et lui donnèrent un cheval. Mais les combats aériens que nos canons livraient alors contre les aéroplanes ne le satisfirent point. « C'était trop loin! »

Les hasards de la guerre le jetèrent enfin, à Noailles, dans un escadron du 3e hussards qui devait fixer son destin. Tout de suite, l'enfant des bois devint centaure. Son brigadier assure que, tant avec l'artillerie qu'avec la cavalerie, il dut rester un mois à cheval.

Et il en a de rechange. Son grand fait d'armes, que le 3e répète avec fierté, est la prise de quatre montures allemandes que le jeune soldat ramena à lui tout seul, au cours d'une reconnaissance de son peloton. Il ignore, par ailleurs, combien il a tué de « Prussiens » et déclare avec simplicité qu'il ne les a pas comptés et qu'il a depuis longtemps distribué tous ses trophées de Mulhouse et de la Marne.

Le petit hussard du 3e est brave avec candeur, presque sans le savoir. Et quand on lui demande:

— Mais n'avez-vous pas eu peur quand vous vous êtes trouvé dans la bataille?

— Peur? Pourquoi avoir peur? répond-il d'un air un peu étonné, comme si, vraiment, c'était la première fois qu'il y songeait.

L'Excelsior à qui nous avons emprunté cette page donne un joli croquis représentant le petit Albert sur son cheval, fièrement campé, avec l'air d'un maréchal de France conduisant son armée au feu.

Un Mousqueton qui Abat des Boches

Paul Mathieu a quatorze ans. Son père est mobilisé. Sa mère, obligée de fuir Saint- Dié devant l'invasion allemande, l'emmène. S'étant écarté dans un bois pour aller voir manœuvrer des soldats, il s'égare, ne retrouve plus le groupe des réfugiés et revient aux soldats qui l'adoptent. Il dort et mange avec eux à la belle étoile et fait le service des tranchées. On lui déniche un mousqueton avec lequel il tue plusieurs Allemands. Le colonel qui l'a pris en affection lui fait faire un bonnet de police et une vareuse de chasseur à pied aux manches galonnées d'argent.

Au bout d'un mois et demi de combats, il reçoit un jour en plein visage un coup de crosse involontaire d'un camarade. Comme il a d'ailleurs les jambes enflées et des rhumatismes, contractés dans la boue des tranchées, le colonel lui donne vingt francs et le fait évacuer sur Aubervilliers, où il est tendrement soigné et gâté. Il se réjouit à la pensée de revoir sa mère qu'on a avertie et, montrant sa bourse à un visiteur, il lui dit: « Je la conserve pour maman. »

Encore un! Encore un!

Edouard Martel est né le 16 juillet 1901 à Malzéville, près de Nancy. Il a à peine treize ans à la déclaration de la guerre. Il grille d'embrocher des Boches. Le 10 août, il emboîte le pas aux sapeurs du 6e génie.

Il partage leur rata et leur vie fatigante, il creuse des tranchées, il jette des ponts sur les rivières. Avec ses 130 centimètres et ses 37 kilos, il s'aventure là où ne passent pas les gros copains. Il est nommé « premier jus » soldat de première classe. Des galons rouges, quelle joie!

Mais l'ennemi approche. Martel trouve une carabine et tire avec ivresse. Il abat ses hommes, tout comme un autre.

— Encore un! Encore un! Ça fait deux!

Il fait la retraite de la Meuse jusqu'à la Marne. Un jour, les cartouches manquent dans sa tranchée. Au risque de se faire tuer comme un lapin, il sort et court comme un chat chercher des munitions. Il échappe aux balles comme par miracle. Le capitaine Bédos le récompense en le nommant sergent. Le colonel Durieu entend parler du « gosse » et le félicite et l'embrasse devant toute la compagnie.

Mais à défaut de balles, l'appendicite le guette et ne le manque pas. Il est opéré le 27 octobre et sixjours après on l'envoie à Dunkerque et de là à Malo-les-Bains, à l'hôpital anglais de l'Hôtel Belle-Vue, où la bonne duchesse de Sutherland le gâte et le guérit.

A peine rétabli il se fait l'infirmier d'un adjudant de Sénégalais, qui a les deux bras en marmelade. Le petit sergent le soigne, le lave, le mouche, le fait manger et lui roule ses cigarettes.

Dix Champs de Bataille à Treize Ans

Charles Trottemant est né à Nancy le 9 juillet 1901. Il a huit jours de plus que son compatriote Martel. Mais il est l'aîné des gars dans une famille de neuf enfants.

Noblesse oblige! Il estime qu'il doit donner un grand exemple à ses frères et sœurs, et il rêve de porter le flingot et de canarder les Boches.

Donc, le 13 août 1914, il se glisse à la gare de Nancy parmi des soldats qui partent pour Crévic. Là, il est de toutes les corvées, bientôt on lui trouve un mousqueton et il fait parler la poudre.

Il se bat sur dix champs de bataille lorrains. Il est à Morhange, il se replie sur la Seille, et patauge dans les tranchées d'Haraucourt et de Sommerviller. Là, il s'annexe à un régiment d'artillerie lourde, qui va partir pour le Nord, II traverse Toul, puis Nancy. Il passe devant la maison paternelle et il a le courage de n'y pas entrer pour embrasser ses parents. « Ils m'auraient empêché de repartir! dit-il ». Il prend part à des combats terribles sur la Somme, à Rosières, à Etinehem, à Bray. Les obus pleuvent, les balles sifflent autour de lui, il s'en moque. L'hiver arrive avec la pluie et le froid. Il veut continuer, mais le capitaine, maternel, ne veut pas exposer sa frêle santé aux intempéries de la rude saison et il renvoie le gentil grognard à sa maman avec ce joli billet.

« Chère Madame,

« Je certifie que votre fils Charles a fait avec ma batterie la campagne et qu'il a participé à nos combats. Il s'est toujours conduit comme un brave petit soldat, rendant service à tout le monde et faisant œuvre utile. Les fatigues de l'hiver, les marches de nuit ne me permettent plus d'assurer sa sécurité comme j'ai pu le faire jusqu'ici. Je profite d'une occasion pour vous le rendre en bonne santé et bon courage ».

« Je te rapporterai des fusées ».

Boillot, d'Aubervilliers, n'a que treize ans. Il s'est échappé pour aller « défendre son pays ».

II a bien de la peine à se faire agréer au front, mais, à force de diplomatie énergique et câline, il y arrive. Il écrit à sa mère pour la rassurer.

Il écrit à l'un de ses camarades pour l'enflammer.

« Je suis à La Bassée. Les Allemands ont campé et vont décamper... Je te demande de me conserver le Bon Point, l'Epatant et le Cri-Cri qui ne paraissent pas sur le front, et moi je te rapporterai des fusées et des baïonnettes. »

A la réception de cette épître belliqueuse, la gent écolière d'Aubervilliers entre en ébullition et toute une bande d'amis, avec quatre francs dans leur poche, partent un beau matin pour aller en découdre au front.

Hélas! l'ennemi fut averti: sous les espèces d'un bon gendarme, il arrêta à la gare de Senlis la troupe en marche vers l'est et la ramena tout entière à la caserne maternelle. « On s'y est mal pris, voilà tout. La prochaine fois on s'y prendra mieux! » telle fut l'oraison funèbre, simple et magistrale, par quoi les petits gars d'Aubervilliers se consolèrent de leur expédition morte-née.

Le Record: Douze Ans

Mais le record du jeune âge appartient au petit Picard: douze ans!

Fils d'un brave tué au début de la guerre, orphelin de père et de mère, sans abri ici- bas, il est allé avec les soldats qui l'ont accueilli paternellement. Il les a suivis au front. En juin 1916, il a déjà dix-huit mois de front, deux brisques sur sa manche, et on lui a promis la croix de guerre.

 

de la revue d'enfants - 'Un Poilu de 12 Ans'

 

V : Enfants Blessés

La Lionne et les Lionceaux

D'ordinaire c'est la lionne qui défend ses petits. Nous avons eu ce spectacle de lionceaux secouant leur crinière et s'élançant au combat pour secourir la lionne blessée, la France attaquée. Il ont marqué leur griffe sur la chair des hyènes et des chacals d'Outre-Rhin et le monde a dit: « C'est bien la griffe de la race immortelle: nous aurons encore des lions. »

Mais plus d'un a été blessé par les bêtes nocturnes. La lionne a pleuré, mais elle est fière de ceux qu'elle a élevés. Des enfants combattants comme les anciens preux, c'était déjà beau. Des enfants blessés ou mutilés pour la patrie, c'est émouvant, c'est sacré. Des enfants décorés de la Croix de guerre, de la Médaille militaire, de la Légion d'honneur, c'est d'une suprême et charmante élégance.

Cette guerre nous réservait ces jolies surprises. Le sang des petits a coulé avec celui des grands. Il a arrosé notre terre et y fera pousser des héros. Nous aurons encore des Du Guesclin et des Bayard, des Turenne et des Napoléon: nous aurons toujours des lions. Que les hyènes et les chacals se le disent!

Jeanne d'Arc eût frémi en voyant couler le sang de nos bleuets et surtout celui des enfants: c'est le sang de France, le plus innocent et le plus pur. Elle se fût penchée avec la douceur d'une mère sur les pauvres petits blessés.

Félicité par Galliéni

Emile Bigarré a, lui aussi, quinze printemps. Lorrain, né à Blamont (Meurthe-et- Moselle), il a perdu ses parents. Il suit le 7e bataillon des chasseurs à pied. Blessé à la jambe droite, au coude et à la main gauche, il refuse de quitter ses compagnons. Il faut, à Rosières, où il reçoit sa dernière blessure, qu'on lui donne un ordre formel pour qu'il consente à se laisser soigner. Rosières! Nous y avons déjà vu tout à l'heure un autre Lorrain, le petit Trottemant, âgé de treize ans!

Au cours d'une revue dans la cour des Invalides, le général Galliéni l'ayant remarqué, le félicita publiquement en lui disant: « Tu as porté avec honneur l'uniforme des chasseurs à pied. Tu es un brave. Donne-moi la main. » Les grands héros savent apprécier les jeunes.

Albert Girard est de Nancy: décidément la ville lorraine est féconde en jeunes héros!

Celui-ci n'a que quinze ans à la mobilisation. Il s'engage aux chasseurs à pied, il combat, il est blessé en septembre 1915 par une aile de torpille aérienne. Il est soigné à Paris avec Louis Orecchioni, un ami de son âge, blessé comme lui. A peine convalescent, il se consacre avec son camarade à l'instruction des jeunes enfants d'une société de préparation militaire.

Léonce Malleta été plus gravement atteint. Né près d'Avesnes dans le Nord, il est venu tout jeune à Paris avec ses parents, honnêtes ouvriers, et il était occupé dans une parfumerie de la banlieue quand éclata la guerre. Malgré ses quinze ans, il obtint d'être enrôlé dans un régiment d'infanterie.

Le 23 février 1915, il s'efforçait sous un violent bombardement de l'ennemi de sauver des blessés en les portant dans une grange, quand il eut la jambe gauche broyée par un éclat d'obus. Il dut en être amputé. Soigné dans une ambulance de la rue d'Ulm à Paris, il souffre beaucoup des pansements, mais ne pleure pas. Il dit ne regretter qu'une chose, de ne plus servir la France.

