- de la revue Lectures Pour Tous de 15 septembre 1916
- 'Les Mascottes de Nos Poilus'
les Animaux en Guerre
Elles aussi, les bêtes sont emportées dans la tourmente et ressentent les effets de cette guerre mondiale qui est un fléau pour tout l'univers. De mille manières elles en subissent le contre-coup; mais ce qui est le plus touchant, c'est de voir avec quelle facilité nombre d'animaux sont devenus pour nos braves poilus des compagnons, des amis et souvent des fétiches.
La scène suivante, que nous empruntons à René Benjamin, un de nos meilleurs conteurs de la guerre, se passe à Marseille, dans un cabaret du Vieux-Port, à l'enseigne de Sindbad-le-Marin. Il y a là, attablés de compagnie, un Soudanais et un soldat colonial qui partagent fraternellement le même déjeuner, en attendant de s'embarquer pour Salonique. La conversation s'engage.
« Anatole, dit le colonial, montre-toi voir aussi au monsieur. » II avait sur ses genoux un cache-nez qui, à ce nom d'Anatole, s'agita tout à coup et d'où sortit une petite tête de chien toute jeune, plaintive, mignonne et comique. Après la tête, ce furent deux pattes. Et le tout, se trémoussant, monta sur la table.
Je dis: « Quoi? Vous n'allez pas emmener cet amour de bête en Serbie? »
Le colonial me regarda, goguenard:
« Non, c'est que j' tousse! L'est quand même moins pesant que mon sac... Pis, on sait causer ensemble, s' pas, Anatole? »
Le petit chien frétilla et lécha la main de son maître, qui conclut, le caressant: « Ça, c't'un ami, un vrai.... On va s'en aller ensembe, on va voyager su'.des. bateaux, pis dans des pays qu'on connaît pas, ensembe; on parlera d'la bourgeoise ensembe... s' pas Anatole? »
Le petit chien, en signe d'allégeance, agita la queue. Ils étaient émouvants, l'homme et la bête.... Puis le colonial se remit à manger et le petit chien, roulé sur lui-même, s'endormit contre le bras de son maître.
Pauvre « cabot » qui s'en allait ainsi, sous des deux inconnus, partager la bonne et la mauvaise chance du brave poilu et lui rappeler la patrie absente!
Ailleurs, bien loin de là c'est dans les Flandres, dans une ambulance du front, et l'histoire nous est contée cette fois par Mme Annie de Pêne.
Il y a là, couché sur un lit de douleur, un petit soldat, grièvement blessé. L'infirmière s'étant absentée un instant, revient, tenant dans les bras un petit chien blanc, sans race, qu'elle pose au bord du lit, et Pervyse (c'est son nom) allonge délicatement, avec des grâces de chien bien élevé et homme du monde, sa patte trop grosse. « Croyez-vous qu'il est beau? » me demande le petit soldat, avec des yeux d'extase.
Et il me raconte l'histoire de Pervyse:
« Voilà, c'était justement à Pervyse. Vous le connaissez, ce joli petit village à côté de Nieuport? Les Boches, comme des brutes, s'acharnaient dessus depuis deux jours. Les habitants s'enfuyaient.... Le pan de mur derrière lequel nous nous abritions pour riposter de notre mieux commençait à s'écrouler. Soudain mon camarade perçoit une drôle de plainte. « Mais c'est une bête! » qu'il fait. Et le voilà qui s'élance sous les éclats d'obus, en pleine pétarade, pour revenir avec cet oiseau-là, qu'il tenait serré sur son cur, comme une mère tient son marmot. Il l'avait trouvé tapi dans un coin de la ferme flambante, résigné à périr là plutôt que d'abandonner le cadavre d'une vieille femme asphyxiée depuis longtemps déjà.
« Alors on l'a appelé Pervyse, en souvenir du village détruit. Il nous a suivis dans la tranchée.... Quand on m'a ramassé, il était près de moi et j'ai supplié qu'on l'emmène aussi. On a bien voulu. A présent, c'est un chien gâté. N'est-ce pas, mon vieux?
Et son maître, demandai-je, celui qui l'a sauvé des flammes?
Le pauvre bougre a été tué, et c'est en souvenir de lui que je n'ai pas voulu abandonner Pervyse. »
l'Enfant du Régiment
Le chien a été, de tout temps, l'ami du soldat, et la tradition, on le voit, n'est pas près de disparaître. Tantôt c'est un camarade intime, l'ami personnel de son maître; si celui-ci s'absente de la tranchée, il est le gardien de son petit pécule et se couche en rond sur sa musette; le soir, il s'endort contre lui et lui tient chaud. Tantôt il est l'enfant collectif du régiment, mangeant à toutes les gamelles, fêté et choyé par tous.
Lorsque le 1er régiment de fusiliers marins qui, sur l'Yser, s'illustra, comme on sait, par son héroïsme, regagna Paris en décembre dernier, c'est en compagnie de son chien Rip, un superbe et robuste colly, au long poil soyeux, qui avait fait avec lui toute la campagne, qu'il débarqua, un beau matin, à la gare du Nord.
Rip, comme Pervyse, avait été recueilli dans un village ruiné, abandonné par ses habitants. Le nombre des chiens adoptés par les soldats anglais dans cette région dévastée fut même si grand, à un moment, que les infortunés toutous devinrent encombrants et que l'autorité militaire dut intervenir. Afin de leur épargner de nouvelles tribulations, voire même une exécution en masse, la « Société Royale contre les mauvais traitements aux animaux » ouvrit à Boulogne une maison de refuge, où les soldats pouvaient conduire leurs amis à quatre pattes et les laisser en pension gratuite, en attendant un prochain congé qui leur permettrait de les emmener chez eux, de l'autre côté du détroit.
