de la revue ‘Lectures Pour Tous’ de 5 decembre 1914
'Enfants Héros'
 
les Enfants Français en Temps de Guerre

 

Enfants Heros

Le poète de l'héroïsme, notre vieux Corneille, a chanté ces âmes bien nées chez qui « la valeur n'attend pas le nombre des années. » Jamais ce vers n'a trouvé une si magnifique application que dans cette guerre. Ce ne sont pas seulement les tout jeunes soldats qui nous émerveillent par leur vaillance, leur mépris du danger, leur esprit d'abnégation: nombreux sont aussi les enfants qui n'ont pas craint de se mêler aux rangs de nos soldats, de les accompagner aux postes les plus périlleux, de faire à leurs côtés le coup de feu et d'accomplir jusqu'au bout le sacrifice. L'histoire n'oubliera pas les noms de ces petits héros morts pour la patrie! Et elle fera peser un opprobre éternel sur la nation qui, en plein vingtième siècle, a eu la cruauté — cruauté disciplinée, ordonnée, commandée — de fusiller des enfants!

IL a douze ans, il est tringlot, et ses compagnons d'armes l'ont surnommé le Petit Lapin. Le Petit Lapin est un rude lapin.

Il est de Giromagny. Sa mère étant morte et son père parti pour le front, depuis le premier jour de la mobilisation, il passait les heures à bayer aux corneilles, dans les rues du village, quand un beau matin des soldats du 7e escadron du train des équipages traversèrent le pays.

Des soldats! des chevaux! c'est un beau spectacle, et qui peut se prolonger longtemps. Il suffit de suivre. Le garçon suivit. Il fit un, deux, trois kilomètres. Bientôt le village s'estompa dans le lointain, puis le clocher de l'église lui-même se perdit à l'horizon, puis vint le soir, le gamin suivait toujours le train des équipages.

Quand la nuit tomba, on était loin de Giromagny, et il était impossible de retourner au village. D'ailleurs, pourquoi y retourner, puisque la maman dormait au cimetière et que le papa était aux armées? Les soldats adoptèrent l'enfant, ils lui offrirent un costume à sa taille, une belle carabine qui tire de vraies balles, et depuis le Petit Lapin est tringlot, « le plus petit tringlot de France ».

Il ne baisse pas le front quand sévit la mitraille; il fait le coup de feu dans les tranchées; il conduit un fourgon comme un homme.

La police n'eut-elle pas un jour la prétention de le renvoyer à Giromagny? Il se redressa fièrement et répondit:

« Je suis soldat, je resterai soldat tant qu'il y aura un Boche à combattre! »

C'est que le Français naît soldat. Il porte son premier fusil avant sa première culotte, son premier képi avant son premier chapeau. Ainsi se révèle son âme dans son joujou préféré, comme se révèle dans la première poupée le cœur maternel de la petite Française.

Dès qu'il sait marcher, le petit Français marche derrière le régiment qui passe, et depuis que la guerre est déclarée, il ne tient plus en place. Il sait ce qu'on appelle une mitrailleuse et un 75. Il connaît le nom du général Joffre, du maréchal French, du roi Albert. Il suit chaque jour les opérations en plantant sur son atlas de petits drapeaux.

Les Petits Volontaires de 1914

Depuis que l'on ne parle autour de lui que de la vaillance et de l'abnégation de nos troupes, que l'on cite les actes de courage, les beaux faits d'armes, les assauts intrépides de nos soldats, le petit Français sent son cœur traversé d'un besoin de gloire. Il voudrait, lui aussi, dans dix ans, dans vingt ans, quand on parlera des victoires de 1914, il voudrait pouvoir dire: « J'en étais! »

Aussi, que les circonstances s'y prêtent, sachant où l'on se bat, il y va. Il y va pour satisfaire sa passion d'héroïsme... et pour faire son devoir, pour le plaisir de se battre et pour cogner sur les Allemands.

Du reste, Pierre Mercier, d'Enghien, vous dira mieux que tout autre pourquoi l'on va se battre à quatorze ans!

Pierre Mercier est boy-scout. Depuis huit jours il avait disparu, lorsque ses parents reçurent la lettre suivante:

« Chers papa, maman et sœurs,

« Voici plus de deux mois que la guerre est commencée et je n'ai encore rien fait pour ceux qui combattent pour nous. Vous savez que j'ai prêté mon serment d'éclaireur, et que, dans ce serment, j'ai juré de servir fidèlement ma patrie en temps de guerre comme en temps de paix. Donc, le moment est venu de tenir ce serment.

« Dans le moment critique où se trouve notre belle France, il n'y a pas trop de gens pour repousser la horde barbare qui veut l'envahir. Donc ce matin, grâce à une petite somme que j'ai économisée, je me suis embarqué pour le front, afin d'aider, dans la mesure de mes moyens, ceux qui combattent.