La Croix de Guerre à Seize Ans

Pierre Renaud, Breton de Nantes, a une histoire des plus pittoresques.

Le 22 septembre 1914, muni de l'autorisation de son père, il se glisse dans un groupe de soldats qui partent pour le front, et, grâce à leur complicité attendrie, il se cache sous un banc, échappe à l'Argus du contrôle et fait le trajet.

A X... on le verse au 137e d'infanterie et on l'équipe. Il combat avec les camarades et le 8 janvier 1915, il a l'épaule traversée par un éclat d'obus. Il refuse de se faire évacuer.

A Y... il s'offre pour faire partie d'une patrouille dangereuse, qui abat nombre de Boches et fait huit prisonniers, mais qui, repérée, est obligée de se tapir pendant huit heures dans un trou sous une pluie d'obus.

Blessé, il obtient un congé avec l'intention de prendre trois mois après, quand il aura dix-sept ans, un engagement régulier, et il rentre chez lui la poitrine ornée de jla croix de guerre. Blessure et croix de guerre à seize ans: voilà qui est élégant! Qu'en dites-vous, les petits gars?

Et voici sa citation à l'ordre du régiment:

« Bien que trop jeune pour être appelé à prendre part à la défense du pays, autorisé par ses parents, s'est mis à la disposition de l'autorité militaire. Depuis un an, a pris part à toutes les opérations auxquelles a participé le régiment. A été blessé à son poste de combat. Demandant à rentrer chez ses parents, a reçu la croix de guerre en récompense de ses services.»

Trois Décorations sur une Jeune Poitrine

C'est Fernand Fille, un Marseillais, qui porte ces trois superbes décorations: médaille militaire, croix de guerre avec palme et croix de la Légion d'honneur!

Il n'avait que seize ans à la déclaration de la guerre. A force de ruses et à l'insu de ses parents qu'il ne prévint qu'après son départ, il parvint à se faire enrôler dans un régiment belge et guerroya de longues semaines dans les dunes des Flandres, où il fut blessé une première fois.

Rappelé chez lui à la fin de janvier 1915 par un ordre exprès de son père, il revient à Marseille; mais un mois après — comment? c'est son secret — il contracte un engagement dans l'armée française, 159e régiment d'infanterie. Et le voilà parti pour l'Alsace, où il se signale par sa brillante conduite. Le 2 août, il prend part à l'attaque du Lingekopf et mérite d'être proposé pour la médaille militaire. Le 4, au cours d'un assaut, il tombe criblé de projectiles. Transporté mourant à l'hôpital d'Epinal, il subit l'amputation du bras gauche et l'ablation de l'œil droit.

Il semblait devoir y rester: mais sa vigoureuse nature reprit le dessus. Le voilà maintenant mutilé pour la vie. Que voulez-vous, dit-il, c'était mon destin!

Bientôt il obtenait la croix de guerre avec palme et la médaille militaire, et le Journal officiel publiait le 16 septembre 1915 son nom avec cette citation:

« Très bon soldat, engagé volontaire pour la durée de la guerre. A été grièvement blessé à son poste de combat. Amputé du bras gauche. »

Un peu plus tard il était promu chevalier de la Légion d'honneur avec cette mention:

Fille (Ferdinand-Auguste), aspirant au 359e: « Très bon sous-officier, engagé volontaire pour la durée de la guerre, a toujours donné le plus bel exemple de courage et de dévouement. S'est maintenu seul pendant quinze minutes dans un élément de tranchée attaqué par l'ennemi. Titulaire de la médaille militaire, amputé du bras gauche.

Engagé à seize ans, chevalier de la Légion d'honneur à dix-huit ans! C'est la plus jeune poitrine de France qui porte le ruban rouge.

La Campagne de Gustave Châtain

Je ne puis mieux faire que de reproduire ici le beau et vivant récit publié par M. Jean Malherbe dans la Liberté du 1er octobre 1914.

Gustave Châtain, quinze ans, est un petit garçon de ferme qui a voulu faire la guerre et qui l'a faite, jusqu'à ce qu'une balle interrompît sa brillante campagne.

Je l'ai vu ce matin dans un petit lit de la maison de santé de la rue Georges-Bizet (Paris) où les « bonnes Sœurs » (les religieuses du Très-Saint-Sauveur) le gâtent, l'appelant « leur enfant de troupe ».

Près de son lit, à portée de sa main, bien en évidence, un petit pantalon rouge, un vrai, que des admirateurs lui ont commandé sur mesure... et qui l'attend...

— Je ne le ferai pas attendre longtemps, s'écrie Gustave Châtain, je vais me débiner. Le médecin m'a promis que dans trois ou quatre jours je pourrai rejoindre.....On a besoin de moi, là-bas.....

Je lui demande de me raconter son histoire.

— Ça n'a rien d'épatant, fait-il.....Je voulais me battre avec les Boches, j'étais costaud pour mon âge. Alors, un jour, n'y tenant plus, j'ai filé sur Senlis, où il y avait du bruit. Des chasseurs alpins passent, je les suis en leur proposant de faire des commissions... Et puis je leur demande un fusil. On rit d'abord; j'insiste, on m'en donne un. Mais le capitaine m'aperçoit; il ne veut pas de moi. Je ne suis qu'un gosse! Je vais plus loin. Une autre compagnie m'accepte. Je leur promets d'être bien sage et de me faire tout petit.

Enfin, j'aperçois des Boches. On se bat. Je ramasse le premier fusil venu. On ne fait pas attention à moi dans la bataille, et je m'en donne tellement qu'en me retournant je m'aperçois que je suis tout seul. J'avais perdu ma compagnie. Alors je me replie en bon ordre. Mais impossible de me retrouver. Enfin, je rencontre un régiment de ligne. Je me présente. On me permet de me glisser dans les rangs.

Bon, nous voilà dans la bataille de la Marne. Vous pensez si j'étais à mon affaire. Je me faisais pardonner en me mettant de toutes les corvées.

Quand ça chauffait, j'y allais avec les autres. J'ai chargé à la baïonnette. Pour approcher les Boches, je tenais une botte de paille devant moi..... On avance très bien comme ça..... J'ai été dans leurs tranchées. J'en ai vu qui faisaient les morts -— c'est un de leurs trucs quand on arrive dessus, — mais je leur donnais des coups de pied pour voir ai ce n'était pas du chiqué.

« Ce fut mieux encore à la bataille de l'Aisne. Là, ça valait la peine d'écrire ses mémoires. Je les ai écrites ici pour me distraire. Elles sont dans ce cahier. »

Gustave Châtain soulève son oreiller et me montre un cahier d'écolier:

— Ne l'ouvrez pas... il y a trop de fautes d'orthographe.

Je lui assure que les fautes d'orthographe sont permises pendant la guerre, et j'ouvre le cahier. Nos lecteurs en savoureront ces passages:

« ...J'étais aux avant-postes depuis deux jours, quand une idée me prit de monter dans un grenier pour regarder sur les positions boches. Je monte le perron. Bon! voilà la porte fermée. Je regarde à travers les carreaux. Ma stupéfaction en voyant des sacs de Boches, des cartouchières et des flingots! Je n'hésite pas; je me sauve pour chercher un morceau de bois; je casse les carreaux et je passe. Je charge mon fusil et je mets ma baïonnette au canon. Je vais dans la place. En bas, rien; je monte et je trouve... devinez qui?... Eh bien, sept Boches qui dorment à poings fermés. Un coup de fusil en l'air les fait sauter sur pied. Ils se regardent, se parlent. Je m'étais caché derrière la paille. Qui venait de tirer? Leur stupéfaction en me voyant arriver sur eux baïonnette au canon! Ils n'essayent même pas de lutter, ils mettent les mains en l'air et poussent des hurlements. « Descendez! que je leur dis. Et ils descendirent, enchantés de se rendre. Et je les remets aux camarades...

« L'embuscade de F... Les ordres étaient de voir si réellement les deux fermes étaient occupées par l'ennemi et couper un fil téléphonique qui reliait ces deux fermes. Nous voici partis. La patrouille se composait de douze hommes, d'un sergent, d'un caporal et moi.

« Nous arrivons aux fermes. Une fusillade éclate des deux fermes et du plateau de gauche. Le caporal tombe ainsi que cinq hommes. Les autres se jettent le long de la route. Mais bientôt une fusillade éclate de droite, couchant huit hommes à terre. Il ne restait plus que le sergent et moi. Une balle m'enlève ma casquette. Je me jette derrière un tas de cailloux et j'ouvre le feu contre la ferme de gauche. Je tire toutes mes balles. Malheureusement je n'en avais plus que cinquante. Je prends mon fusil et je me sauve. En passant en terrain découvert, je reçois une balle à l'épaule droite, — j'avais déjà eu la main gauche écorchée. Ça me fait activer de vitesse.

« Mais le sergent ne pouvait plus marcher, une balle lui avait coupé un doigt de pied. Je le monte sur mon dos, et me voilà reparti. On s'en tire. »

Devant de pareils exploits, j'hésite. Mes yeux vont du cahier à l'enfant. Et l'enfant rit de ma surprise. Un soldat, horriblement blessé aux deux bras et qui est soigné dans la même chambre que Gustave Châtain, apporte son témoignage.

— Le gosse ne ment pas. J'y étais. Il a fait ça. Ce qu'il ne dit pas, c'est que les chefs l'ont félicité, qu'un général l'a invité à sa table, et que nous l'aimons tous, ce brave gosse.

— Eh bien quoi, c'est tout naturel, riposte Gustave Châtain. Et c'est très amusant. Vous comprenez que je suis pressé d'y retourner, quoique je me trouve bien chez les Sœurs. Le gouvernement militaire de Paris a bien voulu s'occuper de moi, sans doute, car un officier est venu me voir pour me promettre de me ramener à mon régiment, dès qu'on me laissera sortir. Et cet officier m'a appris que mon colonel et mon capitaine avaient été tués pendant que je n'y étais pas. Il faut que je me dépêche d'aller les venger. Cette fois j'aurai un pantalon rouge. Si je pouvais avoir aussi un képi, je serais complet.

Le médecin entre dans la chambre.

— Docteur, je n'ai plus mal du tout, lâchez-moi, s'écrie le gosse héroïque, qui gesticule dans son lit afin de bien montrer qu'il est d'attaque.

On va voir, fait le docteur en tirant amicalement l'oreille de son petit malade. A-t-il été sage, ma Sœur?

La religieuse sourit!

— J'ai eu toutes les peines du monde à l'empêcher de se lever, pour mettre son pantalon rouge. Il a le diable au corps, docteur. Mais il faut remercier le ciel d'avoir envoyé à la France de bons petits diables comme celui-là.

— Ma Sœur, vous avez raison.

Brouettes Héroïques

André Lange est né le 1er juin 1898. Il avait donc seize ans à la guerre. Il quitta ses parents, rue Notre-Dame, à Nancy. Toujours ces petits Nancéens! Il suit au feu un régiment de ligne. Il est classé parmi les brancardiers: mais le poste est souvent dangereux. Le 23 septembre 1914, attaqué par un grand diable d'Allemand, il le tue d'un coup de baïonnette, puis se remet tranquillement à l'ouvrage. Il transporte dans une brouette, sous le feu de l'ennemi, une vingtaine de blessés, dont un capitaine. Atteint bientôt d'un éclat d'obus au pied gauche, il est évacué sur Besançon, soigné à Laon et va achever à l'ambulance de la Soie, à la Croix-Rousse de Lyon, sa convalescence, avec le ferme dessein de retourner au front.

