de la revue ‘La Grande Guerre du XX ième Siècle’ No. 1
'Les « Gosses » Héroïques'
prit de journaux français
 
les Enfants de France en Temps de Guerre

illustrations de la revue 'Les Trois Couleurs'

 

Un Guide Habile de Uhlans (12 ans)

16 août 1914

Il n'y en a pas mal, de petits braves, dans nos Ardennes!

Ce matin encore, un brave petit gosse de douze ans a révélé tout à coup la valeur de sa petite âme par un acte d'héroïsme vraiment admirable, sur la route d'Yvoir à Dînant. Le petit gas se promenait à bicyclette, lorsqu'il se trouva face à face avec un groupe de vingt-cinq uhlans en reconnaissance et qui l'obligent à s'arrêter sous la menace brutale. Ces cavaliers ennemis veulent être conduits par l'enfant jusqu'à Evrehailles-Bauche, et voilà nos hommes et leur petit guide en route.

Mais notre petit homme est un Ardennais et, conséquemment, rusé. Il sait que des Français sont là à une quinzaine sur la route, près d'Yvoir, et c'est là qu'il dirige les brutaux cavaliers. A cinquante mètres du poste français qu'il a vu tout à l'heure, il se jette dans un fossé et de toute la force de ses poumons crie: « Vive la France! » Les Français se retournent, accourent, des balles sifflent: un, puis deux, puis trois, puis dix tués, deux uhlans tombent, soit au total dix-huit tués; quatre autres sont faits prisonniers et les trois autres peuvent s'enfuir. Les balles des Allemands n'ont pas porté.

On se précipite vers le fossé. Le petit gas est là, il n'est pas blessé. On l'empoigne, on l'embrasse, on l'emporte et lui, maintenant, très ému, s'abandonne aux caresses des soldats français, dont aucun n'est tombé.....

(Bien Public de Gand)

 

illustrations de la revue 'Les Trois Couleurs'

 

La Campagne de Gustave Chatain (15 ans)

1 octobre 1914

Dans le livre d'or que la France se compose en ce moment, il y aura des pages pour tout le monde, et les enfants eux-mêmes y seront à l'honneur. Nous avons des héros de quinze ans, grandis soudain au souffle de la guerre qui fait des hommes. Leur jeunesse ajoute à leur héroïsme. Ils sont d'autant plus grands qu'ils ne paraissent pas de taille et que leurs exploits ne sont pas de leur âge. Ils ont joué au soldat jusqu'au sang, et de toute leur âme.

Voici Gustave Chatain, quinze ans, un petit garçon de ferme qui a voulu faire la guerre et qui l'a faite, jusqu'à ce qu'une balle interrompît sa brillante campagne.

Je l'ai vu ce matin dans un lit de la maison de santé de la rue Georges-Bizet (Paris) où les « bonnes Sœurs » (les religieuses du Très-Saint-Sauveur) le gâtent, l'appelant « leur enfant de troupe ».

Près de son lit, à portée de sa main, bien en évidence, un petit pantalon rouge, un vrai, que des admirateurs lui ont commandé sur mesure..... et qui l'attend.....

— Je ne le ferai pas attendre longtemps, s'écrie Gustave Chatain, je vais me débiner. Le médecin m'a promis que dans trois ou quatre jours je pourrai rejoindre..... On a besoin de moi, là-bas.....

Je lui demande de me raconter son histoire.

— Ça n'a rien d'épatant, fait-il..... Je voulais me battre avec les Boches, j'étais costaud pour mon âge. Alors, un jour, n'y tenant plus, j'ai filé vers Senlis, où il y avait du bruit. Des chasseurs alpins passent, je les suis en leur proposant de faire des commissions..... Et puis je leur demande un fusil. On rit d'abord; j'insiste, on m'en donne un. Mais le capitaine m'aperçoit; il ne veut pas de moi. Je ne suis qu'un gosse! Je vais plus loin. Une autre compagnie m'accepte. Je leur promets d'être bien sage et de me faire tout petit.