Le Chien Espion
Faut-il mettre en regard de ces bons procédés l'affreuse conduite du chien espion, dont un régiment canadien découvrit un jour toute l'indignité? Il avait pour domicile ordinaire une buvette voisine du front et tenue par un de ces mercantis à qui l'appât du gain fait braver le péril. Le chien était choyé par les Canadiens, qui lui prodiguaient mille douceurs et le laissaient circuler librement dans leurs tranchées. Cependant chacun de leurs mouvements était si étonnamment et si rapidement repéré par les Boches que l'on s'évertuait à découvrir qui pouvait de la sorte renseigner ceux-ci. On ne trouvait rien, lorsqu'un soir une sentinelle aperçut notre chien qui, à la faveur de l'ombre, escaladait le talus de la tranchée et passait tranquillement dans le camp ennemi. Le lendemain, comme il s'apprêtait à renouveler le même manège, on s'en saisit et on se mit aussitôt à l'examiner sur toutes les coutures. Son collier était creux et renfermait une missive dont le contenu ne laissait aucun doute sur le métier que son maître lui faisait faire. Cinq minutes après, le tenancier de la buvette était impitoyablement passé par les armes et la malheureuse bête, inconsciente, conduite loin du front, à l'arrière.
Les Animaux Fétiches
Mais les chiens ne sont pas les seuls animaux qui tiennent compagnie à nos poilus; nombre d'entre eux apprivoisent des corbeaux, des geais, des hérissons. Un autre régiment de nos fusiliers marins avait pour animal familier un âne, qui tira ses os de maint bombardement et de mainte bataille et qui, de Dixmude, fut triomphalement amené à eux une bête préférée, dont on prend le plus grand soin et qui est considérée par les soldats comme un fétiche.
Le caporal Johnson, de l'Artillerie Royale, en convalescence à Londres, interviewé par un rédacteur du Daily Mail, lui montra une minuscule souris blanche, que lui avait donnée, dit-il, une jeune Française et qui, parfaitement apprivoisée, avait assisté dans sa poche aux batailles de Mons, de la Marne et de l'Aisne. Johnson tenait, comme à la prunelle de ses yeux, à la gentille bestiole, grâce à la protection de laquelle, assurait-il, il s'en était tiré avec seulement trois doigts de moins. Sur le front russe, des gitanes parcourent les lignes avec des perroquets qui, pour quelques kopecks, prédisent l'avenir aux soldats.
Sur le front de nos alliés italiens, un régiment d'alpins, lisons-nous dans le Giornale d'Italia, a pour mascotte une brebis égarée, recueilllie par lui, qui vit tranquille dans les tranchées, ne bêlant jamais, ni ne témoignant la moindre frayeur, même quand la mitraille fait rage. Une nuit, cependant, où, tout semblant paisible, les alpins s'étaient à moitié endormis, la brebis commença à courir, à bêler, à trembler de tous ses membres, comme prise d'angoisse. Cette agitation inaccoutumée attira l'attention des sentinelles qui, en scrutant l'obscurité avec attention, découvrirent, dans un repli de la montagne, une ligne d'ombres qui s'avançaient en rampant. Les soldats, réveillés aussitôt, sautèrent sur leurs armes et eurent juste le temps de rejeter l'attaque de deux compagnies autrichiennes. La « mascotte » avait réellement, cette fois, accompli son uvre de salut.
Les aviateurs eux-mêmes emmènent souvent avec eux, comme fétiche, dans leurs terribles randonnées à travers les nuages et les shrapnels ennemis, quelque bête qui leur est chère. Le 2 avril 1915, le sergent Georges Madon et le caporal René Châtelain quittaient Paris sur un biplan Farman, accompagnés de leur petite chienne fox-terrier, nommée Follette, afin de regagner Toul; leur port d'attache. Surpris par la brume, ils s'égarèrent et, après divers avatars, atterrirent en Suisse, à Porrentruy. Faits prisonniers et internés à Berne, puis à Hospenthal, près d'Andermatt, et finalement, à la suite de l'évasion de Gilbert, à Zurich, ils réussissent à fuir, le 30 décembre, après neuf mois de captivité. Ils traversent en auto une partie de la Suisse et arrivent sans encombre à Ouchy, sur le lac de Genève, afin de s'y embarquer. Là, un douanier semble pris de soupçons à leur égard; mais les aboiements joyeux, les bonds et les caresses de Follette, qui leur a tenu compagnie durant leur captivité et les accompagne, rassurent le brave homme; il ne voit plus en eux que d'inoffensifs touristes et les laisse partir.... Ils traversent le lac en canot automobile et, trois quarts d'heure après, abordent à Evian, en terre française.
Quant à l'aviateur de Losques, il avait, en guise de mascotte, fixé sur le plan supérieur de son biplan un gros chat tacheté, qui semblait mâtiné de panthère et qu'il appelait Anastor. Anastor, qui faisait campagne avec lui, depuis le début de la guerre et qui avait eu, plus d'une fois, le nez roussi, était d'une remarquable sagesse et d'une endurance à toute épreuve, car il était... en étoffe imprimée, bourrée de laine. Il ne devait pas, hélas! sauver de la mort le sympathique et héroïque artiste et aviateur.
Abandonné dans les Ruines
Tous ceux qui ont parcouru les régions envahies nous ont dépeint avec émotion la misère des malheureux animaux abandonnés par leurs maîtres et dont la poignante détresse vient s'ajouter aux tableaux de la misère humaine.
« Ce jour-là, lisons-nous dans le carnet d'un officier d'artillerie, nous traversons constamment des zones jonchées de cadavres français ou ennemis. Tout autour de nous,