En voici un autre, venu on ne sait d'où, habillé on ne sait par qui en soldat, et qui s'est glissé on ne sait comment jusqu'aux tranchées. A quinze ans, il combat comme un vieux de la vieille. Après la bataille, il ramasse les blessés dans une brouette; il en ramène cinq au poste de secours. Au sixième voyage, il est blessé par un obus. Transporté dans un hôpital de Lyon, il refuse obstinément de dire son nom, de peur d'être renvoyé à sa maman.

Le Brancardier de Treize Ans

Encore un de Nancy! Si on les réunissait tous les petits gosses de ïa ville-frontière, quel joli régiment cela ferait!

C'est André L... Dès le début de la guerre, il est toujours avec les soldats auxquels il rend mille petits services.

Une bombe ayant enfoncé le toit de sa maison tout près de sa chambre, située au troisième étage, il descend avec tous les habitants dans la cave. Mais là l'un gémit sur son argent laissé dans l'armoire, l'autre sur sa montre oubliée sur la commode. André grimpe comme un écureuil à tous les étages et rapposie à chacun son trésor etla joie.

A la fin de septembre, il disparaît. Il a suivi lui aussi les soldats. A la bataille de Thiaumont, brancardier bénévole, il en a sauvé vingt et, parmi eux, un capitaine, en les chargeant et en les traînant sur une petite voiture. Dans son dernier voyage, un obus éclate sur le convoi, broie ses trois blessés et le blesse lui-même au pied. C'est à son tour d'être relevé et on l'envoie se soigner à l'hôpital.

Médaille Militaire à Douze Aans

N'oublions pas nos petits alliés.

Dragolioub Gélitch n'a que douze ans, mais le prince héritier de Serbie a signé, sur la proposition du ministre de la guerre, sa nomination au grade de caporal. Voici par quelles prouesses le mioche a mérité cette distinction.

Son père avait été tué à la bataille de Koumanovo, pendant la guerre de 1912. Élève de sixième au lycée de Chabatz, l'enfant s'est joint à un corps de volontaires et a pris part à sept combats contre les Autrichiens. Blessé à la bataille de Souva, il a refusé de quitter la ligne de feu et à continué de tirer jusqu'au moment où ses forces le trahirent. Dans une expédition de nuit, il a pénétré avec quelques camarades dans les lignes autrichiennes et le succès de cette mission lui a valu la médaille militaire.

Blessé en Enlevant un Drapeau

Gela se passe en Russie. Le héros a quatorze ans. Le Messager de l'Armée raconte ainsi ses exploits à la date du 30 décembre 1914:

Parmi les blessés qu'on a amenés ces jours-ci à Taganrog, se trouve un garçon de quatorze ans, Alexandre Tcherviatkine, qui s'est signalé d'une façon éclatante dans une circonstance récente.

Originaire de Taskent, Tcherviatkine faisait partie de la musique dans un régiment du Turkestan. Au début de la guerre, il obtint de sa mère l'autorisation de partir comme volontaire pour le front.

Arrivé sur les positions avancées qui défendent Varsovie, il fut incorporé dans un corps d'éclaireurs et reçut l'ordre d'aller relever les positions ennemies, distantes des nôtres de quelques verstes.

La veille, on s'était battu à cet endroit.

La reconnaissance fut malheureuse. Un projecteur ennemi avait découvert Tcherviatkine, et le jeune éclaireur fut fait prisonnier.

La nuit, songeant à fuir, Tcherviatkine se glissa parmi les soldats endormis, qui constituaient justement la garde du drapeau. Il coupa avec un canif la courroie qui retenait le drapeau, s'empara du trophée et prit la fuite.

Mais, déjà, le projecteur recommençait à fouiller le terrain. L'ennemi fit feu sur notre fuyard, qui fut atteint par une balle et blessé au côté.

Tcherviatkine arriva néanmoins jusqu'à nos tranchées, où il put remettre à son commandant le drapeau allemand.

En récompense de sa belle conduite, le jeune héros a reçu le quatrième Ordre de Saint-Georges.

A la Maison du Passeur

Tout le monde connaît la terrible « Maison du Passeur » où sont tombés tant de vaillants Belges. Un petit engagé volontaire de seize ans y arriva la veille de la Pentecôte 1915. C'était sa première journée aux tranchées. Le bombardement fut effroyable pendant toute la nuit.

Vers le matin, un obus éclata à côté de lui: une gerbe d'éclats, le prenant de flanc, le cribla de blessures sur tout le côté gauche, du talon à la hanche. Ruisselant de sang, il fut porté au poste de secours. Là il dut subir une première opération fort douloureuse, mais il se raidit contre la souffrance, sans un cri, sans une contraction.

L'aumônier qui lui tenait la tête entre ses mains et s'efforçait de le consoler lui dit:

— Tu dois bien souffrir, mon petit?

n Oh! oui, mais c'est pour la Belgique! n n Quand l'opération fut terminée, au moment où on allait l'emporter pour l'évacuer:

— Au revoir, dit-il, je serai guéri dans quelques jours et je reviendrai à la Maison du Passeur.

Il est difficile d'imaginer plus d'héroïsme chez un enfant. L'enthousiasme le pousse au poste du danger: c'est déjà très beau. Mais, après une bataille effroyable, après d'affreuses douleurs, le corps encore broyé et saignant, demander de retourner dans la fournaise, à seize ans, c'est franchement sublime.

Et voici comment l'aumônier belge achève la lettre que nous venons de résumer:

Au premier jour de repos, je courus voir ce petit héros. Il me parut plus enfant encore, avec sa petite tête sur l'oreiller blanc, et sa pâleur m'effraya. Il me dit en me prenant les mains:

— Le général est venu hier à l'hôpital et il m'a parlé longuement. Il m'a dit que j'étais courageux et que je serais nommé caporal! Mais j'ai bien peur; demandez donc, je vous en supplie, Monsieur l'Aumônier, demandez qu'on ne me coupe pas la jambe! Je ne saurais plus jamais rien faire à la guerre!

Et laissant retomber la tête, il pleura à grosses larmes.

J'étais encore là quand on apporta les papiers portant sa promotion au premier grade.

Ne croyez-vous pas qu'il faut saluer bien bas ce petit caporal de seize ans?

« Nous la reprendrons, notre terre. »

Le 23 octobre 1914 un groupe entourait un jeune Belge éclopé dans une rue du Havre et on lui faisait raconter la douloureuse retraite de ses compatriotes. Il disait la résistance des premiers jours, l'investissement d'Anvers, le recul devant la marée montante du fer et du feu... quand un des assistants lui dit:

— Mais quel âge avez-vous, mon ami?

— J'ai seize ans, monsieur.

Une femme réfugiée, déployant son mouchoir, y montra un peu de terre belge qu'elle avait ramassée le dernier jour en franchissant la frontière.

— Soyez tranquille, dit simplement le petit soldat. Nous la reprendrons tout entière notre terre!

Nos Petits Frères Noirs

N'oublions pas non plus nos frères sénégalais. Ces petits bâtons de réglisse ont souvent sous leur peau noire une âme vaillante et un beau sang rouge qu'ils savent répandre pour une noble cause. L'enfant de la brousse et du désert a parfois suivi son père et il a voulu combattre à ses côtés.

Combattre pour qui? Pour son village brûlé du soleil, pour son gourbi pauvre et chéri cependant? Oui, sans doute, mais sa terre natale n'est pas directement menacée. Alors, pour la France? Oui, et il l'appelle sa seconde patrie: il sait qu'elle aime ses enfants noirs et veut les rendre heureux. Des milliers déjeunes indigènes du Dahomey, au début de la guerre ont envoyé au gouverneur français une touchante pétition pour demander « l'honneur de combattre pour leur mère la France ».

Parmi ceux qui sont venus il y en avait de minuscules, et ceux-là intéressent leurs petits frères blancs.

Nous empruntons à l'Express de l'Orient le récit suivant sur un petit mitraillenr sénégalais.

 

 

Bakari et Madame France

Son nom: Bakari. Il est dans sa quatorzième année. Il est né au Soudan, au bord du Niger. C'est là, il y a bien longtemps, quand, tout petit enfant, il jouait encore avec ceux de son âge au bord du grand fleuve, que son père s'engagea dans les tirailleurs, au service de la France.

Alors commença l'existence aventureuse des camps.

Mais, un beau jour, la compagnie dont faisait partie le père de Bakari reçut l'ordre de partir pour le Maroc. Le petit Bakari et sa mère suivirent le chef de famille. Pendant des mois et des mois, ce fut une vie presque quotidienne d'escarmouches et de combats.

Survint la Grande Guerre. La compagnie du père de Bakari fut désignée pour prendre part à l'expédition des Dardanelles. Moment pénible pour nos pauvres Sénégalais. Les ordres étaient formels, il allait falloir laisser au Maroc femme et enfants. Désolation du petit Bakari. Pour la première fois, il va être séparé de son père. Il prie, il supplie, pleure, trépigne. Lui aussi veut aller se battre. Il promet qu'il restera aux côtés de son papa, ne le gênera point et l'aidera. Déjà, dans les longues marches à travers le « bled » marocain, ne l'a-t-il pas fait, portant le fusil, les cartouches, le barda?

Enfin, apitoyé, le capitaine de son père consent à emmener l'enfant. Et, un jour, les troupes alliées arrivent à l'entrée des Dardanelles. Les Français ont reçu l'ordre d'atterrir à Koum-Kaleh. Le père de Bakari est affecté à une section de mitrailleuses. Le petit Bakari aux côtés de son papa, sous l'ouragan de balles et d'obus, met le pied sur la côte d'Asie.

Pour permettre aux Anglais de débarquer à Sed-ul-Bahr, sur l'autre rive, les Français avaient reçu l'ordre de tenir Koum-Kaleh vingt-quatre heures. Ils tinrent deux jours et deux nuits. Sans repos, Bakari apportait lui-même aux soldats les bandes de cartouches destinées à alimenter les mitrailleuses. Enfin, après quarante-huit heures de résistance héroïque, on rembarque. Bakari est toujours là.

Et l'enfant noir se retrouve au pied d'Achi-Baba, dans la fameuse redoute Bouchet, puis au Kérévès-Déré. Inlassablement, il suit la section dont son père a été nommé adjudant. Quand il n'apporte pas de cartouches aux combattants, il prend le fusil de celui qui vient de tomber et fait le coup de feu. Journées terribles... Insomnies, privations, intempéries, le gamin supporte tout. Il est avec son père.

Un soir, au crépuscule, l'ordre vient de partir à l'assaut. Poussant leurs cris de guerre, les Sénégalais escaladent les tranchées. L'enfant est au milieu de la colonne d'attaque. Rugissant, lui aussi, il se précipite avec les assaillants.

Mais, soudain, un sifflement aigu déchire l'air: un obus éclate au milieu des tirailleurs, semant la mort.

