de la revue ‘Mon Journal’, 22 juillet 1916
'Petits Soldats Alliés'
par G. du Genestoux
 
Les Petits Russes en France

 

Lorsque, il y a quelque semaines, à Marseille, débarquèrent des troupes russes, le public, accouru en foule les pour acclamer, fut stupéfait de voir, au milieu de nos fidèles alliés, trois petits soldats qui n'étaient autres que des enfants.

Oui, parfaitement, des enfants de quatorze et quinze ans qui s'étaient engagés, au moment où « le Petit Père » — c'est ainsi que les Russes appellent le tsar — demanda à tout son peuple de venir défendre l'béroïque Serbie perfidement attaquée par l'Autriche astucieuse.

Deux d'entre eux suivirent des régiments d'infanterie et devinrent bien vite des soldats habiles dans le maniement des armes, faisant les marches aussi courageusement que leurs grands frères. Ils se considéraient comme de vrais soldats, et leur joie fut grande d'être au nombre de ceux qui furent désignés pour se rendre en France. Le troisième est tambour dans le ...e régiment de ligne. Il porte son tambour avec autant de désinvolture qu'un « ancien » et il bat le « Ra-ta-plan » non moins allègrement.

Tous les trois, qui sont de braves petits cœurs, prennent leur métier tout-à-fait au sérieux, et il ne s'agirait pas de plaisanter devant eux sur leur vocation. Ils ne rient pas, ils vous regardent sévèrement et, si l'on s'avise de leur demander ce qu'ils comptent faire en France, ils vous disent simplement:

« Mais nous comptons tuer des Boches, et beaucoup. » Leur casquette fièrement posée de côté, comme le veut la tradition de tout bon soldat russe, ils répondent avec dignité aux innombrables questions que leur posent nos braves poilus, qui s'efforcent de recevoir avec une cordiale gaîté ces jeunes camarades.

Ils fument comme des troupiers, et sur une des photographies reproduites ci-contre, on peut voir avec quelle gravité un de ces petits fantassins accepte une cigarette offerte avec un geste si gentiment français par un jeune poilu, au camp de Mailly.

Ces trois enfants ne sont pas les premiers qui se soient distingués dans les armées du tsar, et parmi ceux qui ont joué un rôle héroïque au cours des derniers mois de la guerre, on peut citer le jeune Alexandre Cherviatkine. surnommé le héros des deux drapeaux et qui n'est âgé que de quatorze ans.

Voici le récit de son exploit extraordinaire.

C'étaitau moment où l'armée russe défendaitavecénergiela ville de Varsovie contre l'envahisseur. Au cours d'une reconnaissance, Cherviatkine découvrit le long d'un fossé, un porte-étendard russe mort sur son drapeau; il le prit et l'enroula autour de son corps, sous ses vêtements.

Malheureusement, les projecteurs de l'ennemi découvrirent l'enfant tandis qu'il retournait vers les siens, et il fut fait prisonnier. Tandis que ses ennemis dormaient, il s'échappa et, sur son chemin, il rencontra un porte-étendard allemand plongé dans un sommeil profond, ayant son drapeau à côté de lui. Avec un canif, Cherviatkine détacha le drapeau de la hampe. Au moment où il terminait son opération, des projecteurs lumineux l'enveloppèrent de nouveau et l'ennemi lui envoya une hordée de balles dont une l'atteignit à la cuisse. Malgré cela, il put se traîner jusqu'aux tranchées russes, où il remit au commandant les deux drapeaux si adroitement conquis. Le commandant, pour le récompenser de sa vaillante conduite, commença par l'embrasser sur lesdeux joues, puis lui remit la croix de Saint-Georges.

Voici une autre histoire d'un petit soldat russe.

Dans un village situé tout près de la frontière de Galicie, où eurent lieu de terribles batailles, il y avait un petit vacher de huit ans qui gagnait dix francs par mois dans une ferme où il était nourri de soupe et de pommes de terre, et couché dans un coin de l'étable.

Quand la guerre éclata, il regarda partir avec regret tous les hommes du village et il écoutait avidement les histoires et les nouvelles qui venaient de l'armée. Un beau jour, il vil passer un superbe régiment d'artillerie, et il ne put y tenir: il parvint à se faufiler parmi les fourgons de l'arrière. Quand le soir arriva, que les hommes bivouaquèrent et que l'on vit rôder autour des canons le petit Serge Smirnow, il était trop tard pour le renvoyer et on le garda. Comme il était très gentil, les soldats s'attachèrent à lui, et ce fut à qui le gâterait le plus. Il resta trois mois avec ses nouveaux amis, se rendant utile, soit comme porteur de gargousses, quand la batterie était en position, soit comme commissionnaire des officiers lorsqu'ils étaient au repos. Dans une vieille capote on lui avait taillé un uniforme réglementaire, et ses bottes, sur lesquelles bouffaient ses calottes, étaient aussi couvertes de boue que celles de ses camarades. Mais- un jour le capitaine de la batterie se fàclia. Quelle faute avait donc commise le petit Serge? Il fut surpris par son capitaine en train do dévisser un obus allemand qu'il avait trouvé non éclaté! Pour s'excuser,il dit au capitaine que des artilleurs de sa batterie avaient essayé la même expérience, et qu'il les avait imités. Mais le capitaine, jugeant combien l'intelligence de ce petit était éveillée, résolut de ne point le laisser sans instruction, car Serge ne savait ni lire ni écrire, et de plus, il ne voulait plus que ce pauvre petit de huit ans fût ainsi exposé aux dangers de la guerre.