» Enfin, j'aperçois des Boches. On se bat. Je ramasse le premier fusil venu. On ne fait pas attention â moi dans la bataille, et je m'en donne..... Je m'en donne tellement qu'en me retournant je m'aperçois que je suis tout seul. J'avais perdu ma compagnie. Alors je me replie en bon ordre. Mais impossible de me retrouver. Enfin, je rencontre un régiment de ligne. Je me présente. On me permet de me glisser dans les rangs.

» Bon, nous voilà dans la bataille de la Marne. Vous pensez si j'étais à mon affaire. Je me faisais pardonner en me mettant de toutes les corvées.

» Quand ça chauffait, j'y allais avec les autres. J'ai chargé à la baïonnette. Pour approcher les Boches, je tenais une botte de paille devant moi..... On avance très bien comme ça..... J'ai été dans leurs tranchées. J'en ai vu qui faisaient les morts — c'est un de leurs trucs quand on arrive dessus, — mais je leur donnais des coups de pied pour voir si ce n'était pas du chiqué.

» Ce fut mieux encore à la bataille de l'Aisne. Là, ça valait la peine d'écrire ses mémoires. Je les ai écrites ici pour me distraire. Elles sont dans ce cahier. »

Gustave Chatain soulève son oreiller et me montre un cahier d'écolier:

— Ne l'ouvrez pas..... il y a trop de fautes d'orthographe.

Je lui assure que les fautes d'orthographe sont permises pendant la guerre, et j'ouvre le cahier. Nos lecteurs en savoureront ces 3 passages:

..... J'étais aux avant-postes depuis deux jours, quand une idée me prit de monter dans un grenier pour regarder sur les positions boches. Je monte le perron. Bon! voilà la porte fermée. Je regarde à travers les carreaux. Ma stupéfaction en voyant des sacs de Boches, des cartouchières et des flingots! Je n'hésite plus de me sauver chercher un morceau de bois; je casse les carreaux et je passe. Je charge mon fusil et je mets ma baïonnette au canon. Je vais dans la place. En bas, rien; je monte et je trouve..... devinez qui?..... Eh bien, sept Boches qui dorment à poings fermés. Un coup de fusil en l'air les fait sauter sur pied. Ils se regardent, se parlent. Je m'étais caché derrière la paille. Qui venait de tirer? Leur stupéfaction en me voyant arriver sur eux baïonnette au canon! Ils n'essayent même pas de lutter, ils mettent les mains en l'air et poussent des hurlements. « Descendez! » que je leur dis. Et ils descendent, enchantés de se rendre. Et je les remets aux camarades.....

L'embuscade de F... Les ordres étaient de voir si réellement les deux fermes étaient occupées par l'ennemi et couper un fil téléphonique qui reliait ces deux fermes. Nous voici partis. La patrouille se composait de douze hommes, d'un sergent, d'un caporal et de moi.

Nous arrivons aux fermes. Une fusillade éclate des deux fermes et du plateau de gauche. Le caporal tombe ainsi que cinq hommes. Les autres se jettent le long de la route. Mais bientôt une fusillade éclate de droite, couchant huit hommes à terre. Il ne restait plus que le sergent et moi. Une balle m'enlève ma casquette. Je me jette derrière un tas de cailloux et j'ouvre le feu contre la ferme de gauche. Je tire toutes mes balles. Malheureusement je n'en avais plus que cinquante. Je prends mon fusil et je me sauve. En passant en terrain découvert, je reçois une balle à l'épaule droite, — j'avais déjà eu la main gauche écorchée. Ça me fait activer de vitesse.

