de la revue 'le Courrier de l'Armée' No. 725, 24 octobre 1920
et No. 726, 31 octobre 1920
'La Défense
de la Redoute de Dorpveld'
par A. D. S. et M. C.

Anvers Sous le Feu - 1914

 

A ceux qui eurent le périlleux honneur de remplir cette mission de sacrifice,
sans autres alternatives que la mort ou la captivité:
La défense d'un fort.

 

l'Attente

Lorsque l'on quitte le village de Wavre-Sainte-Catherine pour prendre la route de Malines, on voit se dresser à sa droite un fortin dont les Allemands n'ont pu réparer qu'imparfaitement les profondes blessures.

C'est la redoute de Dorpveld, celle qui durant quatre jours, par des prodiges d'héroïsme, résista aux bombardements et aux assauts violents de l'ennemi.

Pauvre petit ouvrage bien primitif cependant: Dans le massif bétonné, la batterie traditores avec quatre bouches à feu ne pouvant tirer que dans le secteur du fort de Wavre-Sainte-Catherine, distant de 1400 mètres de la redoute. Dans le rempart de tête, séparé du massif central, une coupole avec 1 canon de 7.5 pour le tir jusque 3500 mètres. Deux mitrailleuses et 85 fusils Lebel. En temps ordinaires, les locaux pouvaient abriter un tiers de la garnison, mais aujourd'hui tout le personnel (2 officiers et 114 soldats), est enfermé dans la redoute, encombrant galeries et casemates. Le système d'aérage est défectueux. Pas de service médical, pas de citerne pour eau potable... pas même de latrines intérieures.

On se doutait si peu que l'heure viendrait où ces ouvrages devraient remplir leur rôle. Il y a quelques jours encore, tout ce petit monde vivait comme en temps de manœuvre. On jouait au bouchon sous la poterne, on péchait dans les fossés, et le soir sur les remparts, on écoutait au loin les sourds grondements du canon.

Les artilleurs pensaient: « Si la guerre allait finir sans que nous ayions tiré un seul obus! » Cependant l'orage s'est approché... la lueur des incendies annonce l'avance de l'ennemi... Fil de fer et chevaux de frise ont été entassés autour de la redoute... Peu à peu l'armée de campagne s'est repliés... et maintenant la plaine est silencieuse... et la redoute, avec sa passerelle repliée, se fait toute petite dans la brume du soir. Dans les galeries, couchés les uns sur les autres, on ose à peine remuer... on écoute... on attend.

Le 28 septembre (1914), dès l'aube, l'ennemi déclenche le tir de ses grosses batteries. L'air est sillonné du bruit d'exprès en marche, le sol tressaille, les vigies renseignent: « L'ennemi bombarde le fort de Wavre-Sainte-Catherine. »

Ceux qui ont pu trouver un créneau ou une ouverture quelconque assistent au bombardement comme à un tir de polygone. L'ennemi règle avec des pièces de calibre moyen; puis les pièces de gros calibre, mortiers de 42 et autres, entrent dans la danse.

Les coups but sont nombreux... un nuage de poussière... une voûte est percée...

A la fin de la journée, la masse de béton est fissurée, une des traditores présente des symptômes de glissement.

La redoute attend toujours; après le fort, son tour viendra.

 

tranchées allemandes

 

Les Premiers Obus

Le 29 septembre le bombardement reprend, toujours dirigé sur le fort de Wavre-Sainte- Catherine, dont les canons répondent encore... De la redoute, on voit sur la tour de Saint-Rombaut de Malines les observateurs ennemis, hors d'atteinte, se mouvoir à leur aise.

Subitement, vers 14 h. 30, le sifflement se fait plus rapproché. Le village de Wavre- Sainte-Catherine est pris sous un feu violent de l'artillerie de campagne.

Tout à coup la redoute tressaille: « Un obus est tombé sur le rempart de gorge près du massif. »

C'est le baptême du feu. Un homme se précipite dans la chambre de tir, où le commandant prépare la résistance: « Mon commandant, nous avons des tués! » Des tués? c'est impossible! l'obus n'a percé aucune galerie. Hélas! c'est cependant vrai; près de la porte latérale, 8 hommes gisent affreusement mutilés; trois de ceux-ci, couverts de sang noir et de poudre, parviennent à rentrer dans la redoute. La curiosité avait été plus forte que l'esprit d'obéissance; malgré l'ordre donné, des hommes étaient sortis. C'était si intéressant, ce tir à shrapnells contre le clocher du village! Les blessés sont pansés à l'intérieur de la redoute.

