de la revue 'Le Pays de France' No. 169, 10 janvier 1918
'Les Américaines de Paris'
Léonie Alexandre
 

La Coopération Américaine

dessin de J. Simont

 

Les femmes qui, depuis la guerre, exercent des professions dont l'accès leur semblait à jamais interdit, en France tout au moins, accroissent chaque jour le champ de leurs conquêtes. Cependant, jusqu'ici, aucun corps militaire de femmes n'a été autorisé, et il y a peu de chances que nous voyions jamais sur le front français des bataillons féminins comme il n exista en Russie et en Serbie.

Depuis l'entrée en guerre des Etats-Unis, les Américaines habitant Paris ont formé, sous le nom de Women's War Relief Corps in France, une association dont le but principal est d'apporter une aide matérielle et morale aux soldats américains combattant sur notre sol.

Créée le 9 août 1917, cette association compte déjà plus de 600 membres et chaque jour les enrôlements continuent, nombreux.

Toutes les hautes personnalités féminines américaines ont tenu à apporter une large contribution à l'association dont l'avenir s'annonce des plus brillants.

Un comité d'honneur, composé de Mmes Waddington, princesse E. de Polignac, Mmes Mackey, Hotgay, contrôle le fonctionnement de l'œuvre dont le comité administratif, chargé de la répartition et de l'emploi des fonds, est représenté par Mmes Bliss et Tuck, sous la direction générale de Mme Sharp, femme de l'ambassadeur des Etats-Unis à Paris.

Le délégué de la Croix-Rouge américaine dont dépend le Women's War Relief Corps in France est M. Prelton.

Le bureau d'enrôlement, chargé d'accueillir les recrues et de les répartir dans les différents services, est dirigé par Mme Lambert, dont le zèle et l'infatigable activité sont au-dessus de tout éloge.

Le bureau a reçu l'hospitalité du splendide hôtel de l'ambassade des Etats-Unis, 5, rue François-1er, dont les salons de réception abritent désormais une véritable ruche féminine: dactylographes, comptables, téléphonistes, manutentionnaires, qui, affairées et silencieuses, s empressent à leur tâche; les pièces d'étoffes que les « travaillistes » des ouvroirs transformeront en chauds sous-vêtements pour les « sammîes » s'empilent le long des murs tendus de somptueux damas rouge. Des automobiles militaires, conduites par des femmes appartenant à l'Association, apportent directement des ports de débarquement les caisses de produits ou matériel arrivant d'Amérique; d'autres autos emportent vers le front les envois destinés aux combattants.

Ici l'utilisation de toutes les compétences et de toutes les bonnes volontés paraît avoir été le souci constant des organisateurs.

Les fonds de l'Association, exclusivement américains, doivent être considérables, car rien n'a été négligé pour assurer aux soldats, combattants ou blessés, le maximum de bien-être. Parmi les riches donateurs dont les capitaux alimentent la caisse du Women's War Relief Corps in France, figure, pour une très large part, M. Rockfeller, si connu pour son inépuisable générosité.

Le personnel féminin, bénévole ou rétribué, assure les services les plus divers, et chacun de ces services a son uniforme particulier. Les automobilistes portent un costume gris oxfeld avec col, parements et revers bleu électrique; les « travaillistes » des cantines ont également un uniforme gris mais avec col, paiements et revers bleu horizon; les déléguées des gares, chargées d'accueillir à leur arrivée les volontaires américaines, de les guider et de leur assurer un logement, revêtent aussi l'uniforme gris, avec les ornements rouge bordeaux; pour les employées de bureau, même costume agrémenté cette fois d'orange foncé.

Le caractère essentiel de ces différents uniformes, quel que soit le grade ou la fonction de celles qui le portent, est une extrême simplicité. L'emploi des blufîleteries a même été interdit dernièrement en raison de la raréfaction du cuir, et, par souci d'économie, les membres du Women's War Relief Corps ont dû renoncer, tout comme les officiers français, à cet ornement superflu, qui soulignait encore leur allure martiale.

Les infirmières enfin, presque toutes rétribuées, constituent un corps d'élite; femmes du monde ou de la bourgeoisie, placées avec les infirmières auxiliaires sous les ordres directs de Mme Munroe, elles assurent le icrvice de deux hôpitaux: celui de la rue Pierre- Charron, réservé exclusivement aux blessés américains, et celui de la rue de la Faisanderie, destiné aux blessés français. Le personnel subalterne chargé des travaux de pettoyage, d'entretien, etc., est fourni par la Croix-Rouge anglaise et la Croix-Rouge américaine.

Des doctoresses américaines, vêtues de kaki et portant l'insigne de la Croix-Rouge, dirigent le service de santé, tandis que les pansements chirurgicaux qui forment un service à part fonctionnent sous le contrôle de Mme Austin. Comme on le voit, chacune est affectée selon ses aptitudes, ses connaissances professionnelles, ses goûts ou ses forces.

L'impression d'ensemble qui se dégage d'une visite dans les différents services de cette organisation modèle est celle d'une discipline, d'une correction vraiment militaires.