Une heure plus tard, à cet endroit, on trouve le petit Bakari, évanoui, sur le corps de son père. Le vieux Sénégalais avait été tué sur le coup. L'enfant avait été blessé à la jambe et à la tête.

Après avoir reçu les premiers soins à une ambulance de l'arrière, il fut évacué sur l'hôpital d'Alexandrie, où son infirmière, que les Sénégalais ont baptisée Madame France, me conta tout émue ses hauts faits.

Et, comme Madame France raconte la mort héroïque du père de Bakari, l'enfant murmure

— Oui, Madame France... Eux, sauvages... Eux ont tué mon papa... Mais moi, bientôt guéri, et irai les tuer à mon tour...

Et ses deux petits poings, tendus vers une vision lointaine, se crispent et se serrent rageusement.

Mohamed ben Bouderbala

Mohamed ben Bouderbala est un gamin d'Alger. Depuis le 1er août 1914 il a suivi partout le régiment de zouaves, choyé par les hommes, mais bien digne de leur affection par son courage à braver avec eux la mort et son dévouement à les servir.

Le 6 février, il leur portait la soupe dans les tranchées, dédaigneux des balles prussiennes, quand l'une d'elles vint le blesser à l'épaule. Il a été évacué sur l'hôpital 30 du Mans, où il est soigné comme un grand homme. Treize ans! Vive l'Afrique!

 

illustrations de la revue d'enfants - 'Zizi, Tueur de Boches'

 

VI : Enfants Tombés au Champ d'Honneur

Lis Sanglants

Virgile demandait qu'on jetât des lis à pleines mains sur la tombe du jeune Marcellus, enlevé à l'âge de dix-huit ans. Mais Marcellus n'était pas mort sur le champ de bataille. Quels lis seraient dignes de nos enfants de dix à dix-sept ans tombés au champ d'honneur! Ils sont eux-mêmes des lis dont une goutte de sang a empourpré la corolle, des lis sanglants.

Auprès des plus beaux noms leur nom est le plus beau. Toute gloire auprès d'eux passe et tombe éphémère, Et, comme ferait une mère, La voix d'un peuple entier les berce en leur tombeau.

La voix d'un peuple entier ne peut nommer tous nos jeunes héros. Il faudrait celle de Victor Hugo, qui a écrit ces vers et qui a si bien chanté les enfants, pour magnifier ceux de nos jours. A défaut d'un hommage digne d'eux, contentons-nous de les nommer et de rappeler leur trépas.

« Ne pleure pas, maman. »

Roger Gsell a pour père un Alsacien qui opta pour la France au moment où éclata la guerre; c'est un petit garçon épicier de Périgueux et il a dix-sept ans. Le tambour, le canon, les balles font dans son cœur un magnifique vacarme, ou il ne discerne qu'un mot: En avant!

Il s'engage au 53e régiment. Il est de tous nos revers en Belgique. Il connaît l'ivresse de la victoire sur la Marne. Il est de l'immortelle barrière sur l'Yser. A Dixmude il reçoit deux très graves blessures par un éclat d'obus.

A l'hôpital il fait l'admiration de tous par son stoïcisme. Il dit à sa pauvre mère:

— Ne pleure pas, maman. Si c'était à refaire, je le referais sans hésiter.

Il ne cesse, pendant deux mois de cruelles souffrances, de réconforter ceux qui l'entourent. Il leur prêche l'amour de la France et la confiance dans son avenir. Mais la vie s'écoule goutte à goutte de son pauvre petit corps et il meurt le 8 janvier 1915 en chantant la Marseillaise.

Ce dernier fait est relaté dans une citation à l'ordre de l'armée dont il a été l'objet de la part d'un général commandant d'armée .

Mort dans les Plis du Drapeau

Le Journal officiel du 16 janvier 1915 nous donne cette autre citation à l'ordre du jour de l'armée également glorieuse:

Chassignol, sergent au 228e régiment d'infanterie:

Ancien enfant de troupe, âgé de dix-sept ans, placé, sur sa demande, dans un groupe franc, s'est vite fait remarquer par son intelligence, son brillant courage et son sang-froid. Cerné par l'ennemi pendant une reconnaissance, s'est défendu vaillamment et n'a succombé qu'après avoir vendu chèrement sa vie. Son corps, repris par ses camarades, à proximité des tranchées ennemies, a été trouvé enveloppé sous la capote, dans les plis d'un drapeau.

Ce dernier mot fait rêver. Je crois voir Roland, Bayard, d'Assas et La Tour d'Auvergne errant le soir sur le champ de bataille et rencontrant ce cadavre sous ce drapeau. Quel tressaillement! Gloire à toi, petit Français de 1915! Tu portais avec ce drapeau l'honneur de la patrie. Tu l'as bien défendu. Dors doucement dans ce splendide suaire.

François Ratto a seize ans. Il s’engage à Menton, dès le début de la guerre au 27 bataillon des chasseurs alpins. Parti pour le front, il fait preuve de la plus héroïque bravoure.

Un jour, dans la forêt de V..., il combat dans les tranchées avec une section de la 2e compagnie. La lutte est chaude. Les nôtres vont manquer de munitions. L'ennemi se dispose à l'attaque. Les balles sifflent de tous les côtés. Un officier demande un volontaire pour aller chercher des cartouches à l'arrière. Ratto se propose le premier. Il rassemble les musettes de quelques soldats et s'élance dans la forêt, sous le feu de l'ennemi. Une heure après, il revient, chargé de munitions nouvelles qu'il distribue lui-même aux hommes.

Le 23 novembre 1914, il est grièvement blessé par un éclat d'obus qui lui sectionne presque complètement le pied. Au milieu des plus cruelles souffrances il conserve sa gaieté. Tant de bravoure lui méritait la croix de guerre et la médaille militaire dont l’Officiel du 15 janvier 1915 lui apportait la nouvelle avec une glorieuse citation.

Il mourut quelque temps après des suites de ses blessures. Il appartenait au patronage catholique de la chapelle Saint-Joseph de Menton.

Marceau Weber part à quatorze ans pour rejoindre au front son frère aîné Gilbert. Tous les deux sont blessés au mois de mars 1915, mais retournent au feu après trois semaines d'hôpital. Au combat de Bagatelle, Gilbert est de nouveau grièvement blessé, mais le pauvre petit Marceau qui vient à peine d'atteindre ses quinze ans y trouve une mort glorieuse.

En avant! A la Baïonnette!

Nous arrivons aux tout petits. Au moment de la mobilisation, Désiré Bianco n'est qu'un mioche de douze ans, assis sur les bancs de l'école du quartier Menpenti à Marseille. Mais il a une idée dans sa petite tête. L'école, fi donc! L'école de guerre, à la bonne heure! Il se glisse une première fois parmi les hussards qui vont partir. Hélas! on le renvoie à sa famille avec des félicitations.

Mais ce n'est pas ce qu'il veut. Et allez donc arrêter un gosse de Marseille! En 1915, il se rend subrepticement à Toulon, s'insinue à bord de la France et en route sur les flots bleus.

Aux Dardanelles, il est de nouveau félicité, choyé, mais, ô dépit, maintenu dans les services de l'arrière. Il trépigne, il est furieux. Mais si vous croyez que vous aurez raison de son ardeur marseillaise, c'est que vous ne connaissez pas du tout nos petits méridionaux, troun de l'air!

Le tonnerre du canon, le crépitement des balles enfièvrent notre Désiré. Il arrive à se faufiler sur la ligne de feu et abat ses Turcs et ses Boches, en veux-tu? envoilà! Un beau matin,le 8 mai 1915, il se trouve dans une tranchée juste au moment d'un assaut. Une fête! Au premier bond, sabre au clair, il franchit le parapet. Ce qu'il advint du pauvre Bianco? Ecoutez cette stance, signée du général Cordonnier, qui cite à l'ordre de l'armée d'Orient le héros de treize ans.

« Bianco, Désiré, pupille du 58e régiment d'infanterie coloniale. Jeune enfant âgé de treize ans. N'écoutant que ses sentiments enthousiastes, est parvenu à se glisser sur le transport la France avec les hommes du 58e régiment d'infanterie coloniale embarqués sur ce paquebot. Débarqué à Sedul-Bahr (Dardanelles) avec ce régiment, a pris part aux rudes attaques du début. A fait preuve de vaillance et de grand courage à l'assaut du 8 mai 1915, où il a été tué en s'élançant aux cris de: « En avant! En avant! « A la baïonnette! »

En avant! A la baïonnette! Pauvre Bianco, c'était le cri de ton cœur, l'appel de la victoire qui souriait à tes douze ans sur les bancs de la cité phocéenne. La mort a étendu son voile noir sur ton blanc visage. Mais la France et les anges du bon Dieu jettent des fleurs à pleines mains sur ta tombe lointaine, sur cette côte des Dardanelles si endeuillée, si loin de ta patrie, si loin de ta mère!

Mort Héroïque d'un Négrillon

Il n'a pas eu de citation que nous sachions, le pauvre négrillon de dix ans qui mourut au mois de septembre 1914 en combattant pour la France. Nous ignorons même son nom et, sans une ligne de son petit camarade Paul Mathieu, âgé de quatorze ans, dont nous avons parlé plus haut et qui le vit mourir à ses côtés, nous ne saurions rien du tout de lui.

Il était venu en France avec son père, un grand nègre du Sénégal. Il se glissait comme un rat dans les tranchées, mais là se battait comme un jeune lion de l'Atlas.

En bon Africain, il était fataliste: il croyait mourir à la guerre, mais pas si tôt. Hélas! ses vœux le trompaient.

Tout en faisant le coup de feu dans la tranchée, il disait un jour à son ami le petit Français:

— J'en ai encore pour deux mois à me battre ainsi avant d'être touché.

— Il ne faut pas dire cela! Ça vient au moment où on ne s'y attend pas.

Le petit Français était philosophe et prophète sans le vouloir. Une heure après, son pauvre copain avait la tète fracassée par une balle.

Singulier dialogue! Deux bambins de dix et quatorze ans qui devisent tranquillement de la mort entre deux balles sur un champ de bataille!

Dors, petit négrillon sans nom, loin de ton papa, le brave nègre qui t'adorait, loin de la pauvre négresse qui te berçait jadis à l'ombre des forêts natales: la France, ta seconde mère te bénit!

 

VII : Le Massacre Des Innocents

l'Infamie Allemande

Chez tous les peuples qui ne sont pas descendus au dernier degré de l'infamie, on a pitié des faibles, des femmes et surtout des enfants.

On tue les hommes qui combattent, mais on épargne ces petits êtres doux et frêles dont la gaieté insouciante et le sourire désarmeraient des fauves.

Tout le monde connaît l'histoire du lion de Florence qui s'attendrit à la vue d'un enfant et le rendit à sa mère. C'est une fable sans doute, mais elle symbolise bien le pouvoir que l'innocent a sur les cœurs les plus farouches.

Procope, l'un des plus cruels lieutenants de Jean Huss en Allemagne au XVe siècle, assiégeait une ville dont la résistance opiniâtre excitait sa colère. Quand la famine obligea les habitants à se rendre, il ne voulut entrer avec eux dans aucun arrangement et déclara qu'il les ferait tous passer au fil de l'épée.

