du livre: 'Souvenirs de Guerre par un Missionaire Soldat', 1919
'Un Petit Héros'
par M. J. Baeteman
 
un Enfant Français

deux pages de revues françaises

 

"C'était un enfant, 17 ans à peine!
De beaux cheveux blonds et de grands yeux bleus..."
 

C'est ainsi que Déroulède crayonnait son Petit Turco. Mon petit chasseur, à moi, est un enfant - quinze ans à peine. Il a, lui aussi, « de beaux cheveux blonds et de grands yeux bleus ». C'est une de ces petites ligures enfantines et sublimes, une de ces fleurs que la guerre fit germer et qui grandit, ravissante, au dur souffle des batailles.

Quand la mobilisation sonna, il n'avait pas encore quinze ans. Habitant un coquet village des Vosges, il ne tarda pas à voir son pays envahi par les premières vagues allemandes qui bientôt durent repasser la frontière. Son père était parti. Sa mère morte. Il était seul! Que faire? Fuir? Non! il était trop fier, il s'engagea.

Oui, à quinze ans! Il vit passer un bataillon d'Alpins, demanda à être présenté au Commandant qui, frappé de sou air candide et grave, l'accepta. On l'équipa, et l'enfant devint troupier. Sans connaître la vie monotone des dépôts, il partit de suite aux tranchées.

Avec son bataillon, il fut de toutes les affaires, il connut la dure existence des premières lignes, la pluie, le froid, la faim, la charge, les bombardements affreux. Ce fut pour lui un apprentissage terrible; l'enfant d'hier était devenu Soldat!

Il me raconta ses campagnes, comme un vieux brisquard; et quand je citais devant lui un nom glorieux que l'histoire a sacré, son regard brillait et avec un sourire de fierté, il me disait: « J'étais là! »

« J'ai fait toutes les charges, » me racontait-il, et au premier rang. « Plus jeune, j'étais plus agile. Je me rappelle le premier boche que j'ai transpercé. Il était gros, terrible, effrayant. Le voyant se précipiter pour tuer un camarade, je m'approchai et lui enfonçai ma baïonnette dans le dos, II poussa, alors, un hurlement, se retourna, et j'eus bien de la peine à retirer mon arme. On m'aimait bien, on m'appelait l'enfant du Bataillon. Les chefs étaient pour moi très bons. J'avais comme ami un tout vieux soldat, je lui écrivais ses lettres et il veillait sur moi. Depuis, il est mort d'une balle, et je l'ai beaucoup pleuré.

« Une première fois je fus cité à l'ordre du Bataillon pour avoir conduit la marche dans les forêts des Vosges où nos hommes s'étaient égarés. Vous pensez, la forêt? Moi je la connais par cœur.

« J'eus une deuxième citation pour avoir été blessé à la tête au cours d'une attaque, une balle m'atteignit au front. Mais je n'en suis pas mort. Après quatre mois d'hôpital, je suis retourné à la guerre.

« Un jour, en Alsace, je remarquai une espèce de bonne femme qui venait vendre des cartes postales aux soldats. Je ne sais pourquoi, elle me parut louche, et sans rien dire, je me mis à la surveiller. Comme je connaissais le patois, je comprenais tout ce qu'elle disait, et j'eus bientôt la conviction qu'elle nous trahissait et donnait à l'ennemi des renseignements sur nous. Un matin, l'épiant toujours, je la vis descendre vers la rivière et y jeter une bouteille. Aussitôt, je criai aux camarades de l'attraper, et me précipitant à l'eau, je pus prendre la bouteille. Elle contenait un rapport détaillé sur une attaque que nous préparions pour le lendemain. Après cela, je rejoignis mes camarades et à coups de crosse de fusil, on la conduisit devant le commandant. Elle fut fusillée le lendemain à G...

« Pour cela j'ai eu une troisième citation.

« Au début, je l'avoue, j'avais bien peur, surtout des gros obus. Puis, je m'y suis fait; maintenant, je n'ai plus peur de rien du tout.

« Nous avions aussi un aumônier avec nous. C'était un vrai brave. Il avait de la barbe comme vous. Il nous disait la messe dans une cagna, tous les dimanches; c'était très beau, vous savez! J'étais son enfant de choeur. Et puis, on récitait ses prières, souvent dans les tranchées. Moi je commençais et les autres continuaient.

« Le soir, surtout, quand la nuit était venue et que je me sentais si seul, là, en face des Boches, loin de mon père, soldat, lui aussi, alors, la peur venait me reprendre, et moi je me mettais à prier, après cela je n'avais plus peur. Avec dix de mes camarades, nous récitions le chapelet, et ça nous faisait du bien. Voyez-vous, je suis tout seul sur. la terre, alors, je me disais souvent: la vie pour la vie. Si je meurs, ce sera pour ma patrie. Comme je n'ai plus de mère, ma mère c'est la France. Si je meurs et si je parais devant Dieu, je suis sûr d'être sauvé, car, quand on fait bien son devoir, on a l'esprit pur, le cœur tranquille et on n'a pas peur de paraître devant le Bon Dieu qui doit bien aimer, n'est-ce pas, Monsieur l'Aumônier, les petits soldats de France?

« Quand je voyais tomber des camarades autour de moi, je pleurais. Puis, quand on les avait enterrés, je faisais une croix de bois sur laquelle je mettais leur képi, et je m'occupais de planter des fleurs sur leur tombe, des fleurs tricolores, il y en a dans nos montagnes.

« Tout jeune, j'ai appris à fumer la pipe et à jouer aux cartes comme un vrai poilu, cela distrait quand on n'arien à faire.

« J'espère bien retourner au front (il était malade, alors) pour prendre la place des pères de famille. Ce n'est pas pour eux, les vieux, mais je pense surtout aux petits enfants qui n'auraient plus de père.

« Allez. Monsieur l'Aumônier, croyez-moi, je n'espère pas en revenir. Mais on les aura! oui, nous serons vainqueurs, car le Bon Dieu est avec nous! »

Voilà ce que me dit le chasseur alpin. Il est retourné dans la mêlée, il y aura fait son devoir merveilleusement. Puisse Dieu l'avoir gardé!

 

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