Deux heures durant, les obus frappent le fortin; puis subitement, le feu cesse. Un homme s'en va vers Duffel à la recherche d'un poste de secours.

Les remparts, les abris soigneusement construits, sont complètement bouleversés; les banquettes pour fusiliers ont disparu. De gros blocs de béton sont arrachés; partout des fêlures traversent la voûte. La coupole et la batterie traditores n'ont pas souffert. Qu'importe si l'ouvrage menace ruine, puisqu'il peut encore cracher la mitraille!

Avec le brouillard du soir arrive le médecin et ses brancardiers; péniblement on transporte les blessés jusqu'à la route. Puis les gradés et quelques hommes creusent le rempart de front de gorge et y enterrent les cinq camarades tués. Une croix de fortune protégera leur tombe. Qui sait, demain peut-être, cette fosse n'en fera plus qu'une avec la masse de béton écroulée, sous laquelle toute la garnison du fort dormira son dernier et glorieux sommeil.

En rentrant dans le massif, le commandant trouve le personnel en tenue de route, armé, sac au dos, comme pour un départ. A son approche, les murmures se sont tus...

Qu'est-ce à dire?

Quelques paroles imprudentes de la part des brancardiers avaient suffi pour déprimer la garnison: « Le fort de Waelhem est tombé, celui de Wavre-Sainte-Catherine est évacué, la redoute voisine est abandonnée. Que faites-vous encore ici? »

Et les hommes, stupéfaits de ces nouvelles, croyaient la résistance impossible.

Le commandant rassemble ses soldats. Le moment est grave... il faut qu'il trouve des paroles qui vont au cœur: « Qu'en savent-ils les brancardiers et qu'importe si les défenseurs de Waelhem et de Wavre-Sainte-Catherine sont morts à leurs pièces? Allez-vous, vous autres, abandonner un ouvrage qui peut encore lutter?... Nos braves fantassins comptent sur vous pour protéger leur retraite... Allons donc, voulez-vous être des lâches? Courage, les hommes... reposez-vous, car demain, qui sait, nous aurons à repousser les assauts de l'ennemi... enfin nous verrons ces bêtes grises... enfin nous pourrons en tuer, qu'importe, notre sort à nous, si pénible soit-il, vous ferez votre devoir! »

La crise paraît conjurée. Lentement les hommes défont leur sac comme s'ils avaient honte de leur faiblesse: « C'est vrai ce qu'il dit, le commandant... Cré nom... les artilleurs ne feraient pas leur devoir? Ah! tas de sales Boches, on verra bien... »

 

les forts de Waelhem et Wavre St. Catherine

 

Dans les Ténèbres

Le 30 septembre, durant la matinée, tout paraît calme; les hommes reprennent confiance. Le fort de Wavre-Sainte-Catherine, quoique presque anéanti, est toujours occupé. Dans l'après-midi, le bombardement reprend plus violent que jamais: forts voisins, intervalles, sont copieusement arrosés de mitraille. Les obus-mines, qui viennent éclater sous le massif bétonné de la redoute, font vibrer et osciller la masse de béton.

Après chaque explosion, on attend la suivante... Sera-ce la dernière?... Les lézardes dans la voûte se font de plus en plus larges. Faudra-t-il mourir ainsi sans avoir pu se défendre? C'est donc cela, la guerre... Qu'ils viennent à portée des canons, les Allemands, qu'ils bondissent à l'assaut... Ah! oui, on se battra... à ciel ouvert... poitrine contre poitrine... Mais rester étendu, dans l'air étouffant d'une galerie, le gosier desséché par la soif, n'avoir qu'à écouter le hurlement des arrivées, qu'à attendre la seconde où la voûte s'écroulera, cela vous ronge... cela vous tue.