Il le renvoya donc à l'arrière, dans la ville la plus proche, et le confia à la municipalité, puisqu'il était sans parents. On l'a mis à l'école, où il travaille avec beaucoup d'intelligence et d'application, mais il déclare avec assurance ceci:

« Je suis très content d'être à l'école, où je veux bien rester jusqu'à ce que je sache lire; mais quand je saurai lire, je repartirai pour le front. » Voici vraiment un véritable petit soldat en herbe!

Il faut connaître aussi l'histoire du jeune Nicolas Dimitrietf, dont les parents habitent Saint-Pétersbourg. La famille se compose du père, de la mère et de neuf enfants. Nicolas, l'aîné de tous, disparut un jour. On ne savait ce qu'il était devenu. II s'était fait soldat; il avait quatorze ans!

C'est par lettre qu'il apprit à ses parents ce qu'il était devenu, et voici comment il raconte ses premières aventures:

« Je suis parti, dit-il. dans un régiment d'infanterie avec lequel je sais resté un mois; à ce moment, j'ai rencontré un régiment d'artillerie lourde. J'ai aidé les cuisiniers, je souillais le feu, j'épluchais les patates. Puis un

jour, comme le maréchal des logis m'aimait beaucoup, il m'employa sérieusement dans sa batterie. Je portais les gargousses! J'en met-lais trois dans un sac de cuir. Ça pèse un kilo. Ça n'était pas dur.... Il n'y avait que les obus des Boches qui nous tombaient dessus. Mais ça... c'est la guerre. Le capitaine a commandé au dépôt un uniforme sur mesure pour moi. Je suis d'un chic… »

Et comme un officier lui demandait un jour:

« Tu n'as jamais eu peur?

— Peur? De quoi? J'ai vu de grandes batailles. Ça fait du bruit. »

C'est tout, ce qu'il trouve à dire sur cette terrible campagne qu'il a faite comme un brave.

Et son capitaine a écrit lui-même une lettre;i ses parents pour leur raconter les exploits de leur fils Nicolas et les féliciter de sa conduite. Mais ce n'est pas seulement parmi les enfants russes, que l'on rencontre cet esprit guerrier si extraordinaire. En France, combien ne voit-on pas de petits héros qui combattent et meurent pour leur patrie? Si nous ne parlons pas d'eux aujourd'hui, c'est que Mon Journal consacre de longues pages à chacun de ces enfants sublimes, alin que leur histoire se grave pour toujours dans la mémoire de tous.

Parmi beaucoup de merveilleux récits, choisissons celui-ci, qui, pour les jeunes lecteurs, aura un attrait particulier; car c'est une aventure très dramatique qui a pour personnages: un aviateur, un enfant et un chien.

Au moment de la prise de Belgrade, et du commencement de la malheureuse, mais héroïque retraite serbe, un aviateur français, Marcel Thirouin. atterrissait à l'entrée d'un village et y trouvait un enfant de douze ans, le petit Simchal, pleurant à chaudes larmes. Son père venait d'être tué, non loin de là.

L'aviateur, ému, questionna l'enfant.

« Où est ta mère?

— Je n'ai plus ma maman, elle est morte.

— Tu n'as ni frères, ni sœurs?

— Je n'en ai pas. Je suis tout seul.

— C'est bon! Viens avec moi. »

Et l'aviateur fait monter l'enfant à côté de lui.

Mais au moment de partir, il aperçoit un chien errant, maigre et décharné, mourant de faim et qui semble l'implorer avec des yeux suppliants et pleins de détresse.

« Allons! Viens aussi avec moi, » dit Thirouin en mettant le chien dans l'appareil.

Et il prend le chien, et les voilà tous trois volant vers l'Albanie. En route, il renconlre un camarade blessé qu'il prend aussi, et ils arrivent enfin à Jean-de-Médua.

Là, il fait embarquer le blessé et l'enfant, qui sont arrivés en France où ils sont soignés, l'un dans un hôpital, l'autre dans une école où il apprend la langue française avec ardeur.

Quant au chien, que l'aviateur a nommé Flock, il ne quitte plus son sauveur et trouve que monter dans les nuées est un exercice très amusant.

Il y aurait encore beaucoup d'autres histoires à raconter, beaucoup de courageux exploits à révéler, et l'on peut constater que l'ardente bravoure des aînés est comprise et ressentie par tous les jeunes enfants des pays alliés qui luttent actuellement pour leur délivrance.

G. du Genestoux

 

 

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