de la revue ‘Bulletin des Armées de la République’ no. de mercredi 31 mai, 1916
'La Swanze Contre La Kultur'
par Commandant Willy Breton

Comment se Moquer de l'Envahisseur

 

Le commandant Willly-Breton, directeur du Courrier de l'Armée belge, a bien voulu présenter à nos lecteurs la Libre Belgique, l’insaisissable petit journal qui fait la joie et le réconfort des Belges.

L'argot bruxellois a créé un mot « la swanze » pour désigner la plaisanterie ironique et spirituelle « la bonne blague ». Cest par la swanze que la Belgique résiste à la barbarie pédante des envahisseurs. La page du journal dont nous reproduisons le fac-similé en offre un modèle: il représente le gouverneur allemand de Bruxelles, von Bissing; écœuré par les journaux germaniques, il cherche la vérité dans la Libre Belgique.

Qui n'a pas entendu parler de la Libre Belgique, l'admirable petit journal qui depuis plus de quinze mois, défiant leur censure, bravant toutes leurs menaces, narguant toutes leurs colères, se publie en Belgique occupée, au nez et à la barbe des Boches exaspérés?

Depuis le premier jour de l'occupation allemande, tous les journaux belges ont cessé de paraître; retranchés dans leur détermination, ils ont toujours refusé de reprendre leur publication sous l'avilissant contrôle de l'ennemi. Il ne circule donc ouvertement, en Belgique, que de rares feuilles embochées, rédigées par des gens sans aveu, à la solde de l'Allemagne. Quelques patriotes comprirent un jour la nécessité d'opposer la vérité aux mensonges répandus par ces feuilles; d'attester bien haut l'inébranlable fermeté d'âme du peuple belge opprimé, son patriotisme et sa foi dans l'avenir; de souffleter de leur mépris, enfin, les violateurs cyniques des droits les plus sacrés de l'humanité.

Et c'est ainsi que la Libre Belgique vit le jour, le 1e février 1915. Son titre seul apparaissait comme un défi lancé à l'oppresseur cruel. A l'audace de cette fière déclaration imprimée en manchette: Ne se soumettant à aucune censure, le vaillant journal ajoutait l'ironie cinglante de son adresse télégraphique: « Kommandantur- Bruxelles! »

Aussi, ce fut un beau tapage chez le général-gouverneur von Bissing quand il découvrit un matin dans son courrier, le premier numéro de ce « Bulletin de propagande patriotique ». D'aucuns affirment qu'il faillit se trouver mal. C'est fort probable. Sa colère, en tous cas, fut grande, et se manifesta du coup par des menaces terribles à l'adresse, non seulement des rédacteurs inconnus de ce journal, mais de quiconque serait surpris à le répandre ou seulement à le posséder. Von Bissing mit en chasse tous ses plus fins limiers et les innombrables espions à sa solde, offrant dès l'abord une prime de 15,000 fr. à qui ferait découvrir les coupables.

Peines perdues! la Libre Belgique continua de paraître, organe « régulièrement irrégulier », comme il a soin de le proclamer, et dont les bureaux, « ne pouvant être un emplacement de tout repos, sont installés dans une cave automobile! Pas un numéro ne sortit de presse, sans que la poste l'apportât à von Bissing. Il éleva la prime promise à 25,000 fr., puis à 50,000 fr., multiplia les perquisitions, fit le tour dé toutes les imprimeries, fouilla des caves et des couvents — des couvents, surtout, qui sont sa bête noire — sans autre résultat que de couvrir de ridicule ses sbires toujours bredouilles.

L'aventure bientôt tourna complètement au burlesque. Des dénonciations anonymes conduisirent les policiers boches en des endroits inimaginables. C'est ainsi qu'un matin, une imposante force armée apparaît dans une des plus vieilles rues de la capitale, se précipite vers un immeuble où l'on affirme que s'abrite la rédaction du journal-fantôme, grimpe plusieurs étages, s'engouffre dans un corridor obscur, et vient piteusement échouer devant une porte où s'étale en chiffres majestueux un énorme numéro 100!