Mais bientôt il vit sortir de la ville des centaines de petits enfants, couverts d'un voile noir, qui vinrent se jeter à ses pieds en lui criant: Grâce! Grâce!

Cette vision d'innocence et de détresse frappa vivement le barbare. Prenant à pleines mains des cerises qui se trouvaient sur sa table, il les jeta aux petits suppliants en leur criant: « Prenez, mes petits, et mangez. » Puis, se tournant vers ses lieutenants, il leur cria: « En selle! Qu'on lève le camp! » La prière des enfants avait sauvé la ville.

Les Allemands de nos jours se sont montrés plus féroces que leur ancêtre. Non seulement ils n'ont pas, comme Procope, pardonné aux parents en considération des enfants, mais ils ont fait retomber sur les enfants la haine qu'ils avaient pour leurs parents. Ils en ont martyrisé un grand nombre en France, en Belgique, en Serbie, en Pologne et ailleurs. Ils n'ont retenu pour l'imiter qu'une des scènes de l'Evangile: le Massacre des Innocents! Peuple Hérode! Peuple Caïn!

Que le sang innocent retombe sur eux!

M. de Mun écrivait le 8 août 1914: « On m'a conté qu'un train ramenait hier d'Allemagne vers la frontière des enfants danois rappelés par leurs familles. Ils étaient douze. Emportés par l'imprudence de leur âge et la ferveur de leurs jeunes cœurs, élevés sans doute par leurs pères dans le souvenir de la violence de 1864, ces enfants se prirent à crier: Vive la France! On les fit descendre: sur les douze on en choisit quatre et, sur-le-champ, ils furent fusillés.

« Que tout ce sang innocent retombe sur les barbares qui l'ont versé! »

Le 23 août, les Allemands massacrèrent un paysan et sa femme; puis, s'emparant de leur nourrisson, l'un d'eux lui passa la baïonnette à travers le corps et mit son fusil sur son épaule avec l'enfant au-dessus: les petits bras se tendirent une ou deux fois.

Deux témoins belges ont vu ceci à Malines: un soldat allemand, voyant un bébé d'environ deux ans au milieu de la rue, lui enfonça sa baïonnette dans le ventre, le souleva en l'air et l'emporta ainsi embroché en continuant à chanter.

Le sergent Delille à la tête d'une patrouille, ayant surpris un poste d'Allemands endormis à Zillebeke, les fit prisonnier et trouva dans le sac de l'un d'eux, une toute petite menotte d'enfant de deux ou trois ans coupée au-dessus du poignet. Il lui dit: « Est-ce toi qui as fait cela? » Et, sur l'aveu de ce monstre, il le fit fusiller.

Le 20 octobre, sur l'Yser à Pervyse, on trouve deux mains d'enfants dans la musette d'un prisonnier.

Un prêtre a écrit à Mgr Quilliet, évêque de Limoges, une lettre où il raconte un crime allemand dont il fut le témoin. Le 22 août 1914, les brigands ayant pris le village de X... (Meurthe-et-Moselle) s'emparèrent de deux enfants de quatorze à seize ans absolument innocents et, sous prétexte qu'ils avaient tiré sur eux, les firent placer devant leur troupe et les fusillèrent froidement.

l'Enfant de Sept Ans

Tout le monde a frémi en apprenant l'assassinat du petit enfant de sept ans que les monstres fusillèrent à Magny (Haute-Alsace), le 15 août 1914, parce qu'il les avait mis en joue avec son fusil de bois.

Bien qu'on la rencontre partout, vous me saurez gré, mes enfants, de vous remettre ici sous les yeux la poésie si émouvante et si délicate de M. Miguel Zamacoïs qui a buriné en quelques traits immortels pour l'exécration du monde cette ignominie sanglante de nos ennemis.

Sept Ans!

C'est un petit garçon, c'est un petit bonhomme,
Heureux de rien, de tout, d'un bâton, d'une pomme,
Un petit garçon de sept ans...
II a des yeux rieurs, des cheveux en crinière;
II est fier, car depuis la semaine dernière
II sait siffler entre ses dents!
Nous le connaissons bien: il méprise les « filles »;
Sa poche n'en peut plus de ficelle et de billes,
De tout un bagage enfantin;
II montre quatre sous, qu'il croit être une somme;
Rit du matin au soir, et ne fait qu'un grand somme
Depuis le soir jusqu'au matin.
Des amusements neufs, on n'en invente guère!
Etant petit garçon, il s'amuse à la guerre
Comme tous les petits garçons.
Il s'amuse d'instinct à défendre sa terre,
Et partage déjà la haine héréditaire
Pour ceux-là que nous maudissons.

Or, voici qu'un matin, à travers le village Passent les ennemis, avec tout l'étalage De leurs procédés révoltants... On se bat? C'est l'assaut du droit contre la ruse? Bah! Est-ce une raison pour ne plus que s'amuse Un petit garçon de sept ans?

Et parce qu'il faut bien, à sept ans, que l'on joue,
Du côté des soldats le petit met en joue
Son fusil de bois menaçant...
Un Français eût souri du geste minuscule,
Et peut-être singé l'ennemi qui recule
Pour amuser cet innocent;
Vous, salissant d'un coup toute votre campagne,(Mais vous n'avez donc pas d'enfants en Allemagne?)
Pour montrer que vous étiez forts,
Vous avez dirigé contre larme enfantine,
Qu'il allait déposer pour prendre sa tartine,
Les vrais fusils qui font des morts!
S'il est vrai, Majesté, ce crime qu'on raconte,
Comme il pèsera lourd, le matin du grand compte,
Pour le débiteur aux abois!
Comme il pèsera lourd lorsque, dans le silence,
Une main posera l'enfant sur la balance,
Et son petit fusil de bois!

MIGUEL ZAMACOÏS.

C'est bien ici le cas de répéter avec de Mun qui était pourtant un débonnaire: « Que tout le sang innocent retombe sur les barbares qui l'ont versé! »

Les Idylles Prussiennes

C'est aussi le cas de répéter l'apostrophe que Théodore de Banville adressait en 1870 dans ses Idylles Prussiennes au grand-père et qui s'applique si bien au petit- fils. Les Idylles prussiennes sont encore plus rouges en 1914 et Guillaume II a dépassé Guillaume Ier.

Guillaume, à l'heure inconnue
Où notre âme dans le ciel bleu
Frissonne, épouvantée et nue,
Devant la colère de Dieu,
Lorsque, sans peur de ton épée,
Les tout petits, avec leurs doigts
Grands comme des doigts de poupée,
Débiles, sans regard, sans voix,
Te désigneront à Dieu même
Que rien ne saurait abuser,
Et lorsqu'ils tendront, flasque et blôme,
Leur petit bras pour t'accuser,
Quand paraîtront, ô roi qui navrea
Le désespoir et la vertu,
Ces anges devenus cadavres,
Dis-moi que leur répondras-tu?

Je ne crois pas, mes chers enfants, que vous me reprochiez de m'être éloigné de mon sujet, en vous rappelant ici les atrocités commises par nos ennemis contre des enfants comme vous. Le martyre de vos petits frères a une signification glorieuse. Ce que les Allemands ont voulu tuer en eux c'est la fleur et l'espoir de notre race. Mais ce qui fait leur haine fait notre amour. La France vous aime tendrement, c'est pour vous surtout qu'elle se bat. Elle veut vous préparer un avenir tranquille. Vous ne faites qu'un avec elle, avec nous. Et voilà pourquoi aussi vous l'aimez et pourquoi il y en a tant parmi vous qui pleurent dans leurs rêves de ne la pouvoir défendre.

 

illustrations de la revue d'enfants - 'Zizi, Tueur de Boches'

 

VIII : Enfants Sublimes

« Je Puis Bien Mourir pour la France. »

Les enfants suppliciés par les Allemands étaient trop petits pour avoir conscience de leur rôle douloureux. Mais en voici qui ont vraiment fait leur sacrifice à la patrie, en pleine connaissance de cause.

Un rapport officiel français relate le trait suivant: Le 24 août 1914, les Boches entrent à Domèvre-sur-Vezouze. Ils aperçoivent par la porte ouverte d'une maison, au bas de l'escalier, le jeune Maurice Claude, âgé de dix-sept ans, et, sans aucune autre raison que leur haine et leur plaisir, ils le mettent en joue. L'enfant tâche de se garer; mais trop tard, il est atteint de trois balles au ventre et à la cuisse. Trois jours après, il succombait en faisant preuve d'une admirable résignation et du plus vaillant patriotisme. Il tâchait de consoler sa mère en lui disant: « Mais, maman, je puis bien mourir, moi aussi, pour la France ».

Un Gosse Contre Vingt-cinq Uhlans

Voici un joli trait arrivé dans les Ardennes belges le 16 août 1914. Un petit gars de douze ans se promenait à bicyclette sur la route d'Yvoir à Dinant. Tout à coup il se trouve face à face avec un groupe de vingt-cinq uhlans en reconnaissance, qui l'obligent à s'arrêter. Ils veulent être conduits jusqu'à Evrehailles-Bauche, et voilà nos hommes et leur guide en route.

Mais notre petit homme est un Ardennais et, conséquemment, rusé. Il sait qu'une quinzaine de Français sont sur la route, près d'Yvoir, et c'est là qu'il dirige les cavaliers. A cinquante mètres du poste français qu'il a vu tout à l'heure, il se jette dans un fossé et de toute la force de ses poumons crie: « Vive la France! »

Les Français se retournent, accourent, des balles sifflent: un, puis deux, puis trois, puis dix, puis douze, puis dix-huit uhlans sont tués; quatre autres sont faits prisonniers et les trois autres peuvent s'enfuir.

On se précipite vers le fossé. Le petit gas est là, il n'est pas blessé. On l'empoigne, on l'embrasse, on l'emporte et lui, maintenant, très ému, s'abandonne aux caresses des soldats français, dont aucun n'est tombé.

Martyrs du Patriotisme

Mais voici un héroïsme plus beau que tout ce que nous avons vu jusqu'ici. C'est celui des enfants qui, sommés par les muffles d'Allemagne de trahir leur patrie en indiquant où se trouvaient nos soldats, ont préféré mourir plutôt que de se déshonorer. C'est pour un motif semblable que le jeune Pierre Miroux fut assassiné en 1870, comme nous l'avons vu plus haut. Ces enfants sont bien les martyrs du devoir patriotique. Aucune mort ne se rapproche plus de celle des vrais martyrs, bien qu'il ne faille pas les confondre.

A Nomény (Meurthe-et-Moselle), le petit Charles Michel, refusant de dire où sont les Français, un officier allemand d'un coup de revolver, lui fait sauter la cervelle.

A Morfontaine, près de Longwy, le 4 août 1914, ils fusillent deux petits garçons qui ne veulent pas leur servir d'indicateurs et de guides.

Un bébé belge de huit ans a montré le même héroïsme. Des Allemands étaient entrés chez ses parents. Ne trouvant que ce pauvre mioche, ils lui mettent la baïonnette sur la gorge et lui enjoignent de dire où sont les soldats. Il répond qu'il n'en sait rien.

Pour le faire parler, les misérables le déshabillent et lui mettent la baïonnette sur le ventre, le menaçant d'enfoncer le fer s'il n'obéit pas. Il s'obstine dans son refus.

