du livre ‘Notes d’un Combattant de la Campagne de 1914-1918’
'Coiffures et Jambières'
par Major Louis Tasnier

Uniformes Belges

 

Le soldat belge n'a jamais mis de coquetterie dans le port de son uniforme. Un certain « débraillé » a toujours été de bonne mise chez nous. Est-ce un défaut de notre race ou la conséquence d'effets militaires sans élégance?

En août 1914, nous entrâmes — les fantassins — en campagne avec les antiques shakos de cuir et de carton, recouverts d'une toile cirée.

Cette coiffure, datant de l'Empire, était critiquée par tous, elle engendrait des maux de tête, provoquait en été des coups de chaleur et des étourdissements. Sa coiffe luisante, sous les rayons du soleil, décelait à l'ennemi nos moindres mouvements.

Après quelques jours de campagne, on décida de retourner la coiffe des shakos et de la noircir. Nos hommes maculèrent « à plaisir » leur coiffe. Leur aspect était hideux.

Les premiers combats amenèrent des transformations dans l'équipement. On vit plus d'un soldat coiffé d'une casquette civile.

La retraite d'Anvers accentua le désordre dans la tenue. Il y eut sur l'Yser, des combattants qui n'avaient plus du soldat que le fusil.

Il en était de même dans les centres de l'arrière.

Un volontaire de guerre a écrit à ce sujet:

« Il y avait là deux cents hommes. Pas deux n'étaient habillés de la même façon.

» Un Martien qui serait tombé de son étoile se serait figuré qu'il y avait là les délégués de cent armes différentes. Souliers jaunes, noirs, savates, sabots, guêtres de modèles variés, bandes molletières y voisinaient. Les pantalons et culottes avaient toutes les teintes possibles, y compris les teintes qui n'ont pas de nom dans aucune langue, dirait Bossuet; quant aux coupes, leur variété n'avait d'égale que celle des passepoils. Si on arrivait aux vestes, vareuses, tuniques, on se trouvait devant une telle profusion de modèles différents qu'une énumération rebuterait le plus arithmomane des pananoïaques de petites maisons: vieilles vareuses des Lanciers, des Carabiniers, des Chasseurs, de toutes les armes, chacune marquée au coin de la fantaisie individuelle et transformée, retournée, modifiée suivant les indications des titulaires et les goûts fantaisistes des tailleurs de rencontre. »

Dès fin novembre 1914, l'Intendance nous envoya des képis en drap noir avec rabats; ils étaient distribués par demi-douzaine aux unités. Leur aspect était bon, mais les visières peu solides ne résistaient pas aux manipulations, chaque soldat voulant lui donner une forme spéciale.

C'est le port de ce képi qui fit dire à un Wallon: — L'armée belge est devenue une armée de champêtres.

Cette coiffure dura jusqu'en août 1915, elle fut portée avec des culottes de velours, des vestes et capotes de tous draps et de toutes teintes.

Il fallait en finir et uniformiser la tenue.

La France adoptait le bleu horizon. Chez nous, on préféra le khaki. Certes, le soldat anglais était le chic type du front, mais pour que le soldat belge pût rivaliser avec lui, il eût fallu lui donner des effets d'aussi bonne qualité.

Au lieu de la casquette anglaise rigide, on distribua une casquette faite de mauvais drap et d'une forme déplorable. La visière se prêtait à toutes les transformations. Ce fut un véritable concours parmi les hommes pour réaliser un port différent de la casquette. Les uns l'enfoncèrent dans la nuque, sur les yeux, la portèrent sur l'oreille droite ou gauche, laissant voir sur le côté de la tête d'énormes touffes de cheveux.

Les Allemands ne s'y trompèrent pas, et nos hommes en « khaki » ne furent jamais pris pour des Anglais.

L'adoption, en 1916, du casque de tranchée, fit disparaître la casquette. On distribua le coquet et national « pinemouche ».

On n'a jamais mis en doute les qualités destructives de notre soldat. Nul mieux que lui ne sait démolir; le fer même ne résiste pas à son besoin de transformer les objets.

On espérait que le casque en acier allait redonner à nos troupes un aspect martial en uniformisant la coiffure. Il n'en fut rien.

Pour remplir son rôle protecteur, le casque doit, dit l'instruction, être assez grand pour couvrir la nuque.

Mais un grand casque, ce n'est pas beau. Chacun voulut l'adapter à la forme de sa tête. Sous les coups de marteau, la coiffure prit les aspects les plus imprévus. Puis nos « Jass » s'amusèrent à polir le casque. La couche de couleur mate fut grattée. Quant au lion, il grimaça vite. Des facétieux lui ajoutèrent des moustaches, les yeux furent agrandis, etc., etc.. Le lion n'avait plus rien de ses frères du désert. Il était une réclame pour amidon ou pour denrées coloniales!

Parlons des jambières: il faudrait des pages pour en décrire les transformations.

Beaucoup de soldats sur l'Yser n'en possédaient plus. Certains se contentèrent de resserrer les bouts des jambes du pantalon en les nouant sur le devant, d'autres placèrent ces mêmes bouts sous la chaussette.

Mais le froid obligea les « Jass » à se couvrir les mollets; le voisinage des soldats français et anglais amena les « molletières ».

Il y en eut de toutes nuances. En regardant marcher un peloton, il semblait qu'un arc- en-ciel se mouvait.

Les ceintures de flanelle rouge, les capotes noires furent découpées et fournirent des bandes molletières. Le bleu horizon français alla du bleu de Prusse au bleu lavande, de même pour le khaki qui varia du brun marron au jaune citron.

Les officiers, les non-combattants surtout, appréciaient les bandes molletières, mettant en valeur une jambe bien moulée.

L'autorité en défendit le port. Et comme la plupart des militaires s'ingéniaient à transformer leur épuipement, des gendarmes firent la chasse aux permissionnaires sur les boulevards de Paris.

Il y eut de multiples incidents. Casquettes, bonnets de police, molletières et autres parties de l'équipement non réglementaires furent saisis et les propriétaires renvoyés illico à leurs unités.

La popularité du gendarme (« Piotte-pakker ») (sic) n'en fut pas augmentée.

L'arrivée des Américains fut cause du port de jambières d'un modèle nouveau, de même que de vestes et capotes.

Si jamais le Musée de l'Armée doit reconstituer les uniformes de l'armée de 1914 à 1918, toutes les salles du Hall du Cinquantenaire ne seront pas assez grandes pour contenir les divers équipements imposés et transformés par nos glorieux « Jass ».

 

 

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