Les Animaux dans le Conflit Mondial
.
«Bravo, les toutous! Sont-ils bien drossés!
Regardez-les donc.... Pas un qui bronche. Ils défilent en bon ordre, comme de vrais soldats. » La scène se passait à Asnières, il y a quelques semaines. Un nouveau détachement de chiens de guerre partait ce jour-là pour le front. Tous les passants admirèrent la belle tenue de ces vingt-neuf « poilus » à quatre pattes, merveilleusement dressés par les organisateurs du chenil de la « Réunion des amateurs du chien de défense et de police ». La petite troupe était conduite par un sergent, directeur de section du 11e chasseurs alpins. L'effectif comprenait trois chiens de liaison et vingt-six sentinelles.
Des chiens sentinelles! Oui, vous avez bien lu. Les qualités d'intelligence dont font preuve nos dévoués auxiliaires sont telles qu'un essai de chiens de tranchées a été tenté récemment. L'épreuve a été concluante, puisque leur flair ne manqua jamais, à plus de cent cinquante mètres, d'éventer l'approche de l'ennemi. Les chiens sentinelles sont exercés à grogner doucement (un aboiement donnerait l'éveil), dès qu'ils perçoivent les bruits les plus légers, dénonçant la présence d'une patrouille ennemie ou d'un espion.
Le service des chiens sanitaires, en France, ne date guère que d'une huitaine d'années. C'est un médecin-major, M. Rudler, qui forma le premier élève. Il a lui- même raconté le difficile dressage de son chien Stop: « Le chien étant près de moi, les yeux bandés et tenu en laisse par ma femme, qui a plus fait pour son dressage que moi-même, je m'éloignais en traînant les pieds à terre et me cachais. Stop pleurait. On lui découvrait les veux au commandement: « Cherche! Perdu! » Il n'avait plus qu'une idée, me retrouver, et courait à toute vitesse sur ma piste. Lorsqu'il m'avait rejoint, ma femme commandait: « Assis! A terre! » et le récompensait. Puis ma femme joua le rôle du blessé et moi, celui du dresseur; plus tard, Stop travailla sans difficulté avec un dresseur et un blessé quelconques. On augmenta les distances, on lui fit perdre la piste, ce qui l'habitua peu à peu à battre un terrain inconnu, sans savoir si un blessé y était ou non caché. » Stop prit part aux manuvres de 1907 et y obtint un succès considérable. Après la bataille figurée, il partait à la recherche des blessés ou soi-disant tels et se hâtait d'attirer l'attention des brancardiers, dès qu'il les avait découverts.
Stop eut bientôt de nombreux émules. Si bien qu'à la revue du 14 juillet 1914, à Longchamp, la foule put voir défiler une petite escouade de citions dits « bouviers des Flandres », ceinturés d'un calicot blanc portant la Croix-Rouge et tenus en laisse par des soldats brancardiers. Les spectateurs qui leur firent fête étaient loin de se douter qu'ils auraient bientôt à faire leurs preuves sur le champ de bataille.
Nous avons aujourd'hui, sur le front, plus de Irois cent chiens sanitaires qui, depuis des mois, rivalisent d'intelligence et de courage pour sauver nos blessés. Malinois,gronendaëls, bergers de Brie, tous sont devenus pour nos soldats de vrais camarades, dont on ne compte plus les prouesses.
C'est Tom, allant ranimer par ses caresses un soldat blessé et tombé dans un ravin en Argonne, l'aidant à se relever et le ramenant à l'ambulance; Tambour, découvrant, après la bataille, un lieutenant blessé dans un champ de betteraves; Turc, qui lit après la victoire de la Marne 150 kilomètres pour ne pas abandonner son ambulance; Rilo, qui fit merveille en Alsace et dont le maître est lui-même engagé volontaire à soixante-cinq ans! C'est Pick, qu'une balle allemande vient de blesser mortellement au liane, en Argonne: Loustic, Duc, Lorraine, Duc II (bouvier des Flandres), dit François-Joseph; Turco, Polo, etc.
La « Société nationale du chien sanitaire » a fourni nombre d'élèves qui se sont illustrés. L'histoire de l'un d'eux, le brave Truc, prouve que la valeur ne se mesure pas toujours à la taille.
Truc n'était point un de ces grands molosses dont l'aspect épouvante tout d'abord. C'était un petit, tout petit fox, blanc avec des taches noir et feu: Sa couleur trop voyante aussi bien que sa taille excluaient toute idée d'en faire un chien de guerre. Mais il ne l'entendait pas ainsi et chaque jour, à travers la barrière qui le séparait du champ de dressage, il suivait avec un intérêt visible les exercices de ses camarades plus favorisés.
Un jour, il n'y tint plus. Profitant de ce que la barrière était eut l'ouverte, il bondit, se précipita sur un homme qui figurait un soldat blessé, lui enleva son képi et vint tout triomphant l'apporter à son maîlre.
On ne pouvait négliger de si belles dispositions. L'éducation de Truc fut complétée et, quinze jours après, il partait sur le front.