Ils le menacent de le pendre, mais il reste muet jusqu'au bout. A la fin, ils le laissent tout nu et c'est miracle qu'ils ne l'aient pas tué. Mais le petit n'en a pas moins été un admirable héros.

La Mort de Théophile Jagout

Un régiment bavarois pénètre dans un village à 11 heures du matin. Un officier demande à un enfant de treize ans, Théophile Jagout, s'il n'y a pas de soldats français dans le pays.

— Monsieur, si j'étais Allemand, habitant l'Allemagne et si des officiers français me posaient cette question, que devrais-je répondre?

— Quoi! Qu'est-ce que c'est ça? Réponds-moi à la seconde si, oui ou non, tu as vu ici des soldats français.

— Eh bien, je réponds: Non!

— Si tu me trompes, gamin, tu seras fusillé. Sur ce, le régiment défile au son des fifres et des tambours: mais à peine est-il engagé au milieu du village qu'une effroyable mitraillade éclate. Sauf trois cents hommes qui peuvent s'échapper, tout le régiment est anéanti.

Deux jours après, les ennemis reviennent beaucoup plus nombreux: leur premier soin est de chercher celui qui les a trompés. Le pauvre gosse est amené devant le chef d'état-major.

— Tu as menti à un officier supérieur allemand?

— Oui, répond crânement l'enfant, j'ai fait mon devoir. J'ai refusé de trahir mes compatriotes.

— C'est tout?

— C'est tout.

— Eh bien! Tu vas être fusillé.

— Peu m'importe! Loin de regretter mon acte, j'en suis fier et heureux.

Un instant après, le sublime enfant, debout devant un peloton d'exécution et regardant ses bourreaux bien en face, leur jetait fièrement ce cri: « Vive la France! » et tombait criblé de balles.

 

 

« Le Misérable Petit Poseur! »

Voici un fait semblable, mais qui est attesté par les criminels eux-mêmes dans une lettre d'un sous-officier teuton à sa famille.

L'autorité allemande a publié ce document dans un petit volume de propagande intitulé « Chronique de guerre », dont la police britannique a pu saisir un exemplaire.

Voici cette lettre:

« Un traître vient d'être fusillé, un jeune Français appartenant à l'une de ces Sociétés de gymnastique, éclaireurs ou boys-scouts, qui arborent des rubans tricolores, un pauvre gamin qui, dans son infatuation, s'était mis en tête d'être un héros.

« Notre colonne passait le long d'un défilé boisé. Il y fut pris, et on lui demanda s'il y avait des Français dans le voisinage. Il refusa de donner aucune information. Cinquante pas plus loin, une fusillade fut dirigée sur nous de l'épaisseur du bois. On demanda au prisonnier, en français, s'il avait eu connaissance que l'ennemi fût dans la forêt. Il ne le nia pas.

« II se dirigea d'un pas ferme vers un poteau de télégraphe, il s'y adossa, la verdure d'une vigne derrière lui, et il reçut la volée du peloton d'exécution avec un fier sourire sur le visage. Le misérable petit poseur! C'est pourtant dommage de voir du courage ainsi gaspillé. »

De quelle boue sanglante est donc pétrie l'âme allemande pour oser se vanter d'une pareille infamie?

Infamie de demander à un enfant de trahir son pays! Infamie de ne pas comprendre, de ne pas admirer ce qu'il y a d'héroïque dans son refus! Infamie de le punir en le fusillant! Infamie de l'insulter! Traître! Petit poseur! Mais de quel nom faut-il t'appeler, bourreau?

Vous serez contents, mes amis, de lire un poème que M. Xavier de la Perraudière a consacré à l'héroïsme de cet enfant.

Promenant l'incendie et courant au pillage,
Les soudards de Guillaume abordent un village
Où des turcos cachés gardent une maison,
Et ces brigands abjects, pour qui la trahison
Semble le pain de tous les jours, trouvent un gosse
Seul errant sur la place. Une bête féroce,
Leur lieutenant, monocle à l'œil, moustache en l'air,
Imitant la démarche et la voix du kaiser,
Saisit brutalement le gamin par l'oreille:
« Allons, petit Français, parle, et je te conseille
De ne rien me cacher, ou je te colle au mur.

Reste-t-il des soldats ici? — Non. — Sûr? — Bien sûr. n n Nous pouvons donc entrer sans crainte? — Entrez sans crainte. n n — C'est bon. En avant, marche! » Et dans le labyrinthe

Du patelin voici les Boches engagés.
Tout à coup, vingt fusils sur eux sont déchargés
La mort fait dans leurs rangs une coupe cruelle.
Les cadavres casqués remplissent la ruelle.
« Sauve qui peut! » Le chef, les soldats, tout a fui.
Mais l'officier barbare a gardé près de lui
L'enfant, et dès qu'il sent qu'ils sont hors de portée.
« Ah! vaurien! lui dit-il d'une voix irritée,
C'est toi qui nous as mis dans un pas si mauvais.
Tu savais les Français au guet? — Je le savais.
— Et tu nous as trahis! — J'aurais trahi la France
En parlant autrement. — C'est de l'incohérence,
Ricane l'Allemand, quel sot petit poseur!
Fusillez-le. » L'enfant répond: « Je n'ai pas peur.
Où dois-je me placer? — Là, contre la barrière. »
II y va sans trembler, en faisant sa prière;
Et s'il éprouve un gros chagrin, c'est seulement
En pensant à celui de sa pauvre maman.
L'ignoble Prussien ne sut pas faire grâce.
Oui, cette guerre est bien une guerre de race:
D'un côté, le Gaulois rayonnant d'idéal;
De l'autre, le Teuton stupide et bestial:
Le chevalier du droit, l'esclave de la force,
Contraste surprenant, perpétuel divorce
De types opposés que font bien ressortir
Ce bourreau méprisable et ce petit martyr.

XAVIER DE LA PERRAUDIERE.

La Mort Sublime d'Emile Desjardins

Le petit Emile Desjardins, né à Neuville-sur-Escaut, est un petit môme aux cheveux crépus, à la figure intelligente, qui s'en va pieds nus, dépoitraillé, avec sa culotte de velours fendue des deux côtés et retenue par une ficelle en guise de bretelle. Il est connu dans tout le pays sous le sobriquet du petit La Friture.

Les Allemands arrivent à l'improviste à Neuville. Un garde-voie, appelé B..., crie en les voyant: « Vive la France! Vive l'Angleterre! » II est aussitôt empoigné par la patrouille, et emmené à Douchy. En passant près d'un cabaret, le malheureux, apercevant le petit La Friture, lui dit: « Va me chercher une chope ».

Le gamin, sa chope à la main, rejoint en courant la troupe, mais un des Allemands la renverse d'un coup de crosse. Emile va en chercher une autre. L'officier prussien, furieux, lui dit en ricanant: « Ce n'est pas de la bière que tu vas lui donner, mais du plomb. Tiens, prends ce fusil... Comme cela! Et, au signal donné, tu appuieras... »

Crânement, le gamin prend le fusil sans trembler, épaule l'arme, la dirige sur la poitrine du garde-voie; mais, soudain, il fait volte-face sans abaisser son arme. Le coup part, et, foudroyé, le capitaine ennemi s'effondre, tué à bout portant.

Les Allemands ne sont pas encore revenus de leur stupeur que l'héroïque enfant qui s'est sauvé à toutes jambes est hors de leur portée! Il dévale par la grande route de Douchy, donne l'alarme à quatre gardes-voie qui le suivent et se réfugient avec lui dans la cour d'un paysan.

Les ennemis arrivent, se saisissent du petit La Friture, du paysan, des gardes-voie. Emile Desjardins avait été blessé à l'œil en se défendant. Les barbares le brutalisèrent et le lendemain l'ayant traîné épuisé, sanglant, ils le fusillèrent avec ses cinq compagnons à l'endroit même où il avait, dans un geste magnifique, tué leur ignoble capitaine.

Défense fut faite de toucher aux cadavres. Cependant, la nuit suivante, un ami du jeune héros, lui aussi un pauvre gosse, se glissa à tâtons jusqu'au lieu de l'exécution, enleva le corps de son camarade et, pour que les Prussiens eussent leur compte, le remplaça par celui d'un garde-voie tué dans les environs. Ne trouvez- vous pas que celui-là aussi était un héros?

Pauvre petit La Friture! Il avait fait un geste de tendre miséricorde en donnant à boire à un de ses compatriotes condamné à mort. Une brute infâme lui ordonne de tuer ce malheureux. Mais lui, avec une résolution froide, au- dessus de son âge, châtie le barbare. Geste sublime qu'il a payé par une mort héroïque!

Le lendemain, la France entière frémit d'admiration pour le petit patriote et d'indignation contre ses bourreaux. Le ministre de l'Instruction publique, M. Sarraut, sollicité par plusieurs députés et sénateurs, annonça son intention de faire placer le buste d'Emile Desjardins dans toutes les écoles de France.

Ne pourrait-on pas lui adjoindre Pierre Miroux et tous ces nobles enfants, martyrs du patriotisme, qui ont préféré la mort à une trahison ou à une infamie commandée par les Allemands?

 

de la revue d'enfants - 'Un Poilu de 12 Ans'

 

IX : Ceux de l'Arrière

Tout le Monde Soldat

Après avoir tant parlé de ceux du front, je puis bien consacrer quelques pages à ceux de l'arrière, à vous, mes chers petits lecteurs, qui n'avez pas eu la chance de pouvoir aller tordre le cou aux bandits.

Partout les cerveaux enfantins sont en ébullition patriotique. Nous avons vu les mioches qui jouent à la guerre. Mais il en est d'autres qui, même loin du feu, servent la France d'une manière plus sérieuse et plus efficace.

Dans les grands jours que nous traversons tout le monde doit combattre ou travailler pour la patrie. Les femmes qui soignent les blessés dans les hôpitaux et celles qui font des bas et des tricots pour les poilus dans les tranchées s'acquittent de ce devoir. Chacun doit être soldat à sa manière.

Les enfants peuvent rendre, eux aussi de réels services, soit d'ordre moral soit d'ordre matériel.

« Voici les Pantalons rouges! »

N'est-ce pas un service patriotique que de remonter le moral des familles et de donner da tintoin aux ennemis? C'est à quoi s'appliquent, dans la Belgique envahie, les gamins de Liège et les « ketjes » de Bruxelles, qui se sont fait une spécialité de mystifier et d'agacer les Allemands.

Un cavalier boche, descendu de son cheval, ne parvenait pas à le faire marcher. Il avait beau le caresser et le frapper, l'animal restait immobile comme un terme.

Un gosse liégeois qui passe éclate de rire aux dépens du gros Fritz. Celui-ci se retourne furibond et lui dit:

n Fous sauriez le faire afancer... fous? n n —Oui, certainement!

— Eh bien! essayez!

Le gamin s'approche de la tête du cheval et lui hurle dans l'oreille en patois du pays:

— Sâve-tu, vochal les rodges pantalons!

Ce qui signifie: « Sauve-toi, voici les pantalons rouges », c'est-à-dire les Français.

L'animal effrayé s'enfuit au galop, poursuivi par son maître, tandis qne les passants s'amusent follement à exciter le cheval et à huer le cavalier.