L'impuissance du gouverneur et ses accès de colère, qui jettent en prison quelques malheureux découverts en possession de la feuille séditieuse, ne font qu'accroître la verve caustique des rédacteurs de la Libre Belgique. Dans son numéro 30, daté de juin 1915, elle publie, sottr ce titre mordant: « Von Bissing et son amie intime », un portrait du gouverneur plongé dans la lecture du journal clandestin!

Il semble aussi que les dangers excitent l'audace des lecteurs. On put voir, un beau dimanche, un gros soldat du « landsturm » traverser une des places publiques les plus fréquentées de Bruxelles, portant épingle, au bas de sa tunique, le dernier numéro de la Libre Belgique!

Mais le vaillant petit journal n'est pas seulement ironique et frondeur. D'ardents patriotes y publient des articles admirables, dénonçant les crimes allemands, confondant les imposteurs, prêchant aux Belges le calme, la patience et surtout la confiance inébranlable en leurs glorieuses destinées. Il en est qu'on ne peut lire sans que la gorge se serre de sainte émotion.

Insaisissable, il se glisse de mains en mains, apportant aux Belges emmurés — car la Belgique hélas! n'est plus qu'une geôle —le divin rayon d'espérance et de foi. Pour lire la Libre Belgique, on brave tous les dangers, et ni les amendes, ni les peines de prison infligées à des colporteurs dévoués surpris dans leur œuvre de propagande, ne l'empêchent de paraître, toujours mystérieuse, mais toujours vengeresse et plus vivante.

En février 1916, sortit de presse, à l'occasion de son premier anniversaire, son 62e numéro. L'illustration de la première page montre le gouverneur Von Bissing froissant rageusement d'innombrables mandats de perquisition où se lisent les noms de tant de grands patriotes, cependant qu'au haut du dessin apparaissent les autos- fantômes dans lesquelles se rédige, s'imprime et s'expédie la Libre Belgique! Affirmant à nouveau sa volonté de poursuivre sa tâche féconde de justi-cière, elle écrit en ce jour-anniversaire:

« Nous défions nos persécuteurs de jamais réussir à nous faire taire. La vérité parlera plus haut que leurs mensonges et trouvera le chemin des coeurs et des consciences belges...

En février 1916, sortit de presse, à l'occasion de son premier anniversaire, son 62e numéro. L'illustration de la première page montre le gouverneur Von Bissing froissant rageusement d'innombrables mandats de perquisition où se lisent les noms de tant de grands patriotes, cependant qu'au haut du dessin apparaissent les autos- fantômes dans lesquelles se rédige, s'imprime et s'expédie la Libre Belgique! Affirmant à nouveau sa volonté de poursuivre sa tâche féconde de justicière, elle écrit en ce jour-anniversaire:

« Nous défions nos persécuteurs de jamais réussir à nous faire taire. La vérité parlera plus haut que leurs mensonges et trouvera le chemin des coeurs et des consciences belges...

« La Libre Belgique vivra aussi longtemps que la domination allemande: souhaitons que les succès de nos soldats et de leurs alliés hâtent leur fin à toutes deux. Nous fêtons aujourd'hui notre premier anniversaire; nous n'en fêterons pas un second: c'est notre ferme conviction, notre ardent espoir ».

La Libre Belgique reflète bien fidèlement l'âme vibrante et fière d'un peuple aujourd'hui tyrannisé, mais qui demeure indompté, qui ne veut pas mourir, et de toutes ses forces, au contraire, prétend vivre à nouveau indépendant et libre.

Et n'estimez-vous pas, héroïques poilus de la France magnifique, que dans l'œuvre immense qu'il vous appartient d'accomplir avec les beaux soldats des nations alliées, la tâche est vraiment grande et noble déjà, qui consiste à délivrer ce peuple, dont rien n'a pu abattre le courage obstiné, ni la robuste confiance en ses libérateurs?

Commandant Willy Breton

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