- du livre 'La Grande Guerre - La Vie en Lorraine' no. IV, novembre 1914
- 'Soldat à 13 Ans'
- par Achille Liègeois
- Un Gamin en Campagne
des autres soldats jeunes
C'est un Nancéien, un gosse qui pourrait tout aussi bien lancer une toupie, jouer aux chiques, faire dans nos rues, comme nos écoliers en vacances, la petite guerre avec un sabre de bois, un képi en carton et un mouchoir pour drapeau - Charles Trottemant a treize ans. Il est né en effet le 9 juillet 1901. Sa famille se compose du père, de la mère et de neuf enfants. Il est l'aîné des garçons. Ce n'est, pas lui, certes, qui met le moins de bruit dans la maison où vivent ensemble parents, et mioches au numéro 66, rue de l'Equitation.
Au lieu de la petite guerre, Charles Trottemant a voulu tàter de la grande et, dans le tapage qui remplit la maison, il mêle aujourd'hui le récit de ses précoces exploits:
- Ah! il nous a fait bien de la peine, soupire la mère... Figurez-vous qu'un beau jour il est parti de chez nous, sans nous prévenir. On l'a cherché partout. Peine inutile. On le croyait perdu, mort... Du diable si nous aurions deviné qu'il marchait avec les régiments.
La maman a séché ses larmes. Si elle pleure maintenant, c'est de joie en lisant les témoignages de satisfaction que son jeune gars a rapportés déjà de la campagne, et de fierté en écoutant son Charlot raconter sa fugue:
- C'était le 13 août, explique le gamin... Je me trouvais à la gare, dans la cour de la petite vitesse. Des soldats arrivaient. L'idée d'aller avec eux, de porter le flingot, de canarder aussi les Boches me poussait... Ma foi, j'ai suivi le 146e de ligne jusqu'à Crévic. Cela m'amusait beaucoup...
Pour ses débuts dans la carrière des armes, Charles Trottemant connut les corvées, naturellement:
- Les soldats me chargeaient de leurs commissions, dit-il gaiement. Pour me remercier, ils me prêtaient leur fusil. Ça tape rudement dans l'épaule, vous savez, à cause du recul... Parbleu! un fusil, c'est trop grand, trop lourd pour moi. J'ai été bien content, allez! quand j'ai pu me servir d'un mousqueton... quoique le mousqueton fasse plus de mal à l'épaule... ».
Ne vous avisez pas de dire à Charles Trottemant qu'il est un enfant de troupe, il protesterait avec une farouche indignation:
- Je suis un soldat, un vrai soldat... J'ai fait campagne, moi... »
Gardez-vous également de le traiter en héros. Il hausserait les épaules. Sa modestie s'offenserait. Tout le monde est capable d'en faire autant que lui. Une belle fichaise que la guerre: quand les balles sifflent on se tapit dans les tranchées.... Les grosses « marmites » font plus de potin que de mal... Et puis les Boches sont singulièrement maladroits!
La guerre, on en revient. La preuve, c'est qu'il est encore debout sans une égratignure le petit Trottemant, qu'il rigole comme parapluie et qu'il se tord comme une baleine, frimousse en éveil, nez au vent, l'il goguenard, la bouche fendue comme une tirelire pleine de blagues et de chansons:
- Tu as l'intention de repartir?
La présence de la mère gêne un peu la réponse; mais un mouvement de la tête traduit familièrement toutes les expressions du langage populaire:
- Voyons! est-ce qu'on lâche en public des naïvetés pareilles... Repartir? Pour sûr qu'à la prochaine occasion je remettrai les voiles dare-dare... Va, mon vieux, t'occupe pas du chapeau de la gamine... et pousse la voiture... »
Au surplus, puisque la famille se compose de onze personnes, il semble logique, naturel en somme, puisque le père est réformé, que l'aîné des gars soit à sa place sous les drapeaux.
L'appel de la « Vivandière » claironne dans ce jeune cerveau:
Viens avec nous, petit!...
Tu connaîtras le froid, tu connaîtras la faim.
Tu sauras ce que c'est que de manquer de pain.
Qu'avoir ses doigts glacés en tenant le fusil.
Mais ton cur te dira: Souffre pour ton pays!
Si tu tombes au feu, tu meurs comme un vaillant.
Viens avec nous, petit... Viens!'