Soudain la redoute frémit... les hommes enfoncent leur tête sous les jambes... le sol se soulève... seconde angoissante... un choc... il fait nuit... Un obus vient de détruire le groupe électrogène; désormais, il faudra vivre dans les ténèbres... marcher à tâtons, guidé par quelques bougies fumantes qui de-ci de-là font des taches claires dans le dédale des souterrains.

Cependant le tir ralentit... bientôt le tout est silencieux... de temps à autre un fragment de béton se détache et roule dans les fossés... L'assaut- va-t-il enfin se déclencher? La vigie et les sentinelles restent muettes.

Le commandant, tel un cultivateur après la grêle, va constater les dégâts.

C'est à ne pas s'y reconnaître. Les travaux de terrassement ont disparu, remparts et terre-plein sont troués d'énormes entonnoirs où une escouade entière pourrait s'abriter. Des culots de 28 et de 30, de gigantesques obus gisent dans les fossés. Le massif semble un amas de ruines. Où est le monolithe du début?

Par un heureux hasard, la coupole n'est pas touchée, la batterie est indemne. Tout fonctionne à merveille; hélas, c'est toujours à la bougie qu'il faut se guider.

Aucune vie humaine à déplorer... Les vivres ne manquent pas et cependant l'appétit fait défaut.

Le commandant s'efforce à entamer une boîte « de singe », quelques hommes l'imitent... Courageux, les braves soldats... résignés à leur sort... mais comme on les comprend bien... serons-nous encore vivants quand viendra enfin l'heure du vrai combat?

La nuit, un étranger arrive à la redoute... Un adjoint dû génie, qui vient noyer les centaines de kilos de poudres noires devenus inutilisables.

On comprend la pensée de ceux qui de loin assistent à notre agonie: « Débarrassons- les toujours de ces barils, ainsi, peut-être, l'explosion sera moins forte et tous ne périront pas... »

En quittant la redoute, l'officier, après avoir jeté un coup d'oeil angoissé sur l'état du massif, serre la main du commandant... Pas un mot... une forte pression des doigts... un regard qui veut dire « Adieu ».

L'ennemi reprend bientôt son tir, non pas sur la redoute, mais aux alentours et sur l'intervalle...

A minuit, un cycliste est annoncé, un de ces braves carabiniers qui nuit et jour sont en route à travers la zone bombardée.

« Ordre pour le commandant de la redoute de Dorpveld: Evacuer partie du personnel, sous les ordres du lieutenant, vers la tranchée couvrante de l'intervalle. Cette fraction y restera pendant le bombardement et ne rejoindra la redoute que lorsqu'elle sera menacée d'un assaut. Ne conserver dans l'ouvrage que 75 hommes. »

Enfin, il y aura moyen de remuer.

Tous veulent être des partants. Les canonniers et quelques fusiliers resteront.

A 1 h. 45, nouvel ordre: « Battre avec la coupole, tir rapide, de 2 heures à 2 h. 20 et de 4 heures à 4 h. 15, agglomérations occupées par l'ennemi. » Enfin, nous allons pouvoir tirer!!

Chacun à son poste de combat; la pièce est chargée. Wavre-Notre-Dame est l'objectif... Feu... le fort tressaille... le tir s'acharne... les hommes crient leur joie dans le fracas assourdissant des coups de départ. Hélas, c'est bien court, vingt minutes de tir! A 4 heures, nouvelle décharge.

La fraction désignée se rend à l'intervalle. La redoute paraît plus grande, on craint moins la surprise de l'ennemi, et puis, il a suffi de s'être grisé quelques instants de poudre pour exalter le courage des hommes.

 

commandant de la redoute de Dorpveld

 

l'Etreinte

Le jour vient à nouveau aider les artilleurs allemands. Cette petite redoute leur a causé des pertes avec son tir rapide de cette nuit. Deux bombardements ne l'ont pas fait taire. Cette fois, fini de narguer la grande Allemagne. Pour le soir, la redoute doit être morte.

Dès 8 h. 30, les gros obus arrivent en hurlant; le feu augmente d'intensité, un feu épouvantable qui durera'sept heures.

Le massif, secoué sans arrêt, tressaille sur ses assises, se crevasse, se désagrège de plus en plus; le fracas est infernal. Couloirs et casemates sont imprégnés de vapeurs acides... On étouffe... Bien vite, les gosiers enflammés ont vidé les gourdes d'eau... La soif les torture... On se croirait sur une épave ballottée par la tempête. La mitraille s'acharne, la redoute tient toujours.

