de la revue 'l'Illustration' No. 3747, 26 decembre 1914
'la Prise de Vermelles'
par Gustave Babin

Combats en 1914

 

Le 22 novembre dernier, on nous conduisait à Vermelles, - aussi près, du moins, qu'on on pouvait alors approcher. C'était ce petit village de briques, tout fruve sous le soupçon de neige qui poudrait ses toits, que j'ai décrit en rendant compte de notre premier voyage vers le front, dans le numéro du 28 novembre. Il était défendu, alors, de le nommer. Il est pris depuis le 7 décembre, et déjà, la semaine dernière, une photographie montrait ici les ruines de son château. Voici, maintenant, quelques autres aspects du pauvre bourg après le bombardement, après l'explosion des mines. Rien n'est plus saisissant, a Vermelles, écrit l'un de ceux qui y pénétrèrent, après qu'il fut tombé en notre pouvoir, Yermelles n'est plus qu'un amas de décombres, de briques et de pierres. De ce petit village de fermiers et de mineurs qui abritait 4.000 âmes, plus vin mur ne reste debout. A trois reprises, les communiqués du ministère de la Guerre firent mention des attaques dont Vermelles a été l'objet. La prise du château et du parc, l'assaut de la brasserie, la conquete définitive du village. La retraite enfin des Allemands ont constitué lus principaux épisodes de la bataille qui s'est déroulée à Vermelles depuis le 14 octobre jusqu'au 7 décembre dernier. Mais ce dont on ne peut que difficilement se rendre compte par la lecture des communiqués officiels, c'est l'acharnement de cette lutte qui a duré cinquante-deux jours et cinquante-deux nuits. Chaque maison, chaque ruelle, chaque rue ont été défendues pied à pied avec rage... »

«.. Il n'est pas une seule maison qui demeure intacte, dit un autre témoin. Les rues ne sont que des tranchées, au nord desquelles les Allemands avaient accumulé en barricades, pour se protéger, tout ce qu'ils avaient pu accaparer du pauvre mobilier des maisons, tonneaux, matelas, machines à coudre, voitures et berceaux d'enfants... Et puis, partout des tombes, et çà et là, gisant, des cadavres que depuis deux mois, sous le canon, on n'avait point eu le temps d'enterrer. Nos 75 et nos 80, et les canons anglais, aussi, ont tapé là!... »

Quand nous nous approchâmes de Vermelles - que la grande route de Béthune Lens laisse à 1.000 à 1.200 mètres à sa gauche - la résistance qu'y opposait l'ennemi ne pouvait plus se prolonger longtemps. « Ils sont matés! nous disait,d'un accent enlevant, le colonel qui nous guidait et qui a fini par emporter la position. Ils sont bloqués! Us ne peuvent qu'à peine se ravitailler; nos obus, la moitié du temps, culbutent avec précision leurs convois ».

Et j'ai dit que, de cette précision de notre tir, nous eumes l'occasion de juger de nos yeux: ce nous fut une vive joie de voir éclater devant nous quelques obus, une lueur au ras du sol, une fumée, de la poussière...

Nos tranchées touchaient les tranchées allemandes. Un lent travail de sape - dont il était interdit de parler plus rigoureusement encore que d'imprimer le nom de Vermelles - nous rapprochait insensiblement du dénouement.

Deux galeries, l'une de 105 mètres, l'autre de 135, furent creusées entre des maisons, occupées par les nôtres, et le parc du château, à l'abri duquel l'ennemi était fortement installé. Le 1er décembre on fit sauter les mines et l'assaut fut aussitôt donné. Il surprit à table encore les officiers, qui, refusant de se rendre, furent tués sur place. On peut voir ci-dessus l'effet de l'explosion au pied du mur de clôture du parc.

Ah! ce mur, tout rouge, d'un rouge sombre, coiffé lui aussi de neige, ce jour-là! Nous l'avons vu. C'était proprement, entre eux et nous, le mur mitoyen. Les quelques maisons en deçà étaient à nous. Ils tenaient tout du reste que dominait, survivant au clocher de longtemps écroulé, une grande bête de cheminée, dégingandée, bravant les obus, toujours debout: la cheminée de lit brasserie Wattebled.

Ce fut cette brasserie, tout en ciment, avec des caves solidement voûtées, qui devint le dernier réduit de la résistance. Le 6 décembre, enfin, elle fut à son tour emporée.

En dehors des mines, les canons de campagne de 80 et un 75, qu'on lui avait donnés, rendirent au colonel des services sur lesquels il ne tarit pas, paraît-il, et ce doit être un plaisir de l'entendre, avec son bon accent méridional, raconter leurs prouesses. Mais, à supputer le temps qu'il a fallu pour conquérir les quelques centaines de mètre: qui nous séparaient, le jour de notre visite, du village si désespérément défendu - une grande quinzaine - on comprend toute l'importance et la durée de l'effort qui sera nécessaire pour nous assurer enfin la définitive victoire.

Gustave Babin

 

 

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