« Est-ce que l'on a institué les Eclaireurs de France rien que pour la parade et l'uniforme? Eh bien, non!

« Alors, chers parents et chères sœurs, ne pleurez pas mon départ, car c'est pour la patrie que je m'en vais; au contraire, vous n'avez qu'à être fiers d'avoir un fils et un frère sous les drapeaux.

« En dessous de mon uniforme, j'ai emporté des vêtements nécessaires pour passer l'hiver. Je vous réunis tous les quatre pour vous embrasser bien des fois; ayez patience et confiance dans la victoire prochaine.

« Toi, maman, sois courageuse; fais toujours des cache-nez et des plastrons pour les soldats; et toi, papa, j'espère que tu me pardonneras d'avoir manqué d'aller avec toi pour t'aider; et toi, petite Suzanne, va toujours à l'école apprendre la géographie et l'histoire; bientôt elles seront changées. Quant à moi, je ferai mon devoir jusqu'au bout, car j'ai juré de servir fidèlement ma patrie.

« Votre fils et frère qui vous embrasse beaucoup. « PIERRE. »

Le cas de Pierre Mercier n'est pas, d'ailleurs, une exception. Dès le début de la mobilisation, il ne se passait pas de jour qu'on ne lût en première page des journaux de petits entrefilets comme ceux ci:

« Albert Carouge, quinze ans, a disparu de Versailles depuis quelques jours, et tout ce que l'on sait, par une lettre très brève, c'est qu'il est parti pour combattre les « Boches » qui, à son avis, ne quittent pas assez vite le sol de France. »

« Henri Néné, de Limoges, quatorze ans et demi, a envoyé à ses parents cette courte lettre: Je vous écris ces mots à la hâte, sur un caisson de munitions pour vous faire savoir que nous avons été versés dans l'artillerie, et pour vous dire également que le lieutenant de la batterie où je suis m'a pris en amitié et m'élève comme « son fils. »

Comment se conduisent-ils, tous ces gamins enthousiastes lorsqu'ils ont réussi à se faufiler parmi les vrais soldats, lorsque le canon gronde, lorsque la bataille approche, à ce moment tragique où les plus braves ne peuvent se défendre d'un frisson? Ne regrettent-ils pas le foyer paternel, et l'humble village où ils sont nés, et la modeste école où les camarades sont bien au chaud? N'ont-ils pas envie de pleurer... et peut- être de fuir?

Voyez-les plutôt à l'œuvre.

Graine a de Héros

A quatorze ans, on n'a pas encore d'opinion bien précise sur les mérites respectifs des diverses armes. Vaut-il mieux être tringlot, comme le Petit Lapin, fantassin, cavalier? Cruel problème.

N'ayant pu le résoudre par le simple raisonnement, Albert Schuffrenkes décida, la guerre ayant été déclarée, de juger d'après son expérience personnelle.

Ce jeune Albert, parce que, sans doute, il était né d'un bûcheron et d'une bûcheronne, aimait — naturellement — à courir les bois. On avait songé tout d'abord à faire de lui un tisserand, mais il préférait sa forêt de Rougemont, qui dresse ses hautes futaies entre Vesoul et Montbéliard, et dont il connaissait les moindres recoins. Or, un beau jour, il y rencontra le 42e d'infanterie qui cherchait sa route. Il s'offrit à être son guide, et comme il restait encore sept frères dans la hutte paternelle, il décida tout à coup de tàter de l'infanterie. Il devint pioupiou, reçut le baptême du feu vers Altkirch, monta jusqu'à Mulhouse, puis, déclarant qu'on ne voyait plus assez de Prussiens, il suivit les artilleurs qui passaient.

Les artilleurs, comme les fantassins, l'accueillirent gentiment et le campèrent sur un cheval. Il était sans doute né cavalier, car il s'y tint aussi solidement qu'un élève de Saumur. Il assista pendant quelques jours à la chasse aux aéroplanes. Toujours le nez en l'air, à ne pas voir grand'chose, cela l'ennuyait. A Noailles, il rencontra le 3e hussards; le costume lui plut, il lâcha l'artillerie et depuis le petit cavalier s'est couvert de gloire: il a tué beaucoup de Prussiens, a pris à lui seul quatre chevaux, et son peloton est fier de.Iui. Il a résolu son problème:

Il restera hussard.

Même vaillance chez le petit André Guédé, dont M. Fernand Engerand, sénateur du Calvados, a raconté en ces termes la belle conduite:

« Au cours des opérations préparatoires de notre belle victoire de la Marne, le village de Neuilly-en-Thelle (Oise) dut être évacué. Le ... régiment d'infanterie passait par là. Le jeune André Guédé, âgé de 12 ans, dit à sa mère: « Je veux suivre les soldats », et il accompagna le régiment.