A 15 h. 30, arrêt brusque. Est-ce l'assaut? Pas le moindre indice d'attaque. Le massif a résisté, mais la coupole est hors d'usage; sa calotte penchée laisse voir un sillon nettement tracé, creusé par un projectile. Le personnel ne pouvant plus utiliser cette pièce, abandonne la coupole et vient se réfugier dans la redoute proprement dite. Un quart d'heure s'est à peine passé que le bombardement reprend, moins» intense toute- fois; il semble qu'il est uniquement dirigé contre la batterie traditores qui n'a pas encore été touchée de' plein fouet. L'observatoire n'étant pas blindé, la vigie est dans l'impossibilité de s'y maintenir; d'ailleurs, les troupes qui garnissent l'intervalle annonceront en temps utile l'approche de l'ennemi.

Cependant, les pionniers allemands, à la faveur de leur tir d'artillerie, d'une précision remarquable, sont venus couper une partie des réseaux de fil de fer.

A 17 heures, la fusillade crépite... L'assaut... Enfin!! Les heures démoralisantes du bombardement sont oubliées... « Alarme! »... Plein d'enthousiasme, chacun se précipite et va prendre son poste déterminé d'avance. Les fusiliers vont aux remparts; les mitrailleuses, trop lourdes à manier, ne pourront être en batterie au moment propice.

A peine sont-ils à leur poste, que l'ennemi tente de lancer une passerelle au-dessus du fossé; nos hommes, par un feu nourri, le dispersent. Mais subitement, une mitrailleuse balaie les remparts, tandis que des shrapjiells couronnent la redoute, de leurs petits flocons blancs. Trois fois nos hommes sont repoussés des remparts... Trois fois ils reprennent leur poste de combat. Mais l'assaillant est parvenu à lancer sa passerelle, il prend pied sur la redoute. Nos fusiliers, décimés par le tir ennemi, rentrent dans le massif, emmenant leurs blessés.

Immédiatement le rempart est occupé, l'ennemi s'installe dans la coupole; une mitrailleuse rapidement placée enfile la tranchée de l'intervalle; la garnison fortement réduite rentre dans le massif...

Voilà donc la redoute partagée. Un commandant allemand sur les remparts et la coupole. Un commandant belge enfermé dans le massif bétonné avec ses issues et sa batterie traditores. Les trois portes de l'étage inférieur sont fortement barricadées au moyen de caisses de biscuits, et les créneaux sont garnis de fusiliers.

Chaque Allemand qui se dirige vers la gorge est abattu. L'ennemi bientôt se terre... On se croirait abandonné, si la mitrailleuse allemande placée au-dessus du massif ne ricanait son éternelle chanson: Tac... tac... tac!

Et ces hommes qui, il y a deux jours à peine, alors que le danger n'était pas encore réel, parlaient d'abandonner l'ouvrage, complotent aujourd'hui, que l'ennemi les étreint à la gorge, de tenter un coup de main et d'enlever cette damnée machine qui les énerve. Non, c'est impossible...

« Un messager pour l'arrière? » Dix hommes se présentent. C'est que c'est une mission périlleuse, nous sommes quasi envahis.

« Cela ne fait rien, mon Commandant. » Brave cœur, va. Un message est vite rédigé:

« La redoute est en partie occupée par l'ennemi, mais nous tenons le réduit et nous y maintiendrons. Essayez de déloger à coups dé shrap-nells la mitrailleuse ennemie installée au-dessus de nous. »

Le messager relit le billet au cas où les circonstances l'obligeraient à le détruire, salue militairement et disparaît dans l'ombre... Prudent, il se faufile hors de la redoute... On écoute... La mitrailleuse s'est tue.... On écoute... Pas un bruit; pas un coup de feu... On attend anxieux.

Tout à coup des sifflements qui grandissent, éclatent, miaulent... Le messager est donc arrivé; le message est compris... Des projectiles belges battent la redoute... La mitrailleuse recommence à grincer... Le feu redouble... Silence!

