de la revue ‘La France Illustrée’ no 2151 de 19 février 1916
'Les Enfants et la Guerre'
par Jean Frinot
 
la Jeune France en Guerre

 

Enfant, Alfred de Vigny disait à sa mère en serrant ses petits poings: « Je veux être lancier rouge! »

Il ne fut pas lancier rouge; mais, à seize ans, il s'engageait dans les gendarmes de la garde et consumait sa jeunesse à attendre vainement le retour des chevauchées héroïques de l'épopée impériale.

«J'appartiens, dit-il, à cette génération, née avec le siècle, qui, nourrie des bulletins de l'Empereur, avait toujours devant les yeux une épée nue, et vint la prendre au moment où la Fiance la remettait dans le fourreau des Bourbons... »

Le laconisme des Communiqués n'a point le relief des Bulletins militaires de Napoléon pour impressionner de jeunes imaginations; cependant quel est le cerveau d'enfant qui échappe à l'emprise des formidables événements?...

Il y a d'abord ceux dont le pays natal subit les horreurs de l'invasion, les enfants de France, de Belgique, de Pologne ou de Serbie, qui virent tant de voisins et de petits camarades fusillés par la Kultur sous les prétextes les plus divers! Pense-t-on à l'enfance tragique de tous ces garçonnets dont les petites âmes palpitent déjà des souffrances, des angoisses, des humiliations des vaincus et qui doivent surveiller même leurs jeux pour ne pas livrer à l'ennemi qui les épie, ni leur élan juvénile, ni les espoirs irréductibles de leurs familles!... De ces jeunes, dont la guerre a froissé les nids, heureux ceux qui ont pu fuir et se réfugiei parmi les soldats de leur patrie, essayant, comme les petits Serbes de notre gravure, d'adapter à leurs tailles des emplois guerriers qui les grandissent au rôle de défenseurs du territoire!

Ceux-là ne sont qu'une infime minorité; minorité encore ceux qui habitent les zones des armées et qui jouent au soldat au milieu des cantonnements, par rapport aux millions de petits camarades de leur âge, éloignés des théâtres de la guerre et cependant atteints par la guerre!

Quel bénéfice moral gardera de ses premières impressions cette génération de moutards dont les pères sont aux tranchées:... Le sanglant démenti donné par l'Allemagne à toutes les utopies pacifistes de ces dernières années reslera-t-il buriné par les faits sur la cire vierge de leurs mémoires?... Il faut demander à Dieu qu'il en soit ainsi chez nous, pour l'avenir et le salut de la France!

En tout cas, l'idée de guerre pénètre cette petite population par tous les pores. Sans cesse, les mamans parlent de l'horrible chose!... Les lettres crayonnées par les chers absents dans leurs tranchées lointaines sont attendues si anxieusement au foyer attristé! Il est tant de familles qui s'imposent amoureusement quelque privation quotidienne afin de glisser une friandise de plus dans le paquet hebdomadaire ou mensuel que la maman envoie sur le front!... Puis c'est la venue en permission dont la seule annonce allcuii de sourires les lèvres maternelles: six jours d'une intime tendresse et de belles promenades familiales, les enfants très fiers de l'uniforme défraîchi et du casque bossue de leur papa, très heureux de lui donner la main, et de défiler à ses côtés en une parade héroïque!

L'âme enfantine est curieuse de mystère et d'épopée; elle soupçonne les transformations tragiques que la défense du territoire impose aux soldats! Heureux les petits auxquels les parents essaient de faire apercevoir l'horrible pittoresque de la lutte mondiale, afin de donner pour l'avenir des points de repères à leurs souvenirs. N'est-il pas profondément évocateur de ce but à atteindre et de la stupéfaction de sa petite famille, cet instantané d'un sous-officier anglais exhibant à ses enfants son masque de tranchée contre les gaz délétères!... Grâce à cet aspect de leur papa, les pauvres children n'oublieront jamais que les Allemands ont employé à jet continu, contre leurs adversaires, ces procédés interdits par la charité et par l'humanité.

Si l'on fait encore attention aux jeux d'enfants, on s'aperçoit tout de suite que la guerre de tranchées ne supporte ni plumets, ni panaches, ni drapeaux, ni fanfares, ni même d'attitudes équestres!... Cette lutte sanglante, anonyme est suivie jour par jour aux vitrines des libraires par des multitudes enfantines, qui inspirent leurs jeux des photographies publiées par la presse!...

Des fusils, des sabres de bois, des pistolets et des tas de sable ouïes chantiers de construction voisins, voilà les accessoires de la guerre des écoliers!... Avec ces ingrédients, ils peuvent jouer aux tranchées, exécuter des feux de salve bien nourris ou des assauts tumultueux à la baïonnette!... Quelques revues ou défilés entre les engagements; mais jamais plus de chef à cheval sur un manche à balai, caracolant fièrement devant ses troupes comme le faisaient les généraux des anciennes images d'Epinal. «Je sera le général Joffre et je te collera une pile! » disait, quelques jours après l'offensive en Champagne, un « môme » de l'avenue de Saint-Ouen à son compagnon. Ces deux fantassins devaient bien avoir douze ans... à eux deux! Ni l'un ni l'autre sûrement ne savait lire; mais un écho de la gloire du généralissime était parvenu jusqu'à leurs têtes blondes! Le second guerrier rechignait à accepter son rôle, moins par crainte de la pile à recevoir, que par regret de renoncer lui-même à être le général Joffre!... La partie était rompue du coup, si le partenaire avait prononcé le mot de « Boche »!... La hideur de ce qualificatif révolte l'âme des tout petits; par un mystérieux instinct, ils ne veulent rien savoir du militarisme teuton ni de la Kultur; heureusement, leur amour du jeu leur fait trouver des circonlocutions et des palliatifs pour former deux camps, sans prononcer le qualificatif abhorré!... Ah! petits hommes!... va, comme ils sont déjà retors et casuistes!...

Jean Frinot

 

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