Deux Gosses qui Fondent une Ligue

Il est des bambins qui ont des préoccupations plus pacifiques et plus scientifiques, mais toujours patriotiques.

Jean Luchaire, onze ans, est le fils de M. Julien Luchaire, directeur de l'Institut français de Florence, et petit-fils d'Antoine Luchaire, qui fut l'un des chefs de l'école historique française et écrivit un grand ouvrage sur Innocent III. Il a un ami de son âge, Léon Ferrero, fils de Guglielmo Ferrero et petit-fils du célèbre Lombroso.

Tous deux se réunissent en comité secret et fondent une Ligue! La Ligue latine de la jeunesse. Le but? Unir de plus en plus la France et l'Italie, en cultivant « leurs affinités de race ».

Avoir l'idée d'une race à onze ans, ce n'est déjà pas banal! Mais savoir ce que sont les affinités de race, voilà qui est rare, même chez les gens de vingt ans.

Ne rions pas cependant. Il n'y a pas là de pédanterie. Les enfants imitent et se font de ce qu'ils voient et de ce qu'ils entendent des constructions puériles, mais qui dénotent souvent de charmantes qualités. Elevés dans un milieu ardemment franco- italien, parmi des savants pour qui les affinités de races n'ont pas de secrets et qui en parlent bien haut, nos deux petits amis ont voulu rapprocher leurs pays. Qui ne voit là un joli geste latin, un généreux battement de cœur?

Les Petits Parrains

Un grand nombre de petits se font un bonheur d'envoyer aux soldats des paquets de cigares, des vêtements chauds, des œufs de Pâques, des sabots de Noël, qu'ils ont achetés avec leurs modestes économies. Ils se privent de chocolat pour le leur envoyer.

Un bambin avait envoyé un paquet de tabac au front en Alsace: le soldat à qui échut le cadeau y trouva ce gentil billet:

Cher soldat

Je vais tâcher d'avoir beaucoup de bons points pour avoir d'autres sous pour vous acheter un autre paquet.

Je vous embrasse bien fort, de tout mon cœur, et je prie bien pour tous les soldats.

ROGER GROSSET, neuf ans, Paris.

Le capitaine de la compagnie donna lecture de ce mot charmant à ses troupiers et il écrivait à un grand journal de Paris: « Mes hommes sont presque tous des pères de famille: ils en ont été profondément touchés. Comment ne serions-nous pas avides de souffrir et de vaincre, afin d'assurer une paix glorieuse et durable dans la liberté à des enfants qui s'en montrent si dignes? Lorsqu'à la bataille nous regardons plus haut que l'horizon, il nous semble voir les grands ancêtres qui nous montrent le chemin du devoir; mais, en même temps, nous entendons passer au-dessus de nous, comme une grande rumeur, les voix réunies de ceux que nous avons laissés derrière nous. Elles nous encouragent, nous poussenî vers la victoire prochaine et définitive. Cher petit Roger Crosset, parmi ces voix qui viennent de France, nous percevons distinctement la vôtre; elle contribuera à exalter nos énergies. Nous voudrions, nous soldats, que vous le sachiez. »

Voici quelques billets que le commandant de la compagnie N. d'H. a trouvés dans des colis d'effets ou de douceurs envoyés à ses troupiers et qu'il a publiés dans la Libre Parole du 12 janvier 1915.

Celui-ci vient du petit Bouguenolles, de l'école communale du Plessis-Grohan:

« Nous ne regrettons qu'une chose, chers soldats, c'est que notre jeune âge ne nous permette pas de combattre à vos côtés. Courage, chers soldats, la France vaincra bientôt. »

Cet autre, d'une écriture déjà ferme:

« Cher petit soldat, nous pensons à vous et voulons vous envoyer nos souhaits pour notre cher pays que vous défendez avec tant de courage, et nous voulons vous dire notre reconnaissance émue. »

Et ce court billet, tracé par une menotte hésitante et appliquée:

Demage-aux-Eaux (Meuse).

« Cher soldat, embrassez pour moi le drapeau. »

HENRI FORAIN, sept ans.

Ah! les braves petits cœurs!

Les Petits Fermiers

D'autres ont accompli à l'arrière un travail plus grave et plus utile. Ils ont labouré, semé, récolté, entretenu la ferme. Pendant que les hommes sont au front, il faut bien que la bonne terre française continue à nourrir ses enfants, il faut donc la cultiver. Qui s'y dévouera? Moi? a dit la femme. Moi, a répété le petit. Et ils se sont mis à l'ouvrage. Le papa sème au loin la victoire. Le gosse sème au pays le grain et le pain.

Les journaux ont cité un grand nombre de ces délicieux dévouements d'enfants. Je n'en citerai que deux ou trois un peu au hasard.

Le Pastoureau et les Etoiles

Le père Dofal, quarante-six ans, est parti pour la guerre. Il travaille là-bas à Verdun. Il a laissé à la ferme son fils André qui a quatorze ans, sa fille Hélène qui a près de seize ans et Jeanne qui n'en a que douze.

André est un bon petit gars bien râblé, au regard droit et tranquille, avec deux yeux de pervenche sous la forêt vierge de sa tignasse emmêlée.

Il a pris la direction de la ferme et donne l'exemple du travail. Il a gardé avec lui Hélène pour tailler la soupe et soigner les poules. Mais au bout de quelque temps, il a envoyé d'autorité Jeanne « garder les pies » chez les grands-parents. « II ne faut pas que la petite se fatigue! » a-t-il déclaré. La petite! Il n'a que deux ans de plus qu'elle!

La ferme est située à Bazoques, à trois lieues de Bernay. C'est la plus grande du pays: elle a quatre-vingt-quinze hectares d'un seul tenant. Un vieux domestique fait le gros labour. Le maire, M. Duval, un brave paysan, ami des Dofal, règle les ventes. Mais c'est André qui commande sur le domaine avec une prévoyance, une patience et une habileté qui ne se démentent pas.

Il prend particulièrement soin d'un grand troupeau de quatre cents moutons, veillant sur eux nuit et jour, les élevant avec une science consommée. Le papa lui envoie ses conseils de Verdun: « Fais ben attention, mon p'tit fieu. Les moutons, c'est dangereux. Cheux nous, c'est l'humidité qui leur vaut ça! D'mande conseil à noute maire. J'espère que ren n' dépérit... » Et « ren n' dépérit » en effet, grâce au dévouement d'André.

Le préfet de l'Eure, M. Armand Bernard, par une intelligente initiative, a félicité et récompensé les enfants de son département qui avaient travaillé la terre avec plus de vaillance.

Le petit fermier de Bazoques a eu de lui, avec une gratification de cinquante francs, la belle citation d'allure martiale que voici: « Dofal, âgé de quatorze ans et demi: depuis le départ de son père, mobilisé dès le premier jour, assure, avec le concours de ses deux jeunes sœurs, le bon fonctionnement d'une exploitation de quatre-vingt- quinze hectares dans des conditions qui dénotent une volonté et une constance supérieures à celle d'un enfant de son âge. Malgré les fatigues et les difficultés qu'il a eues à surmonter, plus particulièrement depuis le décès de sa mère, dirige seul la ferme de ses parents et assume personnellement la garde d'un troupeau de près de quatre cents moutons. A contribué ainsi modestement, par sa grande énergie, sa persévérance, son labeur, à l'œuvre de la défense nationale.

A un envoyé du journal le Matin, qui le questionnait sur ses goûts, le petit berger répondit

— J'aime bien le soir de « mirer » les étoiles.

A l'heure où tombe la nuit, où les anges vont par les chemins, comme on dit à la campagne, le pastoureau mire les étoiles. Et sans doute là-bas, près de Verdun, le père lui aussi lève les yeux vers le ciel et leurs regards convergent sur le même point et leurs âmes communient dans les mêmes rêves à travers les étoiles .

Le jeune Pigal a quatorze ans, il est de Boissy (Eure). Sa mère est morte en janvier 1916. Son père est au front. Mais au lieu d'aller jouer aux billes ou aux barres, il a pris la direction de la ferme paternelle, soixante-dix hectares, s'il vous plaît, et le préfet de l'Eure l'a aussi félicité et récompensé.

Avec Rouflote, la Grande Jument

Léon Marie, de Ouistreham (Calvados) n'a que douze ans au mois d'août 1916: il aura ses treize ans à la Noël. Petit gringalet, haut comme une botte, il remplace les laboureurs et cultive à lui seul sept hectares. A lui seul? Pas tout à fait, mais avec Rouflote! Rouflote, c'est sa grande jument gris pommelé.

Il monte sur le fumier ou dans le râtelier pour mettre le collier et la bride à sa bête. Il l'attelle à la charrue et la dirige dans le sillon.

Après avoir labouré, il fauche. Il faut le voir lançant sa grande faux d'un geste précis, rythmé, paisible, abattant les épis lourds.

Sa pomme de terre a été superbe. Il a lui-même vendu « la blanche » au marché 25 francs les 100 kilos. Il est content de son orge et de son sarrasin. Il n'a raté que son blé.

— Je l'ai semé trop tard, dit-il, et les corbeaux me l'ont bouffé!

Il va avec un tombereau et Rouflote chercher du sable sur la plage pour les amateurs de jardins. Les petits Parisiens en villégiature à Ouistreham et à Riva Bella regardent ahuris ce petit paysan normand qui, avec sa pelle, une vraie pelle, et pas pour jouer, charge tranquillement son mètre cube de sable et mène un fouet à la main sa grande jument.

— Sans Rouflote, répète Léon Marie, j'aurais ren fait.

Et avec Rouflote il a nourri sa mère et ses deux jeunes sœurs.

 

 

X : Les Petites Héroïnes

Du Haut de Leurs Cinq Ans

Tout le monde sait que les garçonnets se sentent bien au-dessus des fillettes de leur âge. Du haut de leurs cinq ans, ils contemplent avec pitié ces petiotes qui ne savent même pas jouer aux billes et qui passent leur temps avec leurs poupées. Comme le petit de sept ans de Zamacoïs, ils méprisent les filles!

C'est entendu, mes petits poilus, elles sont le sexe faible et vous êtes le sexe fort. Mais il faut tout de même être un peu galant avec elles, en bons Français que vous êtes. Il faut surtout être juste et reconnaître la vérité.

Or, la vérité, c'est que la vraie force, comme la vraie grandeur, se mesure au cœur et non pas aux poings et que vos sœurs peuvent avoir un cœur aussi vaillant que le vôtre. La vérité c'est que tous les petits et même tous les grands garçons du monde pâlissent devant une certaine petite fille qui s'appelait Jeanne d'Arc.

La Fille au Grand Cœur

En l'an de grâce 1424, les petits garçons de Domrémy étaient tous d'ardents patriotes, et ils livraient souvent de sanglants combats à ceux de Maxey, leurs méchants voisins, qui étaient du parti des Anglais. Ils en revenaient blessés, mais fiers de leurs blessures.

Il y avait bien dans le village une bergerette qui parlait de délivrer la France. Mais les gâs en haussaient les épaules. A-t-on jamais vu une bergerette manier l'épée? Qu'elle file sa quenouille: c'est bien assez pour elle! C'étaient eux, les petits hommes, qui vengeraient Azincourt, délivreraient Orléans, reprendraient Paris et chasseraient l'étranger.