 

soldats allemands à Anvers

 

La Redoute qui Tue

L'action de l'ennemi ne s'était pas bornée à l'attaque de la redoute. En même temps qu'il en fit l'attaque, des détachements tentaient de franchir l'intervalle situé entre la redoute et le fort de Wavre-Sainte-Catherine.

Tout d'abord deux vaches, marchant à la file indienne, traversent l'intervalle, se dirigeant vers les réseaux de fil de fer situés à 800 mètres... Bizarre, cette marche tranquille... Les obusiers de 12 centimètres tirent quelques obus; les vaches sont abattues ainsi que les Allemands qui s'avançaient à leur côté, traînant deux mitrailleuses.

Changement d'objectif... Une compagnie ennemie s'élance en hurlant à l'assaut du fort de Wavre-Sainte-Catherine... Un feu rapide de nos quatre bouches à feu la disperse... Le glacis du fort est couvert de morts et de blessés, qui se tordent en d'étranges convulsions.

Peu après, une vague d'assaut tente de traverser l'intervalle, repéré de longue date... Feu des quatre pièces... Hurlements de douleur; chute en masse; recul précipité des survivants... Un second assaut se déclenche... Même réception... Puis un troisième... Devant un nouvel échec, l'ennemi renonce à ses tentatives. Le sol est jonché de cadavres. Nos artilleurs sont fous de joie; voilà plus d'une heure qu'ils massacrent les fameuses troupes de la fameuse Allemagne.

Mais ce tir rapide a endommagé les canons de 75; l'un est calé, l'autre est définitivement hors cause, sa plaque d'embrasure s'étant arrachée du mur de masque. L'ajusteur, avec le même calme qu'aux exercices du temps de paix, se met à l'œuvre; l'habile artisan démonte, nettoie, remonte les appareils de fermeture... Un des canons est remis en état.

Une accalmie se produit. Mais voilà que des projectiles frappent le mur de masque de la batterie... Un pointeur est blessé... Qu'est-ce?... Cette nouvelle pièce est vite découverte... L'ennemi ayant contourné le fort de Wavre-Sainte-Catherine, s'y est introduit et, utilisant le seul canon encore valide, tire sur la redoute.

Changement d'objectif: « Feu sur casemate Wavre-Sainte-Catherine! » Etrange, commander un tir sur un ouvrage ami! Deux minutes à peine: La pièce s'est tue.

La nuit est descendue; infiniment noire... On ne voit rien dans l'intervalle... La silhouette des remparts tranche sur le bleu foncé du ciel. Quel calme après le fracas de cette journée bien remplie! Les hommes, harassés, luttent contre le sommeil... Il faut être prêt, car l'ennemi profitera des ténèbres pour tenter un suprême effort.

A 23 h. 30, un feu de mousqueterie crépite dans l'intervalle. Il fallait s'y attendre. Aussitôt les trois pièces donnent tout ce qu'elles peuvent; durant trois quarts d'heure, le feu fait rage, mais le matériel est à bout... Lorsque le feu cesse, une seule bouche à feu est encore en état d'agir.

 

dans les environs du fort de Wavre St. Catherine

 

La Redoute se Meurt

Minuit... Tout rentre dans le silence... Les guetteurs sont à leur poste... Autour d'eux, pêle-mêle, les hommes, harassés par ces journées d'enfer, dorment d'un sommeil agité de cauchemar... Dans une des chambres une bougie tremblante éclaire des corps dont les membres sont emmaillotés dans des linges blancs tachés de brun... Les blessés amendent... Ils savent cependant qu'aucun secours ne peut arriver... Ils sont résignés, ils attendent... La fièvre monte, la soif les torture, la mort est là qui les frôle... Silence, pas une plainte... Un artilleur, la tête tournée contre la paroi humide, râle depuis bientôt dix heures. Soudain quelque chose glisse par la cheminée d'aérage et tombe lourde- ment sur la terrasse de béton: Un obus, puis un autre... Ah, ils ne dorment donc pas, ces Boches! Leur nuit se passe à trouver l'invention infernale qui nous fera mourir.

Evidemment les obus n'éclatent pas, ce sont les projectiles de notre coupole abandonnée. Ils ignorent que la fusée ne s'arme que par le choc du départ. Ils se fatiguent bientôt à ce petit jeu... Tout redevient calme... Des ronflements dans la galerie et le râle du moribond qui se fait plus irrégulier, plus faible, qui meurt...