Mais le sergent ne pouvait plus marcher, une balle lui avait coupé un doigt de pied. Je le monte sur mon dos, et me voilà reparti. On s'en tire. Devant de pareils exploits, j'hésite. Mes yeux vont du cahier à l'enfant. Et l'enfant rit de ma surprise. Un soldat horriblement blessé aux deux bras et qui est soigné dans la même chambre que Gustave Chatain, apporte son témoignage.

— Le gosse ne ment pas. J'y étais. Il a fait ça. Ce qu'il ne dit pas, c'est que les chefs l'ont félicité, qu'un général l'a invité à sa table, et que nous l'aimons tous, ce brave gosse!

— Eh bien quoi, c'est tout naturel, riposte Gustave Chatain. Et c'est très amusant. Vous comprenez que je suis pressé d'y retourner, quoique je me trouve bien chez les Sœurs. Le gouvernement militaire de Paris a bien voulu s'occuper de moi, sans doute, car un officier est venu me voir pour me promettre de me ramener à mon régiment dès qu'on me laissera sortir. Et cet officier m'a appris que mon colonel et mon capitaine avaient été tués pendant que je n'y étais pas. Il faut que je me dépêche d'aller les venger. Cette fois j'aurai un pantalon rouge. Si je pouvais avoir aussi un képi, je serais complet.

Le médecin entre dans la chambre.

— Docteur, je n'ai plus mal du tout, lâchez-moi, s'écrie le gosse héroïque, qui gesticule dans son lit afin de bien montrer qu'il est d'attaque.

— On va voir, fait le docteur en tirant amicalement l'oreille de son petit malade. A-t-il été sage, ma Sœur?

La religieuse sourit:

— J'ai eu toutes les peines du monde à l'empêcher de se lever pour mettre son pantalon rouge. Il a le diable au corps, docteur. Mais-il faut remercier le ciel d'avoir envoyé à la France de bons petits diables comme celui-là.

— Ma Sœur, vous avez raison.

Jean Malherbe. (Liberté)

 

7 octobre 1914

Nous avons raconté les extraordinaires et véridiques aventures de Gustave Chatain, ce gamin soldat de quinze ans qui, après avoir « joué à la guerre » comme un homme, fut blessé sur le champ de bataille. Comblé de visites et de compliments, depuis notre récit, le jeune héros ne s'étonna pas d'être devenu quelqu'un. Il se découvrit même une famille.

Mais il voulait « jouer » encore et parlait d'enlever un drapeau.....

Les religieuses qui le soignaient ne pouvaient plus le tenir. Surtout depuis le jour où un lieutenant lui avait apporté, avec les félicitations des officiers de Paris, un uniforme d'enfant de troupe.

— Vous voyez, ma Sœur, qu'on m'attend sur le front..... J'ai une tenue, maintenant.

Il fallut bien lui ceder. Ce matin, son père est venu le chercher pour le conduire aux bureaux de la place.

— Chic, alors! fit-il en sautant hors de son lit.

Et comme, pour le taquiner, quelqu'un lui disait qu'on le jugerait trop petit, il haussa les épaules:

— Une blessure, c'est comme la soupe, ça grandit..... D'ailleurs si on me refuse, je trouverai bien le moyen de me faufiler jusqu'aux premiers rangs. On se débrouille. A la guerre comme à la guerre!

Gustave Chatain est, en effet, un débrouillard.

Jean Malhherbe. (Liberté)

 

illustrations de la revue 'Les Trois Couleurs'

 

Un Eclaireur qui Prend un Drapeau (14 ans)

30 décembre 1914

Le dernier numéro du journal russe le Messager de l’Armée raconte l'exploit d'un jeune héros de 14 ans:

Parmi les blessés qu'on a amenés ces jours-ci a Taganrog, se trouve un garçon de quatorze ans, Alexandre Tcherviatkine, qui s'est signalé d'une façon éclatante dans une circonstance récente. Originaire de Taskent, Tcherviatkine faisait partie de la musique dans un régiment du Turkestan. Au début de la guerre, il obtint de sa mère l'autorisation de partir comme volontaire sur le théâtre de la guerre.