Nul souci de coquetterie ne paraît avoir inspiré les. infirmières américaines dans le choix de leur costume: robe de drap bleu royal, de coupe sévère, pèlerine de même drap, à revers rouges, chapeau de feutre également bleu, solides brodequins, constituent leur uniforme, bien différent, comme on le voit, du coquet travesti de nos Dames de la Croix- Rouge.

Le service des cantines, dirigé par Mme Vanderbilt, mérite une mention spéciale: outre la cuisine courante destinée aux malades, d'habiles cordons bleus y préparent pour les blessés des plats appropriés à chaque régime.

La section organisée par miss Madge Oliver et qui fonctionne à Paris, au Val-de-Grâce et à l'hôpital Villemin, s'occupe exclusivement de la confection de cette « petite cuisine » destinée surtout aux blessés de la face, grands blessés, entérites, tuberculeux, etc.

Chaque jour ceux-ci reçoivent des bouillies, crèmes, entremets, gâteaux, fruits cuits, marmelades. La zone des armées n'a pas été oubliée et la même organisation culinaire existe déjà à Châlons-sur-Marne et Epernay.

Tous les hôpitaux militaires américains, anglais et français doivent recevoir bientôt des « cuisinières de régimes » formées par miss Oliver dans son école de « petite cuisine » installée depuis quelques jours dans une annexe du Val-de-Grâce.

Le service de santé a favorisé de tout son pouvoir l'initiative de miss Oliver qui répond à des besoins réels non prévus en temps de paix par des règlements surannés.

Des 400 blessés de la face soignés au Val-de-Grâce dans le service du professeur Morestin, c'est à peine si jusqu'à ce jour 80 avaient pu recevoir une alimentation rationnelle leur évitant tout effort de massication; la guérison de ceux qui ne pouvaient prendre aucune nourriture solide se trouvait forcément retardée. Grâce à l'œuvre de miss Oliver, de nombreux blessés de cette catégorie seront sûrement et rapidement rendus à la vie normale.

Mme Vanderbilt, que sa haute situation et sa grande fortune ne semblaient pas destiner à un pareil emploi, assure aussi la direction des cantines des « Deux-Drapeaux » qui fonctionnent à la gare de l'Est, à Paris, et dans les gares de Corbeil, Juvisy, Achères, Argenteuil, Aubervilliers, Châlons, Epernay, Ory-la-Ville, Saint-Germain-des-Fossés.

Les fonds qui alimentent ces cantines sont uniquement américains, et si le Women's War Reliej Corps in France a voulu centraliser et assurer la répartition ds ces dons pour leur meilleure utilisation, nos généreux amis et alliés contribuent en outre, et largement, à l'entretien et aux services de nos œuvres françaises.

L'Association s'occupe aussi de l'assistance aux soldats aveugles et aux réfugiés des pays envahis.

Elle a fondé des ouvroirs: 118, rue de la Faisanderie; 25, rue Pierre-Charron et, plus récemment, à Cannes. Les « travaillistes » de ces ouvroirs ont, elles aussi, leur uniforme qui est le même que celui des autres « travaillistes », mais d'un gris plus clair.

Enfin, un groupe de « travaillistes », vêtues de bleu royal et portant la croix rouge au col, confectionne, sous la direction de Mme Lathrop, les colis destinés aux soldats du front. Ce service est installé aux Champs-Elysées, dans le pavillon autrefois occupé par l'Alcazar d'été.

Ce n'est que depuis l'entrée en guerre des Etats-Unis que cette œuvre a été rattachée au Women's War Relief Corps in France; dès 1914 elle avait été créée par Mme Lathrop et fonctionnait au seul profit des soldats français. Elle possède un service spécial d'automobiles qui emportent au front les colis renfermant les douceurs destinées à l'amélioration de l'ordinaire des combattants.

Comme on le voit, l'Association ne néglige rien pour rendre plus supportable, aux soldats américains, le lourd fardeau de la guerre qu'ils ont tous si noblement accepté.

Le Women's War Relief Corps in France a voulu assurer à ses membres venus d'Amérique un logement sain et confortable et c'est Mme Strong qui s'est chargée de ce soin, poussant la sollicitude jusqu'à créer, à l'Hôtel Métropolitain, un club où sont admises aussi les Anglaises et Françaises faisant partie de l'Association.

Une bibliothèque, un salon de musique et des salles de conversation y sont mis à la disposition des adhérentes pour s'y délasser de leur formidable labeur quotidien.

Ces femmes qui, sans compter, mettent leur intelligence et leurs forces au service de leur pays et des alliés, peuvent ainsi retrouver en terre étrangère un peu de la douceur du home, charme auquel sont si sensibles nos amis anglais et américains.

Entre collaboratrices dç nationalités différentes qui se rencontrent là, ne manqueront pas de se nouer des relations durables et des amitiés solides basées sur l'estime que chacune d'elles doit éprouver pour toute collègue qu'elle voit se rendre utile si généreusement.

Remercions les nobles femmes qui se sont multipliées pour adoucir toutes les misères; l'esprit de méthode et d'organisation de nos ennemis, tendu dans un but de barbarie et d'oppression, est certainement inférieur à celui de nos alliés qui, sans insupportable orgueil, ne vise qu'à soulager et faire oublier les horreurs d'une guerre voulue par la race la plus dégradée du monde.

Léonie Alexandre

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