Avec son régiment, le « bleu » de treize ans, traversa les champs de bataille lorrains. Il était à Morhange; il se replia sur Chambrey; il descendit dans les tranchées d'Haraucourt et de Sommerviller:
- Là, j'ai rencontré le 4e d'artillerie lourde, raconte Trottemant... J'ai aidé les cuisiniers; je soufflais sur le feu, j'épluchais les patates; je surveillais la soupe... Mais voilà qu'un beau jour la fumée pst aperçue par les Allemands. Les obus dégringolent sur nous. On était au bord des bois de Crévic... Ah! monsieur, quelle avalanche! Notre 120 long, un canon comme il y en a dans les forteresses, ripostait de son mieux. On a tenu longtemps. A la fin, il a fallu tout de même plier bagages... »
Comme nous lui parlons des emplacements occupés par nos troupes sur le terrain, Charles Trottemant précise, avec l'autorité d'un officier qui consulte sa carte:
- On est resté à la cote 311... mais je suis allé sur la cote 316... Pendant dix jours, monsieur, la batterie n'a presque pas bougé des bois de Crévic... Je servais la deuxième pièce... Le maréchal des logis m'aimait beaucoup...
Si le fusil est lourd, si le recul du mousqueton blesse l'épaule, il nous semble que le métier d'artilleur présente aussi quelques inconvénients et qu'il exige des forces au-dessus de son âge:
- Oh! réplique le gosse, je ne faisais pas de besogne très fatigante... J'étais pounoyeur de gargousses... J'en mettais trois dans un sac de cuir... Ça pèse environs un kilo et demi... Vous voyez que je suis de taille à porter trois gargousses...
Le jeune artilleur s'est dressé. Son képi penche crânement sur l'oreille; son pantalon à bande rouge a un peu trop d'ampleur, mais son dolman s'ajuste sur la poitrine. Le capitaine a commandé au tailleur du fort de Bruley un uniforme sur mesure:
-- Vous m'excuserez si ma tenue est sale... En campagne, n'est-ce pas, le temps marque pour l'astiquage... On a autre chose à faire... Les coups de brosse, c'est pour les revues dans les chambres ou dans la cour d'une caserne... »
Quand l'évacuation des troupes allemandes eut rendu à la Lorraine un peu de tranquillité, le régiment du petit Trottemant s'en alla vers le Nord:
- On s'est embarqué dans un train à Toul...
La mère du jeune artilleur intervient.
- Oui, monsieur, il a eu le courage, en traversant Nancy, de passer auprès de la maison sans y entrer... Franchement, est-ce raisonnable?... Les enfants, quels ingrats!... Nous vivions dans les transes.. Mon mari avait été mobilisé, mais on l'avait réformé au bout d'une dizaine de jours... Tout le monde aurait été content de savoir ce qu'était devenu notre Charles...
Le coureur d'aventures n'aurait pu résister à l'étreinte des bras maternels; il eût été sans forces pour déserter de nouveau la maison; il s'est épargné l'attendrissement des adieux; il voulait continuer quand même son escapade:
- Tiens! je n'ai pas voulu m'arrêter. car vous m'auriez probablement empêché de suivre les camarades... »
L'appréhension d'une remontrance ne se présente pas à mon esprit. Ce qu'il évite, c'est une atteinte à la liberté; il aime les alertes, les nuits à la belle étoile, les obus qui crèvent le sol, la gamelle qu'on attend longtemps et qu'on recevra seulement le lendemain:
- Tu n'as jamais eu peur?
- Peur? non... Faim? oui... Mais on s'habitue... Je n'ai jamais souffert... De Toul, le ...e d'artillerie a été dirigé sur le Nord... J'étais là-bas, du côté de Rosières, d'Etinehem, puis nous sommes venus à Bray-sur-Somme... De terribles batailles, je vous en réponds...
Charles Trottemant a été, de Bray-sur-Somme, renvoyé dans ses foyers, à cause des rigueurs de la saison. Par un scrupule qui honore son capitaine, celui-ci n'a pas consenti à engager davantage sa responsabilité en exposant un enfant aux épreuves de la campagne.
Il a remis au gamin une lettre qui vaut les plus élogieuses références.
Nous la citons textuellement:
« Chère Madame,
Je certifie que votre fils Charles a fait avec ma batterie la campagne et qu'il a participé à nos combats. Il s'est toujours conduit comme un courageux petit soldat, rendant service à tout le monde et faisant uvre utile. Les fatigues de l'hiver, les marches de nuit ne permettent plus d'assurer sa sécurité comme j'ai pu le faire jusqu'ici. Je profite d'une occasion, pour vous le rendre en bonne santé et bon courage.
Nul doute qu'il soit un bon fils comme il est un bon Français.
Capitaine HENRI MICHELAND »
En repliant la lettre soigneusement, le gosse résume ses impressions :
- Je gagnais un sou par jour. N'empèche que j'ai rapporté à la maison un peu d'argent... Les soldats se sont cotisés... Le métier est dur... On maigrit, surtout dans les premiers temps...
Et le benjamin de nos armées, le plus jeune artilleur de France peut-être, ce volontaire nancéien de treize ans, répète avec l'accent que devaient avoir les vétérans de l'Empire après leurs glorieux exploits, leurs courses à travers l'Europe:
- J'en, ai vu... eh! pour ça, oui, j'en-ai vu... »
Achille Liègeois
un artilleur de 14 ans