« Le sous-lieutenant Grivelet, de la 10e compagnie, prit l'enfant avec lui; le petit André s'attacha à son officier; durant les trois jours du combat de Bouillancy, il resta à ses côtés, sur la ligne de feu, et ne le quitta point sous un ouragan ininterrompu de mitraille.

« L'enfant n'eut rien, mais le sous-lieutenant fut assez grièvement blessé, le troisième jour de combat. Sous le feu, André Guédé aida son officier à gagner l'ambulance; il lui prit son sabre, son revolver, ses cartes, sa musette avec, en plus, le casque d'un officier allemand.

« Pendant trois heures, l'enfant courut derrière la voiture qui, d'ambulance en ambulance, portait le lieutenant Grivelet à la gare d'évacuation. Il se glissa dans le train des blessés, et, le 1O septembre, il arrivait avec son officier à l'hôpital de Riva Bella (Calvados), où il est actuellement. »

II ne faut pas s'imaginer que l'enfant qui suit le régiment ou qui cherche la bataille ignore le péril, qu'il ne prenne pas au sérieux les coups de fusil, la mitraille ou les obus; il a au contraire une parfaite notions du danger qu'il court, et il y fait face parce qu'il a le cœur bien attaché. Gustave Châtain ne pense pas autrement.

Petit garçon de ferme, il se mêla, au début de septembre, aux chasseurs alpins qui allaient combattre sur la Marne. Il s'attira tout d'abord leurs bonnes,grâces en faisant leurs commissions, et il ne tarda pas à obte'nir d'eux un fusil... et une baïonnette!

Il amusait la compagnie par son bagout, son air déluré, sa vantardise...; mais à la première rencontre il la stupéfia! Au moment où le clairon sonnait la charge, ses camarades ne le voient-ils pas qui chargeait avec eux, au premier rang!

De la Marne, il passa sur l'Aisne en se mettant aux trousses des Allemands. Il trouvait que « ça allait tout seul! »

Malheureusement, ce bel élan fut un moment arrêté à F... où il reçut une balle dans l'épaule.

Soigné à Paris, il fut choyé, il reçut des visites, il fut interviewé!

Un lieutenant, raconte un de nos confrères, lui a apporté, avec les félicitations des officiers de Paris, un uniforme d'enfant de troupe.

« Vous voyez, ma sœur, dit-il à celle qui le soigne, qu'on m'attend sur le front: j'ai une tenue, maintenant. »

II fallut bien lui céder. Son père est venu le chercher pour le conduire à la Place, et comme, pour le taquiner, quelqu'un lui disait qu'on le jugerait trop petit, il haussa les épaules:

« Une blessure, c'est comme la soupe, ça grandit, » répondit-il.

 

 

Morts Pour la Patrie

Croyez-vous que, si l'occasion nette, précise, de mourir pour son pays s'offrait à Gustave Châtain, ce petit bouvier de Senlis aurait une hésitation? Il ferait son devoir et se ferait tuer en blaguant.

D'ailleurs la France de 1914 a déjà ses enfants-héros morts pour la patrie. Nous en connaissons au moins trois dont la fin tragique est à la fois un honneur pour notre pays et une honte pour l'Allemagne, et ces admirables dévouements ne peuvent être mis en doute, puisque ce sont des documents allemands qui nous les ont révélés.

Au fond d'une vallée, à trois kilomètres de Sainte-Marie-aux-Mines — raconte un général bavarois, dans un procès-verbal ramassé en Alsace — se trouve le village de La Burgonde.

Les Allemands venaient d'y pénétrer, et ils y avaient été accueillis par quelques coups de fusil, lorsqu'un jeune garçon, Théophile Jagout, sortit d'une maison.

« Y a-t-il quelqu'un dans cette demeure? questionna un officier.

— Personne, » répondit,Théophile Jagout. Les Bavarois continuèrent donc leur marche, mais à peine étaient-ils arrivés devant le logis qu'une dizaine de très bons tireurs les accueillirent par un feu nourri.

La maison fut vite prise et brûlée, les tireurs furent massacrés, et Théophile Jagout arrêté.

« Savais-tu, demanda le général, que des personnes étaient cachées dans cette maison que tu déclarais vide.

— Oui, » répondit le jeune Alsacien sans trembler.

Le soir même le petit brave était fusillé à Bergheim devant les troupes et sa population.