Or, quelques années plus tard, la bergerette était éblouissante de gloire; le roi la traitait en reine, les princes lui baisaient la main, les plus terribles poilus, La Hire et Xaintrailles, lui parlaient avec un respect attendri. Elle était la force, la victoire, la France incarnée.

Pourquoi? Parce qu'elle avait un grand cœur, comme ses voix le lui disaient. A douze ans, elle pleurait et frémissait en voyant les malheurs de la France. A seize ans, elle demandait à Baudricourt de l'équiper pour aller combattre. A dix-sept ans, elle était chef d'armée. A dix-sept ans, elle délivrait Orléans. A dix-sept ans, elle remportait la victoire de Patay. Et ses voix ne cessaient de lui redire: Va, Fille de Dieu; va, Fille au grand coeur!

Voilà une petite fille, vous l'avouerez, qui a singulièrement relevé son sexe. Allons, chers petits La Hire, allons, vaillants Xaintrailles de dix ans, inclinez-vous devant elle. Suivez-la comme son jeune page, Louis de Goûtes, qui était si fier de la servir. Soyez les pages de Jeanne d'Arc, vous aussi.

Je sais bien qu'il n'y a qu'une Jeanne d'Arc au monde, et que toutes nos héroïnes ne sont que des poupées à côté d'elle. Cependant il y en a eu qui ont fait preuve d'un grand cœur et se sont montrées bonnes Françaises. Je vais les faire passer devant vous.

Madeleine de Verchères

Elle avait quatorze ans. Son père qui commandait un fort au Canada venait de partir pour Québec, quand les Iroquois, effroyables sauvages qui brûlaient vifs leurs prisonniers, investirent la place le 22 octobre 1696.

Mlle Madelon, comme on l'appelait, n'avait avec elle que des femmes, des enfants, deux soldats et son domestique La Violette. Elle s'improvisa leur chef et dit à ses trois hommes: « Battons-nous jusqu'a la mort pour Dieu et pour la patrie. »

Elle organisa la défense, assigna à chacun son poste, pointa elle-même le canon. Elle ne prenait de repos ni jour ni nuit. Par ses ordres, les sentinelles se répondaient de la redoute et du fort, criant bien haut: Bon quart! pour faire croire à l'ennemi que la garnison était nombreuse.

A force de sang-froid et de courage, elle tint pendant une semaine. Dans la nuit du 28 au 29 octobre, un officier français, le lieutenant de La Monnerie, arriva avec une petite troupe et força les sauvages à déguerpir.

Une fillette avait sauvé une place forte et l'honneur de la France; elle avait évité le supplice du feu à ses compatriotes. Louis XIV lui envoya des félicitations et lui assigna une pension comme à une veuve d'officier.

l'Héroïne de Loos

Emilienne Moreau avait seize ans, quand les Allemands envahirent Loos en octobre 1914. Elle soutint son père malade qui mourut entre ses bras, sa mère, sa petite sœur qui fut blessée par un obus, son frère un blondin de dix ans; elle réunit les fillettes et les garçons au nombre de quarante-deux et leur fit la classe. Quand les Allemands venaient inspecter l'école, elle faisait chanter la Marseillaise à ses écoliers.

Quand les Anglais délivrèrent Loos en 1915, elle les aida à nettoyer la ville de la vermine oui s'y cramponnait. Voyant des Boches qui tiraient sur nos Alliés par le soupirail d'une cave, elle les somma de se rendre et, comme ils refusaient, leur jeta des grenades. Elle abattit à coups de revolver deux brutes qui tiraient sur un blessé.

Les Anglais enthousiasmés la comparèrent à Jeanne d'Arc. Citée à l'ordre du jour par le général Joffre, elle reçut le 27 novembre la croix de guerre avec palme des maîns du général de Sailly, qui lui dit: « Mademoiselle, vous honorez les femmes de France. »

Clotilde Boucry

La scène se passe à Avrechy, dans l'Oise. Treize uhlans envahissent le village et arretent dans la rue une jeune fille de seize ans, Clotilde Boucry.

— Y a-t-il des Français ici?

— Non, Monsieur!

Clotilde savait très bien qu'il y en avait tout près de là dans une ferme. Mais, en pareil cas il est permis de tromper l'ennemi. Celui-ci ne doit pas poser une pareille question, ou, s'il la pose, il ne peut s'étonner qu'on lui cache la vérité: on ne la lui doit pas. Lui livrer ses compatriotes serait une infamie.

Les uhlans n'étaient pas malins. Ils s'avancent vers la ferme. Pan! Pan! Pan! Sept d'entre eux s'abattent sur le pavé. Les six autres font « Kamarade ».

Nos soldats connaissaient bien la petite Clotilde qui depuis trois jours leur apportait à manger. Vous pensez s'ils lui firent fête. « Pour récompense, leur dit-elle, je ne vous demande qu'une chose, de ne pas faire de mal aux prisonniers. » Brave petite Française!

Hélène Payeur

Hélène a quinze ans. Séparée par la guerre de son père et de sa mère, restée seule avec sa sœur Rita, âgée de sept ans, et son frère Robert, âgé de cinq ans, elle se fait leur petite maman.

Obligée de fuir à travers les bois, elle gagne Baccarat, mais là tombe en pleine bataille et se sauve sous une grêle de balles.

Les Allemands brûlent sa maison, tuent sa vache, volent tout son bien. Elle se plaint aux officiers et plaide la cause de ses petits protégés.

Au bout d'un mois, le 21 septembre 1914, sa mère finit par la rejoindre. Quelle ne fut pas sa joie de retrouver ses trois enfants sauvés par la tète et le cœur de la petite aînée!

Marie Vilzer

Encore une Lorraine! Elle a dix-sept ans quand éclate la guerre. Elle se met à la disposition des religieuses dans un hôpital de Pont-à-Mousson.

Le 5 septembre 1914, pendant la bataille de Pont-à-Mousson, elle se trouve à quelques kilomètres de là, à Jezainville chez sa mère. Les obus y pleuvent. L'ennemi se rapproche.

Marie entend la fusillade et les cris des combattants. Elle n'y tient plus. Elle sort, va au milieu des balles et des shrapnells ramasser les blessés, les soigne au péril de sa vie et cela pendant trois jours. Cent fois la mort l'effleure.

Quand nos soldats ont repoussé l'ennemi, un colonel vient la décorer. Elle refuse la croix de guerre. Mais elle continue à soigner les malades en dépit de tous les bombardements.

Le 20 mars, elle se trouve dans l'église de Jezainville, quand un obus, pénétrant par un vitrail, éclate, blesse plusieurs personnes et atteint Marie Vilzer de neuf éclats. Couverte de sang, elle est portée à l'hôpital, et celle qui en a sauvé tant d'autres est obligée de se faire soigner à son tour.

La Fillette de Troyon

Le fort de Troyon a joué un rôle important dans la défense de la ligne de la Meuse. Le commandant y attira les Allemands en leur faisant croire que les ouvrages étaient abandonnés, et, à coups de canons, en coucha sept mille sur le glacis.

Or, c'est une fillette de douze ans qui, en l'avertissant de l'approche des assaillants, lui permit d'organiser son stratagème.

Tout près du fort était une auberge où nos soldats avaient coutume d'aller chaque matin déguster un fin moka. Un jour elle fut envahie par une avant-garde de uhlans. Il fallait avertir les Français.

La fillette de l'aubergiste s'en chargea. Au risque de recevoir des balles, elle grimpa le raidillon qui mène au fort, rencontra les soldats qui sortaient sans méfiance et leur apprit la nouvelle. Ils rentrèrent aussitôt, et le commandant, ayant interrogé la fillette sur le nombre et la position des ennemis, leur prépara une réception imprévue.

Les petites sœurs de Jeanne d'Arc.

— Nous voulons essayer de sauver la France comme Jeanne d'Arc.

Telle était l'idée qui hantait depuis longtemps le cerveau de trois fillettes de Perpignan. Mais, comme il n'y avait pas de sire de Baudricourt pour les équiper, elles préparèrent elles-mêmes leur hégire, en amassant beaucoup de chocolat. Pour le reste, elles se proposaient de le mendier sur la route, car, disaient-elles plus tard, « le salut de la France méritait bien ce sacrifice. »

Donc, un beau matin, elles partent à pied. Elles marchent toute la journée. C'est dur, mais l'enthousiasme les porte. Elles voient déjà la victoire voler sur leurs têtes. Où Joffre va-t-il les placer? Quel poste important va-t-il leur confier? Graves questions qui trottent dans la tête des chères mignonnes.

Mais la police, elle aussi, trotte à leur poursuite, et le soir même les ramène au logis. Beau rêve évanoui! Triste temps où on coupe les ailes à la victoire et à ses petites messagères!

Denise Cartier

Vous l'avez peut-être rencontrée avec ses béquilles, la pauvre petite de neuf ans, victime de la barbarie allemande.

Elle passait, le 27 septembre 1914, avenue du Trocadéro, quand une bombe, lâchée par un infâme taube, lui broya la jambe.

Sans doute, elle n'a pas combattu pour sa patrie. Mais elle a souffert pour elle. Quand on lui eut coupé la jambe, elle dit à sa mère: « Ne pleure pas, maman, je suis encore contente dans mon malheur. J'ai fait cadeau de ma jambe à la France. »

Petite Lise et Petit Jean

C'était dans une ferme isolée. Trente soldats français après avoir travaillé toute la nuit se reposaient pendant le jour au fond d'une cave.

Au-dessus, dans la cuisine, la brave paysanne qui leur offrait l'hospitalité, était assise, avec ses deux enfants, Lise, huit ans, et Jean, dix ans, auprès du feu.

Tout à coup, elle se lève, court à la porte et voit au loin arriver des cavaliers.

— Mes enfants, dit-elle en les serrant sur son cœur, voici les Prussiens! Il ne faut pas qu'ils soupçonnent où sont nos soldats. Quand ils nous interrogeront, il faudra leur répondre en patois et répéter toujours la même chose. C'est entendu?

— Oui, maman.

Les Prussiens entrent, questionnent la mère, mais ne comprennent rien à sa réponse. Ils interrogent les petits.

— Où sont les « Françoses » qui ont passé par ici?

La petite Lise lève ses yeux bleus vers celui qui vient de parler et répond en patois.

Le petit Jean répète la même phrase.

Les soldats soupçonnent une ruse de la part des bébés, mais ne pouvant rien en tirer, fouillent la maison. La femme, ayant eu la bonne idée de mettre de la paille pourrie sur la trappe, ils ne trouvent rien. Ils reviennent aux enfants, tirent leur sabre et menacent de les tuer avec leur mère, s'ils ne répondent pas en français. Les pauvres petits se mettent à pleurer, mais répètent toujours la même phrase, sans se couper par un seul mot.

Les Prussiens ne pouvant croire à une discrétion si héroïque de la part de pareils bambins, finirent par croire qu'ils ne savaient rien et s'en allèrent. Et c'est ainsi que, par leur courage, une fillette et un garçonnet ont sauvé la vie à trente soldats.

Ce trait héroïque a été raconté par un de ces hommes dans une lettre à ses deux petits enfants, Marcelle et Charles, restés à Neuilly-sur-Marne: lettre que Maurice Barrés a publiée dans l’Echo de Paris du 16 mars 1915.

 

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