Tout à coup le commandant se dresse, empoigne le bras de son lieutenant: « Ecoute!!»

Distinctement on entend des coups de pic. Livides, ne pouvant croire à cet infernal procédé, ils écoutent...

Le pic forcené frappe toujours...

Alerte!... L'endroit dangereux est évacué. Les hommes, réveillés, claquent des dents. On s'entasse dans d'autres coins... Puis le bruit cesse... Et maintenant que l'on sait que le pic ne frappe plus, le cœur s'étreint davantage. On espère qu'il va reprendre son travail...

3 h. 30... Une explosion étourdissante. Les poumons se compriment, le tympan des oreilles semble arraché. Un nuage de poussière, de poudre...

Comme on le pensait, la masse s'est écroulée. Deux hommes gisent sous les décombres; à grand'peine on les dégage.

L'escalier reliant les deux étages est pulvérisé; le premier étage complètement évacué; les canons, d'ailleurs, sont hors d'usage. Hâtivement on construit une barricade dans le couloir. On s'écrase dans l'étage inférieur; l'encombrement paralyse toute défense. L'air se fait de plus en plus rare. Il faut évacuer une partie de la garnison. Rapidement les hommes sont désignés. Un à un, ils se glissent hors de la redoute, passent le fossé, rampent dans les fils de fer, s'enfoncent dans la nuit...

Au-dessus du fort, la fusillade crépite... Il faut attendre... Le calme renaît; l'évacuation se poursuit avec une lenteur qui énerve le commandant, car ce que les hommes n'entendent pas dans l'émoi de la manœuvre, le commandant le sait: Le pic a repris sa chanson; une nouvelle mine se creuse... Qui sait, tout l'ouvrage va peut-être sauter. Plus il y aura d'hommes sortis, plus il y aura de vivants...

5 heures... Nouvelle explosion... La redoute tient toujours... La brèche est plus large, mais qu'importe! Vite les derniers partants quittent le fort... C'est fait.

Le commandant reste seul avec neuf fusiliers et quatre canonniers.

L'ennemi a pris possession de l'étage supérieur; on l'entend circuler et l'idiome d'outre- Rhin frappe les oreilles de cette poignée de héros qui songent encore à se battre.

5 h. 3/4... L'ennemi pénètre dans le couloir... Il démolit la barricade construite au moyen de caisses de biscuits... La barricade s'écroule... Quelques mètres plus loin, elle est reconstruite... L'ennemi la renverse... Nos hommes reculent, la redressent... Mais ce jeu doit avoir un terme. L'héroïque garnison est acculée au fond du couloir... Les artilleurs font sauter la dernière pièce encore en état de tirer... L'ennemi les presse, tire à bout portant, s'approche.

6 heures... C'est fini... Treize soldats, un officier... Voilà le trophée que les Allemands retirent des décombres de la redoute de Dorpveld: Petite poignée d'hommes qui avaient compris ce que veut dire pour un Belge le mot « Devoir ».

A. D. S. et M. C.

 

après les combats à Wavre St. Catherine

 

Ordre du Jour de l'Armée (4 août 1919)

Soumise dès le 28 septembre 1914, à midi, à un bombardement qui n'a cessé d'augmenter en intensité et en violence, la redoute de Dorpveld a opposé aux attaques de l'adversaire une défense remarquable. Sous l'impulsion énergique de son commandant, le capitaine-commandant Deschacht, la garnison entière s'est comportée avec vaillance; dès le 1e octobre, la garnison était déjà bloquée dans ses abris par l'ennemi qui s'était installé avec des mitrailleuses sur le massif central; la seule batterie traditore, encore quelque peu utilisable, n'en continua pas moins à tirer avec une pièce détachée de la paroi. Ni les tentatives d'asphyxie par obstruction des trous d'aérage, ni le creusement des mines sous les voûtes ne parvinrent à ébranler l'héroïque résistance de la garnison qui, malgré de lourdes pertes provoquées par l'explosion de deux mines, se maintint dans les ruines de l'ouvrage jusque dans la-matinée du 2. De 133 artilleurs, 17 seulement et le lieutenant Preser échappèrent à la mort ou à la capture.

 

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