Peut-on croire que les bourreaux rendirent justice à la belle attitude de leur victime? Non. Lisez cette lettre qu'un sous-officier allemand a écrite à sa famille:

« Un traître vient d'être fusillé, un jeune Français appartenant à l'une de ces sociétés de gvmnastique, éclaireurs ou boy-scouts, qui arborent des rubans tricolores, un pauvre gamin qui, dans son infatuation, s'était mis en tète d'être un héros. Notre colonne passait le long d'un défilé boisé. Il y fut pris, et on lui demanda s'il y avait des Français dans le voisinage. Il refusa de donner aucune information. Cinquante pas plus loin, une fusillade fut dirigée sur nous de l'épaisseur du bois. On demanda au prisonnier en français, s'il avait eu connaissance que l'ennemi fût dans la forêt. Il ne le nia point. Il se dirigea d'un pas ferme vers un poteau du télégraphe, il s'y adossa, la verdure d'une vigne derrière lui, et il reçut la volée du peloton d'exécution avec un fier sourire sur le visage. Le misérable petit poseur! »

Dans cette lettre odieuse, se dévoile toute la bassesse de l'âme allemande.

Nous aurions aimé à écrire ce nom près de celui d'Emile Desprès, le petit galibot (ouvrier mineur) de Lourches, dont la mort ne fut pas moins émouvante et magnifique.

Lourches est un bourg situé dans le Nord, près des mines de Dourchy. Les Prussiens, arrivés la veille, sont là buvant, pillant, brûlant, suivant leur habitude.

Dans un coron où, dans un coin, gît un soldat français, un sergent, grièvement blessé, quelques officiers allemands, ivres, malmènent et injurient la maîtresse du logis. La scène dure trop longtemps, et le sergent exaspéré se soulève péniblement, saisit un revolver, fait feu et tue un lieutenant.

Aussitôt le malheureux blessé est traîné sur une petite place où, on ne sait sous quel prétexte mensonger, quinze mineurs vont être fusillés. Brutalement, on le jette contre un mur, et avant que son tour ne vienne, il va assister à l'exécution des autres.

Le peloton d'exécution est commandé par un capitaine. Les mineurs passent deux par deux devant lui. Un commandement, un geste, une détonation et les hommes tombent. Aux suivants!

Le sergent souffre horriblement, la fièvre l'altère. Il voit venir un jeune garçon de treize à quatorze ans— c'est Emile Desprès — et il le supplie de lui donner un verre d'eau. L'enfant s'empresse. Or le capitaine l'a vu; il bondit, renverse le verre, précipite à terre Emile Desprès et lui dit: « Tu seras fusillé! »

Et bientôt arrive le tour du petit de passer devant le peloton. Il s'avance, sans un frisson, croise les bras et attend, le regard droit et ferme. Mais le capitaine ne commande pas le feu. Il sourit méchamment et déclare:

« Je t'accorde la vie sauve, si tu prends ce fusil et si tu tues le sergent! »

Le gamin prend l'arme sans trembler, épaule, vise le sergent et... froidement, se retournant avec rapidité, il tire et tue net le capitaine, à bout portant.

Quelques secondes plus tard, l'héroïque enfant tombait mort, criblé de balles!

A La Gloire des Enfants de France

II faudra, à la fin de cette guerre dont nous aurons tant souffert, mais qui ajoutera de si nobles pages à notre histoire, élever un monument à la gloire des Enfants de France.

II importe que le marbre transmette aux générations futures le souvenir de tels actes qui traduisent si magnifiquement l'âme d'une nation. Un petit magazine, célèbre depuis plus de vingt ans parmi les écoliers et les écolières, Mon Journal, a songé à cette œuvre de commémoration et ouvre une souscription qui permettra de dresser en plein cœur de Paris une stèle dont la décoration sera confiée à un sculpteur en renom.

Une pierre de ce monument du souvenir devra être aussi consacrée aux petites victimes des barbares, à ceux que les unions au cœur vil ont massacré, dans leur rage de destruction, car il faut que, d'âge en âge, se garde pieusement la mémoire de l'ignominie allemande.

Il importe que l'on n'oublie pas le petit Boulogne, âgé de deux ans, et la petite Cartier, âgée de dix ans, mutilés par les bombes des «Taube» jetées sur Paris, ni cette enfant de onze ans que rencontra un rédacteur du Times à Tirlemont, à qui un coup de lance avait crevé un œil et arraché un large lambeau de la joue, ni ces pauvres fillettes dont parle une nurse anglaise, à qui les bandits avaient coupé les mains parce qu'elles leur avaient fait des pieds de nez, ni ce petit garçon de sept ans que les uhlans fusillèrent parce qu'il les avait mis en joue avec son fusil de bois!

Oui, il importe qu'on n'oublie pas, qu'on n'oublie jamais!

 

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