Arrivé sur les positions avancées qui défendent Varsovie, il fut incorporé dans un Corps d'éclaireurs et reçut l'ordre d'aller relevér les positions ennemies, distantes des nôtres de quelques verstes.

La veille, on s'était battu à cet endroit.

La reconnaissance fut malheureuse. Un projecteur ennemi avait découvert Tcherviatkine, et le jeune éclaireur fut fait prisonnier.

La nuit, songeant à fuir, Tcherviatkine se glissa parmi les soldats endormis, qui constituaient justement la garde du drapeau. Il coupa avec un canif la courroie qui retenait le drapeau, s'empara du trophée et prit la fuite.

Mais, déjà, le projecteur recommençait à fouiller le terrain. L'ennemi fit feu sur notre fuyard, qui fut atteint par une balle et blessé au côté.

Tcherviatkine arriva, néanmoins, jusqu'à nos tranchées, où il put remettre à son commandant le drapeau allemand.

En récompense de sa belle conduite, le jeune héros a reçu le quatrième Ordre de Saint-Georges.

(Croix)

 

Clotilde Boucry (16 ans)

3 novembre 1914

Avrechy est un petit village de 400 habitants, situé dans le département de l'Oise et dépendant du canton de Clermont.

Un matin, treize uhlans, venus on ne sait d'où, chevauchèrent soudain entre ses murs paisibles. Les maisons brusquement s'étaient closes et les cavaliers avançaient sur la chaussée déserte.

Tout à coup, le détachement s'arrêta. A trois pas, debout, dans l'attente, une silhouette se dressait.

— Qu'est-ce que ceci? grogna en son jargon le « marchef » de Guillaume.

Et, sans plus attendre, pourtant avec prudence, il avança, suivi de sa prudente escorte.

Une jeune fille, une enfant de seize ans, parut alors aux yeux de la cohorte. Placidement elle s'écarta, oh! très peu, comme pour laisser les chevaux passer.

Un des uhlans, par contre, abaissa sa lance aigue et, la pointant sur la poitrine de la petite villageoise:

— Mademoiselle, dit-il, n'ayez pas peur. Le chef va vous parler.

Et le chef lui parla.

— Vous allez me dire la vérité, n'est-ce pas?

— Oui, Monsieur.

— Y a-t-il des soldats français par ici? Répondez franchement.

— Oh! je n'ai pas peur, répliqua la jeune fille, et je peux bien répondre franchement.

— Alors?.....

— Nous n'avons vu aucun soldat français dans ces parages.

— C'est bien vrai?

— Bien vrai.

La lance se leva et la troupe, sans hâte, reprit son chemin, confiante.

Cependant, au bout du pays, dans l'arrière-cour d'une ferme, une compagnie d'infanterie française se reposait de quelque assaut récent.

Nos uhlans, en passant, virent le porche haut, par où pénètrent les voitures énormes de foir.

— Si on entrait un peu là? dit le marchef à son brigadier.

— Si on entrait, répéta l'autre, subjugué. Et l'on entra.

Pan! pan! Pan!

— Quelle fusillade, ô mon empereur! s'exclama le sous-off, en tombant le premier.

C'étaient nos bons pioupious qui leur souhaitaient la bienvenue. Sept d'entre eux s'abattirent sur le pavé de la cour. Les autres se livrèrent. On les fit prisonniers.

— Parmi les morts, il y avait un duc, précise notre informateur. Or, la présence de nos fantassins était connue de tous dans le pays. Elle l'était surtout de la jeune Clotilde Boucry, l'enfant au mensonge héroïque: n'allait-elle pas, chaque après-midi, depuis trois jours, apporter elle-même à nos soldats des fruits et des légumes frais?

Clotilde Boucry, disons-le pour finir, est la petite-fille du brave doyen des pompiers de France.

(Chronique Angevine)

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