de la revue ‘La France Illustrée’ no 2149 de 5 février 1916
'Les Zeppelins sur Paris'
par François Enault
 
La Capitale Sous les Bombes

maisons détruites à Paris

 

Sur le front de l'Artois et dans les marais de Pinsk, les années allemandes ont célébré l'anniversaire impérial par des attaques répétées ei des échecs sanglants. L'un des lieutenants du comte Zeppelin imaginait, dans la soirée du 29 janvier, d'offrir au Kaiser, pour sa fêle, le bouquet tardif d'assassinats odieux et méprisables dont la Kultur s'est fait une spécialité. Il vint jeter des bombes sur Paris: la nuit, la brume et la vitesse de ses moteurs lui permirent de laisser choir en quelques minutes, à l'aveuglette, d'une hauteur de 3000 mètres, disaient les communiqués, 13 bombes sur un quartier qu'il ne pouvait apercevoir ni repérer dans le brouillard.

Il y eut, quand même, des maisons éventrées, des étages effondrés, et sous les décombres 23 morts et 25 blessés.

Inutile de récriminer! C'est la guerre, la guerre des Boches!... Paris devait les tenter plus encore que les petites villes ou vertes des côtes anglaises! Malgré des tentatives réitérées, il y avait dix mois qu'ils n'avaient pu recommencer le raid du 21 mars 1915. Dix mois pendant lesquels leurs sous-marins ont coulé des paquebots inoffensifs comme le Lusitania et lancé des obus sur les chaloupes remplies de « rescapés »? Pourquoi Paris, à 80 kilomètres de leurs lignes, aurait-il été plus épargné?... Ils ont lu dans nos journaux ou appris par leurs espions que la grande ville vaquait avec sérénité à ses affaires et même, hélas! à ses plaisirs, que les théâtres, les spectacles et les concerts voyaient revenir leurs affluences; que les étrangers recommençaient d'y venir, mais que les soldats blessés et les permissionnaires lui donnaient encore une vague physionomie de ville militaire! Et la Kultur, ayant plus d'hypocrisie que de scrupules, ne s'en prend, dit-elle, qu'aux villes fortifiées, sans que jamais, ni en Angleterre, ni en France, ses bombes assassines ou incendiaires aient tombé sur des ouvrages militaires.

Cette fois, le Kaiser sera content; son Zeppelin a fait à lui seul meilleure besogne, en quelques minutes, que ses deux congénères du 21 mars 1916. Ici, l'une de ses bombes crève la voûte d'un tunnel du métro, deux minutes après le passage d'un train bondé de voyageurs; plus loin, une maison a été entièrement détruite; deux hommes y ont péri dont l'un, gardien de la paix, a eu la tète coupée.

Dans une rue montante et tortueuse, les ustensiles de cuisine, les bibelots d'une villa ont été réduits en miettes: cinq personnes furent blessées. Un peu plus haut, une dizaine de personnes ont trouvé la mort dans la chute d'une maison de cinq étages; puis c'est un petit pavillon complètement anéanti, dans lequel le sous-brigadier de gardiens de la paix Bidault a été tué et sa femme blessée et projetée dans le jardinet de la maison.

Du pavillon voisin, une partie seulement a été démolie. Au premier étage, un petit lit, encore couvert de son édredon rouge surplombe le vide; un bébé y dormait d'un si bon sommeil que le fracas de l'explosion ne l'a même pas réveillé. Dans le voisinage, une petite maison, atteinte par un projectile, s'est effondrée écrasant deux hommes. Dans une autre la mère et l'enfant ont été tués, le père grièvement blessé; dans une autre encore, tous les membres de la famille Petitjean ont été tués; mais les habitants de l'étage supérieur ne furent pas atteints, sauf un soldat permissionnaire qui fut blessé peu grièvement. Un immeuble de cinq étages s'était effondré dans la cour et ses décombres qui montaient à une hauteur de S mètres environ ensevelissaient sous leurs amas les deux petits enfants Medgé.

Cette grande victoire est due sans doute aux suprêmes perfectionnements apportés aux Zeppelins, ces machines coûteuses, dispendieuses et d'une si mince efficacité, que l'on s'imaginait presque laissées au rancart après leurs vaines tentatives d'intimidation sur les côtes du Yorkshire et sur Paris. Mais les Allemands sont obstinés: ils ont réussi, paraît-il, à élever leur lourde machine, chargée de ses bombes et de ses projectiles, à 3000 mètres. La force ascensionnel le des premiers Zeppelins ne leur permettait pas ces altitudes surprenantes, surtout avec leur cargaison de bombes!

C'est une nouvelle leçon que nous donnent nos ennemis! Si nous avons autant qu'eux la volonté de vaincre, avons-nous autant qu'eux la persévérance inlassable de perfectionner nos instruments de combat et la volonté deconquérir, en dehors des routines par des applications scientifiques nouvelles et des trouvailles même infimes, la suprématie nécessaire pour annihiler la menace de leur génie malfaisant?

Le temps calme et brumeux de la soirée du 29 janvier se continua la journée et la nuit du dimanche 30; il fallait profiter de ces heureuses circonstances atmosphériques!... Dès neuf heures du soir, les pompiers donnèrent le signal d'alarme; les lo-gisparisienséteignaient leurs lumières et les fenêtres se garnirent de gens curieux d'assister aux évolutions du Zeppelin!... Mais personne ne le vit, quelques-uns entendirent des détonations lointaines et des ronflements de moteurs!... Paris se défendait encore une fois; le monstre virait de bord et s'enfuyait à toute vitesse. Il avait semé sa route de quelques bombes qui ne firent ni victimes, ni grands dégâts, mais cependant quelques trous ... dans les journaux parisiens du lundi matin!

François Enault

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