Ceci se passait au début de la guerre. Truc assista à plusieurs engagements et s'y conduisit à merveille. Mais un beau jour on le vit reparaître. Son infirmier avait été tué dans les derniers combats de la Marne et le petit toutou était revenu tout seul de Château-Thierry à Paris. Secourir et signaler les blessés n'est pas la seule tache dont s'acquittent les chiens. Dans les tranchées où les rats sont un véritable lléau, on sait quels services rendent les « bulls » et les « fox-terriers », qui sont les meilleurs ratiers. Douze cents chiens, bien entraînés et exercés au silence, sont actuellement « mobilisés » pour la chasse aux rats sur le front. Et les ratiers de race véritable n'étant pas encore assez nombreux, nos poilus ont imaginé de dresser eux- mêmes des chiens de toute espèce. Quelques planches et un grillage, il n'en faut pas plus pour improviser un « ratodrome » où le plus pacifique griffon devient vite un redoutable adversaire pour la gent envahissante des rongeurs.
Si les ratiers sont pour nos soldats d'utiles auxiliaires, que dire des chiens de guerre utilisés comme patrouilleurs, des chiens de liaison qui relient deux postes l'un à l'autre pendant le combat, vont porter une indication utile, une demande de renforts ou de secours, et rapportent la réponse. Sur le front des Vosges, où des compagnies de chiens esquimaux, de 200 à220 têtes chacune, ont été récemment mises en service, les intelligentes bêtes rendent de multiples services, notamment comme sentinelles, dans les postes avancés. Il y a aussi des chiens-estafettes, munis de colliers creux dans lesquels un papier peut être facilement inséré, et habitués à franchir au besoin de hautes palissades, à passer un cours d'eau à la nage, lorsqu'il s'agit de porter un ordre urgent.
Il y a quelques mois, les habitants de Clermont apprirent avec regret que Marquis, le chien de leur régiment, venait d'être tué à l'ennemi. Il avait été chargé, à Sarrebourg, de porter un pli à l'officier des mitrailleuses. Marquis partit à toute allure. Il allait atteindre le but, quand une balle allemande le frappa au côté droit. Le courageux animal, comme s'il avait eu conscience de l'importance de sa mission, ne voulut pas mourir sans l'avoir accomplie. Il se traîna péniblement jusqu'aux mitrailleuses et ne s'abattit que lorsqu'il vit le pli dont il était porteur entre les mains de l'officier.
Non moins touchante, l'histoire de Sultan dont Mlle Émilienne Moreau, la jeune héroïnede Loos, a vanté le courage dans ses « Mémoires », que publia le Petit Parisien. C'était un beau chien de chasse, que son maître avait abandonné en fuyant Loos, au moment de l'invasion. Il s'était attaché aux soldats qui l'avaient tout de suite adopté. En quelques jours, il s'était si bien habitué à la vie des tranchées que la canonnade semblait le laisser indifférent.
Une nuit, quelques soldats français, chargés d'une mission périlleuse, s'approchèrent des lignes allemandes, L'un d'eux tomba en route, grièvement blessé. Il fallait à tout prix le secourir. Un des nôtres, dans la tranchée, eut une idée ingénieuse: il attacha sa gourde au cou de Sultan. Le brave chien n'hésita pas: il courut droit au blessé, qui souffrait de la soif et saisit la gourde avec joie. Revenu dans nos lignes, Sultan voulut faire un second voyage: il porta cette fois quelques vivres, qui réconfortèrent Téclopé et lui prouvèrent qu'il n'était pas abandonné. On put, en effet, peu après, secourir le malheureux qui plus tard, on le devine, ne se fit pas faute de choyer son courageux sauveteur.
A quel point l'instinct de secourir ceux qui souffrent élait développé chez ce brave chien, Mlle Moreau et les siens en eurent à leur tour la preuve, quand Sultan s'attacha à eux. Pendant l'occupation allemande, ils avaient grand'peine, comme tous les habitants de Loos, à lutter contre la disette des vivres. Impossible de franchir le cordon des sentinelles pour aller chercher aux champs des pommes de terre: ceux qui s'y risquaient étaient sans ménagements reconduits à coups de crosse, voire même emprisonnés. Sultan semblait se rendre compte des privations dont son entourage pâtissait. Mlle Moreau, un matin, le vit revenir au logis en toute hâte. Il portait quelque chose dans sa gueule: c'était un saucisson dérobé aux Allemands. L'objet du larcin élait malheureusement à demi pourri et Sultan seul eut le courage d'en faire son repas, lorsqu'il eut la certitude que ses maîtres ne trouvaient pas la « surprise » de leur goût.
Sultan ne s'en tint pas là: on le vit revenir, quelques jours après, porteur d'un morceau de beurre, enveloppé dans de la toile. Comment se l'était-il procuré? Au prix de quelles ruses avait-il pu franchir les lignes allemandes? Chacun se le demandait. Cette fois, Mlle Moreau et les siens purent faire honneur au cadeau. Et Sultan, battant de la queue, semblait tout joyeux du succès de sa trouvaille.
Que d'autres exemples on pourrait citer, montrant que les chiens de guerre se souviennent souvent qu'ils furent des chiens de chasse. Jugez de la surprise d'un petit groupe d'artilleurs, pendant la bataille de la Marne. lorsqu'ils virent Dick, leur favori, revenir au gîte en rapportant un lièvre, qu'il déposa délicatement à leurs pieds. Blessé à la patte par un fil de fer barbelé, le lièvre se rétablit vite, grâce à l'intervention d'un infirmier qui lui fit une amputation. Les artilleurs l'apprivoisèrent si bien qu'il lui arriva un jour de se cacher... dans la gueule d'un canon.
Pourquoi le livre d'or des chiens de guerre n'aurait-il pas, comme celui de nos héroïques soldats, des pages de gaîté alternant avec les pages de bravoure?
Jacques Carolles